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    - Cela fera vingt-cinq euro s’il vous plaît.

    Il entendit le tiroir-caisse s’ouvrir dans un « ding » bien distinct, puis s’arrêter à la butée dans un bruit métallique avant que l’imprimante n’entame son ronronnement. Elle déchira le ticket, le mit dans le sac – la poche, pardon Waly ♥ – et le tendit au client. Ce dernier la remercia, et elle le congédia d’un sourire et d’un « au revoir » chaleureux et tout commercial. La porte se referma derrière lui, et ils étaient de nouveaux seuls dans le magasin. Il soupira, et repartit à son rayonnage.

    Le magasin de disques n’était pas très fréquenté. Il faut dire qu’avec l’avènement du numérique quelques années plus tôt, peu de gens achetaient encore des CDs ou des supports musicaux physiques de toute sorte. A l’exception des vinyles. C’est ce qu’ils vendaient le plus ici, et les CDs qui partaient le mieux s’avéraient être des collectors qui pouvaient couter assez cher si on s’y connaissait.

    Georg se baissa de nouveau vers sa caisse et rajouta quelques vinyles dans le bac en face de lui, quand sa collègue apparut dans son champ de vision. Il se redressa, et lui sourit aussitôt.

     

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    Il s’entendait super bien avec Méandre. Le feeling était passé plutôt rapidement avec la jeune femme, et ils avaient eu pas mal l’occasion de discuter. En même temps, ce n’était pas avec l’affluence au magasin qu’ils allaient se retrouver déborder.

    - Tu as passé un bon week-end au fait ? demanda Méandre en aidant GK à faire le réassort des rayons.

    - Oui, pas trop mal, dit-il en cherchant encore un peu ses mots en français.

    Il était parfaitement bilingue en compréhension orale et écrite, mais butait encore à l’oral, cherchant ses mots, le vocabulaire ne lui venant pas d’instinct. Mais pour le moment, Méandre n’avait pas encore écarquillé les yeux de surprise : il n’avait pas encore dû sortir d’aberrations.

    - On est allés dans le gouffre de Padirac, dit-il avec un sourire. C’était super beau !

    - On ? Ah ! Avec la fille rousse de l’autre fois, c’est ça ? C’est ta copine, non ?

    Elle le regarda avec un petit sourire en coin. Elle n’était pas dupe non plus. L’américaine avait beau avoir présenté Georg comme son ami, elle avait bien remarqué qu’il y avait plus que ça entre eux, d’ailleurs, elle l’avait entendu grogner quand elle était allée chercher le formulaire de demande d’emploi.

     

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    - Ouais, elle s’appelle Emma. On a grandi ensemble, on vient de la même ville.

    - Elle n’avait pas l’air du même avis, continua-t-elle distraitement. Enfin, elle n’a pas dit que tu étais son mec, juste son « ami ». Clairement, tu t’es fait friendzoné par ta meuf, plutôt dur.

    - Oui, je sais. Elle va partir faire son tour du monde pendant un an et moi je vais rester là. On va casser, alors elle … comment on dit déjà ? Ah, j’ai perdu mes mots … Tu sais, quand on fait une chose avant de la faire.

    - Elle anticipe ? essaya Méandre en se tournant vers lui, main sur les hanches.

    - Ouais, c’est ça ! Mais elle est ennuyante à faire ça.

    Il haussa les épaules et termina de ranger le contenu de sa caisse sans dire un mot de plus. Méandre ne répondit pas non plus, attirée par la suite vers l’accueil par sa sonnerie de téléphone. GK releva la tête et la suivit du regard, la regardant à travers le rayonnage. C’est vrai qu’elle était « choue », comme l’avait qualifiée Emma. En tout cas, il la trouvait jolie et s’entendait bien avec elle. Il surprit le fil de sa pensée et secoua la tête de droite à gauche. Non mais quelle mouche le piquait ?! Il était encore avec Emma et il regardait déjà ailleurs. Il se pinça l’avant-bras, essayant de se faire revenir à la raison. Ce n’était pas le moment de faire le con.

     

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    Il se baissa pour récupérer sa caisse et rejoignit Méandre au comptoir. Elle était toujours au téléphone. Il posa la caisse vide, et entreprit de ranger le panneau à prospectus qui se trouvait derrière l’accueil. Il y avait dessus une montagne de petites annonces et d’affichettes, certains datant du siècle dernier. Il n’écoutait pas spécialement la conversation de Méandre, mais à une si courte distance, il ne pouvait pas vraiment l’ignorer.

    - Oui et bien je ne sais pas moi, va les chercher à l’école ? Non, moi je ne peux pas, je t’ai dit que je faisais la fermeture ce soir. Ecoute Sam, je ne te demande jamais rien et je ne peux pas gérer les jumeaux H24 toute seule. Ouais, on en parle au dîner, mais n’espère pas t’en tirer. Oui, moi aussi je t’aime.

    Elle raccrocha son téléphone et lâcha un profond soupir. Visiblement, elle avait quelques problèmes de couple elle aussi. Au moins, il se sentait un peu moins seul. Et il fut assez surpris de ressentir de la déception quand il comprit que sa jolie collègue était non seulement en couple, mais avait également des enfants. Il allait pouvoir dire à Emma que ce n’était plus la peine d’essayer de le caser avec Méandre.

    - Ah non, enlève pas celle-là !

     

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    La phrase de Méandre le sortit de ses songes. Il avait posé la main sur l’affichette d’un concert. Quand il cligna des yeux, il reconnut ladite affiche : c’était celle pour la battle entre groupes locaux qui devaient se tenir d’ici quelques semaines. Son exemplaire était d’ailleurs chez lui, accroché à son frigo. Il n’avait vraiment pas envie de rater la première.

    - Ah, oups. Désolé, je rêvais.

    - Pas grave, le rassura-t-elle dans un sourire.

    Elle rajouta une punaise sur l’affiche pour l’empêcher de voler au vent, et reprit ses activités autour du comptoir. Georg garda le regard figé sur l’affiche. Elle devait avoir déjà assisté à une de ces battles. Après tout, elle était du coin et aimait la musique. Il aurait bien aimé glaner plus d’information.

    - Tu y es déjà allée ? demanda-t-il alors à Méandre en lui montrant l’affiche.

    - Hein, où ça ?

    Elle releva la tête et suivit le doigt de Georg. Aux battles ? Il déconnait ? Elle était pourtant présente en gros sur l’affiche, et il ne l’avait pas reconnue. Il lui manquait vraiment une case à cet américain.

     

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    - Tu parles des concerts. Oui, j’y suis déjà allée. Pourquoi ? Tu veux participer ? Ou juste y assister ? demanda-t-elle, comme si de rien n’était.

    - Y assister déjà, mais j’ai raté l’occasion d’acheter ma place au dernier concert avant l’été. Je me disais que tu saurais peut-être où je pouvais acheter des billets pour le concert d’ouverture.

    - Ici normalement. Mais on a déjà vendu toutes les places, ça part toujours à une vitesse folle. Mais il doit rester des places pour la première battle, c’est le quinze septembre. T’en veux ?

    - Oui ! dit-il aussitôt.

    Puis il réalisa qu’il s’était peut-être un peu trop emballé. Il rougit presque aussitôt, et se frotta la nuque, gêné. Puis il essaya de reprendre contenance, et de ne pas avoir l’air trop ridicule devant Méandre, mais apparemment, c’était raté : elle souriait.

    - Une place ? demanda-t-elle en se mettant derrière la caisse.

    - Deux s’il te plaît.

     

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    Il arriverait peut-être à convaincre Emma de rester jusque-là. Après tout, le monde continuait toujours de tourner, et elle n’était sûrement pas à quelques semaines près non plus. Et dans le pire des cas, il pouvait toujours inviter sa collègue si Emma venait à ne plus être sur place. Ce deuxième billet serait forcément rentabilisé. Et que diable qu’elle ait déjà un mec. Il pouvait l’inviter en simple amie, non ? Après tout, ils s’entendaient bien.

    - Ça te fera quarante euro s’il te plaît.

    Georg fouilla dans ses poches et sortit deux billets de vingt euro qu’il lui tendit aussitôt, et il récupéra son bien. Il avait enfin réussi à trouver des places pour ces concerts, et il avait assez hâte de voir ce que tout ça pouvait bien donner.

    - Tu crois que les Alive! risquent de perdre leur place ? demanda Georg en rangeant les billets dans sa poche. J’ai lu une interview sur internet, le groupe a l’air confiant mais il paraît qu’il y a de bons groupes en ville. C’est assez hallucinant d’ailleurs.

     

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    - Certains se défendent plutôt pas mal, lui dit Méandre en croisant les bras. Un en particulier, qui est assez hargneux. Ça promet de belles soirées.

    - C’est la première année qu’il y a des battles ? Tu en as déjà vu ?

    - Non, c’est pas la première année. Mais c’est la première année que c’est ouvert à tout le monde. Avant, ce n’était que des groupes, dans le même univers musical. Maintenant, c’est ouvert à tous, même à un type qui veut chanter tout seul sur une guitare acoustique. Mais celui-là aura aucune chance de remporter la salle à l’applaudimètre, ajouta-t-elle dans une œillade.

    - C’est moi que tu vises ? dit-il à moitié amusé.

    - Peut-être. Tu as une guitare acoustique ?

    - Ça se peut. Mais je note l’info : participer seul c’est possible. On verra si je tente ou pas.

    - Tu peux tenter, mais attends toi à te faire écraser. Cette scène, ce n’est pas une cour de récréation. Et tu vas te retrouver en face de bêtes de scène. Bon courage pour t’en sortir un seul morceau.

    Elle lui donna une gentille tape sur l’épaule, suivit d’une œillade et disparut dans la réserve, laissant Georg seul à l’accueil.

     

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    Des bêtes de scène hein ? Mais ils n’avaient pas encore tout vu. Il n’a jamais dit que s’il montait sur scène, ce serait avec seulement une guitare acoustique. La musique n’était pas son seul talent.