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    Camille avait l’impression de passer un entretien d’embauche. Du moins, d’attendre le résultat d’un entretien d’embauche. Le jeune homme faisait les cents pas dans sa chambre, attendant le verdict. Son père était rentré la veille au soir de son séjour à Burlington, et presque aussitôt, Sienna lui avait sauté dessus pour discuter du cas Camille. Et ce dernier n’en menait pas large. Tout le temps de l’absence de son père, il n’avait pas senti le moindre indice concernant le choix de sa mère : elle aurait carrément pu lui dire oui ou non, elle aurait tiré la même tête.

    Et ce matin, le grand conseil de la maison n’avait pas encore délibéré. Il se serait presque cru à l’élection du pape, à attendre qu’une fumée blanche veuille bien daigner s’élever depuis cette foutue cheminée !

    - Raaaah ! Ils me soûlent, bougonna-t-il. Et l’autre-là qui ne répond pas !

    L’autre étant Cameron. Camille lui avait envoyé un message il y a presque une heure, et il n’avait pas reçu de réponse. Mais ce con avait quand même eu l’amabilité de lire son message, en témoigne la petite coche bleue en bas de son message. Il l’ignorait royalement. Et ça l’énervait d’autant plus.

     

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    Il se laissa tomber devant son PC, trainant sur internet, à la recherche d’une manière de s’occuper comme une autre. De toute façon, hormis attendre le jugement dernier, il ne lui restait plus beaucoup de possibilités.

    Et là, il vit le petit pop-up en bas à droite de son écran lui indiquer que Cameron venait de se connecter. Il était temps bordel ! Il mis la vidéo qu’il regardait en pause et ouvrit le logiciel de discussion qu’il utilisait avec Cameron pour aller engueuler ce connard de venteur !

    - Ah te voilà enfin, toujours en train de t’attendre ! écrivit-il assez rapidement.

    La réponse de Cameron ne se fit pas attendre. Il vit très rapidement les trois petits points s’affoler sous son pseudo, très vite suivis par une réponse fort peu avenante. Non, mais il a ses règles ou quoi le moche ?

    - La ferme, je suis encore libre de faire ce que je veux, t’es pas ma mère à ce que je sache ?

    - ‘Tin t’es vraiment désagréable en ce moment, t’as tes règles ou quoi le moche ?

     

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    Au moins, il avait fini par lui lancer le fond de sa pensée. Cameron était toujours un peu brute dans sa manière de parler, parfois piquant mais jamais foncièrement désagréable. Il était son pote après tout, il acceptait assez bien les vannes et les remarques bien senties, mais ça restait toujours dit sur un fond d’humour, ce qui n’avait clairement pas l’air d’être le cas actuellement.

    Et d’un coup, son écran afficha un appel vidéo. Il écarquilla les yeux un instant. Il se passait quoi là ? Jamais Cameron ne lançait d’appel de lui-même, et il n’avait clairement pas l’air dans le mood pour mater Camille. D’un autre côté, il n’y avait pas grand-chose à mater si ce n’est un stressé, assis seul dans sa chambre. Croyant à une erreur, il ne répondit pas tout de suite, et l’appel persista. Camille finit par accepter, et entendit la voix de Cameron par-dessus un écran parfaitement noir, mais qui affichait un petit sablier de chargement. Il avait mis sa caméra ?!

    - Dis moi Camille … commença la voix grave et posée de son interlocuteur. Ca fait combien de temps que tu ne m’as pas vu ?

     

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    Le brunet n’eut pas le temps de répondre que la vidéo finit enfin de se charger, et venait de lui afficher sous les yeux un magnifique torse halé, dessiné et tatoué. Il déglutit avec peine, ne s’attendant clairement pas à ça. C’était Cameron ça ? Il toussa et essaya de reprendre contenance.

    - Putain t’as fait de la muscu’ ? Impressionnant, c’est fou comme ça doit pas aller avec ta tronche mon gars ! lâcha finalement Camille avec son humour habituel.

    Il était totalement subjugué par ce qu’il avait devant les yeux. Non seulement le torse devant lui était clairement à son goût, mais le fait de savoir qu’il risquait de le côtoyer de plus prêt dans les semaines à venir lui donna automatiquement des idées peu catholiques. Encore fallait-il que la tête ait suivi les mêmes transformations. Bon, d’un autre côté, il pouvait toujours lui mettre une cagoule, non ?

    - Tu veux me voir, ou rien que de t’imaginer ma vue te donne envie de vomir ?

    A croire que Cameron l’avait percé à jour, et Camille esquissa un petit sourire. Il lisait dans ses pensées visiblement. Puis l’écran se fit tout noir, Cameron avait posé sa main contre la caméra.

     

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    - Je t’avoue avoir un peu peur de débander après ça, mais montre toujours hein. Ça doit être mieux qu’une douche froide.

    Il entendit Cameron rire, et ce son lui donna froid dans le dos. Il a même cru entendre un court instant le même rire que dans un film d’horreur. Et bien qu’il aimait assez le genre, ce genre de rire suivait souvent une infirmière folle les mains pleines d’aiguilles, et là clairement, il ne fallait pas abuser. Il attendit alors patiemment, les yeux rivés sur son écran, pour voir ce que Cameron allait bien lui révéler. Si ça se trouve, il s’était totalement enlaidit !

     

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    Et là, devant ses yeux apparut un magnifique jeune homme avec un sourire en coin, amusé. Camille ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux en grand face à cette apparition, et secoua la tête de droite à gauche devant cette apparition. C’était Cameron, sérieusement ? C’était le moche ça ?!

    - Ne te retiens pas pour moi surtout hein, lui dit Cameron en prenant ses aises contre son siège. Après tout, je t’ai déjà vu te branler devant moi.

    Camille esquissa un petit rire. Visiblement, il n’avait pas juste pris de la gueule au sens propre, mais également au figuré. Il avait une telle assurance dans sa façon de se tenir ou de parler que Camille ne savait plus comment se tenir sur sa chaise.

    - C’est … impressionnant, balbutia-t-il, le regard toujours fixé sur son écran et sur les traits parfaits de l’homme en face de lui. Tu es … mais t’as fait de la chirurgie ou quoi mec ?

    - J’ai fait tout ce que toi tu n’as pas fait et dont tu aurais pourtant besoin … crevette.

    Aouch. Camille n’était clairement pas fan de ce surnom à double sens que lui donnait ses proches, dont Cameron. Effectivement, Camille était plutôt fluet et ne prenait pas très bien sa situation, selon la personne – ou le mec plutôt – qu’il avait en face de lui. Quant à la deuxième interprétation, ça collait plutôt bien à son caractère. Après tout, c’est bien connu. Les crevettes n’ont rien dans la tête, et tout dans la queue.

     

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    - Oui, et après ? Tu vas te mettre à poil et me faire un petit show ? Après tout, moi quand Cloud est là, je me gêne pas pour partager.

    Il tentait. Après tout, s’il ne demandait pas, il ne risquait pas d’en voir plus. Mais il se doutait que Cameron serait plus difficile que ça à convaincre. Et si jamais il acceptait, l’Appolon devant ses yeux baisserait largement dans son estime.

    - J’ai pas besoin de ça pour te faire baver, ça se voit dans tes yeux.

    - Ça va tes chevilles, bougonna Camille.

    Il était devenu arrogant et sûr de lui, ce qui décevait Camille. D’habitude, ils parlaient plus franchement entre eux, sans tabou ou sans rabaisser l’autre. Mais cette fois-ci, c’était différent. Il avait l’impression que Cameron voulait faire mal, et il n’était pas très fan.

    - T’as cru que voir un téton me suffisait pour bander comme un taureau ? Allez, ne sois pas timide, montre-moi la marchandise.

    - Non, pas tout de suite, faut le mériter tu sais … et pour l’instant, t’es pas prêt.

     

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    - Prêt ? J’en ai vu bien plus que tu en verras dans toute ta vie, couillon !

    Son égo était vexé. Il osait faire son grand homme maintenant parce qu’il s’était greffé une belle gueule ? Il n’aurait jamais cru ça possible venant de sa part, et il allait en désillusion.

    - C’est bizarre, mais j’ai la légère impression que tu as perdu toute assurance depuis que tu m’as vu… Tu t’y attendais tellement pas … Aurais-je réussi à couper le sifflet au grand Camille Phillips ?

    - Crève, rétorqua Camille, acerbe.

    Si c’était à un concours de bites qu’il voulait participer, Camille n’allait clairement pas participer à son petit jeu. C’était trop facile, et surtout pas dans ses habitudes. Et puis, de toute manière, Cameron perdrait.

    - T’as perdu ta langue ? demanda Cameron, toujours aussi mesquin.

    Camille tendit l’oreille. Il entendit sa mère l’appeler au rez-de-chaussée. Ça tombait plutôt bien, il n’avait plus très envie de poursuivre cette conversation avec ce bellâtre. Mais il avait quand même furieusement envie d’aller le voir en vrai, de le toucher et surtout de lui foutre du gravier au cul – entre autres choses qui l’intéressaient plus – pour lui faire comprendre qu’il avait intérêt à se calmer fissa.

     

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    - Non. J’me disais juste que … t’étais plus le Cameron que j’ai rencontré. T’as changé physiquement, certes, c’est super … Mais t’es aussi devenu un gros connard.

    Et il mit fin à la conversation, non sans avoir manqué un dernier sourire carnassier sur le visage de son ami. Il se releva alors et éteignit son ordinateur, pour descendre au rez-de-chaussée. Le voilà passé de stressé à bougon en l’espace d’un petit quart d’heure de discussion. Et c’est donc dans cet état mental qu’il arriva dans le salon, où il retrouva ses parents, déjà assis sur le canapé. Son père l’invita à les rejoindre, ce qu’il fit presque immédiatement.

    - Vous avez pris votre décision ? demanda-t-il en posant ses fesses sur le canapé rouge de la pièce.

     

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    Il ramena ses jambes contre lui, comme pour se protéger devant ce verdict. Il s’attendait clairement à tout, même à cet instant, ces parents étaient parfaitement insondables.

    - Oui, débuta Mathieu. Nous sommes d’accord pour que tu ailles étudier à l’étranger, en France, comme tu nous l’avais demandé.

    Le visage de Camille s’illumina subitement et il sentit son cœur partir en embardée. Il avait réussi à les convaincre, et il allait en France pour retrouver son meilleur ami et rencontrer enfin Cameron. Et avec ce qu’il venait de voir, il était encore plus emballé à l’idée de partir. Pour le caractère de Cameron, il lui mettra un bâillon et ça devrait le faire. Après tout, rien ne l’empêche d’appliquer la parité sur le très célèbre « sois belle et tais-toi » qu’on inculquait encore aux jeunes filles.

     

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    - Mais … débuta Sienna.

    Son cœur rata un battement. Evidemment, ce serait bien trop facile s’il n’y avait pas eu de « mais ». Il connaissait sa mère sur le bout des doigts et elle ne le laisserait jamais partir sans poser ses conditions. Mais s’il n’y avait que ça pour qu’il puisse partir, il accepterait d’office.

    - Je pose deux conditions. Tour d’abord, tu rentres aux vacances scolaires. Ensuite, si tu reviens avec des notes inférieures à la moyenne, tu es rapatrié d’office à la maison. Je te laisse le premier trimestre pour t’habituer à la langue. Mais passé le 1er janvier, toute note en dessous de 10 est éliminatoire.

    Camille acquiesça en silence, et leva les yeux vers son père. Son expression était neutre, signe qu’il était d’accord avec les conditions posées par sa mère. D’un autre côté, il aurait pu s’en tirer avec bien pire. Il a trois mois pour faire ses preuves, et rentrer pour les vacances ce n’était pas la mer à boire non plus.

    - Ca marche, dit-il très sérieusement. J’accepte vos conditions.

    - Ce n’est pas comme si tu avais le choix, lui dit Mathieu avec un petit sourire amusé. Ta mère a fait partir ton dossier d’inscription en urgence pendant mon absence et on a eu la réponse officielle ce matin du lycée que tu visais : ton inscription est prise en compte. Tu es attendu pour la rentrée.

     

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    Le jeune homme écarquilla les yeux, encore plus stupéfait. Il n’aurait jamais cru que sa mère envoie le dossier dans son dos, encore moins qu’il se fasse accepter aussi facilement. D’un autre côté, avec les lettres de motivation écrites par An, il avait clairement mis toutes les chances de son côté.

    - Ils te laissent cependant quinze jours de délai pour faire tes cartons, chercher un logement et prendre tes billets d’avion. Tu es donc attendu au plus tard le dix-sept septembre dans ton nouveau lycée.

    Camille se leva alors et sauta directement dans le canapé en face de lui pour enlacer ses parents. Il jubilait, littéralement. Il les serra alors contre lui, heureux comme un roi. La réaction de sa mère le surprit, c’était évident, mais son père ? Exactement là où il l’avait attendu : après tout, s’il y avait bien quelqu’un pour céder au moindre de ses caprices, c’était bien lui.

     

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    Pour lire la scène originale, du point de vue Cameron, ça se passe par ici - You're The One ♥