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    Robbie et Xander venaient juste de descendre d’un immeuble du centre-ville de Houlton. Plutôt bien placé, celui-ci se trouvait juste à côté d’un parc et à proximité de différents commerces. Ces atouts en faisaient l’appartement idéal pour leur déménagement. Et ils venaient justement de signer le bail de location quelques instants plus tôt auprès de l’agent immobilier. Celui-ci venait à l’instant de les laisser au pied de l’immeuble pour rejoindre son agence, et poursuivre sa journée de travail. Les deux hommes l’avaient donc congédié, et étaient restés au pied de l’immeuble.

    Robbie en profita pour sortir son téléphone portable de sa poche, pour annoncer la nouvelle à sa mère, qui s’était montrée plutôt insistante toute la journée. Agacée d’avoir un rejeton aussi peu bavard, elle craignait que celui-ci oublie de lui confirmer la location de l’appartement. Et elle voulait absolument contacter les assurances, compagnie d’eau et d’électricité assez rapidement pour que son fils ne se retrouve pas à se geler le derrière dans un appartement sans électricité, eau chaude ou chauffage à la rentrée. Il s’éloigna alors de Xander pour téléphoner, laissant celui-ci seul sur le trottoir.

    Mais ça ne dérangeait pas Xander. Il appréciait plutôt la solitude, et surtout en ce moment. Ça lui laissait tout loisir de réfléchir, ou de juste penser. Et depuis quelques jours, il devait dire que ses pensées étaient accaparées par un blond aux yeux bleus. Au début, il lui était impossible de repenser à leur baiser sans avoir soudain une bouffée de chaleur et les joues rouges de honte. Désormais, c’était plutôt la culpabilité qui le rongeait. Il n’avait pas encore eu l’occasion de rappeler Charlie.

     

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    Cette dernière l’avait appelé l’après-midi ou Kellan était passé chez lui « prendre un café glacé ». Mais trop occupé, il n’avait pas entendu le téléphone sonner. Quand il avait finalement retrouvé ses esprits après le départ de Kellan, il était allé vérifier son téléphone et avait constaté avec effroi qu’il avait manqué un appel de sa petite-amie, et qu’il l’avait ouvertement trompée, et sans regret. Depuis, son téléphone lui semblait bien lourd dans sa poche. Il avait été incapable de la rappeler. Il devrait pourtant. Au moins pour mettre les choses au clair avec lui-même. Il ne pouvait pas avoir embrassé Kellan de la sorte et faire comme si de rien n’était avec Charlie. Car plus Kellan se faisait présent dans ses pensées, et plus Charlie s’effaçait.

     

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    Son téléphone vibra dans le fond de sa poche. Il le récupéra par réflexe et regarda le cadran. Il poussa un soupir de soulagement quand il remarqua que ce n’est pas Charlie qui cherchait à le rappeler, mais seulement Kellan qui venait aux nouvelles.

    « Alors ? Comment il est cet appart ? »

    « Mieux qu’en photo. On a signé le bail avec Rob »

    « OUAH ! J’ai le droit à plus que trois mots aujourd’hui, joli progrès :) »

    Xander sourit un peu distraitement. C’était étrange de constater à quel point sa relation avec Kellan s’était largement améliorée depuis l’épisode du baiser. Ils ne sortaient pas ensemble, Xander restait malgré tout campé sur ses positions, mais il avait eu l’impression qu’un mur était tombé entre eux, et qu’il pouvait se permettre plus de libertés. En tout cas, il se sentait bien plus à l’aise à discuter avec lui.

    « Il faudra que tu penses à me filer ta nouvelle adresse »

    « Ah ? Pourquoi ? »

    « Parce que je compte bien passer te voir ! T’as cru quoi là ? Je ne vais pas t’envoyer de carte postale de Bloomington, tu connais déjà je crois »

    « Très drôle … :) »

    « Un smiley ! Planquez-vous, il va pleuvoir !! Bon, sérieux, je te laisse, je dois filer à la fac. Bonne fin de journée ;) »

    « A toi aussi »

     

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    Xander garda ses yeux rivés sur l’écran, comme s’il attendait la suite. Mais après deux minutes sans aucune nouvelle, il dut se rendre à l’évidence que Kellan n’allait pas poursuivre la conversation pour le moment. Alors qu’il contemplait l’inactivité de sa messagerie, il se décida à envoyer l’adresse de son futur appartement à Kellan pendant qu’il y pensait. Et puis comme Rob ne revenait pas de sa discussion avec sa mère, il se dit qu’il devrait peut-être en faire autant et contacter sa belle-mère. Il envoya alors un bref message à Zélie pour lui dire qu’ils avaient finalement signé le bail et que l’appartement leur convenait totalement.

    Toujours aucun signe de Robbie. Xander fit défiler alors ses messages, ses contacts et s’arrêta sur celui de Charlie. Il approcha son pouce du bouton d’appel, mais ne put se résoudre à appuyer dessus. Qu’est-ce qu’il allait bien lui dire ? Il avait pensé commencer par lui envoyer un sms avec un « faut qu’on parle » mais ce genre de message n’était jamais très bien accueilli, et souvent synonyme de rupture. Et elle allait se mettre dans tous ses états, et il n’arriverait pas à lui faire entendre raison. D’un autre côté, elle ne risquait pas de se déshabiller devant lui pour détourner la conversation. Alors même s’il n’était pas très fan de l’idée de rompre par téléphone, il se disait que c’était sûrement la seule solution pour qu’il y arrive. Il prit alors son courage à deux mains, et plutôt que de l’appeler maintenant, car Robbie pouvait revenir d’un moment à l’autre, il écrivit le fameux message. Celui qui allait fiche le bordel dans la vie de Charlie, et dans la sienne aussi.

     

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    « Salut Charlie. T’es libre ce soir ? Je dois te parler de quelque chose. Xan’ »

    Et envoyé. Il rangea aussitôt son téléphone dans sa poche. Il n’avait pas spécialement envie de savoir si Charlie lui répondrait aussitôt, et surtout ce qu’elle dirait. Il espérait que son message n’avait pas été trop violent. Quand bien même il voulait mettre fin à sa relation avec Charlie, il n’avait pas non plus envie de la faire souffrir. Quand il releva le nez, Robbie revint vers lui, grommelant. Apparemment, réussir à partir du domicile familial était quelque chose d’assez laborieux. Mais il se garderait bien de le lui dire.

    - Tu veux manger un truc ? demanda alors Xander en indiquant le carrefour à quel pas de là. J’ai vu un fast-food à l’arrivée.

    - Ça marche. J’ai faim.

     

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    Les deux hommes se dirigèrent en silence vers le restaurant situé à l’angle de la rue. Alors qu’ils s’arrêtèrent au passage piéton pour traverser, une joggeuse blonde prit l’angle de la rue sans regarder sa trajectoire et entra directement en collision avec le bras de Robbie. Celui-ci ne fut pas bousculé par l’apparition, mais la jeune femme tituba avant de retrouver son équilibre et s’empêcher ainsi de s’affaler au sol.

    Ils la regardèrent un instant. Assez grande, avec des très longs cheveux blonds et vêtue d’une tenue de sport constituée d’un short, d’un tee-shirt et d’énorme baskets. Par reflexe, Robbie lui attrapa malgré tout le bras pour l’empêcher de basculer en arrière et de se retrouver sur la route.

    - Eh, ça va ? s’enquit alors le métis.

     

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    La jeune femme releva le nez alors, avec un sourire qui se voulait rassurant. Oui, ça allait très bien. Sauf son nez qu’elle s’était aplati contre le bras musclé du mastodonte qui se tenait en face d’elle, et de son ego qui en avait pris un coup. Elle se massa alors le bout du nez pour s’assurer que celui-ci n’était pas cassé. Ça avait l’air d’aller. Il l’élançait, mais il ne saignait pas. Elle s’en remettrait.

    - Oui, ça va. Merci de m’avoir rattrapée.

    Elle cligna des yeux plusieurs fois quand son regard croisa celui de son sauveteur, et rougit presque instantanément. Non seulement elle avait manqué de se vautrer en public, mais devant un public carrément beau gosse. La honte !

    - Désolée, je ne regardais pas où j’allais. Je ne vous ai pas fait mal ?

    - Non.

    - Ouf, dit-elle alors tout sourire. Je m’en serais voulue, hé hé.

     

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    Elle les détailla un court instant, et réalisa assez rapidement qu’ils n’étaient pas du coin. Houlton était certes une ville plutôt importante, mais elle avait écumé assez de soirées pour avoir une idée du panel des garçons de son âge en ville. Et ses deux-là n’avaient jamais été à aucune soirée ou dans un aucun lycée de la ville, elle en mettrait sa main à couper.

    - Vous êtes nouveaux en ville, je me trompe ? demanda-t-elle aussitôt.

    - Hein ?

    - Oui, répondit Xander. On est étudiants.

    - Ah ! Je me disais aussi que je ne vous avais jamais vus. Et bien, bienvenue à Houlton messieurs. Moi c’est Zhoo !

     

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    Elle leur adressa leur plus beau sourire, tout en restant comme à son habitude, cordiale et bienveillante. Elle adorait rencontrer de nouvelles têtes, et c’était encore plus agréable quand c’était des étudiants qui s’installaient, car ils n’étaient pas juste de passage, et elle pouvait ainsi créer de vraies amitiés.

    - Robbie, répondit le grand brun.

    - Xander. Enchanté.

    - Moi de même.

    Elle leva le nez vers l’horloge au coin de la rue. Elle devait rentrer chez elle pour l’heure du déjeuner, sinon sa mère risque de l’assassiner. Elle essuya ses mains sur son short et se baissa ensuite pour resserrer ses lacets.

    - Bon, Xander et Robbie, dit-elle en se relevant, je serais bien restée bavarder, mais je suis attendue. Je vous dis à bientôt en ville alors.

    Elle leur fit un signe de la main en guise d’au revoir et reprit sa course avant de disparaître à l’angle de la rue suivante. Robbie n’avait pas quitté son regard de la jeune femme entre le moment où elle leur dit au revoir, et celui où elle disparut, ce que Xander ne manqua pas de remarquer. C’était assez drôle à regarder.

     

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    - Tu aurais dû lui demander son numéro, lui dit Xander alors qu’ils reprenaient leur chemin vers le restaurant.

    - Quoi ?

    Robbie se tourna aussitôt vers Xander, en écarquillant légèrement les yeux. Ce qui fit s’amuser encore plus Xander. Il était plutôt habitué à voir Robbie avec un visage neutre. Alors le voir avec cette tête déstabilisée était assez inédit, et donc plutôt distrayant.

    - Je disais que tu aurais dû lui demander son numéro de téléphone. Bon, ce n’est pas comme si on risquait de ne jamais la recroiser.

    Robbie n’ajouta rien et passa devant Xander pour ne plus l’entendre déblatérer ses bêtises. Comme s’il était du genre à demander le numéro d’une parfaite inconnue dans la rue, aussi aimable soit-elle. Et puis, ce genre d’histoire, ça ne l’intéressait clairement pas. Il avait d’autre chats à fouetter, comme réussir ses études. Et ce n’est pas en rencontrant des gens qu’il allait y arriver.

    Xander haussa les épaules face à la nonchalance de son ami. Il était même en train de se demander si ce qu’Emilien lui avait raconté quand il lui avait présenté Robbie était une boutade ou un fait avéré. Son meilleur ami lui avait dit que Robbie avait été amoureux de Mélie, sa demi-sœur, mais qu’il s’était fait voler la place par un autre de leur bande, Priam. Et vu comment il avait l’air de se braquer à l’idée de revoir cette fille, cette pensée ne lui sembla plus aussi improbable.

     

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    Son téléphone vibra dans sa poche, et par réflexe, il le récupéra pour lire son message. Sûrement Kellan qui avait reçu l’adresse. Mais il grimaça aussitôt quand il vit qu’il s’agissait en réalité de Charlie. Il ferma les yeux un instant, le temps d’ouvrir le message. Il devait le lire aussitôt, comme quand on enlevait un pansement. Ça fait mal sur le coup et après ça va mieux. Il ouvrit alors un œil pour y découvrir le message de sa … son ex petite-amie ?

    « Tu veux me plaquer ? Ça ne me surprend même pas. Et bien ok. Ciao »

    Il cligna des yeux à plusieurs reprises. Elle venait vraiment de le plaquer par texto ? Il ne savait pas trop ce qu’il se passait. Mais ce n’était absolument pas prévu que ça se passe comme ça. Il essaierait quand même de l’appeler dans la soirée, pour lui fournir un minimum d’explication, et essayer de discuter. Il n’avait quand même pas envie que ça se termine de cette manière entre eux. Ils avaient été ensemble durant plus de trois ans après tout. Elle avait été sa première petite amie, et sa première pour tout. Ils ne pouvaient pas se séparer comme ça, sur un texto.

    Il soupira alors, verrouilla son téléphone et le rangea dans sa poche. Il l’appellerait ce soir. Du moins, il essaierait.