• - 194 -

    - 194 -

     

    Ce petit coin de Nil, nous l'avions trouvé par pur hasard, et nous en sommes littéralement tombés amoureux. Il avait quelque chose d'intemporel, peut-être les vestiges à demi immergés nous aidaient dans cette impression, ainsi que les quelques vendeurs ambulants qui aimaient s'installer au bord de l'eau. Et nous y avions nos habitudes avec Heaven : s'asseoir au bord de l'eau, enlever nos chaussures, adossés à un muret de pierres, pour contempler le fleuve qui s'écoulait devant nous lentement, permettant derrière lui la naissance d'une végétation extraordinaire pour le climat hostile de cette région du monde.

     

    - 194 -

     

    Nous restâmes ainsi silencieux durant de longues minutes, savourant la paix de l'endroit. Mes doigts jouaient dans l'herbe, puis Heaven flancha vers mon épaule, où elle laissa sa tête y reposer, sans le moindre mot, ni même son. Je la regardai alors, quelque peu surpris, et passait ma main dans le bas de son dos.
    _ Ça va Heav' ? Questionnai-je.
    _ Juste un peu fatiguée, mais ça va, me répondit-elle. J'ai reçu une nouvelle lettre de Cathe-Line aujourd'hui, pendant que tu dormais, j'aurais pensé que tu aurais préféré la lire tranquillement sans les cris des gosses et les questions indiscrètes de Aya.

     

    - 194 -

     

    Elle me sourit, et sortit une lettre de sa poche, lettre plutôt épaisse qu'elle me tendit. J'eus alors confirmation de son poids quand je vis le nombre de timbres soigneusement collés dessus, et enfin, quand je la soupesai. Elle pesait une tonne !
    Je remarquai alors qu'elle était ouverte, mais je ne relevai pas. Après tout, le destinataire de cette lettre était « Aaron Hart et Heaven Fewser », elle avait tout autant le droit que moi de lire son contenu. J'entrepris alors de l'ouvrir, attrapai la lettre, et plusieurs autres qui tombèrent sur mes genoux. Surpris, je me penchai pour les ramasser, voir ce que c'était, et Heaven répondit à ma question muette.

     

    - 194 -

     

    _ Cathe a vendu la mèche … souffla-t-elle en encerclant ses jambes de ses bras pour regarder l'eau. Et tout le monde a cherché à t'écrire, même elle …
    Abasourdi, je dépliai les lettres, regardant les entêtes. Raise Hart, Drew Snavel, Geist Taylor – ainsi donc, elle avait épousé son moisi celle-la – Athénaïs Parker, Cory Summers, Enzo Grey … et Meredith Mc Mallers. Mc Mallers. Ce nom après son prénom me faisait mal au cœur, et je préférais froisser la totalité de ces lettres plutôt que de les lire. Heaven me regarda tandis que je me levais pour aller jeter cet amas de papier dans le Nil, qui partit à la dérive vers la Méditerranée.

     

    - 194 -

     

    _ Tu ne les as même pas lues, remarqua-t-elle.
    _ Je ne veux pas lire leurs supplications pour me faire revenir, répondis-je en regardant l'eau. Je ne veux pas y retourner Heaven. Je ne sais pas si j'aurais la force de poursuivre.
    Elle me regarda, interrogative, puis s'installa sur mes genoux, une fois que je me rassis à son côté, me regardant.

     

    - 194 -

     

    _ Qu'est-ce que tu veux dire ?
    _ Que si jamais je lisais ces lettres, dont je connais parfaitement le contenu, je n'aurais jamais le courage d'aller jusqu'au bout de ce périple. Parce que je ne le fais pas pour moi, mais pour vous tous. Et je ne veux pas risquer de flancher et vous gâcher la vie à tous.
    _ Comme si te voir en vie nous gâcherait la nôtre …
    Je haussai les épaules et m'allongeai au sol. Heaven se blottit alors contre mon torse en faisant attention à ne pas trop peser sur ma maigre carcasse.

     

    - 194 -

     

    _ Ils ne te demandaient pas de rentrer Aaron, même pas Meredith, me dit-elle après quelques minutes d'un silence qui me sembla interminable.
    _ Tu as aussi lu leurs lettres ? Tu ne t'es même pas contentée de Cathe.
    _ J'étais curieuse, et puis, la route jusqu'au supermarché était longue.
    _ Même celle de Méré ?
    Je la regardai, curieux à mon tour de sa réaction, non pas du contenu des missives.

     

    - 194 -

     

    _ Oui.
    _ Et ?
    _ Je n'aurais pas du la lire, c'était déplacé de ma part. Mais, je n'avais jamais compris ton affection pour elle, même aujourd'hui encore, alors qu'elle semble être la fille la plus naïve du monde, sans le moindre dessous de jugeote.
    Je grimaçais, n'aimant pas trop sa façon de critiquer Meredith, mais je la laissai poursuivre.
    _ Cette lettre était trop intime pour que je la lise. Ce que j'ai retenu, c'est qu'elle n'a jamais cessé de t'aimer, de t'attendre. Parce qu'elle espère qu'un jour, tu lui reviennes, mais qu'elle souhaitait avant tout ton bonheur. Elle parle des conditions de son mariage aussi, de ce qui l'a poussé à faire ça malgré le fait qu'elle pense encore à toi.

     

    - 194 -

     

    _ Arrête, lui dis-je. Je ne veux pas en savoir plus. Je ne rentrerais pas. Tu peux leur répondre que je n'ai rien lu, qu'ils arrêtent de penser à moi puisque de toute façon, ils n'espèrent que le retour d'un fantôme, qui ne sera même pas le crétin qu'ils connaissaient il y a presque trois ans. Autant tout oublier.
    _ Comme tu voudras.

     

    - 194 -

     

    De nouveau, un silence s'installa entre nous, et Heaven se contenta de rester allongée contre moi, regardant de temps à autre ciel qui était d'un bleu azur. Ma main dans son dos, j'essayais de penser à autre chose qu'à ses lettres qui voguaient désormais plus au Nord encore. Une mélodie nous sortit de nos songes, et Heaven décrocha.
    _ Oui ? Dit-elle en se redressant.

     

    - 194 -

     

    Je fis alors comme elle, essayant de tendre l'oreille pour savoir avec qui elle parlait, même s'il s'agissait de son petit ami, l'Ulyss avec qui elle communique toujours de temps en temps, même si j'ai des doutes quand à la solidité de leur relation.

     

    - 194 -

     

    _ Merde ! On arrive tout de suite ! Clama-t-elle avant de raccrocher.
    _ Quoi quoi quoi ?! Bégayai-je.

     

    - 194 -

     

    _ Aya est sur le point d'accoucher, et impossible aux urgences de se déplacer. Faut qu'on y aille.
    Et merde.