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    Cela faisait maintenant quelques jours que Xander et Robbie étaient revenus de leur petite escapade à Houlton. Et ils étaient maintenant chacun les dignes détenteurs des clés de leur futur appartement. Ils pouvaient aménager quand ils le souhaitaient, et à leur rythme. Robbie était donc déjà sur le pied de guerre, en train de transbahuter ses affaires, mais Xander prenait encore son temps. Nous n’étions qu’en juillet et il avait un peu moins de deux mois avant la rentrée. Sans compter que l’appartement était déjà meublé de l’essentiel : ramener trois tee-shirts et deux paires de chaussettes ne devrait pas être trop compliqué.

    Il avait actuellement d’autres soucis en tête, et il aimerait bien les résoudre avant de mettre les voiles et attaquer l’énigme de sa naissance. Le premier problème n’était pas le plus compliqué des deux, et il s’y dirigeait à grandes enjambées. Il savait très bien qu’il aurait une réponse avant la fin de la journée. Mais l’autre était plus difficile à résoudre. Et il s’agissait de Charlie. Depuis qu’elle avait rompu avec Xander par texto, il n’avait pas eu une seule nouvelle. Il avait bien évidemment essayé de la joindre le soir même, pour essayer d’avoir une explication avec elle, mais elle n’a jamais daigné répondre au téléphone. Et ça le vexait un peu.

    Il n’avait certes pas été le meilleur petit ami de la planète, ni le plus aimant, mais il aurait quand même cru qu’elle l’aimait ne serait-ce qu’un peu. Alors oui, c’était purement pour flatter son égo, mais il pensait vraiment que Charlie avait un peu plus de considération pour lui, comme lui en avait eu pour elle malgré tout. Mais rien, quedal. Il se retrouvait donc célibataire sans avoir eu la moindre possibilité de s’excuser pour son comportement.

    Sauf que Xander était quelqu’un de très obstiné, et qui aimait plutôt les petites boîtes, l’organisation, et le fait de faire les choses bien et dans l’ordre. Or, ce que faisait Charlie l’empêchait de terminer sa relation de la bonne façon. Et s’il n’arrivait pas à mettre un terme propre à l’ancienne, il ne voyait pas trop comment il pourrait en débuter une autre.

    Une autre relation. Cette fois-ci, y penser ne le faisait plus rougir comme il y a quelques semaines. Il avait fini par accepter cette part inattendue de lui. Du moins, il l’acceptait pour lui, mais il n’accepterait pas que cela se sache. Il savait qu’il était déjà un boulet pour ses parents depuis sa naissance, ce n’était pas la peine qu’il en rajoute une couche en ramenant un petit-ami. Alexis n’avait vraiment pas besoin de ça, il se faisait assez de mouron comme ça.

     

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    Il arriva ainsi devant l’immeuble où vivait Kellan. Ce dernier louait un appartement aux parents de Xander depuis plusieurs mois déjà. Xander connaissait très bien cet appartement, il venait régulièrement y faire le ménage avec ses parents entre deux locataires, mais il n’y était jamais rentré depuis que Kellan y vivait. Et cela lui rajouta une pression supplémentaire. Il avait décidé de venir, sans prévenir au préalable. Après tout, à chaque fois que Kellan était venu chez lui, c’était toujours à l’improviste, et il avait envie de lui rendre la pareille. D’un autre côté, si ça se trouve, il allait le surprendre alors qu’il était déjà avec quelqu’un. Après tout, ils ne se sont qu’embrassés, et Xander l’a repoussé à plusieurs reprises déjà. Ce ne serait pas étonnant que Kellan ait décidé d’abandonner ses vues sur Xander, pour les reporter ailleurs. Et dans ce cas-là, le brunet n’aurait plus qu’à s’en mordre les doigts ! Qui va à la chasse, perd sa place. Ou plutôt, celui qui décide de pas se bouger le cul se fait doubler par quelqu’un de bien moins indécis, et c’est bien fait ! 

    Il entra malgré tout d’un pas décidé dans l’immeuble, et prit directement les escaliers. Il savait qu’il n’aurait pas la patience d’attendre que l’ascenseur redescende s’il se trouvait au dernier étage. Et puis, l’appartement n’était qu’au deuxième, ce n’était pas insurmontable. Il ne s’arrêta finalement que devant la porte de l’appartement.

     

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    Il tendit malgré tout l’oreille. Il ne cherchait pas spécialement à savoir ce qu’il se passait dans cet appartement, mais plutôt s’assurer que Kellan était seul. Mais il n’entendit pas le moindre son, pas même un bruit de télévision ou un soupçon de musique. Rien, le calme plat, le néant. Il dormait ? Où il étudiait peut-être … Ce serait peut-être mal venu de le déranger, il ferait mieux de rentrer chez lui.

    - Non Xander, se dit-il à lui-même. Tu n’as pas fait tout ce chemin pour rentrer chez toi sans lui parler. Du courage.

    Il toqua à la porte, et attendit patiemment une réponse. Très patiemment. Trop patiemment. Kellan n’ouvrit pas la porte. Xander eut un petit pic de stress très intense en réalisant qu’il s’était peut-être trompé de porte, bien que ce soit impossible, il savait quand même où se trouvait l’appartement de ses parents. Et un petit coup d’œil sur la sonnette de celle-ci lui confirma bien que Kellan Stewart habitait ici. La sonnette, mais bien sûr ! Qu’il pouvait être bête. S’il était dans la mezzanine, il ne pouvait pas l’entendre toquer. Il appuya alors sur le bouton, et attendit de nouveau. Toujours rien. Il appuya une seconde fois. Pas le moindre signe de vie. Le voilà bien avancé.

    Kellan n’était pas là. Et il se retrouvait comme un con devant chez lui, tandis que sa motivation s’effritait au fur et à mesure que les secondes s’égrainaient. Il s’était pourtant enfin décidé à s’accepter, à accepter ce qu’il commençait à ressentir pour Kellan, et voilà que le destin lui faisait un magnifique pied de nez.

    - Et ça s’appelle le karma, bougonna-t-il en se dirigeant vers l’ascenseur.

    - Qu’est-ce qui s’appelle le karma ? lui demanda alors une voix en face de lui.

     

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    Xander releva le nez, et il vit Kellan devant lui, les bras chargés d’un sac de commissions. Il s’arrêta alors en plein milieu du couloir, et essaya de trouver une excuse pour sa présence dans le couloir de son immeuble en plein milieu de l’après-midi, mais rien de ce qu’il trouvait ne ferait l’affaire. En tout cas, hors de question pour Xander de parler de ses sentiments : sa motivation était complètement tombée à l’eau, et elle n’allait pas revenir de sitôt.

    - Euh, le karma ? C’est quand tu reçois le mal pour avoir fait le mal, expliqua-t-il.

    Kellan sourit, amusé.

    - Merci, mais je connais le principe du karma. Je demandais plutôt ce que tu avais eu comme retour de karma. C’est parce que tu espérais me trouver chez moi ? demanda-t-il en haussant un sourcil.

     

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    Xander fit la moue. Impossible de tenter de mentir avec Kellan, à chaque fois il tombait droit dans le mille.

    - Comment tu fais ? lui demanda alors le jeune homme aux yeux verts. 

    - Comment je fais ? Ah ! Pour lire dans tes pensées tu veux dire ? Je n’y peux pas grand-chose si tu es un livre ouvert Xan, répondit Kellan en haussant les épaules.

    Il s’approcha alors de sa porte d’entrée et la déverrouilla pour rentrer chez lui. Une fois dans la cuisine, il invita Xander d’un simple « allez entre, puisque t’es venu pour ça » et il posa son sac de course sur le comptoir. Xander s’exécuta, et il entra dans la cuisine de l’appartement avant de refermer la porte derrière lui.

     

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    L’appartement de Kellan était assez simple d’aménagement. Une cuisine qui servait également d’entrée, puis un long séjour-salle à manger qui faisait deux fois la taille de la cuisine. A l’étage, la chambre en mezzanine et la salle de bain. C’était un logement idéal pour un étudiant, et Xander avait tanné ses parents un nombre incalculable de fois pour s’installer ici  après le lycée afin de rejoindre son ami d’enfance, Emilien, qui vivait à Bloomington depuis quelques années déjà.

    - Tu veux boire quelque chose ? lui demanda Kellan, le sortant ainsi de ses pensées.

    - Ah, non, merci. 

    - Comme tu veux.

    Kellan se servit cependant une bière et il fila aussitôt dans son salon, entraînant Xander dans son sillage d’un signe de la main. Ce dernier s’exécuta, et prit place sur le canapé, aux côtés de Kellan. Il posa sa bouteille sur la petite table à côté de lui, et il se tourna vers Xander, sans un mot, attendant qu’il lui donne la raison de sa présence ici. Mais Xander regardait autour de lui, admirant la décoration du logement. Il ne l’avait jamais vu meublé, et l’espace revêtait un tout autre aspect.

     

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    - Allô la Lune ? Ici Kellan.

    Il bougea la main devant le visage du brunet, espérant ainsi attirer son attention. Xander cligna des yeux à plusieurs reprises, et redescendit sur Terre. Il secoua légèrement la tête, et remarqua que Kellan était tourné vers lui, un bras posé sur le canapé.

    - Donc, tu es ici parce que … débuta-t-il pour l’aider un peu.

    - Euh … débuta Xander, pris un peu au dépourvu. Parce que je voulais te parler. De quelque chose.

    - Je t’écoute.

    Il l’encouragea d’un petit mouvement de la main, et Xander baissa le regard. Il n’avait vraiment plus la motivation nécessaire pour lui faire une déclaration. Il allait devoir trouver autre chose.

    - J’ai cassé avec Charlie. Enfin, elle m’a largué. Parce que je lui ai dit qu’on devait parler. Bref, je suis plus avec elle.

    - Oh.

    Kellan écarquilla les yeux, et se retint d’esquisser ce petit sourire qui essayait de se glisser sur son visage. Ce n’était pas le moment d’avoir une tête heureuse alors que son ami venait de lui annoncer qu’il venait de se faire jeter. Mais Xander avait bien vu le début de sourire sur le visage de Kellan, et il lui sourit en retour.

     

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    - Tu peux sourire. C’est toi qui m’avais dit de le faire. 

    - Très bien, tu l’auras voulu, dit-il en laissant s’afficher son sourire. Mais ça a été quand même ? Elle ne t’a pas fait de scène ?

    - J’en sais rien, dit Xander en haussant les épaules. Elle m’a envoyé un texto, et je n’arrive pas à la joindre depuis.

    - Je suis désolé pour toi, lui dit finalement Kellan.

    Xander tourna la tête vers lui, avec un regard suspicieux.

    - T’es désolé de rien du tout. Ça t’arrange plutôt.

    Kellan eut un petit rire. Ce n’était pas souvent qu’il entendait Xander parler franchement et sans limiter ses mots. Ça arrivait certes de plus en plus souvent, par échange de message notamment, mais à l’oral ça restait encore assez rare pour qu’il l’apprécie d’autant plus.

     

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    - En effet, répondit-il. Ce n’est pas pour me déplaire. Mais comme je sais qu’il n’en est pas question pour toi, ça ne me change pas grand-chose de le savoir. N’est-ce pas ?

    Il planta son regard dans celui de Xander, attendant la réponse de son interlocuteur. Il espérait ne pas faire fausse route cette fois-ci en interprétant les expressions de Xander. Mais il ne se lancerait pas de lui-même. Après tout, lui n’a rien à prouver à Xander. Il lui a déjà tout dit, et joué carte sur table. Il savait donc que ça ne servirait à rien qu’il lui répète une nouvelle fois qu’il lui plaisait, et pas qu’un peu. Si leur amitié devait évoluer, c’était à Xander de faire le premier pas cette fois. 

    - N’est-ce pas ? répéta-t-il quand il constata que Xander ne lui répondait pas.

    - Et … si ça changeait quelque chose ? lui dit-il finalement à voix basse.

    Il rougit aussitôt quand il réalisa qu’il venait de tendre une perche à Kellan. 

     

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    Ce n’était certes pas la perche la plus évidente de l’histoire des perches, mais elle était là quand même, et assez gênante pour que Xander perde tout aplomb. Il prit alors une grande respiration : il avait commencé, il n’avait plus qu’à continuer. Il ne pouvait pas laisser cette discussion en suspens. Il a lu dans un livre un jour qu’il suffisait de trente secondes de courage pour changer de vie. Alors il avait intérêt à les saisir là maintenant, et tout de suite.

    Il releva alors la tête, rouge cramoisi et accrocha son regarda aux yeux bleus de Kellan.

    - Pour moi ça change quelque chose. Parce que ça fait des mois que je n’arrive pas à te sortir de ma tête. Et tant que j’avais Charlie, je n’y prêtais pas attention. Ou si. Mais je ne voulais pas y faire attention. Parce que je suis assez hors norme pour en rajouter une couche. Je ne pouvais pas, je ne peux pas, me permettre de compliquer encore plus ma vie. Mais là, je … je m’en fous si ma vie se complique. Parce que finalement, je n’ai plus ni Charlie, ni cette histoire qui me bouffait parce que je n’y comprenais rien.

    Il débitait ses paroles dans un flot continu, prenant sur lui pour aligner plus que trois mots, pour parler de ce qu’il ressentait. Mais Kellan avait un peu de mal à suivre tout ce discours, et il lui prit assez rapidement les mains pour l’empêcher de parler une seconde de plus. 

     

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    - Attends deux minutes. Comment ça « tu es assez hors normes pour en rajouter une couche » ? De quoi tu parles ? Je t’ai déjà dit qu’aimer les mecs ne faisait pas de toi quelqu’un d’anormal.

    - Je sais, dit aussitôt Xander avec véhémence. Mais …

    - Mais ? 

    - Je suis adopté, et je ne suis même pas sûr de te l’avoir dit. Mes parents m’ont adopté quand j’avais quelques mois. Ma mère adoptive, ce n’est pas Zélie. Elle est ma belle-mère. Ma mère s’appelait Sarah, et elle morte d’un cancer quand j’avais cinq ans. Mon père ne s’en est jamais vraiment remis. Mais je suis aussi très malade. Le cœur, les poumons, les reins … pratiquement tout déraille chez moi. C’est de naissance, mais on ne sait pas si c’est héréditaire ou juste congénital. Mais c’est là. Et je peux pas rajouter « ça » - il indiqua alors Kellan et lui-même de ses mains – à mon père. Il s’inquiète déjà assez pour moi.

    Le blond resta stoïque un moment. Il ne connaissait absolument pas toute cette histoire au sujet de Xander, et il se sentait plutôt flatté qu’il le partage avec lui, tout en étant profondément attristé de tout ce qu’il lui arrivait. Et il comprenait son point de vue, même s’il avait du mal à poser lui-même les mots dessus. Faire son coming-out n’était jamais quelque chose de facile, ni pour celui qui le faisait, ni pour ceux qui l’écoutaient. Sans compter les « qu’en dira-t-on » de tous ceux qui voulaient absolument partager la débilité de leurs conneries homophobes. Il acquiesça alors et resserra doucement ses mains sur celles de Xander.

     

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    - C’est bon, j’ai compris. Pas la peine d’en dire plus si tu ne veux pas. Je ne vais pas te forcer à quoi que ce soit Xander. On peut juste rester amis, et moi ça me va très bien tu sais.

    Xander détourna le regard, mais malgré sa gêne palpable n’enleva pas ses mains de l’étreinte de celle de Kellan.

    - Mais moi j’ai pas envie qu’on reste juste amis.

    Il regarda de nouveau Kellan, et la réaction de celui-ci lui fit plaisir. Il avait obtenu l’effet de surprise qu’il escomptait. Kellan avait eu un temps d’arrêt, les yeux légèrement écarquillés et il avait même réussi à lui faire légèrement rougir les oreilles.

    - Tu veux qu’on sorte ensemble ? dit alors Kellan de but en blanc.

    Autant être direct et cesser de tourner autour du pot. Au bout d’un moment, Kellan avait besoin que les choses soient dites clairement, et il pensait d’ailleurs que cela devait être la même chose pour Xander, vu son affection toute particulière pour le “bien fait”.

    - Oui, dit-il timidement. Enfin, si t’as personne et que c’est toujours d’actualité pour toi.

     

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    - Et bien, dit-il très sérieusement. Je n’ai personne et oui, tu me plais toujours.

    Xander esquissa un sourire, et il sentit ses joues se calmer, et perdre quelques teintes de rouge. Il avait également l’impression que son cœur était beaucoup plus léger tout d’un coup. Comme si un poids qu’il portait depuis des mois venait enfin de s’envoler : il ne s’était jamais senti aussi bien.

    Kellan s’approcha alors doucement de Xander, remontant une main sur la nuque du jeune homme, et posa son front contre le sien. Xander leva légèrement les yeux pour croiser ceux de Kellan. Il avait envie de l’embrasser, mais il voulait lui demander une dernière chose avant. Kellan remarqua bien la question sous-jacente de Xander, et il n’eut pas besoin de lui demander de la formuler à voix haute.

    - Promis, on garde ça pour nous pour le moment.

     

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    Xander murmura un merci, et il glissa ses bras autour de la nuque de Kellan pour se rapprocher plus de lui encore, et comme lors de leur premier baiser, c’est lui qui fit le premier pas et qui l’embrassa. Sauf que cette fois-ci, il n’était pas juste question d’essayer pour voir. Parce qu’il était sûr de lui : il était tombé amoureux de Kellan, et cette perspective lui faisait battre le cœur à deux cents à l’heure.