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    - Robbie ! T’as encore beaucoup de cartons ?

    Le jeune homme leva la tête vers le premier étage de l’immeuble. Il pouvait d’ici voir sa mère se pencher par-dessus le garde-corps de la cage d’escalier, tandis que son père montait les marches, un lourd carton dans les bras. Ils avaient passé une très large partie de l’après-midi à vider ce camion de ses affaires, et ils en avaient tous plein les pattes. 

    Robbie jeta un œil rapide dans le camion. Il ne restait plus que trois cartons, un aller chacun et ils n’en parlaient plus. Ils allaient pouvoir se poser dans le canapé, allumer la télé et boire une bière en contemplant leur travail. Il recula alors d’un pas, et se tourna vers sa mère qui attendait toujours une réponse.

    - Trois, lui dit-il en faisant le chiffre avec ses doigts. 

    -  Ça marche ! Je descends !

     

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    Elle s’exécuta aussitôt, dévalant les marches à toute vitesse tout en donnant une tape amicale à Elden tandis qu’il grimpait les dernières marches en bougonnant. Si ça n’avait tenu qu’à lui, son fils n’aurait emporté que le strict nécessaire, et pas l’intégralité de ses affaires. Pendant que sa mère descendait pour le rejoindre, Robbie sortit les derniers cartons sur la rue et referma le camion. Des voix à quelques pas lui firent tourner la tourner la tête par réflexe, et il eut un petit temps d’arrêt quand il reconnut la jeune fille blonde de la dernière fois. Zhoo, si sa mémoire était bonne. Ce n’était pas le genre de prénom que l’on pouvait oublier facilement ceci dit. Un petit sourire s’esquissa sur son visage. Elle était accompagnée d’une fille dans ses âges également, et marchaient tout en discutant, traversant la rue un peu plus loin pour poursuivre leur chemin. Si lui l’avait reconnu, elle ne devait pas l’avoir vu car elle partait dans la direction opposée. Il haussa les épaules, esquissant un petit sourire, plutôt satisfait d’avoir pu la recroiser. Et sa mère ne manqua absolument pas ce sourire sur le visage de son rejeton. Elle se posa devant lui, mains sur les hanches et un sourire entendu étiré sur les lèvres.

     

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    -  Qu’est-ce qui te fait sourire comme ça ? lui demanda Geist.

    Elle regarda autour d’eux et vit les filles traverser au loin. Tiens donc, son Robbie aurait flashé sur quelqu’un ? La dernière fois qu’elle avait vu son fils avec ce sourire benêt, c’était quand il était adolescent et que Mélie, son amie d’enfance, venait passer la journée avec lui. Autrement dit, ça faisait une éternité.

    - Oh, je vois. Une jolie fille est passée.

    - M’man, non.

    - Quoi non ? Ne fais pas ton timide, je t’ai vu faire. C’est laquelle ? La blonde ou la brune ? Je parie sur la brune.

    Robbie leva les yeux au ciel et hocha la tête de droite à gauche. Sa mère n’était pas croyable. Il se baissa alors pour récupérer un carton, sous le regard de sa mère qui ne le quittait pas des yeux, amusée.

     

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    - Donc c’est la blonde plutôt. Je n’aurais pas cru. Tu la connais ?

    - On s’est rencontrés, quand je suis venu avec Xander. Elle s’appelle Zhoo. Tu es contente ?

    - Bah va la voir, lui dit-elle en se penchant sur un carton. Il ne reste plus que trois cartons, ton père et moi on peut finir sans toi. Ce serait dommage de la laisser filer, non ?

    - Non, répondit-il en reprenant le carton des bras de sa mère. Et puis, j’aurais tout le temps de la revoir plus tard. On termine.

     

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    Il passa alors derrière sa mère pour rejoindre la cage d’escalier dans l’immeuble. Il savait qu’il n’allait pas être tranquille maintenant qu’il avait plus ou moins avoué qu’il la connaissait, même de loin. Sa mère allait le cuisiner jusqu’à obtenir des résultats, et il n’aurait aucun stratagème pour s’en échapper. Il soupira d’autant plus à cette idée. Et alors qu’il passait le portail de l’immeuble, il vit du mouvement devant lui. Zhoo l’avait finalement vu, et elle s’approchait de lui, son amie deux pas derrière elle.

    - Eh ! Robbie ! lui dit-elle tout sourire. C’est ça, ton prénom, non ?

    - Salut. Oui, c’est ça.

    Il salua également la brune qui se tenait derrière Zhoo d’un signe de tête. Cette dernière lui répondit par un « bonjour » poli, puis elle se tourna vers la blonde.

    - Bon, je te laisse. Je dois retrouver Gabe en ville. Tu me tiens au courant ?

    - Promis ! A plus An !

     

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    Et elle s’éloigna, laissant Zhoo et Robbie, seuls avec un carton dans l’entrée d’un immeuble. Robbie ne dit rien de plus, regardant autour de lui. Ce n’est pas vraiment qu’il n’avait pas de conversation, on le surnomme le muet après tout, mais entamer une discussion avec une personne qu’il connaît à peine, à deux mètres de sa mère envahissante et reloue qui pouvait apparaître à tout moment, ce n’était pas le meilleur moyen de le faire.

    - Tu emménages alors ? lui dit Zhoo en indiquant le carton. Tu as besoin d’un coup de main ? Je n’en ai pas l’air, mais je suis costaude. Ce sont les gênes de déménageurs de mon père, c’est héréditaire !

    Robbie baissa sa tête vers son carton.

    - Non, c’est bon. On a fini. Merci, finit-il par dire avant qu’il ne paraisse impoli.

    - Oh, okay, ajouta-t-elle en souriant. Je pensais avoir halluciné la dernière fois, car je ne t’avais pas revu en ville avec ton ami. Je pensais que vous étiez déjà installés en fait.

    - Non. En septembre. Et aujourd’hui, Xander n’est pas là.

    - Xander, c’est vrai. Désolée, j’avais totalement oublié son prénom. Tu ne lui répèteras pas, hein ? Je ne veux pas passer pour une malpolie alors qu’on ne s’est vu que dix minutes.

    Robbie acquiesça. Elle ne risquait pas de passer pour une malpolie, surtout que Xander avait très probablement d’autres chats à fouetter que de se vexer pour une fille à qui il parlé dix minutes seulement et qui a oublié son prénom par la même occasion. Elle avait certes oublié le prénom de Xander, mais elle n’avait pas oublié le sien, et il se garda bien de le relever. Alors qu’il allait s’excuser pour pouvoir monter son carton, sa mère débarqua à son tour. Elle lui prit le carton des mains, et sourit à Zhoo.

     

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    - Bonjour mademoiselle, vous êtes une amie de Robbie ? demanda-t-elle tout sourire.

    - Euh, pas vraiment. On s’est déjà croisés seulement. Je ne veux pas vous déranger plus longtemps, je vais poursuivre mon chemin.

    - Mais non, vous ne dérangez pas. File donc Rob, ton père et moi on va bien réussir à monter les derniers cartons nous-même.

    - Gné ?! gronda aussitôt Elden à côté du camion quand il entendit sa femme proférer de telles insanités.

    Et elle n’avait pas pitié de leurs pauvres dos non plus par la même occasion visiblement. Et c’est Robbie le plus musclé des trois, il pourrait quand même finir de monter ses cartons avant de filer en catimini avec une fille. Alors qu’il allait protester un peu plus fort, Geist lui lança un regard noir avant d’adresser un sourire tout mielleux à son fils.

    - Allez file, avant que je change d’avis. Je suis sûre que …

    - Zhoo, répondit Robbie.

    - Que Zhoo connaît la ville comme sa poche. Ce sera plus sympa de découvrir la ville avec quelqu’un qui y vit que par toi tout seul.

     

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    Elle poussa gentiment son fils afin de passer le portail d’entrée avec son carton, et l’inviter de la même manière à filer avec sa nouvelle amie. Il n’allait quand même pas fuir de potentiels futurs amis au prétexte qu’il devait aider ses parents quand même. Et puis, c’était son travail de maman de veiller au bien-être social de ses enfants, donc elle ne faisait que ce pourquoi elle était là. Elle disparut alors dans l’escalier, et Robbie prit une longue inspiration avant de regarder Zhoo.

    - Bon. Ils n’ont plus besoin de moi. Je te paye un café ? 

    Zhoo le regarda avec un petit sourire amusé. Sa mère était géniale, et elle venait de devenir sa plus grande fan. Elle acquiesça alors, et lui indiqua l’angle de la rue.

    - Je connais un café sympa là-bas. Enfin, je pense que tu ne connais pas encore tous les cafés en ville, donc je me permets de choisir la meilleure adresse.

    - Je te suis. 

     

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    Zhoo passa alors devant, pour prendre la direction du café et Robbie lui emboîta le pas, mains dans les poches, et il la rattrapa plutôt facilement, pour pouvoir marcher à côté d’elle. Il avait bien noté que la jeune femme était plutôt enjouée, et avait l’air de plus sautiller que de vraiment marcher.

    - Tu viens d’où alors ? lui demanda-t-elle.

    - Hein ? Comment ça d’où ?

    - Tu déménages. Donc tu ne viens pas de nulle part. Ou sinon, ça fait de toi quelqu’un de suspect, et il faudrait peut-être mieux que j’arrête de te fréquenter au risque de finir découpée en rondelles et stockée dans ton frigo.

     

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    Il pouffa de rire par accident et posa sa main contre sa bouche. Il ne se serait clairement pas attendu à ça. 

    - Pardon. De l’Illinois, Bloomington.

    - Ouf, tu n’es donc pas un extraterrestre. Ça me rassure.

    - Et toi ? lui demanda-t-il en retour.

    - Je ne suis pas un extraterrestre non plus, même si mon prénom pourrait clairement venir de Mars, si c’est à ça que tu penses.

    - Non. Je demandais juste si tu étais d’ici.

    - Ah oui ! Yep, complètement. Je suis née là, j’ai grandi là-bas – elle indiqua un point un peu plus lointain dans le vague – et je serais sûrement enterrée dans le cimetière au coin de la rue. J’ai pas une grande ambition de voyage, cette ville me plaît. Et puis, tout le monde chez moi s’en va, il faut bien que quelqu’un reste pour arroser les plantes. Sinon elles vont toutes mourir, et ce serait vraiment con.

    - En effet.

     

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    Zhoo fit deux pas plus rapide et s’installa devant lui. Robbie s’arrêta aussitôt en voyant qu’elle l’empêchait d’avancer plus loin. Il se redressa alors, et la regarda, attendit qu’elle exprime la raison de son arrêt soudain.

    - Je suis sûre que je t’embête. J’embête tout le monde, tu ne serais pas le premier. T’es pas obligé de prendre un café avec moi parce que ta mère t’a libéré de tes cartons.

    - Tu ne m’embêtes pas, lui rétorqua Robbie sur un ton assuré.

    Puis voyant qu’elle haussa un sourcil, il comprit d’où venait sa méprise. A force de ne rencontrer plus personne de nouveau, il en oubliait que son manque de conversation pouvait passer pour de l’indifférence, ou de la simple politesse au mieux.

    - Je ne suis pas très bavard, expliqua-t-il. Mais toi, tu as l’air bavarde. J’aime bien entendre les gens parler. Donc tu peux parler autant que tu veux.

    - Tu es timide ?

     

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    Il fit non de la tête. Il était juste économe en mots, et ne savait pas vraiment comment faire transmettre des émotions ou des sentiments avec les mots. Donc il s’en tenait aux faits. Ça ne demandait pas trop de concentration, et ça ne créait pas de quiproquos, en pratique du moins.

    - Je suis plus bavard avec les gens que je connais bien. Mais ce n’est pas contre toi. 

    Et parce qu’il avait l’impression que cela relevait d’une information générale, il poursuivit :

    - Mes amis m’appellent le muet. 

    - Oh ! Je vois.

     

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    Elle lui fit un super sourire, tout en dents blanches. Elle avait l’air visiblement rassurée, et il pouvait bien le comprendre au vu de ce qu’elle venait de lui raconter. « J’embête tout le monde », voilà ce qu’elle avait dit. Et il se demandait bien qu’elle estime elle pouvait avoir d’elle-même à ne conserver que le jugement des autres en tête pour parler d’elle. Parce que, pour commencer, cette affirmation est déjà erronée : elle ne l’embêtait pas absolument pas. Donc elle n’embêtait pas tout le monde. Et puis, malgré sa tchatche, elle semblait clairement manquer de confiance en elle. Son regard fuyait assez facilement, et elle semblait utiliser son débit de parole pour empêcher son interlocuteur d’en placer une, et donc de lui porter un jugement qu’elle ne voudrait probablement pas entendre.

    - C’est ce café-là ? demanda-t-il en montrant un petit établissement qui faisait l’angle de la rue.

     

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    Zhoo acquiesça, légèrement rougissante. Robbie passa alors à côté d’elle pour prendre la direction du commerce.

    - Tu viens. Je ne compte pas le boire sans toi. Je veux bien la suite de l’histoire des plantes vertes abandonnées.

    Zhoo se retourna alors, et rejoignit Robbie en sautillant.

    Elle ne l’embêtait pas, et en plus, aujourd’hui, elle était habillée en Zhoo, sans faire d’effort. Elle n’était peut-être pas un cas si désespéré que ça finalement.