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    Au son de cette voix, Xander se figea et regarda Emilien qui était devant lui, et ce dernier fixait un point au-dessus de la tête de Xander. Et ce point devait apparemment mesurer un mètre soixante-dix si on suivait l’angle du cou de son ami. Il espérait seulement qu’il avait halluciné, que cette voix n’était pas ce qu’il avait cru et qu’Emilien avait juste vu Zélie passer avec un pot de fleurs sur la tête. Mais vu à quel point son visage se décomposait à cet instant, Zélie ne devait pas avoir de pot de fleurs sur la tête. Et là voix reprit la parole : 

    - Tu vas me répondre Xander ? 

    Elle avait des trémolos dans la voix, mais il l’avait bien reconnue. C’était Charlie. Qu’est-ce qu’elle fichait ici ? Il vit Emilien se redresser et se tenir debout, et Xander fit de même. Il n’osait pas encore se retourner, de peur d’affronter une tornade rousse. Emilien marmonna un “je vais te laisser Xander, on se voit plus tard”, et il passa à côté de lui, pour quitter la pièce et la maison. 

    Xander restait toujours dos à Charlie. Il n’avait pas osé se retourner. S’il ne la voyait pas, elle disparaîtrait peut-être. Mais c’était fort peu probable. Il prit alors une grande inspiration, et il se retourna. 
     

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    Et plus aucun doute, c’était Charlie. Elle avait les yeux rouges et des larmes coulaient le long de ses joues. Elle avait le cœur brisé, ça se voyait. Xander baissa légèrement la tête, une moue désolée sur le visage. 

    - Je veux une réponse Xander. Est-ce que tu m’as quittée pour un homme ? C’est tout ce que je veux savoir. 

    - Non, lui répondit Xander en relevant la tête pour la regarder droit dans les yeux. Je t’ai quittée car nous deux ça ne menait nulle part. 

    Charlie renifla et passa sa main sous ses yeux. Son maquillage fondait sur ses joues, et Xander se sentait gêné devant ce spectacle pitoyable. Il ne supportait pas l’idée de la voir pleurer de la sorte, et il se retenait de faire un pas vers elle pour la consoler.  
     

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    - Pourquoi es-tu ici ? lui demanda-t-il. 

    - Pour m’excuser de ma réaction quand tu as voulu me plaquer, et essayer de recoller les morceaux. Mais je vois que j’arrive trop tard, finalement t’as viré gay. 

    Xander serra le poing, se retenant de lui faire remarquer qu’on ne “virait” pas gay comme on devenait végétarien. Ce genre de remarque n’allait pas arranger la situation, ou la consoler.  

    - Il s’appelle Kellan, c’est ça ? Rah, putain ce que je suis conne … 

    - Charlie, l’appela Xander en esquissant un pas vers elle. Tu n’es pas conne, c’est moi qui … 

      

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    - Oui, c’est toi qui ! C’est forcément toi ! Qui d’autre ça pourrait être ? C’est pas moi qui ai viré ma cuti et plaqué mon mec par texto. Qu’est-ce que ce type a de plus que moi ? Ah si, je sais ! Une queue ! CONNARD ! QUEUTARD !! 

    - Charlie, calme-toi ! 

    Son ton était plus sec qu’il ne l’aurait voulu, mais il était hors de question qu’elle se mette à lui parler de la sorte, à l’incendier et à l’insulter à tue-tête dans la maison. Il s’approcha d’elle et lui saisit l’avant-bras pour la faire se taire. 

    - NE ME TOUCHE PAS !  

    Elle lui donna une violente gifle pour le faire reculer. Hors de question qu’elle le laisse la toucher. Il l’écœurait au plus haut point, et rien que de s’imaginer qu’elle ait pu un jour le laisser la toucher lui donnait envie de vomir. Elle ramena ses bras autour d’elle, et recula. 

    - Ne me touche pas, répéta-t-elle. 

    - Très bien, je ne te touche plus, promis. Mais calme-toi, s’il te plaît. J’aimerais t’expliquer … 

    - M’expliquer quoi ? Que c’est ton délire de te prendre des bites dans le cul toute la journée ? Je veux pas savoir, merci ! 

     

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    - Arrête avec ça. C’est de nous deux dont je veux te parler Charlie. Je n’ai jamais voulu te quitter par texto, je voulais te le dire de vive voix, par téléphone. Mais tu m’as coupé l’herbe sous le pied, et comme tu ne répondais pas quand j’essayais de t’appeler, j’ai pris notre rupture comme acquise. 

    - Et tu l’as bien consommée avec “Kellan”, je suis sûre ! 

    - Je t’ai dit que ce n’était pas le sujet. On allait dans un mur, et depuis longtemps Charlie. On n’avait aucun avenir, et tu t’accrochais à moi avec tous tes projets alors que je ne m'y voyais pas. Je te tirais vers le bas. 

    - Ouais, le classique “c’est pas toi, c’est moi”. Tu aurais au moins pu faire plus original, je croyais tu étais créatif. 
     

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    - Bien sûr que le problème c’était moi : j’aime les mecs bordel, que voulais-tu que je t’apporte !? 

    Il l’avait dit. Pour la première fois depuis qu’il se posait la question, il avait finalement réussi à aligner ces trois mots qui auraient dû peser si lourd dans sa poitrine. Mais ils étaient sortis avec une telle facilité que c’en était déconcertant. Soulageant, certes. Mais totalement déconcertant. 

    Charlie se figea, et le regarda, dégoûtée. Comment avait-elle pu croire vivre quelque chose avec ce type ? Elle se sentait salie, et totalement conne de n’avoir rien vu. Il la dégoûtait, la révulsait. Rien que de se souvenir des moments qu’ils avaient partagés lui fit remonter le cœur dans l’estomac. 

    - Alors, depuis le début t’es homo, finit-elle par dire dans un éclat de rire. J’ai couché avec un putain d’homo, j’ai donné ma première fois à UN PUTAIN D’HOMO ! J’AI PERDU QUATRE ANS DE MA VIE AVEC UN PUTAIN D’HOMO ! 

     

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    Le cœur de Xander se serra. Voilà la réaction qu’il redoutait. Il pensait pourtant s’y être préparé, mais il n’en était rien. Il encaissait, la toisant et attendit qu’elle se calme. Ça finira bien par arriver. Mais il ne se serait jamais douté d’un tel déversement de rage à son égard, qu’elle puisse à ce point être mauvaise. Mais elle agissait probablement sur le coup de la colère, et il pouvait comprendre. Ce n’est pas comme si elle avait pu faire quoi que ce soit pour sauver son couple, elle l’avait perdu car elle n’était pas ce qu’il recherchait. Et elle ne pouvait rien faire contre ça. 

    - JE TE HAIS ! hurla-t-elle, écumante de rage. Toi et tous les autres décérébrés comme toi ! 

    Elle se retourna alors, et quitta la pièce, au pas de course. Xander lui courut après. Il était hors de question que Charlie reprenne la route dans cet état. Quand il la rattrapa enfin, il lui prit la main pour l’empêcher de faire demi-tour. 

     

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    - Attends, lui dit-il. Tu ne vas pas rentrer à Albany dans cet état, et je suis sûr que le prochain vol ne sera que demain matin. 

    - J’en ai rien à foutre, je dormirai à l’aéroport. Maintenant, lâche-moi, dit-elle froidement. 

    Xander obéit, à regret. Finalement, cette fois-ci, il pouvait dire que c’était bel et bien fini avec Charlie. Il la regarda entrer dans sa voiture, sans un mot. Et des bribes de souvenirs remontèrent à la surface à cet instant. Les souvenirs heureux, bien sûr. Comme s’il avait besoin de ça à cet instant précis. Comment est-ce que ça se fait que c’est toujours dans ce genre de situation, où on est censé haïr l’autre, que le cerveau décide de se la jouer nostalgique ? Et les souvenirs heureux avec Charlie, il en avait un paquet malgré tout, quand bien même il ne se plaisait pas dans cette relation. Il avait découvert une jeune fille formidable, la tête pleine de rêves et d’envie. Et il avait grandi avec elle, à ses côtés. Il ne serait sûrement pas ce qu’il est sans Charlie. 

     

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    Il baissa la tête quand elle démarra la voiture, et au crissement des pneus sur l’asphalte, des larmes coulèrent indubitablement sur les joues de Xander. Car Charlie avait emporté avec elle une partie de lui-même, qu’il ne reverra jamais : le Xander qu’elle avait forgé, celui débordant d’idées et de rêves.  

    Il n’aurait jamais cru qu’il pleurerait la fin de sa relation avec Charlie. Jamais.