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    Au même moment, à quelques rues de là …

     

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    Un mince rayon de soleil passait à travers la vitre barbouillée par la pluie. Et il avait évidemment choisi d'aller directement sur son visage à lui. N'étaient-ils pas deux dans ce lit ? Il aurait pu aller l'embêter elle, non ? Il se tourna alors, pour ne plus avoir le soleil dans le visage pour se rendre compte que sa charmante compagne avait le dos tourné à la fenêtre, et donc au soleil. Il esquissa un sourire et joua avec une mèche folle qui s'était échappée de son chignon. Il resta quelques instants à la regarder respirer, mais ne pouvant se rendormir, il décida finalement de se relever et il s'assit sur le bord du lit.

     

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    La chambre blanche était très claire pour un samedi matin pluvieux. Un temps qui n'annonçait jamais rien de bon pour la suite. Il s'étira quelques instants, et se leva. Son regard fut aussi attiré par le piano droit qui se trouvait juste à côté du lit depuis quelques temps déjà. Un peu moins de trois ans si ces souvenirs étaient bons. C'était le père de la demoiselle qui le lui avait offert dans un vide grenier pour son anniversaire. Mais depuis quelques mois, il était devenu muet, la musique ne l'intéressait plus.
    Il s'approcha de l'instrument, fit glisser ses doigts sur les touches d'ivoire avant de chercher dans un panier au pied du piano, un recueil de partitions. Il les feuilleta toutes avant d'en choisir une, qui lui plairait, il le savait.

     

     

    Juste après – Pauline & Emmanuel Moire

      

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    Un son très léger envahi peu à peu la pièce claire. Connaissant le morceau sur le bout des doigts, Georg risqua de tourner la tête vers Emma, pour voir si elle réagirait à ce morceau, ou à la simple écoute d'un morceau de musique. Il remarqua qu'elle ne bougeait plus de la même manière après quelques notes effleurées, et finalement, elle se tourna vers lui. Son visage encore ensommeillé portait encore les traces des draps.

     

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    _ C'est ta façon de me dire bonjour ? Demanda-t-elle en s'asseyant en tailleur sur le lit.
    Elle attrapa la première tenue qui lui passa sous la main et l'enfila très rapidement.
    _ Pas tout à fait, répondit-il en accélérant le rythme quelque peu. J'essayais plutôt de te réveiller.
    _ Me réveiller ? On est samedi matin Georg …
    _ Et il est onze heures ….
    Il se mit à compter ses notes sur le bout des lèvres, et Emma fit la moue, réalisant ce qui aller se passer.

     

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    _ N'espère même pas que je chante Kaitlin, c'est hors de question, pesta-t-elle.
    Il haussa les épaules avant d'entrouvrir les lèvres.
    _ Elle a éteint la lumière, et puis qu'est-ce qu'elle a bien pu faire, juste après ?
    Georg regarda la jeune rousse avec un léger sourire tout en chantant ces quelques mots. Elle conserva la bouche close, résolue à ne pas chanter. Cependant, quand Georg commença à compter à nouveau du bout des lèvres, elle ne résista pas.
    _ Se balader, prendre l'air, oublier le sang, l'éther, c'était la nuit ou le jour, juste après …
    Elle rougit tout d'un coup, et tourna la tête pour ne pas voir le sourire satisfait de son petit ami, qui poursuivait la chanson, tranquillement.

     

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    Deux trois mots d'une prière, ou plutôt rien et se taire, comme un cadeau qu'on savoure, qu'a-t-elle fait ?
    Un alcool, un chocolat, elle a bien un truc comme ça, dans ces cas là.
    Le registre, un formulaire, son quotidien, l'ordinaire, son univers.
    A-t-elle écrit une lettre ?
    Fini un bouquin peut-être ?
    Une cigarette.

    Progressivement, le visage de la jolie rousse se tourna vers Georg qui l'invita à se rapprocher d'un hochement de tête. Elle esquissa un sourire, qui devint plus franc quand Georg glissa sur le banc pour lui faire de la place. Elle se leva alors, pour prendre place à côté de lui.

    Qu'est-ce qu'on peut bien faire, après ça ?

     

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    Elle posa sa tête sur son épaule, son regard filant sur les touches qu'il effleurait sans peine, comme si ce morceau n'avait même plus besoin d'être réfléchi ou même pensé. Elle buvait le son de sa voix, adorait son timbre et regrettait quelque peu de la gâcher avec la sienne, qui n'avait absolument rien d'extraordinaire, qui était peut-être même bien fausse. Mais elle s'en fichait, il le voulait, non ?

    Elle y est sûrement retournée, le regarder respirer, puis s'est endormie.
    Comment dort cet enfant, si paisible en ignorant, qu'on l'a pleuré jusqu'ici ? Qu'on l'a pleuré jusqu'ici. Qu'on l'a pleuré … jusqu'ici.
    Qu'est-ce qu'on peut bien faire ? Après ça ?
    Après ça …
    Qu'est-ce qu'on peut bien faire ?
    Après ça, après ça, après ça …
    Après ça, après ça, après ça …
    Qu'est-ce qu'on peut bien faire ?
    Après ça, après ça …

     

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    Alors que les dernières notes volèrent dans la pièce, Emma se redressa de l'épaule de Georg et l'embrassa furtivement à la commissure des lèvres
    _ Bonjour à toi aussi JJG, sourit-elle.
    _ Moi c'est Georg, mais merci du compliment.

     

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    Il se tourna vers elle et l'embrassa un plus longuement, sur les lèvres. Il lui caressa la joue du bout des doigts avant de s'éloigner de son visage.
    _ Et c'est comme ça qu'on dit bonjour, surtout que je t'ai offert un magnifique réveil, dont personne ne peut se vanter à part toi. Alors un peu de reconnaissance, ce serait vraiment gentil de ta part.
    Elle rit franchement avant de lui pincer les côtes. Elle se leva du banc du piano pour chercher des vêtements dans sa penderie, pour la journée. Elle sait bien qu'elle ne la passera pas avec lui, puisqu'il a un partiel de quatre heures, de quatorze heures à dix huit heures. Un rendez-vous avec les copines s'était donc imposé.

     

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    Elle ne remarqua pas que quand elle eut le dos tourné, Georg tourna les pages de la partition qui était en place pour en faire figurer une autre. Le morceau préféré de la demoiselle sur ce cahier, sur tous ces cahiers même. Il l'avait vu s'entraîner un nombre incalculable de fois avant de réussir à le jouer à la perfection, puis à le chanter. Malheureusement pour lui, sa petite amie, qui était alors franchement très timide devant lui, n'avait jamais eu le privilège de la chanter devant lui, et il espérait bien corriger cette grossière erreur.
    _ Emy, je vais me doucher, je reviens dans dix minutes.
    _ Pas de soucis, je bouge pas de toute manière.

     

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    Il se leva alors du piano, s'approcha d'elle et de dos, lui attrapa les épaules entre ses grandes mains. Elle eut un petit sursaut avant qu'il ne l'embrasse sur la joue, tout en lui murmurant très discrètement qu'il l'aimait. La jeune femme en rougit alors et ne le vit même pas disparaître par la porte pour rejoindre la salle de bain, qui se trouvait en face.
    Seule avec elle même, elle se tourna vers le piano, quelque peu nostalgique de tous ces moments qu'elle avait passé à jouer dessus. La première raison de cet investissement était l'existence de son petit ami. Elle ne savait pas jouer d'un instrument alors que lui jouait de la guitare, du piano, de la batterie et qu'il savait chanter à la perfection. Déçue de ne pas avoir de capacités musicales, elle avait réclamé ce piano à son père, qui n'avait pas su dire non. Georg avait été son prof pendant de très longues heures, ce qui les avait considérablement rapproché, et finalement, elle s'était prise d'affection pour ce piano. Le son du piano avait envahi la maison pendant de très nombreux mois avant qu'Emma, submergée par le travail qu'elle devait fournir en dernière année de lycée, ne finisse par le rendre muet, jusqu'à aujourd'hui.

     

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    _ Le bougre, souffla-t-elle en y repensant. Qui est-ce qui va pas avoir son diplôme à ce rythme ?
    Elle s'approcha du piano et reconnut la partition qui se trouvait sous ses yeux. Sans même qu'elle ne s'en rende compte, ses doigts jouaient d'eux même dans le vide. Bien sûr qu'elle connaissait cette chanson par cœur, et ses mains s'en rappelaient. Alors elle s'assit sur le banc, et laissa ses doigts courir sur les touches d'ivoire.

     

     

    Pas toi – Tal

     

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    Les premières notes lui firent venir un élan de nostalgie, de regrets aussi. Elle s'en était voulue quelque peu de ne pas y avoir touché durant tout ce temps, alors que cela été presque naturel pour elle d'en jouer. Elle entrouvrit la bouche, ferma les yeux et se laissa emporter par les notes et le texte qu'elle connaissait à la perfection.

     

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    Grave l'écorce, jusqu'à saigner, clouer les portes, s'emprisonner.
    Vivre des songes, à trop veiller. Prier des ombres, et tant marcher.
    J'ai beau me dire, qu'il faut du temps.
    J'ai beau l'écrire, si noir sur blanc.
    Quoi que je fasse, où que je sois, rien ne t'efface, je pense à toi.

     

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    Passe les jours, fille de Sion. Dans la raison, mais sans amour.
    Passe ma chance, tourne les vents. Reste l'absence, obstinément.
    J'ai beau me dire, que c'est comme ça.
    Que sans vieillir, on n'oublie pas.
    Quoi que je fasse, où que je sois, rien ne t'efface, je pense à toi.
    Et quoi que j'apprenne, je ne sais pas. Pourquoi je saigne, et pas toi.

     

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    La porte de la chambre s'entrouvrit, laissant apparaître une tête rousse, aux cheveux longs et aux yeux gris clair. Sienna écoutait attentivement sa fille, alertée par le son du piano. Elle ne put s'empêcher d'esquisser un sourire empli de fierté pour sa fille.

     

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    Y'a pas de haine, y'a pas de roi. Ni dieu, ni chaîne, qu'on ne combat.
    Mais que faut-il, quelle puissance, quelle arme brise l'indifférence ?
    Oh c'est pas juste, c'est mal écrit, comme une injure, plus qu'un mépris.
    Quoi que je fasse, où que je sois, rien ne t'efface, je pense à toi.
    Et quoi que j'apprenne, je ne sais pas. Pourquoi je saigne, et pas toi.

    Et pas toi, et pas toi ….
    Et pas toi.
    Et pas toi, et pas toi, et pas toi …

     

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    Georg était revenu depuis quelques secondes, et s'était approché de Sienna. Emma quant a elle, était restée assise au piano, sans rien jouer d'autre, visiblement ailleurs. Sienna se tourna alors, et remarqua Georg. Elle lui sourit.
    _ Merci beaucoup, dit-elle. Je savais que tu la ferais rejouer. Matt en sera heureux aussi.
    _ Pas besoin de me remercier, ça me manquait à moi aussi.
    Elle le gratifia d'un deuxième sourire avant de rejoindre sa chambre, et permettre à Georg de rejoindre Emma. Il indiqua sa présence en fermant la porte un petit peu plus bruyamment que de coutume. Emma fit volte-face avant de remarquer qu'il ne s'agissait que de son petit ami.

     

     

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    _ Tu as entendu, dit-elle après quelques secondes alors qu'il s'était assis sur le canapé juste derrière le piano. Ça devait être immonde.
    _ Bien sûr que non, tu as une voix superbe, je te l'ai déjà dit.
    _ T'es pas objectif, bouda-t-elle. De toute façon, tout ça, c'était qu'un piège pour me remettre dans la musique, c'est très vil. Tu sais que si j'ai pas de mention très bien, papa me refuse mon road trip, et je veux vraiment partir Georg …
    Georg se releva et s'empressa de l'embrasser pour l'empêcher d'en dire plus. Bien naturellement, elle ne dit pas un mot de plus, et se contenta de rougir comme une collégienne.

     

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    _ Ce sont tes parents qui m'ont demandé il y a quelques temps de te remettre au piano. Alors calme-toi Emma. Ça leur manquait, et faut avouer, que moi aussi.
    _ Mais ça ne me sert à rien de jouer au piano. Ça ne va pas me faire décrocher mon diplôme, ou un travail. Je ne m'appelle pas Georg-Kaitlin Mayers, je ne veux pas vivre de la musique.
    _ Tu sais très bien que moi non plus, Emma, bouda-t-il.
    _ Mais toi, tu es doué. Si tu pouvais, je sais que tu monterais ton groupe à toi tout seul, et ne dis pas le contraire. Tu écris des chansons Georg, ne me dit pas que c'est rien. Tu peux en vivre, tu es doué, répéta-t-elle.
    Il esquissa un léger sourire devant la naïveté de sa petite amie et préféra s'asseoir à côté d'elle, à cheval sur le banc du piano. Elle tourna la tête vers lui.

     

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    _ Et quand je serais célèbre, en tournée ou attaqué par des fans, où est-ce que je trouverais le temps pour être avec toi ? Cette vie ne m'intéresse pas, puisque de toute manière, elle m'éloignerait de toi.
    Emma hésita un instant devant ce que venait de lui dire Georg. Elle ne savait pas trop comment l’interpréter. Prêt à sacrifier une éventuelle carrière à succès pour sa simple petite amie, elle n'était que sa petite amie, pas sa fiancée, pas sa femme, pas la mère de ses enfants. Non, juste sa petite amie, quelqu'un avec qui il pouvait rompre sans souci.
    _ Et pour revenir à ton piano, tu devrais en jouer plus souvent, où il prendra la poussière et s'abîmera. Je ne pourrais pas toujours te l'entretenir.
    _ Promis, je ferais des efforts, dit-elle en essayant d'oublier ses doutes pour les quelques minutes qui lui restaient en sa compagnie.

     

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    A la place, elle préféra se rapprocher de lui. Elle glissa sa main contre son cou et l'embrassa tendrement avant de lui souhaiter une bonne journée et bonne chance pour la réussite de ses examens. Il fit son habituel sourire de vainqueur, et se leva, attrapa son sac avant de quitter la chambre de la demoiselle, la laissant seule sur le piano.
    _ Qu'est-ce que tu me caches ? Murmura-t-elle pour elle même en attrapant son recueil de partitions et d'en tourner les pages distraitement.