• Prologue 1/

    Prologue

     

    Le vingt neuf août deux mil dix neuf, midi et demi.
    Le son des cloches de l'église toute proche envahit peu à peu le cimetière.
    Il fait beau, comme lors de ce jour il y a dix ans. Les oiseaux chantent, les nuages dansent, le vent nous murmure des mots d'amour. Je lui murmure des mots d'amour. Je t'aime mon ange, ma princesse ...

     

    Prologue


    Je m'appelle Aaron Hart, je suis décédé le vingt neuf août deux mil neuf à l'âge de vingt et un an. Cela fait dix ans aujourd'hui, que je suis sous cette plaque de marbre.
    Ne me dîtes pas que c'est parce que je suis mort que je ne peux pas vous parler, on va dire que je suis un peu comme le fantôme de Noël, vous savez, dans le conte, qui apparaît pour vous montrer les meilleurs moments de votre vie.

     

    Prologue


    Ma vie. Quelle belle connerie. Je crois que la seule chose que j'ai fait de bien, c'est bien encore cette frimousse brune assise avec sa mère devant cette tombe de marbre noir, ces petits yeux noirs et son large sourire, encadré par de lourdes boucles brunes lui tombant sur les reins.. Je ne l'ai jamais vue, elle ne m'a jamais vu. Je suis mort avant sa naissance, elle a neuf ans. Mélie est mon trésor. Sa mère est ma meilleure amie.

     

    Prologue


    Je crois que pour commencer mon histoire, des présentations s'imposent. Donc, comme convenu, et expliqué plus tôt, la plaque de marbre, c'est moi, ou du moins, ce qu'il reste de moi, déjà en plus que je n'étais pas en bon état le jour de mon enterrement … Mon enterrement, le deux septembre. Un jour de pluie en plus je crois, l'idéal pour enterrer les gens, le jour même de la rentrée scolaire …
    Quant à la jeune femme assise avec l'enfant, il s'agit de ma meilleure amie de mon vivant, Heaven. Brune aux cheveux parfaitement coiffés, dans sa parfaite tenue d'employée de bureau, toujours irréprochable. Elle enserrait l'enfant contre sa poitrine, sans quitter du regard cette tombe, ma tombe.

     

    Prologue


    - Heaven ! Appela un homme roux en arrivant derrière la jeune femme, serrant un peu plus la fillette contre elle.
    Vêtu d'une chemise blanche et d'un simple jean, l'homme était de taille et de corpulence toutes à fait normales, grand, mince. Ses cheveux roux foncé aux mèches noires lui balayaient le haut du visage, nous peinant à distinguer ses deux yeux noirs sur sa peau claire et quelque peu tannée par le soleil, assez pour soupçonner qu'il rentrait de vacances, sans croire qu'il les eût passées à brûler sur une serviette de plage en plein soleil. Et d'aussi loin que je le connaisse, il n'a guère changé, toujours la même façon de se tenir, de sourire. Certes les années sont passées et l'ont fait mûrir, mais rien qui ne l'ait changé radicalement, et c'était tout à son honneur.
    - Oh, bonjour Raise. Comment tu vas ?
    - Jamais très bien, comme tous les vingt neuf août. Bonjour Mélie !
    La petite fille sauta au cou du rouquin qui l'installa sur ses épaules, en riant.

     

    Prologue


    Raise est mon frère jumeau. Et comme tous les jumeaux, il a mal vécu ma mort, je le sais, j'ai beau être réduit en poussière, je sais bien ce qu'il ressent. On ne peut pas dire non plus que nous deux, c'était de l'amour fraternel comme tout le monde peut en rêver, on se supportait plus qu'autre chose la plupart du temps. Mais quand il arrivait une bricole à l'un, l'autre arrivait en renfort, c'est comme ça qu'il est Raise. Et c'est comme ça que j'aime mon frère.

     

    Prologue


    - Salut frangin, me dit-il en s'asseyant à son tour. Quoi de neuf depuis la dernière fois, tu me diras hein ?
    Tout à fait, qu'est-ce que tu as encore fait comme conneries tête de pioche ! Raconte moi tout, et que ça saute, où je viens te hanter ! Oui, je sais, pour l'humour on repassera.

     

    Prologue


    Bon, au lieu de vous faire lire les bla-blas incessants de mon frangin adoré, je vais plutôt vous raconter comment j'en suis arrivé là, six pieds sous terre, à même pas vingt-deux ans. Car oui, j'allais avoir vingt deux ans quand tout s'est arrêté.

     

    Prologue

     

    Je crois que pour commencer, il vous faut remonter trente deux ans en arrière, le jour où tout à commencé, et où j'ai signé mon arrêt de mort : le jour de ma naissance.
    Je suis né un jour pluvieux du mois de novembre, le dix neuf précisément, suivant de près mon jumeau, Raise donc. Tout allait bien dans le meilleur des mondes. Nos parents étaient comblés, réellement. Deux enfants pour le prix d'un, c'était leur rêve. Cependant, deux jours plus tard, le pédiatre qui venait nous examiner, Raise et moi, annonça une terrible nouvelle à ma mère : elle avait donné naissance à un enfant à la santé fragile : moi. Mon cœur ne bat pas régulièrement, pour faire simple, je vais pas entrer dans les détails de ma cardiopathie non plus. Alors, j'ai vite été suivi, puis, vers mes six ans, j'ai reçu ma première pile cardiaque : un pacemaker. Je devais subir des opérations régulières, des contrôles, des échographies …

     

    Prologue

     

    C'était une dose supplémentaire de stress pour mes deux parents. Il fallait s'assurer que ma pile ne me fasse pas faux bond, que je ne tombe pas malade, que je ne joue pas comme tous les autres enfants. Mais allez donc expliquer à un enfant qu'il n'a pas le droit de courir pour le bien de sa santé tandis que son frère jumeau allait jouer au football avec ses copains, qu'il avait besoin d'une dispense de sport avant de s'inscrire à l'école et qu'il devait rester dans les jupons de son institutrice pour qu'elle puisse le veiller sans avoir à le chercher partout dans la cour. Les premières années de mon enfance furent dures pour tout le monde, à grogner après moi, à essayer de me maintenir sage chez les médecins, et cetera.

     

    Prologue

     

    Et c'est finalement aux alentours de mes douze ans que tout a explosé pour maman, et ce sera là que commencera mon histoire.
    - Tu viens Mélie ? demanda Raise à ma fille.
    - Oui ! fit-elle de sa voix claire, puis elle se tourna vers moi. Au revoir papa !

     

    Prologue


    L'enfant se rua vers mon frère, qui l'a prise par la main et ils sortirent tous deux du cimetière en riant. Ils me manquent tous, affreusement.
    Heaven, quant à elle, resta assise devant ma tombe, comme à chaque fois qu'elle venait. Elle y restait des heures, à me parler, à pleurer, me raconter ses tracas, me parler de Mélie, de ses progrès fulgurants. Certains hivers, elle en oubliait même la neige qui tombait et qui la rendait blanche telle une mère Noël. Elle avait toujours ce même rituel : venir sur ma tombe avec quelque chose qui me faisait plaisir de mon vivant, un bon livre, un sachet de sucrerie, un nouvel album à écouter. Et elle s'adossait contre ma tombe, lisant l'ouvrage, me rappelant les meilleurs passages à voix haute comme si je ne l'avais jamais quitté. Elle se goinfrait de sucreries quand elle avait le cafard, et pouvait passer des heures à chanter à tue tête quand elle avait découvert un nouvel album absolument fantastique.

     

    Prologue


    D'ailleurs, quand elle est sortie de la maternité, la première chose qu'elle ait fait, c'est de venir ici, avec Mélie dans son transat, pour m'annoncer qu'elle n'avait aucun souci cardiaque, qu'elle était une petite fille en parfaite santé. Et mine de rien, j'en étais heureux. Et elle m'avait raconté chaque étape de sa vie, me racontant à quel point elle grandissait et qu'elle faisait des progrès. Une fois par mois, Heaven venait avec Mélie, et ma fille s'en allait en me disant « au revoir Papa, à bientôt ». La voir grandir et s'épanouir faisait de moi le plus heureux des pères fantômes.

     

    Prologue


    - Je vais me marier Aaron, me souffla-t-elle. Avec Drew, tu sais, ton meilleur ami de collège, le blond aux yeux violets. Ça fait longtemps qu'on le sait, mais je n'ai jamais vraiment trouvé le temps, ni même le courage, de te le dire. Mélie ne dit rien, je crois qu'elle l'aime bien. Je ne sais même pas si elle sait qui tu représentais pour moi, rit-elle, elle a dû se mettre dans le crâne qu'on était amoureux l'un de l'autre toi et moi. Enfin, ça ne me dérange pas plus que ça qu'elle le croit, c'est sûrement mieux qu'un enfant se croit le fruit de l'amour de ses parents, et puis, vu que j'étais vraiment amoureuse de toi Aaron, je ne cherche pas à la contredire. Et je ne regrette en rien ce qu'on a fait cet après-midi là, Mélie a été le plus beau cadeau de ma vie, j'espère qu'elle aura été la tienne. Je t'aime.

     

    Prologue


    Heaven se leva alors et embrassa ma stèle avant de retrouver sa famille, en dehors du cimetière. Mélie jouait avec Raise, et un homme blond à lunettes s'approcha du groupe avant d'étreindre Heaven, et ils s'embrassèrent, devant une grimace de dégoût de Raise et Mélie qui se mirent ensuite à rire comme des enfants.

     

    Prologue


    Une légère brise passa, souleva les longs cheveux de jais de ma meilleure amie et effeuilla les fleurs de ma tombe déjà noircie. Heaven tourna la tête vers la provenance de la brise, comme si elle savait que c'était moi qui en avait profité pour la remercier de sa présence ici auprès de moi.
    - Tu viens Heaven ? lui demanda Drew en lui prenant la main. Cathe-Line et Andrew vont nous attendre.
    - J'arrive, souffla-t-elle.
    Une dernière fois, elle embrassa le cimetière du regard, ses yeux cherchant un quelconque fantôme dans le ciel, puis elle tendit la main vers Mélie, et tous les quatre disparurent finalement vers le centre-ville pour se retrouver, comme tous les ans depuis mon décès, entre amis, à picoler et raconter des bêtises, et se souvenir de moi.
    Si j'eus été encore vivant, mon cœur se serrait pincé à l'idée de les voir partir de ce cimetière. Et bien que je sois triste pour eux, bien que je sais que je les ai tous abandonnés en me rendant à ma mort, jamais je ne regretterais mes choix, jamais. Car j'ai fait les bons, depuis le début.


  • Première Partie

     

     


  • Environ six ans plus tard...

     

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    C'est le pas traînant que j'arrive devant la maison, après une longue journée de cours, je ne crois pas que l'année de seconde soit la plus simple. Mon année de troisième me manque affreusement. Le lycée, tout le monde dit que c'est le pied, moi je pense plutôt que c'est l'enfer. Rien que de savoir que je dois porter cet uniforme hideux chaque jour que Dieu fait me hérisse le poil. Après tout, pourquoi est-ce que tout le monde doit s'habiller en parfait petit marin bleu avec un foulard rouge sous le col, une horrible jupe plissée, de hideuses chaussettes noires jusqu'au genoux et de gros souliers sans aucune forme. Tout le monde ? Oui, d'accord, je confesse que c'est exagéré puisque que les garçons ont une simple chemise blanche avec gilet, un pantalon noir et les même chaussures que nous les filles. Mais ça reste quand même bien moche. Et c'est sans compter sur les tonnes de devoirs qui m'attendent dès que j'ai le malheur de sortir de cours, les profs doivent se donner un malin plaisir de nous faire souffrir à moins qu'ils tiennent absolument à noircir les pauvres pages de notre agenda. Je dois également faire avec l'absence de mes amis, puisqu'ilss sont tous partis dans l'autre lycée de la ville, le lycée John Fitzgerald Kennedy, plus communément appelé JFK , tandis que je croupis dans le lycée où se retrouve toute l'élite de Bloomington, le lycée Van Heim..

     

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    - Je suis rentrée ! dis-je en poussant la porte, m'attendant à ce que personne ne me réponde.
    Normalement, à cette heure là, Maman travaille encore, et comme Drew, mon beau père, n'a pas d'horaire, il m'est impossible de savoir s'il est à la maison, il peut travailler pendant trois jours non stop sans rentrer du bureau, et rester par la suite, une semaine à la maison pour se la couler douce. Je crois donc que pour la présence masculine à la maison, il pourra repasser l'examen, c'est pas gagné. Déjà que je n'ai plus de père, on ne peut pas dire que Drew le remplace à la perfection.

     

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    - Bonjour Mélie, me dit Drew alors que j'entrais dans la cuisine.
    Ainsi, aujourd'hui était donc une journée « maison ». Il était installé tranquille à la table de la cuisine, à lire son journal, un mug de café fumant posé à côté de lui, et ne m'adressa pas un seul regard. Je suis absolument touchée par toute cette sollicitude de sa part.
    - 'lut, lui répondis-je à son manque total d'intérêt.
    - Tu as passé une bonne journée ?

     

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    - Bwarf, lui répondis-je en ouvrant le frigo afin de choper une canette de soda et de l'enfourner dans mon sac à dos avant de picorer dans la salade de fruits qui était dans le frigo pour me caler l'estomac.
    - Un truc ne va pas ? me demanda-t-il en posant son journal pour enfin daigner m'adresser un regard un tant soit peu paternel.
    - Rien. J'ai trois tonnes de devoirs pour demain. Donc, je m'exile. Je descends pour manger, conclus-je en refermant le frigo.
    - D'accord. Bon courage.
    - Merci.

     

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    Sans me faire prier, et après avoir quitté la cuisine de la manière la plus théâtrale qui m'était donnée de faire, je grimpe les escaliers avant de m'exiler dans mon antre, et me poser à mon bureau, devant une photo que Drew m'a offert il y a deux ans, pour mon anniversaire.

     

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    Une photo de mon père pour être plus précise. Il était debout , devant une bibliothèque, ses cheveux roux étaient rassemblés en une queue de cheval que l'on distinguait à peine sur la photographie. Ses traits étaient tirés, son visage cerné, et il semblait n'avoir plus que la peau sur les os.
    Je ne l'ai jamais connu, c'est la seule chose qu'il me reste de lui.
    Tout ce que je sais de lui, se limite à cette photo, et à son prénom. Aaron.
    Il m'arrive de passer ma journée à regarder cette simple photo, à essayer d'imaginer ma vie avec lui. J'aurais aimé savoir ce que c'est qu'avoir un père. Certes, il y a Drew, mais il n'a pas la carrure de père. Si lui et Maman n'ont jamais eu d'enfant, ce n'est pas un hasard, ou une impossibilité de leur part. Drew est la source même du problème.

     

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    - Mélie, ma chérie, entendis-je dans le couloir – ma mère. Je peux entrer ?
    - Oui, répondis-je sans pour autant quitter mon regard de la photo de Papa.
    La porte de ma chambre s'ouvrit sur ma mère, coiffée d'un chignon strict, et de la tenue allant avec. Et après, on la critique de coincée du cul, elle le cherche bien.

     

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    - Toujours devant cette photo au lieu de travailler, dit-elle en s'asseyant sur mon bureau.
    - Il était comment ? Demandai-je une énième fois, en espérant entendre ma mère parler de lui.
    - Tu me le demandes encore ?
    - Oui, allez, insistai-je. Je ne sais rien ...
    Dans ses yeux, je vis qu'elle capitulait, et elle prit la parole.

     

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    - Aaron était, sans nul doute, le meilleur ami que je n'ai jamais eu. Pas une seule fois, il ne s'est énervé contre moi, il m'a bien souvent protégée contre les balourds du lycée, et puis, moi, je l'aimais … bien plus que tout.


  • Année 2006 – Bloomigton, Illinois, USA.
    Lycée JFK.

     

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    - Heaaaaaaaaaaaven ! Hurlai-je dans la direction de ma meilleure amie, assise comme à son habitude, sur un des nombreux bancs de la cour du lycée, à jouer les grands mères.
    Franchement, qu'est-ce qu'il peut bien avoir à faire, une fois que tu t'es posée seule sur un banc moisi, de ce lycée moisi, dans cette ville moisie ?
    - Allez, bouge ton cul grosse limace ! Continuai-je.
    Bien évidemment, elle se tait, et me regarde, l'air de dire que ce n'est plus de mon âge de gueuler à tout va dans une cour dite de « récréation ».

     

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    J'avoue, j'ai un peu beaucoup dix huit ans, et je suis un peu beaucoup en terminale, à quelques semaines de la remise des diplômes. J'avoue que j'ai l'air fin à gesticuler comme un singe pour lui foutre la honte, mais bwarf quoi, si je peux pas profiter de ma jeunesse aussi, je vais pas me mettre à vieillir prématurément. Déjà que la vie est pas longue, je veux pas avoir l'air d'un aigri de la vie à même pas vingt ans.

     

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    Fallait pas s'étonner, Heaven ne moufta pas, resta assise sur son banc putride à me regarder. Je prends donc l'initiative de courir en sa direction, si ce n'est pas le beignet qui va au morfale, c'est le morfale qui ira au beignet. Quoi ? Elle est pas géniale ma comparaison ? Tsss, laissez tomber, vous avez aucun sens de l'humour.

     

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    - Tu devrais pas faire ça, me dit-elle alors que je m'asseyais à ses côtés.
    - Faire quoi ? Te foutre la honte ? Désolée, mais t'es tellement coincée du cul que c'est tentant.
    - C'est pas de ça que je te parle Aaron, je m'en fous d'avoir la honte, même si c'est plutôt toi qui devrait être couvert de ridicule. Tu n'as pas le droit de courir, dit-elle finalement.
    - Et alors, je prends le gauche, c'est tout, finis-je par dire, concluant ainsi la discussion, enfin, à ce que j'aurais aimé, mais c'est sans compter sur la rationalité d'Heaven, et sa volonté de se mêler de ce qui ne la regarde pas.
    - Je vais aller en parler à Raise si tu continues Aaron.

     

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    - Raise en à rien à carrer de moi. Laisse le avec sa "copine", et fous moi la paix avec lui.
    - Je ne vais pas « rapporter » à tes parents non plus. Qui se soucie de toi, sinon lui ? Continua-t-elle.
    Mais elle peut pas me foutre la paix cinq minutes ? Si elle n'était pas ma meilleure amie, il y a bien longtemps que je l'aurais envoyée paître. En même temps, elle a raison, faut bien que quelqu'un se préoccupe un chouïa de ma santé, et le seul de ma famille à avoir un peu de considération pour moi, c'est bien Raise, mon frère jumeau.

     

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    En même temps, tous les deux, on a pas forcément eu la vie rêvée par tous les gamins de notre âge, et tout ça à cause de ma fichue santé, qui coûte la peau du cul à mes parents. Et je pense qu'il m'en veut, de l'avoir privé de ce que peu posséder un ado, rien qu'en pompant l'argent de nos vieux. Qui d'ailleurs, n'ont du mot parents que l'appellation, puisque ils sont plutôt du genre drôle de gugusses, si vous voyez ce que je veux dire.

     

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    - Sinon, tu racontes quoi de beau ? Me demanda-t-elle pour couper notre silence.
    - Rien de spécial. Enfin, si, j'ai pris rendez-vous chez le cardio.
    - Ah ouais ?
    - Ouaip. Rendez-vous deux semaines après le diplôme. Ce sera pas Jose qui s'occupera de prendre rendez-vous. Ça fait une semaine que je l'ai pas vue, elle doit croupir dans un coin de la ville, avec son mac.
    - Parle pas d'elle comme ça, elle est sympa Jose.
    - Pas quand elle a le sang infesté d'alcool.

     

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    Jose, c'est ma mère.
    Elle a quarante deux ans, elle en fait plutôt soixante selon mon humble avis. On ne peut pas dire que le mélange alcool-drogue-tabac soit le meilleur des produits de jouvence. Ses cheveux ressemblent à de la paille, d'immenses tatouages sur le haut du corps et au coin de l’œil, le regard vitreux, maquillée comme une prostituée, en même temps, c'est ce qu'elle est. Et elle est habillée de la même manière. Et on ne peut pas dire que je la porte dans mon cœur, pas après ce qu'elle a fait, à Raise et à moi. Je crois qu'elle peut toujours rêver.

     

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    La sonnerie de début des cours se fit entendre, et je me lève de mon banc, vite suivi par Heaven, qui épousseta sa jupe au passage. Il était sale ce banc ?
    - T'es maniaque ou quoi ? Ris-je en avançant avec elle dans la cour.
    - Comment ça ? S'enquit-elle.
    - Dès que tu te lèves, hop, on essuie la jupe.

     

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    - C'que t'es con, dit-elle en riant. Dis moi que tu as bossé ton histoire aujourd'hui, monsieur le petit génie.
    - Bien évidemment, qu'est-ce que tu crois ?
    - T'as révisé ton Histoire de France, toi ?
    - Vas-y, teste moi, je suis calé !
    - Voyons voir … Révolution française !?
    - Dix sept cent quatre vingt neuf m'dame !
    - Bataille de Marignan ?!
    - Quinze cent quinze !
    - Il est mort où Napoléon Ier ?
    - Page soixante et une de ton livre crétine.

     

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    La journée de cours était finalement passée assez vite, et avant que je dise ouf, la cloche sonnait la fin des cours. Enfin. Heaven et moi sommes donc rentrés à pied chez elle, puisque quitte à passer le moins de temps chez moi, autant que je le passe devant la télévision de quelqu'un d'autre.

     

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    - Au fait, me dit-elle alors qu'on remontait les escaliers de la station de métro en bas de chez elle, tu crises pas.
    - Me dis pas que …
    - Je suis désolée ….
    Calme, restons calme. Ça ne va servir à rien de criser, sinon, à se faire remarquer. Et c'est pas spécialement ce que j'ai envie de faire à l'instant.

     

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    - Ils sont là à quelle heure ? Demandai-je, feignant l'impassibilité.
    - Elden doit passer chez lui, mais il sera le premier arrivé je pense. Donc, disons, dans vingt minutes mini, une heure grand maxi.
    - Je me casse dès qu'il pointe sa face de cul.
    - Aaron ! S'offusqua-t-elle.
    - Tes potes me pompent l'air.
    - Tu as déjà essayé de leur parler au moins ?
    - Non. Et j'en ai pas envie.

     

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    Sans que je ne me rende compte, nous étions déjà arrivés devant la porte de son appartement, au deuxième étage du bâtiment de pierres.
    Elle tourna vivement la clé dans la serrure, avant de pousser la porte, et de balancer son sac dans un coin de la pièce.
    - Tu connais le refrain, fais comme chez toi.

     

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    Je ne me fis pas prier plus longtemps avant de balancer mon sac auprès du sien, et de m'affaler sur le canapé, pieds sur le canapé, comme la grosse limace que je suis.
    Heaven ne tarda pas à me rejoindre, et s'installa à côté de moi, avant que je ne la chope par les hanches pour la forcer à s'asseoir à califourchon sur moi, comme quand on était gosses.

     

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    - Aaron ! s'offusqua-t-elle.
    - Quoi ? Ca ne te gênait pas que je fasse ça avant.
    - Nan, mais Aaron, s'il te plaît ...
    - Je croyais qu'il n'y avait pas d'ambiguités entre nous. Tu m'expliques ta réaction là ?
    - Je ... On n'a plus quinze ans Aaron.
    - Je sais, c'est pas ça qui va m'empêcher d'installer ma meilleure amie sur mes genoux.

     

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    - Ca n'a plus le même sens aujourd'hui de faire ça, tu le sais.
    - Qu'est-ce que tu vas me chanter là ? On est là, tranquilles, que tous les deux. Où est le mal ? T'es ma meilleure amie, et si je veux te prendre sur mes genoux, je le fait, c'est tout.
    - Ca n'a plus le même sens à mes yeux...
    - Et il s'appelle comment ? finis-je par dire en plantant mon regard dans le sien.

     

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    La brunette m'esquiva, et voulut se défaire de ma prise, c'était sans compter sur ma détermination, et elle était bloquée là, sur mes genoux, à rien pouvoir faire d'autre que de m'expliquer.
    - Allez couillone, il s'appelle comment ?
    - Car tu crois que je vais te le dire ?
    - Bien sûr. Ca fait partie des serments entre meilleurs amis. A la vie, à la mort, on se dit tout, aucun secret l'un pour l'autre ...

     

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    Elle planta son regard dans le mien, et une étrange sensation m'envahit, et nous sommes bien restés cinq minutes à nous regarder en chien de faïence, sans que rien ne se passe, juste nos regards l'un dans l'autre.
    Je n'avais jamais rien ressenti de tel, jusqu'à ce que ma mémoire reprenne le dessus, en me balançant à la figure des passages de mon adolescence, passage que j'aurais bien aimé effacer.

     

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    - Recule-toi, dis-je d'un ton sec en évitant son regard.
    - Aaron ?
    - Recule-toi.
    La brunette s'exécuta, incompréhensive sous mes ordres, tandis que je rabattais mes jambes sous moi, m'asseyant en tailleur sur le canapé, essayant d'oublier ce que ma mémoire me rappelait.

     

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    - Qu'est-ce que t'arrive Aaron ? me demanda-t-elle.
    - On ne doit pas jouer avec les sentiments Heaven.
    - Aaron ? Tu es sûr que ça va ?
    - Je vais rentrer. Tes moisis vont pas tarder.
    Je décidai de me lever, et attrapai mon sac de cours, avant que la brunette ne me rattrape devant la porte de son appartement.

     

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    - Aaron. Qu'est-ce qu'il y a ?
    - Le mec, pas la peine que je cherche, je sais que c'est moi. Mais ne joue pas avec moi Heaven. Tu vas te faire mal.
    - A...
    - Il n'y a pas de Aaron qui tienne. On se voit demain en cours.
    - Tu vas où ?
    - Je file squatter la télé de Drew. A plus tard, fis-je finalement en l'embrassant sur la joue avant de claquer la porte et de descendre les escaliers.