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    Mon oncle s'éloigna de moi, et nous tournâmes nos têtes de concert vers la voix qui nous avait interrompu. Il s'agissait d'une femme aux cheveux châtains courts et légèrement ondulés. Vêtue d'une robe noire, elle avait des rangers aux pieds, comme si elle s'apprêtait à aller faire de la randonnée. Elle nous sourit avant de s'approcher de nous d'une démarche posée. A notre hauteur, elle regarda la tombe de Papa, baissa les yeux devant elle et se recueillit quelques instant avant de se tourner vers nous.

     

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    _ Meredith ? Souffla Raise en regardant la femme. C'est toi, n'est-ce pas ?
    Elle opina du chef puis me regarda. Quelque chose me semblait familier chez elle, mais impossible de déterminer ce que c'était. J'étais en face de Meredith Anforth, le seul et unique amour de mon père. Je la voyais en face, et elle était aussi belle que dans mon imagination. Sans que je ne réalise ce qu'il se passe, elle tendit la main vers moi.
    _ Bonjour. Tu dois être Mélie, n'est-ce pas ? Je suis ravie de te rencontrer, je m'appelle Meredith Anforth.
    _ Je …

     

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    J'étais complètement absorbée par son visage, par son doux sourire et ses yeux rieurs. Mais cet intérêt familier ne me lâcha pas. Comme si je l'avais toujours connue. L'avais-je déjà rencontrée ? Je n'arrivais pas à mettre le doigt sur ce qui m'interloquait chez elle. Je ne cessai de la fixer, je cherchais l'illumination. Elle devait arriver, je le savais.
    _ J'ai beaucoup entendu parler de toi tu sais. Tu as fait très bonne impression à Emilien.
    _ Emilien ?!

     

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    Je clignai des yeux. C'est ça que je percevais chez elle, c'est ça qu'il me semblait tellement naturel et familier. Elle était liée à Emilien. Meredith était la mère de mon binôme de mathématiques. Je me sentais tellement ridicule de n'avoir rien remarqué plus vite.
    _ Oui, mon fils.

     

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    Elle me sourit, penchant la tête sur le côté, telle un ange, une fée ou une autre créature dotée de bonté. J'étais persuadée alors à l'instant de ce qui avait attiré mon père vers elle à l'époque. Elle n'était pas seulement belle, elle n'avait pas seulement des problèmes qu'il fallait résoudre. Elle avait une bonté infinie, elle avait la carrure de quelqu'un qui pouvait nous tirer vers de meilleurs horizons. Elle avait les épaules pour nous pousser vers l'avant. Elle avait le cœur que mon père avait perdu.

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    Comme si cela aussi avait été naturel, j'allais dans ses bras. Je ne me sentais jamais aussi proche de mon père qu'à cet instant, entouré de ceux qu'il avait le mieux connu, aimé. Pour lesquels il s'était sacrifié, loin de ma mère pour qui il avait tout donné. Eux avaient souffert sans retour, sans qu'il ne leur offre quoi que ce soit d'autre, si ce n'est la promesse d'une vie meilleure ailleurs.

     

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    _ On te croyait tous morte.
    Mon oncle coupa ainsi le silence, et je reculai de Meredith, rougissante. Elle se tourna alors vers mon oncle, croisant ses bras sous sa poitrine. Un brise passa et défigea la scène. Papa était là, il nous regardait.

     

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    _ Je ne voulais pas que vous ayez pitié de moi. Après tout, c'était Heaven qu'il avait choisi. Alors j'ai choisi de refaire ma vie ailleurs. J'ai pris le nom de jeune fille de ma mère, j'ai travaillé dur et racheté la compagnie de mon père, qui s'appelle Enoran aujourd'hui. Qui étais-je pour m'imposer dans votre douleur ? Je n'ai été que sa petite amie qu'à peine un an. Je n'étais rien.
    _ Il vous aimait, cinglai-je, abasourdie d'une telle réponse de sa part. Vous ne pouvez pas dire que vous n'étiez rien.
    _ Je le sais bien, et plus d'une fois il me l'a prouvé. Mais je n'ai pas eu le courage de l'attendre. Je n'ai pas eu le courage de supporter son absence. Je l'ai trahi, alors qu'il avait une entière confiance en moi. Je me suis laissée allée à la facilité, et il ne méritait pas ça. Alors c'était mieux que je m'éloigne et que je vous laisse vivre.

     

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    _ Tu es une lâche en somme, rétorqua Raise très calmement cependant.
    _ Et je l'assume entièrement. Vous êtes tout pour lui, alors j'ai avancé loin de lui, sans me retourner.
    Une question me brûlait les lèvres, et je ne pouvais tenir plus longtemps sans la lui poser. Je serrai des poings, et la regardait de la façon la plus convaincante qu'il soit.
    _ Est-ce que Emilien est mon demi-frère ?

     

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    Raise fit volte face et me regarda, déboussolé. Visiblement, pour lui, cela ne semblait pas possible, mais je doutais, depuis des mois. Je voulais absolument savoir si tout ce que je ressentais n'était qu'une illusion de ma part.
    Elle me sourit tendrement.
    _ Non, il n'est pas le fils d'Aaron. Tu n'as pas d'inquiétude à avoir, tu es sa seule enfant. J'aimerais que tu continues de le considérer comme un ami qui t'es cher, car je sais que je peux te faire confiance, contrairement à ses autres amis. Tu me le promets ?

     

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    Je restais muette. Je ne la croyais pas. Il ne lui ressemblait tellement pas. Et les réactions d'Emilien me tambourinaient le cerveau. Pourquoi avoir reculé de cette façon avant de m'embrasser si ce n'est qu'il avait décelé un quelconque lien ? Je doute fort que c'est pour que la fille d'Aaron n'ait pas de lien avec le fils de Meredith, pour effacer toute trace de son passage. Non, il y a bien quelque chose de plus fort que ça entre Emilien et moi, j'en étais persuadée. Cependant, je ne rajoutais rien, ne voulant pas la mettre dans l'embarras. Savoir qui elle était me permettra de la questionner plus tard, aujourd'hui, j'étais obnubilée par mon oncle, et seulement par lui.

     

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    _ Je vais vous laisser, nous dit Meredith. J'espère que nous nous reverrons Mélie, je demanderai à Emilien de t'inviter à dîner un de ces soirs. Bonne journée. Ravie de t'avoir revu Raise, je serais ravie de t'avoir à dîner toi aussi. Ton éloquence m'avait manqué.
    _ Ta verve aussi Méré, lui répondit mon oncle en souriant.
    _ Je suis toujours à l'appartement, pas besoin que je te redonne l'adresse, n'est-ce pas ?
    _ Non, ce ne sera pas nécessaire.

     

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    Elle sourit une dernière fois, puis tourna les talons, me laissant seule avec mon oncle. Une fois qu'elle fut sortie du cimetière, je levai la tête vers mon oncle, et celui-ci baissa la sienne vers moi. Il tendit la main vers moi, et je la lui pris.

     

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    _ Je t'offre un chocolat chaud à la maison ? Me demanda-t-il.
    _ Un café plutôt si tu as, lui dis-je.
    _ Oh oui, tu as grandi, c'est vrai.

     

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    Il me fit un large sourire, qui m'envoya un élan nostalgique en plein dans le cœur. A nouveau, je me sentais avoir six ans, et je lui demandai finalement un chocolat. J'ai bien le droit d'être encore une enfant avec lui, je pouvais me le permettre. On avait tant de temps à rattraper nous deux.