• Environ six ans plus tard...

     

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    C'est le pas traînant que j'arrive devant la maison, après une longue journée de cours, je ne crois pas que l'année de seconde soit la plus simple. Mon année de troisième me manque affreusement. Le lycée, tout le monde dit que c'est le pied, moi je pense plutôt que c'est l'enfer. Rien que de savoir que je dois porter cet uniforme hideux chaque jour que Dieu fait me hérisse le poil. Après tout, pourquoi est-ce que tout le monde doit s'habiller en parfait petit marin bleu avec un foulard rouge sous le col, une horrible jupe plissée, de hideuses chaussettes noires jusqu'au genoux et de gros souliers sans aucune forme. Tout le monde ? Oui, d'accord, je confesse que c'est exagéré puisque que les garçons ont une simple chemise blanche avec gilet, un pantalon noir et les même chaussures que nous les filles. Mais ça reste quand même bien moche. Et c'est sans compter sur les tonnes de devoirs qui m'attendent dès que j'ai le malheur de sortir de cours, les profs doivent se donner un malin plaisir de nous faire souffrir à moins qu'ils tiennent absolument à noircir les pauvres pages de notre agenda. Je dois également faire avec l'absence de mes amis, puisqu'ilss sont tous partis dans l'autre lycée de la ville, le lycée John Fitzgerald Kennedy, plus communément appelé JFK , tandis que je croupis dans le lycée où se retrouve toute l'élite de Bloomington, le lycée Van Heim..

     

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    - Je suis rentrée ! dis-je en poussant la porte, m'attendant à ce que personne ne me réponde.
    Normalement, à cette heure là, Maman travaille encore, et comme Drew, mon beau père, n'a pas d'horaire, il m'est impossible de savoir s'il est à la maison, il peut travailler pendant trois jours non stop sans rentrer du bureau, et rester par la suite, une semaine à la maison pour se la couler douce. Je crois donc que pour la présence masculine à la maison, il pourra repasser l'examen, c'est pas gagné. Déjà que je n'ai plus de père, on ne peut pas dire que Drew le remplace à la perfection.

     

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    - Bonjour Mélie, me dit Drew alors que j'entrais dans la cuisine.
    Ainsi, aujourd'hui était donc une journée « maison ». Il était installé tranquille à la table de la cuisine, à lire son journal, un mug de café fumant posé à côté de lui, et ne m'adressa pas un seul regard. Je suis absolument touchée par toute cette sollicitude de sa part.
    - 'lut, lui répondis-je à son manque total d'intérêt.
    - Tu as passé une bonne journée ?

     

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    - Bwarf, lui répondis-je en ouvrant le frigo afin de choper une canette de soda et de l'enfourner dans mon sac à dos avant de picorer dans la salade de fruits qui était dans le frigo pour me caler l'estomac.
    - Un truc ne va pas ? me demanda-t-il en posant son journal pour enfin daigner m'adresser un regard un tant soit peu paternel.
    - Rien. J'ai trois tonnes de devoirs pour demain. Donc, je m'exile. Je descends pour manger, conclus-je en refermant le frigo.
    - D'accord. Bon courage.
    - Merci.

     

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    Sans me faire prier, et après avoir quitté la cuisine de la manière la plus théâtrale qui m'était donnée de faire, je grimpe les escaliers avant de m'exiler dans mon antre, et me poser à mon bureau, devant une photo que Drew m'a offert il y a deux ans, pour mon anniversaire.

     

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    Une photo de mon père pour être plus précise. Il était debout , devant une bibliothèque, ses cheveux roux étaient rassemblés en une queue de cheval que l'on distinguait à peine sur la photographie. Ses traits étaient tirés, son visage cerné, et il semblait n'avoir plus que la peau sur les os.
    Je ne l'ai jamais connu, c'est la seule chose qu'il me reste de lui.
    Tout ce que je sais de lui, se limite à cette photo, et à son prénom. Aaron.
    Il m'arrive de passer ma journée à regarder cette simple photo, à essayer d'imaginer ma vie avec lui. J'aurais aimé savoir ce que c'est qu'avoir un père. Certes, il y a Drew, mais il n'a pas la carrure de père. Si lui et Maman n'ont jamais eu d'enfant, ce n'est pas un hasard, ou une impossibilité de leur part. Drew est la source même du problème.

     

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    - Mélie, ma chérie, entendis-je dans le couloir – ma mère. Je peux entrer ?
    - Oui, répondis-je sans pour autant quitter mon regard de la photo de Papa.
    La porte de ma chambre s'ouvrit sur ma mère, coiffée d'un chignon strict, et de la tenue allant avec. Et après, on la critique de coincée du cul, elle le cherche bien.

     

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    - Toujours devant cette photo au lieu de travailler, dit-elle en s'asseyant sur mon bureau.
    - Il était comment ? Demandai-je une énième fois, en espérant entendre ma mère parler de lui.
    - Tu me le demandes encore ?
    - Oui, allez, insistai-je. Je ne sais rien ...
    Dans ses yeux, je vis qu'elle capitulait, et elle prit la parole.

     

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    - Aaron était, sans nul doute, le meilleur ami que je n'ai jamais eu. Pas une seule fois, il ne s'est énervé contre moi, il m'a bien souvent protégée contre les balourds du lycée, et puis, moi, je l'aimais … bien plus que tout.


  • Année 2006 – Bloomigton, Illinois, USA.
    Lycée JFK.

     

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    - Heaaaaaaaaaaaven ! Hurlai-je dans la direction de ma meilleure amie, assise comme à son habitude, sur un des nombreux bancs de la cour du lycée, à jouer les grands mères.
    Franchement, qu'est-ce qu'il peut bien avoir à faire, une fois que tu t'es posée seule sur un banc moisi, de ce lycée moisi, dans cette ville moisie ?
    - Allez, bouge ton cul grosse limace ! Continuai-je.
    Bien évidemment, elle se tait, et me regarde, l'air de dire que ce n'est plus de mon âge de gueuler à tout va dans une cour dite de « récréation ».

     

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    J'avoue, j'ai un peu beaucoup dix huit ans, et je suis un peu beaucoup en terminale, à quelques semaines de la remise des diplômes. J'avoue que j'ai l'air fin à gesticuler comme un singe pour lui foutre la honte, mais bwarf quoi, si je peux pas profiter de ma jeunesse aussi, je vais pas me mettre à vieillir prématurément. Déjà que la vie est pas longue, je veux pas avoir l'air d'un aigri de la vie à même pas vingt ans.

     

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    Fallait pas s'étonner, Heaven ne moufta pas, resta assise sur son banc putride à me regarder. Je prends donc l'initiative de courir en sa direction, si ce n'est pas le beignet qui va au morfale, c'est le morfale qui ira au beignet. Quoi ? Elle est pas géniale ma comparaison ? Tsss, laissez tomber, vous avez aucun sens de l'humour.

     

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    - Tu devrais pas faire ça, me dit-elle alors que je m'asseyais à ses côtés.
    - Faire quoi ? Te foutre la honte ? Désolée, mais t'es tellement coincée du cul que c'est tentant.
    - C'est pas de ça que je te parle Aaron, je m'en fous d'avoir la honte, même si c'est plutôt toi qui devrait être couvert de ridicule. Tu n'as pas le droit de courir, dit-elle finalement.
    - Et alors, je prends le gauche, c'est tout, finis-je par dire, concluant ainsi la discussion, enfin, à ce que j'aurais aimé, mais c'est sans compter sur la rationalité d'Heaven, et sa volonté de se mêler de ce qui ne la regarde pas.
    - Je vais aller en parler à Raise si tu continues Aaron.

     

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    - Raise en à rien à carrer de moi. Laisse le avec sa "copine", et fous moi la paix avec lui.
    - Je ne vais pas « rapporter » à tes parents non plus. Qui se soucie de toi, sinon lui ? Continua-t-elle.
    Mais elle peut pas me foutre la paix cinq minutes ? Si elle n'était pas ma meilleure amie, il y a bien longtemps que je l'aurais envoyée paître. En même temps, elle a raison, faut bien que quelqu'un se préoccupe un chouïa de ma santé, et le seul de ma famille à avoir un peu de considération pour moi, c'est bien Raise, mon frère jumeau.

     

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    En même temps, tous les deux, on a pas forcément eu la vie rêvée par tous les gamins de notre âge, et tout ça à cause de ma fichue santé, qui coûte la peau du cul à mes parents. Et je pense qu'il m'en veut, de l'avoir privé de ce que peu posséder un ado, rien qu'en pompant l'argent de nos vieux. Qui d'ailleurs, n'ont du mot parents que l'appellation, puisque ils sont plutôt du genre drôle de gugusses, si vous voyez ce que je veux dire.

     

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    - Sinon, tu racontes quoi de beau ? Me demanda-t-elle pour couper notre silence.
    - Rien de spécial. Enfin, si, j'ai pris rendez-vous chez le cardio.
    - Ah ouais ?
    - Ouaip. Rendez-vous deux semaines après le diplôme. Ce sera pas Jose qui s'occupera de prendre rendez-vous. Ça fait une semaine que je l'ai pas vue, elle doit croupir dans un coin de la ville, avec son mac.
    - Parle pas d'elle comme ça, elle est sympa Jose.
    - Pas quand elle a le sang infesté d'alcool.

     

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    Jose, c'est ma mère.
    Elle a quarante deux ans, elle en fait plutôt soixante selon mon humble avis. On ne peut pas dire que le mélange alcool-drogue-tabac soit le meilleur des produits de jouvence. Ses cheveux ressemblent à de la paille, d'immenses tatouages sur le haut du corps et au coin de l’œil, le regard vitreux, maquillée comme une prostituée, en même temps, c'est ce qu'elle est. Et elle est habillée de la même manière. Et on ne peut pas dire que je la porte dans mon cœur, pas après ce qu'elle a fait, à Raise et à moi. Je crois qu'elle peut toujours rêver.

     

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    La sonnerie de début des cours se fit entendre, et je me lève de mon banc, vite suivi par Heaven, qui épousseta sa jupe au passage. Il était sale ce banc ?
    - T'es maniaque ou quoi ? Ris-je en avançant avec elle dans la cour.
    - Comment ça ? S'enquit-elle.
    - Dès que tu te lèves, hop, on essuie la jupe.

     

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    - C'que t'es con, dit-elle en riant. Dis moi que tu as bossé ton histoire aujourd'hui, monsieur le petit génie.
    - Bien évidemment, qu'est-ce que tu crois ?
    - T'as révisé ton Histoire de France, toi ?
    - Vas-y, teste moi, je suis calé !
    - Voyons voir … Révolution française !?
    - Dix sept cent quatre vingt neuf m'dame !
    - Bataille de Marignan ?!
    - Quinze cent quinze !
    - Il est mort où Napoléon Ier ?
    - Page soixante et une de ton livre crétine.

     

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