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    De son côté, à Bloomington, Xander avait le visage rivé sur l'écran de son ordinateur. Il avait enfin, après de très longues négociations avec sa sœur Chloé, récupérer l'amour de sa vie, sa tablette graphique. Retrouvée deux heures plus tôt, le jeune homme s'était empressé de la rebrancher, d'allumer son logiciel de dessin pour renouer avec sa plus grande passion : le dessin. Il en avait même choisi de ne pas suivre ses parents et sa sœur qui étaient sortis se dégourdir les jambes pour apprivoiser leur nouvel univers. De toute façon, pour ce que ça allait l'intéresser, il va bientôt déménager pour sa ville natale d'ici quelques semaines afin de poursuivre ses études dans une école d'art graphiques réputée.
    Sa ville natale, Houlton, probablement celle où vivait également ses parents. Après tout, même l'écrin de son pendentif, qui n'avait rien à voir avec celui-ci, venait d'une bijouterie de Houlton bien que le reste de l'adresse ait été totalement effacé par le temps. Ça ne pouvait pas être une coïncidence à ses yeux.
    Cependant, il s'est bien gardé de parler de ses projets à ses parents. Du moins, ils savent que le jeune homme avait choisi cette ville pour la suite de son cursus universitaire, mais loin d'eux l'idée qu'il puisse partir à la recherche de ses origines. Ils le connaissaient le Xander, de toute sa vie, il n'avait jamais été curieux de ses origines face à eux. « Il doit se plaire dans sa situation » que répète souvent Alexis à son épouse quand ils ne sont plus que tous les deux.

     

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    Pourtant, il ne s'y est jamais plu. Il savait bien, et depuis l'enfance, que quelque chose ne collait pas pour lui. Après tout, rien que ses traits étaient hors du commun, hors de sa famille. Il aimerait tant savoir à qui appartenait ses yeux d'un vert profond, ou encore sa chevelure ébène totalement incontrôlable. Il aimerait les rencontrer ses parents, il parait qu'ils s'aimaient selon la lettre que Sarah – sa mère adoptive, la première épouse de Alexis – lui avait laissé, alors il se dit qu'ils sont peut être encore ensemble aujourd'hui. Il aimerait leur parler, leur raconter son enfance, ses doutes et il aimerait aussi comprendre leur choix de l'abandonner. Enfin, il s'en doute quand même un peu. Il n'y a qu'une seule raison qui pousse les gens qui s'aiment à ne pas garder le fruit de leur amour : ils ne pouvaient pas l'élever, ils devaient probablement être très jeunes, voire même des amants maudits, genre Roméo et Juliette et contraints sous le choix de leur parents à abandonner cet enfant pour ne pas faire de scandale.
    Puis, il ferme les yeux, cherchant à recréer mentalement le visage de ses parents. Qui aurait quoi ? Les yeux, il en est persuadé que ce sont ceux de sa mère. Il l'imagine grande, élancée, presque mannequin avec des billes vertes dissimulée derrière des cheveux châtains, pourquoi pas chocolat. Et son père ? C'est lui qui devait avoir les cheveux dans tous les sens. Son air mystérieux, il le tient de lui, ainsi que sa peau pâle, sa mère est sûrement le genre de personne à bronzer dès que le soleil sort de derrière les nuages. Et de fil en aiguille, leurs visages se dessinent clairement dans l'esprit de Xander qui se met alors à dessiner ses parents oniriques à l'aide de son ordinateur, ça lui changera un peu de copies de personnages de jeux-vidéos qu'il fait pour passer le temps.

     

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    Son croquis lui pris une petite heure, et il était assez fier du résultat quand soudainement, la maison se mit à trembler quand la sonnette retentit. Toujours pas habitué aux sons de cette nouvelle maison, Xander en fit un bon sur sa chaise avant de réaliser que c'était probablement le locataire de ses parents qui passerait déposer le premier loyer. Zélie l'avait prévenu, et il n'avait que à récupérer l'enveloppe et à signer le reçu que lui présenterait Monsieur Stewart. Un jeu d'enfant.
    Xander se leva alors de sa chaise et fila au rez-de-chaussée, traînant quelque peu les pieds. Il n'aime pas spécialement la compagnie des gens, et donc devoir rencontrer le locataire de ses parents ne l'enchantait guère plus que ça, d'autant plus que, rappelons-le, il ne se souvient absolument pas de lui, sauf de ses yeux qu'il se rappelle être d'un bleu clair très intense.

     

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    Il ouvrit alors la porte sur un jeune homme blond platine, légèrement plus grand que lui, beaucoup plus imposant que lui, il faut le rajouter, avec des yeux qui ne laissaient place à aucun doute. C'était bien le locataire de ses parents, Kellan.
    - B... bonjour Monsieur Stewart, baragouina Xander sans chercher à se décaler de la porte de la maison pour laisser entrer l'homme en face de lui.
    - Kellan, lui répondit-il, avenant. On a le même âge, non ? On peut bien s'appeler par nos prénoms, si ça te dérange pas, compléta-t-il avec un tutoiement.
    - Oui, pas de problème, conclut Xander sans un mot de plus, mais le cœur battant à tout rompre.

     

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    Il se rappelle maintenant pourquoi il ne lui restait en souvenir de ce jeune homme que ses yeux et une gêne palpable. Xander ne pouvait pas détacher son regard de celui de son interlocuteur, et il priait intérieurement pour que l'on entende pas son cœur cogner contre sa cage thoracique.
    - Je viens pour le loyer, brisa alors le silence Kellan en tendant une enveloppe vers Xander.
    - Oui, je suis au courant.
    Xander tenta de reprendre contenance pour ne pas avoir l'air d'un idiot à réagir de la sorte face à cet homme. Mais qu'il était beau, se perdit-il à penser avant de tout de suite secouer la tête comme un réflexe pour chasse cette pensée de son esprit avant de rougir violemment quand le mot « gay » lui traversa l'esprit pour expliquer sa réaction totalement … inexplicable, du moins à ses yeux.
    - Euh, ça va ?

     

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    Le blond fit un pas en avant quand il remarqua l'étrange réaction de son interlocuteur. Lui, tout ce qu'il en voyait, c'était un homme pâle comme la mort, les joues en feu avec un cœur qui tambourinait de façon totalement irrégulière. Et c'est là qu'il se souvint que, au dîner, Xander s'était levé pour sortir, d'un placard de la cuisine, un pilulier parfaitement organisé et en avaler l'intégralité d'une case, soit quatre gélules multicolores.
    - Ah, mais tu es malade, dit-il finalement avant de l'attraper par les épaules. Faudrait que tu t’assoies, et vite.
    Il rentra alors dans la maison et tira Xander jusque dans le salon où il l'assit dans un des fauteuils de cuir de la pièce. Kellan s'assit en face de lui, sur la table basse, sans le quitter du regard, en espérant qu'il n'ait pas besoin d'appeler les pompiers s'il faisait une quelconque attaque.

     

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    Affreusement gêné, Xander rougit de plus belle et cacha son visage dans ses mains. Voilà qu'il le croyait en pleine crise cardiaque parce qu'il avait osé penser, un quart de seconde, être gay. Trouvez lui un trou de souris dans la seconde, là maintenant, il en a besoin. D'autant plus que Kellan commençait à paniquer en lui demandant s'il avait besoin d'eau, ou de médicaments, ou s'il devait appeler les pompiers.
    - Ça va. Je dois signer ton reçu, lui dit Xander en sortant finalement la tête de ses mains.
    Il était toujours autant rouge pivoine, mais il ne risquait pas de retrouver sa pâleur naturelle si Kellan restait dans le coin. Il fallait absolument qu'il quitte cette maison le plus vite, et Xander irait se cacher ensuite de honte sous sa couette en priant très fort pour ne plus jamais recroiser le regard de cet homme de toute sa vie.
    - Je crois que tu as d'autres priorités là, t'es pas dans ton état normal, contredit Kellan. Je peux t'aider à monter jusque ta chambre si tu veux te reposer, ce serait sûrement plus approprié.
    - Je vais bien. Je signe ton reçu et je monte moi même dans ma chambre.

     

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    Il tendit la main vers le blond pour que celui-ci lui donne son reçu, ce qu'il fit sans ciller. Xander s'empara d'un crayon qui traînait sous ses yeux pour le lui signer avant de le lui rendre aussi sec, lui lançant un regard assez explicatif quant à son volonté de le voir partir de la maison dans l'instant.
    - Donne moi ton téléphone, lui fit Kellan en se relevant.

     

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    Il tendit la main vers le « malade », le regard décidé sans la ferme intention de bouger. Après quelques secondes, il s'impatienta, réitéra sa question qui demeura sans réaction de la part de Xander, si ce n'est un « pourquoi ? » lancé sur la défensive. Kellan ne lui répondit pas, fouilla le jeune homme pour lui subtiliser son téléphone et y entrer ainsi le sien, avant de faire bipper son cellulaire dans sa poche. Il lui tendit alors sa propriété subtilisée tout en le prévenant que s'il n'avait pas de nouvelles de lui d'ici deux heures, il appelait Police Secours.
    - C'est bon ? T'as fini ? Gronda Xander en se relevant son siège.
    - J'attends ton appel, conclut-il finalement avant de rebrousser chemin et de sortir de la maison pour rejoindre sa voiture.

     

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    Xander le regarda faire par la fenêtre de la maison, et quand la voiture noire sortit de la propriété, il s'empressa de monter dans sa chambre pour aller se vautrer sur son lit, en laissait au passage cette fichue enveloppe sur le bureau de sa mère – il ne manquerait plus qu'il perde le loyer.

     

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    Et à peine dix minutes plus tard, son téléphone sautilla sur son édredon, lui annonçant l'arrivée d'un texto. Rouge de gêne, il attrapa son cellulaire, de peur que ce soit un message de Kellan qui lui demanderait de ses nouvelles. Et quelle ne fut pas sa déception quand il se rendit compte que le message émanait de sa petite amie qui venait prendre de ses nouvelles, tout en piaillant qu'elle avait hâte que les vacances d'été commencent.
    Il ne sentit pas tout de suite ce pincement au cœur quand il se rendit compte que le message ne venait pas de Kellan. Il l'ignorait, ça ne pouvait pas être ça. Et pourtant, les deux heures passèrent et il ne faisait que guetter l'écran de son téléphone, dans l'attente d'un message du jeune homme. Et il était hors de question qu'il le lui envoie ce message. C'était totalement ridicule, il n'était pas malade, il était juste gêné.

     

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    Et alors qu'il se relevait pour reprendre ses activités graphiques sur son ordinateur, la porte de sa chambre s'ouvrit dans un fracas monumental sur une jeune fille de quatorze ans, blonde comme les blés qui fila directement derrière son frère pour l'enserrer dans ses bras.
    - T'as dessiné quoi ?  lui demanda Chloé en regardant par dessus son épaule.
    Le croquis représentant les parents biologiques de Xander était toujours là, et il lui répondit que c'était deux personnages totalement aléatoire qu'il a dessiné sans trop réfléchir.

     

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    - Elle a tes yeux la fille, lui dit alors Chloé. Mais c'est chouette que tu puisses redessiner hein ?
    - La faute à qui si ça fait six mois que je n'ai rien pu faire de concret sur cet ordinateur ?
    En compagnie de ses proches, Xander laissait tomber ses barrières linguistiques et formulait des phrases bien plus complexes qu'un sujet-verbe-complément. La jeune fille lui tira la langue en lui pinçant gentiment les côtes. Puis elle s'éloigna de son frère pour reprendre la direction de sa chambre.
    - Au fait, Maman a la flemme de faire à manger, on va au restaurant ce soir, qu'elle lui dit en disparaissant complètement de la pièce.

     

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    Le jeune homme ne prit pas la peine de lui répondre, et son regard se tourna vers son téléphone qui lui affichait l'arrivée d'un nouveau message, d'un destinataire inconnu.
    « Toujours en vie ? »
    Xander esquissa un sourire sans vraiment s'en rendre compte, et sans rougir cette fois-ci. Et il s'empressa de prendre son téléphone pour lui répondre d'un très sobre « Oui » sans fioriture. Reposant son téléphone, il termina son dessin, un sourire différent de d'habitude lui illuminant le visage.

     


  • (43)

     

    La nuit tombait doucement sur la petite ville de Houlton et ses champs de patates. Et dans cette maison de plain pied, la soirée s'annonçait à la fois houleuse et festive.
    Festive, car c'est le bal de fin d'année du lycée et que An est toute sautillante sur sa chaise lors du dîner à l'idée d'avoir enfin son moment princesse – alors que jusque là, elle grognait de devoir chaperonner avec Gabe.
    Houleuse, car l'invitation de Théo Mc Fly dans ce petit logement n'arrangeait pas les affaires de tout le monde, encore moins de Marine qui ne supportait absolument pas les Mc Fly, et ce bien avant de faire partie de cette famille. Il est vrai qu'il en faut du courage pour tolérer l'ancienne sex-friend de son mari dans sa famille, l'horrible Emilie, épouse du cousin de Nate et mère du cloporte qui squatte dans sa maison à elle !

     

    (43)

     

    Nate ne s'occupait pas de son épouse, il sait très bien qu'elle continuera de pester contre Emilie, « parce que si elle était pas si chiante, on aurait pas Théo à la maison tous les soirs à dormir dans le canapé du salon ! ». Mais dans le fond, il sait qu'elle n'a rien contre Théo, au contraire. Il est tout ce qu'il y a de plus serviable et effacé dans cette maison, pour se faire oublier. Plus que correct, il range aussitôt le salon dès qu'il est réveillé et il a même trouvé un appartement en l'espace de deux jours. Et puis, la colère de Marine n'est qu'une façade, puisque dès qu'ils ne sont plus que tous les deux, elle le couvre presque d'éloge en disant à Nate à quel point il pouvait ressembler à son cousin. A croire qu'elle cherche à garder la face devant les autres pour rejeter en bloc tout ce qui se rapproche de l'autre garce.

     

    (43)

     

    Et ce soir ne déroge pas à la règle. Ils sont tous autour de la table de la cuisine à manger un copieux repas réalisé par Jayn et Nate. Marine félicite sa fille cadette au sujet du dîner, tandis que Jayn lui avoue que « Papa est vraiment nul en cuisine, il sait même pas casser les oeufs », tandis que de l'autre côté de la table, Théo en profite pour chahuter sa cousine qui ne tient plus en place à l'idée de sa soirée.
    - On dirait vraiment une collégienne, qu'il lui glisse en riant. T'es sûre d'être à la fac là ?
    - Oh toi, la ferme ! Je suis pas si excitée que ça, j'ai pas faim, c'est tout, dit-elle en repoussant son assiette.
    Son regard fila vers l'horloge de la pièce. Gabe passera la chercher vers vingt heures trente,soit dans approximativement une heure, et elle n'est pas encore habillée pour l'occasion. Il y a des raisons de ne pas tenir en place, elle ne veut absolument pas se rater ni être en retard.

     

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    - On dirait que tu vas au bal de Cendrillon pour rencontrer le prince charmant.
    - Un prince charmant du nom de Gabe, surenchérit aussitôt Marine en regardant sa fille, sans cacher son côté groupie pour le futur médecin et meilleur ami de son aîné.
    An piqua un fard dans son assiette tout en faisant la moue. Parce que Gabe n'a rien d'un prince charmant, il lui manque un élément essentiel, la couronne. Et le château, et le carrosse … bref, il ne lui manque qu'un élément essentiel : tout.
    - Et sinon, tu ne rentres pas tard, lui fit presque aussitôt son père. Et tu ne bois pas non plus, qu'il rajoute comme le parfait père poule qu'il est.
    - C'est un bal de lycée Papa, comment veux-tu que je trouve de l'alcool. Pour le reste, je peux rien te promettre, mais promis, je dors à la maison. Et, euh … je peux sortir de table ? Osa-t-elle finalement après quelques secondes. J'ai vraiment pas faim, je voudrais aller me préparer.
    Marine opina du bonnet et la jeune femme en profita pour aller disparaître dans sa chambre, sans se rendre compte que Théo ne la quittait pas du regard.

     

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    Il est vrai que depuis qu'il vit ici, les deux cousins s'entendent à la perfection. Ils n'avaient pas eu l'occasion de grandir ensemble – Houlton et San Diego sont aux extrêmes opposés l'un de l'autre, et le facteur Emilie n'aide pas vraiment aux rapprochements – mais sont tout de suite devenus très complices. C'est donc tout naturellement que quinze minutes plus tard, Théo s'excusa à son tour pour sortir de table et alla toquer à la chambre de la demoiselle pour squatter sur son lit.
    - T'es habillée ? Qu'il lui fait au travers de la porte.
    - Ouaip, vas-y, entre, lui fit aussitôt la jeune femme.
    Théo s'exécuta et pénétra dans la chambre de la brunette pour la découvrir assise à son bureau, les yeux accrochés à son écran d'ordinateur. Elle était visiblement en grande discussion écrite sur skype avec un ami, et pour ne pas la déranger, le jeune homme pivota sur sa droite pour s'asseoir sur le lit de An, en attendant qu'elle lui cède un peu de son temps, chose qui ne vint pas.
    - C'est comme ça que tu comptes te préparer pour ton bal, qu'il lui lance, taquin.
    - J'ai encore le temps, qu'elle lui sort sans détourner le regard de son écran.
    - A qui tu parles ?

     

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    A ces mots, Théo se rapprocha de la jeune femme pour aller s'asseoir derrière elle en faisant le contorsionniste. An, par réflexe, s'avança légèrement pour faire de la place à Théo, qui encercla alors sa taille de ses bras, tout en posant son menton sur l'épaule de An.
    - Ewan ? Souffla-t-il. C'est un pote de fac ?
    Elle nia de la tête, continuant de pianoter sur son clavier.

     

    Ewan : C'est ce soir le bal du lycée, non ?
    Anie : Oui ! On vient me chercher dans une heure. Et je n'ai pas la varicelle cette fois-ci ^^
    Erwan : Elle ne s'attrape qu'une fois, tu ne risques pas de l'avoir à nouveau
    Anie : Humour... Des fois, tu parles comme un vieux de quarante ans quand même. T'as prévu quoi de ton week-end toi ?
    Ewan : Réviser, j'ai des partiels...

     

    (43)

     

    - Tu le connais d'où ? Reprend-il en lisant par dessus l'épaule de son amie.
    - D'un forum d'écriture. Il écrit des trucs géniaux, et c'est lui qui est venu me parler en premier, lui explique-t-elle en s'excusant auprès d'Ewan de devoir le laisser car elle devait se préparer pour la soirée.
    - Et tu l'as jamais vu ?

     

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    Un peu fâchée que Théo lui pose autant de question sur son ami virtuel, An se précipite sur son armoire pour en sortir la robe rouge prêtée par Zhoo pour la soirée qu'elle passera avec son meilleur ami. Une sublime robe longue, intégralement rouge, avec le bras gauche dénudé et le bras droit entièrement recouvert de tissu. A peine son amie la lui avait-elle montrée qu'An en était littéralement tombée amoureuse. Elle s'empara alors du précieux tissu et alla se calfeutrer dans la salle de bain attenante à sa chambre pour se changer loin du regard de son cousin. Passer la robe fut un véritable jeu d'enfant et moins de cinq minutes plus tard, elle fut de retour dans sa chambre, sous le regard admiratif de Théo, qui n'avait pas quitter la chaise de bureau de la demoiselle.

     

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    - Il n'y a pas nier, débuta-t-il. Le rouge, c'est vraiment ce qui te va le mieux.
    Et comme pour donner encore plus raison à son interlocuteur, elle rougit légèrement, apportant encore plus de couleur à sa tenue.Pour faire disparaître ce maquillage qui lui semblait vraiment de trop, elle se frotta les joues et se rapprocha de son miroir, pour tenter d'avoir une coiffure un peu plus sophistiquée, malgré ses cheveux extrêmement courts. Une ou deux épingles à chignon plus tard, le résultat était là : elle avait réussi à ramener ses cheveux à l'arrière de sa tête et elle était d'ailleurs plutôt ravie du résultat, Théo la regardant toujours.
    - Il y en a qui ont de la chance, murmura-t-il.
    - De ? La questionna aussitôt la jeune brune.
    - Retourner au lycée uniquement pour le bal. J'avais adoré mon bal de promo d'ailleurs, pensa-t-il à voix haute.
    - Toi, à un bal de promo ? Pouffa son interlocutrice. Tu sais danser ?

     

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    Sous son hilarité, elle s'assit sur son lit pour mettre ses chaussures à talons hauts. Théo, mi vexé, mi amusé, se leva de sa chaise pour s'approcher d'elle et lui tendre la main, en espérant qu'elle l'accepte et la lui prenne. D'abord interrogative, elle accepta l'invitation et prit la main de Théo, se relevant avec son aide.
    - Oui, je sais danser. Ça te surprend ?

     

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    À ces mots, il posa sa main libre sur la taille de An et d'un mouvement sec et précis, sans pour autant être violent, il la rapprocha de lui, leurs corps se touchant presque. Il commença alors quelques pas de danse, fredonnant de lui même un temps de valse, du moins, c'est ce qu'en pensait An, et tout sourire, elle le suivit, en faisant bien attention de ne pas lui marcher sur les pieds.

     

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    Parce que la jeune femme n'est pas vraiment une danseuse, sauf si c'est pour se dandiner en boîte de nuit. Dès qu'il est question d'évoluer avec quelqu'un, elle va plutôt lui marcher sur les pieds. Mais loin de sa faute, on ne lui a jamais appris. Quand elle avait demandé à ses amies il y a quatre ans de cela, Emma et Zhoo, où elles avaient appris à danser, d'une même voix, elles avaient répondu « Bah, papa ! ». Et le regard de la jeune fille de l'époque avait glissé jusqu'à son père, en chaise roulante et donc incapable de danser, et elle n'avait alors jamais reposé la question à qui que ce soit.

     

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    Voyant sa totale inaptitude à la danse, Théo aida la jeune femme à se déplacer dans la pièce sans lui écraser ses adorables petons. Après tout, Gabe allait sûrement la faire danser, qu'il lui disait, et ce serait vraiment ridicule qu'elle refuse ou s'écrase le nez au sol devant tout le monde. Il avait donc décidé de lui donner une leçon improvisée dans la demi-heure qu'il lui restait. An s'appliquait, essayait de mémoriser les pas et quand la sonnette retentit dans la maison, cela faisait bien deux minutes que les pieds de Théo n'avaient pas rencontré ceux de la brunette.

     

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    C'est Nate qui alla ouvrir au visiteur impromptu, bien décidé à mettre les choses au clair très rapidement avec lui. Bien évidemment que Marine avait essayé de courir à la porte avant son époux, mais malheureusement, il ne porte pas son surnom de Speedy Gonzales en vain, il est capable d'être rapide, même sur quatre roues.
    - Bonsoir Gabe, fit Nate en ouvrant la porte sur un jeune homme habillé d'une chemise, cravate et pantalon noir. Elle arrive dans deux minutes, si tu veux rentrer.
    Nate glissa légèrement sur le côté pour faire entrer Gabe, qui resta cependant dans l'entrée, ne voulant pas s'aventurer plus loin dans la maison de sa meilleure amie. Il aurait d'ailleurs préféré que ce soit elle, ou sa mère, qui vienne lui ouvrir la porte ce soir là, il sait très bien à quel point Nate peut être protecteur quand il s'agit de son aînée.

     

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    - Bon, je veux savoir An à la maison avant deux heures du matin, est-ce clair ? Et hors de question qu'elle revienne avec ne serait-ce qu'une goutte d'alcool dans le sang. C'est le bal du lycée, alors tu la traînes pas dans tes bars d'étudiants.
    - Pas d'inquiétude Monsieur Handers, je ferais attention, et on sera de retour avant deux heures.
    Et à peine eut-il finit sa phrase que An sortit de sa chambre, Théo sur ses talons, vêtue de sa belle robe rouge qui lui allait comme un gant, et qui attira tout de suite l’œil de Gabe, incapable de regarder ailleurs. Il ne remarqua même pas vraiment la présence de Théo derrière elle.

     

    (43)

     

    - Wah, An, tu es sublime, dit-il alors qu'elle s'approchait de lui en souriant.
    - Merci, tu n'es pas mal non plus.
    Puis elle se tourna vers son père, qui fronçait les sourcils avant de l'embrasser sur la joue.
    - Allez, boude pas, je rentre très vite et promis je bois pas et je serais trèès sage. On y va ? Souffla-t-elle ensuite à Gabe en lui attrapant le bras.
    Et les deux presqu'adultes disparurent dans la soirée qui commençait à tomber, en direction du bal du lycée de la petite sœur de Gabe, qui les attendait dans la voiture, assise sur la banquette arrière avec son cavalier pour la soirée.


  • (44)

     

    Le problème des soirées où on est chaperons, c'est que justement, on est chaperons. On n'a pas vraiment le droit de s'amuser, au plus grand damn de An. Elle restait debout, dans un coin de la salle, à regarder les adolescents sautiller dans tous les sens dès qu'une musique un peu plus rock leur sifflait les oreilles, tout en désertant très rapidement la piste de danse dès qu'un slow ou une balade arrivait.
    Gabe restait à côté d'elle, ils discutaient de tout et de rien, beaucoup des études de Gabe et de toute ce qu'il avait encore à apprendre pour ne pas perdre le fil à la rentrée prochaine. Il avait choisit sa spécialité, la neurologie, mais il n'était pas le seul avec de telles ambitions et les places étaient chères. An ne l'écoutait que d'une oreille, à la fois intéressée par ce qu'il disait, mais aussi comme happée par la piste de danse devant elle. Elle aussi avait envie d'aller se trémousser sur un air de rock, et puis, Théo ne lui avait pas appris ces quelques pas de danse pour rien, elle voulait tout de même s'en servir.

    Gabe remarqua la rêverie de son amie et tranquillement, il lui reprit la flûte de Champo-fête qu'elle avait dans la main, sans qu'elle ne réagisse vraiment pour la poser sur la table, derrière eux. En revenant vers elle, il se mit sous son nez, pour la faire sortir un peu de sa rêverie et il tendit la main vers elle, telle une invitation à filer avec elle sur la piste de danse.

     

    ♪ ♫ Je te promets – Johnny Hallyday

     

    (44)

     

    An considéra cette main quelques instants alors qu'un slow commençait à percer par dessus les voix surexcitées de tous ses adolescents. Il quittèrent alors tous la piste de danse pour se ruer sur des rafraîchissements et des grignotages. Elle aimerait bien prendre cette main que lui tend Gabe, mais son regard file autour d'elle, ne voulant pas se faire réprimander par les professeurs pour abandon de poste.
    - Que veux-tu qu'ils nous fassent ? Lui dit Gabe. Nous virer du lycée ? Nous empêcher de passer le bac ? Allez, viens …
    Il n'avait pas vraiment tort après tout, que risquait-elle ? Elle glissa alors sa main dans celle de Gabe et il tira doucement au milieu de la piste de danse. Délicatement, il posa sa main dans le dos de An, soulevant doucement son autre main, mais il n'osa pas trop se rapprocher d'elle, après tout, il a été éconduit assez de fois pour comprendre qu'il n'y aurait rien à y gagner.

     

    (44)

     

    Alors ce fut An qui fit le premier pas vers lui pour s'en rapprocher et briser cette distance qui se trouvait entre eux deux. Ils restaient amis malgré tout, il n'y a aucune raison qu'il s'éloignent. Lui esquissant une sourire, il commença à se déplacer sur la piste, suivant le rythme de la musique tout en guidant sa partenaire à la perfection. La jeune femme eut du mal à le suivre, restant figée dans ce que Théo lui avait appris quelques heures plus tôt, avant de finalement se laisser porter par la musique et par Gabe, et miraculeusement, selon elle, elle ne lui écrasa absolument pas les pieds.

     

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    Et à la grande surprise d'An, Gabe était un virtuose quand il était question de danser en couple. Elle se laissa porter, il la fit virevolter, tout en douceur, suivant le rythme lancinant de la musique, tout en gagnant en ardeur, telle la chanson, accélérant le pas, resserrant la jeune femme contre lui, la faisant basculer. Elle se serait cru presque dans une autre dimension, totalement coupée du monde.

     

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    (44)

     

    Pris dans leur duo, ils ne remarquèrent même pas qu'une centaine d'yeux les regardaient virevolter sur la piste. Ils n'en prirent peut-être pas compte. An savourait son premier bal en tant que lycéenne, Gabe était ravi d'avoir la fille dont il était amoureux dans ses bras, sans rien avoir fait de particulier pour en arriver là. Et cette chanson française qui passe alors dans cette salle, elle en comprend chaque mot, rougissant à chaque parole prononcées par le chanteur, trouvant qu'étrangement, elle correspondait parfaitement à son partenaire de ce soir.

     

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    Rougissant légèrement, elle leva les yeux vers lui pour essayer de capter ce à quoi il pouvait bien penser, là, maintenant, et il lui sourit, car lui aussi, avait absolument tout compris.
    Et quand finalement la chanson perdit en intensité, Gabe ralentit le pas pour s'arrêter finalement en plein milieu de la piste de danse, sous les applaudissements des lycéens qui avaient assisté à la prestation, et même ceux des surveillants, sans aucune once de reproche dans leurs actes. Après tout, ils sont là pour s'amuser aussi, qu'ils se diront. Ce serait dommage de ne pas profiter de cette piste danse, surtout quand on est jeune …

     

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    Se rendant compte de ce qu'il venait de se passer, An vira rouge pivoine sous les rire de Gabe. Il la lâcha lors avant de tendre la main vers elle, lui proposant d'aller prendre l'air, ce qu'elle accepta de suite en prenant la main de son ami dans la sienne, et ils sortirent tous les deux de la pièce pour rejoindre la cour de récréation, où il s'assirent sur un muret, auprès des vestiaires.

     

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    Ils étaient totalement seuls à l'extérieur, le lampadaire de la cour apportait une lumière diffuse, propice à cacher les rougeurs des joues d'An. Les seuls sons qui arrivaient à ses oreilles étaient le bruit des quelques voitures qui passaient dans la rue voisine, avec un léger brouhaha du au bal qui poursuivait sa lancée dans la pièce d'à côté.
    Ils ne parlaient ni l'un ni l'autre, un peu perturbés de ce qu'il s'était passé à l'instant. Les bras croisés sur sa poitrine, An levait la tête, regardant la pleine lune de cette belle soirée d'été. Il ne faisait pas froid, bien au contraire. L'été était bien arrivé et le léger vent frais qui soufflait par intermittence apportait un peu de fraîcheur bienvenue.

     

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    - Merci, qu'elle lui souffla finalement sans quitter la Lune du regard.
    - De ?
    - De m'avoir forcée à faire le chaperon avec toi ce soir, j'ai vraiment adoré. J'aurais eu mon bal de lycée, et je voulais vraiment te remercier pour ça.
    - Ce fut un réel plaisir, Mademoiselle Handers. Je te reforce quand tu veux, rit-il en tournant la tête vers elle.
    La lumière de la Lune lui découpait le visage dans la pénombre, et Gabe ne pouvait cesser de la regarder, comme subjugué par cette jeune femme assis à côté de lui, avec qui il vient juste de danser devant la quasi intégralité du lycée de sa sœur, qui doit être morte de honte à ce moment là. Et c'est cet instant que An choisit pour tourner la tête vers lui, sans réaliser qu'il était si près. Leurs nez se frôlèrent, An pouvait sentir la respiration de Gabe sur ses lèvres et elle en rougit de plus belle. Depuis quand elle rougissait autant quand il s'agissait de son meilleur ami ? Légèrement honteuse, elle détourna la tête avant de rencontrer un obstacle sur son chemin, la main de Gabe qui s'était posée sur sa joue, se glissant vers sa nuque, son pouce lui caressant doucement la joue.

     

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    - An … murmura-t-il en essayant de capter un regard, rien qu'un seul.
    Il aimerait tant qu'elle le regarde, ne serait-ce qu'un instant, autrement que son meilleur ami. Il aimerait tant compter pour elle encore un peu plus, mais il sait très bien que c'est peine perdue. Il avait tout essayé après tout, il s'était résigné. C'est comme amie qu'il avait invité An à cette soirée, mais quelque chose a changé chez la jeune femme. Un changement qui n'avait fait que lui rappeler à quel point il pouvait être amoureux de cette petite frimousse, de ce sale caractère, de sa meilleure amie. Alors, rien qu'un instant, il aimerait ne pas espérer en vain, même si ce n'est pas pour la vie, même si ce n'est que pour quelques heures …

     

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    De son côté, la jeune femme était tiraillée. Est-ce qu'elle pouvait se le permettre ? De se rapprocher de son meilleur ami ? Ne risquait-elle pas de perdre plus qu'elle n'y gagnerait ? « On peut juste essayer pour voir ... » pensa-t-elle alors qu'elle relevait les yeux vers lui.

     

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    Et finalement, elle combla la dernière distance qui les séparait et posa ses lèvres sur celles de son meilleur ami, qui fit glisser sa main à l'arrière de la nuque de An, pour la garder contre lui. Alors, pour la deuxième fois de la soirée, elle se laissa totalement porter par Gabe, le laissant la guider, étroitement enlacés l'un et l'autre, sur ce petit muret, de leur lycée d'adolescents ...

     

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    Et même si notre histoire se termine au matin 
    J'te promets un moment de fièvre et de douceur

     

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