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    Les jours s'égrainaient doucement pour Emma et Georg. Ils profitaient pleinement de leurs semaines de vacances, et c’était l’occasion pour Georg de découvrir dans les moindres recoins cette ville qu’il avait choisie comme pied à terre. Il avait toujours rêvé de partir en vacances en France, et y vivre n’avait jamais vraiment été une possibilité jusqu’à ces dernières semaines. Mais pour le moment, il restait dans sa phase vacances : sa petite amie était là, avec lui, et tous deux se promenaient main dans la main, le long de la Dordogne. Et cette ville lui plaisait, avec ses petites rues, ses maisons typiques et l’ambiance qui s’en dégageait. 

    Et parmi leurs découvertes, Emma et Georg avaient un objectif bien précis en tête. Celui d’enfin trouver un petit boulot au jeune homme. Il vivait actuellement sur ses maigres économies, mais elles ne feraient pas long feu très longtemps. Il devait de toute urgence trouver quelque chose. Il avait bien évidemment écumé les différents sites de petites annonces, en vain : rien ne lui correspondait. Ils s’étaient donc tout naturellement dit qu’ils finiraient bien par trouver une petite annonce sur une vitrine.

     

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    - Là !

    Emma pointa son doigt directement en direction d’une boutique qui faisait l’angle d’une rue. Elle avait d’abord remarqué le petit écriteau blanc sur la vitrine avant même l’enseigne. Quand Georg leva légèrement le nez pour identifier le commerce, il sourit. Un disquaire. Ca ne pouvait guère tomber mieux. Au moins, il restait dans sa passion. 

    A première vue, le commerce semblait vide de tout client. Il ne distinguait qu’une silhouette derrière la caisse, en train de lire.

    - Et bien vas-y, lui dit Emma en lui indiquant la porte du menton. 

    - Je suis sûr que cette annonce a été déposée il y a deux cents ans. Il n’y a pas un client dans cette boutique, et le vendeur à l’air de s’ennuyer comme un rat mort.

    - Tu ne vas pas me faire ton timide Kaitlin, allez, entre et demande. Tu risques pas grand chose.

     

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    Emma se glissa derrière Georg pour le pousser dans le commerce. Quand la porte s’ouvrit, une clochette tintinnabula et la personne au comptoir releva la tête. Une vendeuse donc. Elle reposa son livre à côté d’elle et les accueillit avec un sourire chaleureux ainsi qu’un bonjour qui n’avait rien à lui envier.

    - Bonjour, lui répondit Emma tout sourire dans un français impeccable. On a vu l’annonce sur la porte, pour du travail et on voulait savoir si c’était toujours d’actualité.

    - Oui, elle l’est. C’est pour vous ? demanda-t-elle en se relevant.

    - Non, c’est pour mon ami juste ici.

     

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    Elle donna un coup de coude à Georg pour le faire réagir, mais il n’en avait pas besoin. Elle avait dit “ami” et non pas “petit ami” ou “copain” comme elle avait l’habitude de le présenter. La jeune française s’éclipsa dans l’arrière boutique, prétextant aller chercher le formulaire de demande d’emploi, laissant ainsi Georg et Emma seuls dans le magasin.

    - Ami ? rétorqua GK. Tu nous a déjà enterrés ?

    - Mais non, mais elle est choue, tu trouves pas ? Et toi tu es grave sexy avec cette coupe de cheveux, alors autant te donner quelques points d’avance, non ?

    - Emma … soupira Georg.

    - Oui, je sais. Mais je reste sur mon idée, alors souris, tu dois lui faire bonne impression.

    La française revint quelques instants plus tard avec une plaquette. Elle la posa devant Georg pour lui permettre de remplir le document tranquillement. Georg accepta, récupéra les papiers et remplit consciencieusement les cases. En deux minutes trente, c’était fait. Il signa en bas de la page, et tendit le formulaire à la jeune femme. Elle y jeta un œil, et sourit.

     

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    - Américain ? Classe. Moi c’est Méandre, dit-elle en souriant. Et vous, Georg-Kaitlin, c’est ça ?

    Georg hocha la tête de droite à gauche.

    - Juste Georg, ça ira. 

    Méandre acquiesça et posa la tablette derrière elle sur le comptoir, et reprit une conversation un peu plus formelle.

    - Georg, c’est noté. Mon patron lira votre candidature d’ici la fin de la semaine, et il vous rappellera en conséquence. Vous êtes disponible à partir de maintenant ?


    Georg hocha la tête, et enfonça ses mains dans ses poches. Il tourna la tête vers Emma. Elle était encore en ville pour quatre semaines, et il voulait en profiter le plus possible. Mais il avait absolument besoin de ce boulot et il ne voulait pas risquer de le voir lui filer sous le nez au prétexte qu’il voulait commencer début septembre. Et il savait qu’Emma comprendrait son point de vue, et c’était d’autant plus facile à gérer.

    - Super ! On vous tient au courant très vite.

    - Merci, bon après-midi, lui dit alors le jeune homme.

    - A vous aussi.

     

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    Emma sortit de la boutique la première et Georg la rejoignit très vite. Une fois dans la rue, il lui prit la main, et entrecroisa ses doigts aux siens. La rouquine se laissa faire, et le tira même un peu plus loin, vers une placette arborée. Une fois arrivés, ils s’installèrent sur un banc, à l’ombre. Georg passa son bras autour des épaules de Emma, l’attirant vers lui.

    - Ne recommence pas Emma, s’il te plaît, lui dit Georg après quelques instants de silence.

    - De quoi ?

    -D’essayer de me caser avec la moitié de la ville. Je te rappelle que j’ai actuellement une petite amie dont je suis dingue, et je n’ai pas envie d’aller voir ailleurs.

     

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    Emma roula des yeux, qu’elle leva au ciel. Il était d’un chiant celui-là. Il refusait de comprendre qu’elle faisait ça pour son bien. Elle ne voulait pas le voir malheureux comme les pierres à cause de son absence ni savoir qu’il devait se priver au prétexte de devoir l’attendre. Il ne méritait pas ça, même s’il ne voulait pas le comprendre.

    Alors, en guise de réponse, elle bougonna. Georg soupira et s’affala un peu plus sur le banc.

    - Je sais ce que tu en penses Emma, mais j’ai encore le droit d’avoir un avis sur la question. Or, et ce malgré ton départ, je refuse de te chercher une remplaçante. Il va falloir t’y faire, c’est tout. Je t’aime, c’est si difficile à comprendre qu’il n’y a que toi que je veuille prendre dans mes bras, que toi que je veuille embrasser ou toucher ?

    - Certes, mais …

    - Mais tu vas partir, oui, c’est bon, je sais. Mais il nous reste quatre semaines avant ça, et je n’ai pas envie de les passer à te chercher une remplaçante. On cassera dans quatre semaines, comme prévu. Mais en attendant, laisse moi t’aimer comme un dingue d’accord ?

     

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    Emma acquiesça en silence. Elle ne voulait pas le laisser comme ça, sans ressource. Mais elle n’avait pas d’autre choix que de s’y résoudre. Elle se blottit alors contre Georg, et celui-ci l’embrassa sur le front. Emma ferma les yeux, appréciant cet instant suspendu. C’est Georg qui perturba son silence avec une réflexion amusée.

    - Tu trouves pas qu’elle te ressemblait la vendeuse de disques ? 

    - Parce qu’elle est rousse ? Tu es réducteur GK … Tu me déçois.

    Emma lui donna un gentil coup de coude dans les côtes, en riant. Mais il n’avait pas tout à fait tort, il y avait un air de ressemblance. Rousse, les yeux bleus. Mais elle avait l’air d’avoir un peu plus de connaissance qu’elle en matière de musique, ce qui lui donnait un réel avantage sur elle. Elle secoua la tête. Non, elle venait de lui promettre qu’elle arrêterait d’essayer de la caser avec la moitié de la ville.

    - J’espère que tu seras retenu, dit-elle finalement. Mais que le poste ne se libérera qu’en septembre. Je vais avoir du mal à te laisser partir au boulot le matin.

    - Et bien, tu as plus qu’à prier je ne sais pas quel dieu pour obtenir ce que tu souhaites. Mais si je suis pris, ce sera de ta faute : c’est toi qui a vu l’annonce. Moi je serais passé devant sans même la remarquer.

    - Car ça va être ma faute maintenant. Et bien, t’es grand seigneur dis voir.

     

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    Emma fit la moue, sous les rires de Georg. Celui-ci s’approcha de sa petite amie et il l’embrassa tendrement, dissimulés par les arbres et faisant fi des passants. Emma ne put contenir son rire, tout en lui volant baiser sur baiser. Elle ouvrit les yeux, et essaya de capter le regard de Georg. Celui-ci fit de même, et leurs regards, louchant, se croisèrent, ce qui les fit exploser de rire.

    - Aller, on y va, dit Emma en se relevant sur ses pieds.

    - Hein ? Comment ça “on y va” ? On va où ?

    - Bah, faire un tour en ville. Je ne vais pas rester là alors que plein de curiosités nous attendent !

    - Des curiosités ? Ah oui ?

    - Y’a le musée du tabac, je peux pas rater ça, allez debout !

     

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    Georg soupira, et Emma lui tira sur le bras pour le faire se lever. Il obéit finalement, en râlant, et suivit Emma qui poursuivit son chemin. Juste à côté du banc où ils étaient assis, son regard accrocha une affichette agrafée sur un poteau de bois. Il tira sur la main de Emma, pour la faire se rapprocher de lui. 

    - C’est quoi ? demanda Emma en regardant l’affichette.

    Georg ne répondit pas, lisant ce qui y était inscrit. C’était une affiche de pub pour une salle de concert qui se trouvait dans le cœur de la ville, le Rocksane. Et plus particulièrement pour un concert de rentrée du groupe local, les Alive!. Ils organisaient des battles pour permettre à des jeunes artistes du coin de percer comme eux l’avaient fait. Et celles-ci reprenaient en septembre.

     

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    - Tu veux t’inscrire ? lui demanda Emma. Tu as toutes tes chances non ?

    - C’est un groupe de rock Emma, je n’ai absolument aucune chance moi tout seul. Mais j’avais voulu aller au concert de clôture, toutes les places avaient été vendues. Je pourrais peut-être assister au premier de la saison.

    - Moui … Ça a l’air ouvert à tous, rien ne t’empêche de t’inscrire.

    Georg haussa les épaules. Elle n’avait pas tort, mais il n’avait pas envie de chanter devant un public. Il chantait pour lui et pour ses proches, et son public n’avait guère été plus nombreux que les quelques classes de son ancien lycée. Il ne se sentait pas vraiment prêt pour chanter devant une salle comble. Il arracha cependant l’affichette et l’enfonça dans la poche arrière de son pantalon, avant de reprendre son chemin vers le musée du tabac repéré par Emma.