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    Finalement, Mathieu avait accepté la mission qui lui avait été confié par ses anciens supérieurs. Celle-ci devrait se dérouler en plusieurs temps, de chacun plusieurs semaines. Bien évidemment, ses deux anciens collègues et comparses avaient largement désapprouvé son choix, et Akira l’avait même menacé de tout révéler à Sienna, et pas seulement pour cette mission. Car elle n’était pas dupe, elle savait très bien que l’épouse Philips n’avait aucune idée des activités professionnelles de son mari. Aux yeux de Sienna, Mathieu était formateur pour des jeunes recrues, et ça s’arrêtait là. Sauf que la formation de recrues n’occupait désormais plus que vingt-cinq pour cent de son temps de travail pour la police. Pour le reste, il passait ses journées et ses nuits à prendre en filature, à éplucher des dossiers ou à écouter des enregistrements téléphoniques. Il s’était même plus d’une fois retrouvé coincé entre deux groupes adversaires, ce qui lui avait valu d’être amoché à plusieurs reprises.

    Mais Mathieu restait confiant. Il savait que malgré les menaces, Akira ne dirait rien. Car si le bruit courait que Mathieu avait repris du service au sein de la police, ni lui ni ses proches ne seraient en sécurité. Cela n’était donc que des menaces en l’air, et il n’en avait cure.

     

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    - Tu as tout ce qu’il faut ? demanda Sienna en entrant dans la chambre, une pile de linge dans les bras.

    - Oui, c’est bon. Merci Sienna.

    Elle lui tendit alors les vêtements qu’elle avait dans les bras, et Matt les rangea dans la valise qui était ouverte devant lui. Il partait le lendemain matin pour Burlington, et devait y rester une semaine, pour se familiariser avec la ville et ses futurs collègues. Et c’est d’ailleurs ce qu’il avait présenté à Sienna. 

    Première règle d’un mensonge : s’en tenir le plus possible à la vérité. Moins il y a de détails à inventer, et plus il est facile de rester fidèle à ce qu’il racontait.

    Sienna s’assit alors sur le lit, à côté de la valise, et le regarda s’affairer dans la chambre, pour y ranger ses dernières affaires. Ça allait lui faire tout drôle demain soir, quand elle se retrouverait à dormir toute seule dans ce lit. En presque vingt ans de mariage, ce n’était pas arrivé une seule fois. Ça arrivait qu’elle se couche seule, car Mathieu finissait tard, mais elle se réveillait toujours à côté de lui le lendemain matin.

    - Ça va me rappeler nos débuts, dit-elle un peu pensive.

    - Ah ? Comment ça ?

    Mathieu s’assit à côté de Sienna après avoir refermé et poussé sa valise. Elle avait été plutôt silencieuse depuis qu’il lui avait dit qu’il devait s’absenter quelques jours, et ça ne lui ressemblait pas vraiment.

     

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    - Quand on se fréquentait. Tu faisais tes valises aussi, et tu disparaissais pendant plusieurs jours sans que je te voie, pour aller filer Harry. Sauf qu' à l’époque, tu me faisais croire que tu n’étais qu’un petit employé de mairie, et je ne savais pas où tu allais. Au moins, maintenant, j’ai plus à craindre que tu me mentes vu que j’ai tout découvert.

    Mathieu détourna brièvement les yeux. La voilà qui parlait de sincérité alors qu’il était en train de lui faire le même coup que vingt ans plus tôt. A se demander si elle n’avait pas découvert la supercherie. Alors qu’il allait ouvrir la bouche pour protester, Sienna reprit la parole.

    - D’un autre côté, ça faisait bien longtemps que je n’avais pas dû dormir en étoile de mer dans un lit. Juste pour ça, je suis contente que tu t’en ailles, dit-elle avec un petit sourire taquin. Mais tu reviens quand même, car je sens que le mode étoile de mer ne va me plaire que pour trois nuits et demi. Après je vais avoir froid …

    Mathieu lui sourit et s’approcha d’elle pour l’embrasser sur le front. C’était la Sienna de d’habitude qui parlait, avec ses blagues nulles et son flot de paroles intarissable. Ça le convainquait au moins qu’elle ne s’inquiétait pas pour lui.

    - On est en plein mois de juillet, et je te promets de revenir avant les premières neiges pour te réchauffer. Ça te va comme marché ?

    - Rentre avant quand même, tu vas avoir la lettre de motivation de Camille à lire en français.

     

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    Elle le gratifia d’une œillade et d’un sourire complice. Se retrouver seule avec Camille allait aussi être une expérience enrichissante. Elle n’avait jamais pu se retrouver seule avec ses enfants du fait que Matt les avait élevés. Il avait toujours été là pour tout chapeauter, et elle allait pouvoir discuter avec son fils, sans la présence de Mathieu. Et elle était bien curieuse de tout ça. Dommage qu’il n’y avait pas Emma à la maison en ce moment.

    - Je te fais entièrement confiance pour la relecture de son dossier d’inscription. De toute façon, tu fais la dure devant lui, mais je sais que tu as déjà pris ta décision, non ?

    - Je ne vois pas du tout ce que tu veux dire, dit-elle en feignant l’innocence.

    - Je t’ai vue faire des recherches sur le lycée qu’il souhaite intégrer, et tu avais déjà les étoiles de la fierté dans le regard. Tu aimerais bien que Camille fasse de grandes études. De toute façon, pour moi, c’était déjà acté. D’autant que Georg est déjà là-bas. Tu fais juste semblant d’être dure et sévère. Montre-lui un peu plus ton côté nounours pendant mon absence.

    - Mon côté nounours ? répéta Sienna. Je peux savoir ce que tu appelles mon côté nounours ?

    Mathieu se laissa tomber sur le lit, et Sienna le rejoignit aussitôt, se blottissant dans ses bras. Comme il ne répondait pas, elle lui pinça gentiment le menton pour essayer de lui tirer les vers du nez.

     

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    - Tu es peut-être un peu trop sévère avec les jumeaux, lui dit-il. 

    - C’est normal. Tu es le parent cool, celui qui jouait avec eux, qui les amenait au cinéma ou au parc d’attractions. Moi j’étais celle qui corrigeait les leçons et qui n’avait pas la patience qu’ils terminent leurs assiettes.

    - Certes, mais ce n’est pas une fatalité. Ils viennent d’avoir dix-huit ans, tu peux leur laisser un peu de lest, et montrer ton côté maman cool aussi. Je sais que tu meures d’envie de prendre les manettes de la console de jeu dès que tu vois Camille en train de jouer à Mario. Ça ne va pas te rendre moins crédible à leurs yeux de relâcher la pression tu sais. Alors, pendant que je ne suis pas là, sois cool avec Camille, ok ? En plus, il est bloqué dans un niveau de Mario et je suis convaincu que tu le gérerais en deux secondes ce niveau.

    - Très bien, très bien. Je lui terminerai son niveau à Mario, promis. Si j’ai le temps.

    Elle lui planta un baiser sur les lèvres et se redressa tel un pantin sorti de sa boîte, avant de quitter la chambre, et de retourner vaquer à ses occupations de maîtresse de maison. Le linge n’allait malheureusement pas se plier tout seul, et c’était fort dommage.

     

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    Mathieu, quant à lui, resta un peu plus longtemps sur le lit, à fixer le plafond. Cette discussion lui avait laissé un arrière-goût plutôt désagréable. Il ne partait qu’une semaine, et il avait l’impression que son absence allait être prolongée, comme s’il ne reverrait pas les siens avant un long moment. Il se redressa alors à son tour, jeta un bref coup d’œil à sa valise et descendit aussitôt au rez-de-chaussée où il retrouva Sienna dans la buanderie. Il s’approcha alors d’elle, et la prit dans ses bras.

     

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    Il n’avait aucune idée d’où pouvait lui venir cette impression.  Mais il était sûr d’une chose, il n’allait pas passer la veille de son départ à compter les moutons au plafond. Il préférait largement passer son après-midi et sa soirée avec sa femme et son fils. Parce que si pour Sienna cela faisait vingt ans qu’elle n’avait plus dormi seule, pour Mathieu cela fera la première fois en dix-huit ans qu’il ne verra pas le visage de sa femme, ni celui ses enfants le matin en se levant. 

    - Qu’est-ce qu’il t’arrive ? lui dit alors Sienna, surprise par l’étreinte de son mari.

    - Rien. Je t’aime, c’est tout.

     

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    Sienna sourit. Il ne le lui disait pas souvent, mais à chaque fois, c’était toujours aussi puissant, et elle avait toujours le sentiment de revenir au début de leur relation à chaque qu’il les lui prononçait. Elle tourna alors la tête vers lui pour l’embrasser.

    - Ça tombe bien, moi aussi je t’aime Matt.