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    A quelques rues de là, mains dans les poches, William Mayers sortait de l'entreprise de déménagement pour laquelle il travaillait depuis douze ans maintenant, harassé par sa journée de travail qui, bien que relativement courte à celles qu'il avait l'habitude d'effectuer, avait fini de l'achever pour la journée. En effet, déménager une famille dans un T5 au sixième étage d'un vieil immeuble sans ascenseur, ce n'était pas le genre d'activité favorable au repos et à la détente, et c'est pour cette raison que son employeur avait laissé le reste de la journée aux braves qui avaient donné de leur sang (et surtout de leur sueur en réalité) pour ce travail en particulier. William avait donc le cœur relativement léger, malgré ses muscles endoloris et sa tête qui commençait à tambouriner sourdement. Il avait la fin de l'après midi devant lui, pour faire ce qu'il voulait, et l'apprécierait d'autant plus qu'aujourd'hui étant le jour de congé de Julia, il pourrait le passer avec elle, loin de ses monstres d'adolescents surexcités. 
    La nouvelle de la libération de son père ? Il n'en a pas encore entendu parler. Les nouvelles, il préfère les lire le matin dans son journal devant un bon bol de café et ses tartines plutôt que d'écouter un ramassis de corneilles et de babouins tenter de se vendre en proposant les drames quotidiens que notre planète Terre devait supporter à chaque minute. Il est serein, rêve déjà du frigidaire et des sodas qu'il regorge, ne buvant plus de bières depuis bien longtemps comme il l'avait alors promis à sa sœur, Julia, pour que Georg « connaisse au moins son oncle à défaut de son père ». Mais tout cela était il y a bien longtemps. Bien avant que Harry ne révèle l'inconcevable, son premier mariage qui lui donna William, son deuxième qui le força à adopter la sœur cadette de son épouse. Avant que l'affection plus que fraternelle qu'éprouvait William pour sa sœur ne puisse finalement se dévoiler au grand jour pour en arriver à ce qu'il en est aujourd'hui.
    Après quelques minutes de marche, William arriva enfin au pied de l'immeuble dans lequel il était propriétaire d'un duplex, et poussa la lourde porte pour y entrer, escalada à la volée les escaliers les menant chez lui, et c'est tout sourire qu'il ouvrit la porte de son logement, souhaitant faire une surprise à sa Julia.
    _ Hello ! Lança-t-il en entrant.

     

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    Il se dirigea vers la bibliothèque à sa gauche pour y déposer ses affaires, clés et portefeuille, tendant l'oreille quant à une réponse de la femme qui partageait sa vie, mais rien ne vint à ses oreilles. Quelque peu inquiet, il réitéra l'expérience, regardant dans la mezzanine depuis le rez-de-chaussée, et à nouveau, il resta sans réponse.
    Sans crier gare, il ouvrit les portes des pièces du rez-de-chaussée, vérifiant le balcon, sans trouver une quelconque trace de Julia. Son sang ne fit qu'un tour et son cœur se mit à s'emballer dans sa poitrine. A chaque instant, il prenait peur pour Julia, et ce depuis presque toujours, depuis ses neuf ans où elle s'est enfermée dans un mutisme huit longues années durant. Son ex-sœur était fragile, et il n'avait qu'une crainte, que sa fragilité n'ait un jour raison de sa Julia.

     

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    Et il la trouva finalement, assise sur le lit dans la chambre de leur fils, un album photo sur les genoux et des larmes courant sur ses joues. Elle avait le regard fixé sur l'ouvrage, sur les photos qu'il contenait et que William connaissait par cœur. Un album qu'ils avaient réalisé en commun, à destination de Georg, pour qu'il connaisse les circonstances désastreuses de sa naissance, son premier « père » et ce qu'il a fait pour Julia. Ce « père », Mikael, qui avait recueilli Julia quand elle s'est enfuie de chez elle, et avec lequel elle avait pu s'épanouir et se rouvrir aux autres. Ce Mikael auquel Julia était fiancée, qui a choisi le deuxième prénom de Georg, Kaitlin,et qui avait trouvé la mort le lendemain de la naissance de ce dernier, de façon tragique. Or, cet album photo, jamais ils ne le lui avaient donné. Pour Georg, seul William est son père, et il ne sait rien des circonstances de sa naissance, ni même des drames que sa mère avait du endurer.

     

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    _ Qu'est-ce qu'il ne va pas ? Questionna William en restant dans l'encadrement de la porte, n'osant pas faire un pas supplémentaire de peur d'être une présence indésirable dans la tristesse de Julia.
    _ Il va avoir seize ans après demain Will … Je ne me sens pas prête pour ça.
    Elle ferma l'album photo qu'elle posa à ses pieds, et passa son poignet sous ses yeux pour assécher les dernières larmes qui tentaient de se frayer un chemin sur ses joues déjà humides et lavées de toute trace de maquillage. William s'approcha d'elle doucement, s'assit à ses côtés avant de l'attirer délicatement contre lui, étreinte qu'elle ne refusa pas, bien au contraire, puisqu'elle se blottit finalement contre lui.

     

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    _ Il va bien falloir pourtant, tempéra Will. On savait très bien que ses seize ans arriveraient, il a le droit de savoir.
    _ Tu n'as pas peur ? Qu'il ne te considère plus comme son père …
    _ Je lui fais confiance. On verra qui il choisit entre ce salopard, Mikael et moi. S'il choisit Mikael, je m'inclinerais, après tout, je ne suis que le père adoptif de Georg.
    Il déposa un léger baiser sur le front de Julia. Cette dernière ferma les yeux, ses mains s'accrochant au tee-shirt de son mari, rongée par l'inquiétude de ce qui se passera le lendemain, le surlendemain et les jours à venir. Elle était rongée par la peur que son propre fils ne la juge sur ses actes, ou n'accepte pas le fait d'être né d'un viol.

     

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    A cette simple pensée, Julia tressaillit, et William la serra un peu plus fort contre lui, jouant avec les cheveux platine de la femme de sa vie.
    _ On peut attendre dimanche si tu veux, qu'il passe sa fête d'anniversaire dans l'ignorance et l'innocence. Ça te convient ?
    Julia opina du chef, avant de se redresser, et de regarder William dans les yeux. Un léger sourire s'esquissa sur le visage la femme, que William s'empressa, tout en douceur cependant, de caresser de la pointe de son pouce, collectionnant ces quelques moments volés avec son épouse, loin de leurs enfants.
    _ Enfin, pour l'innocence,on repassera, se mit à rire William en se relevant.
    Il tendit la main à Julia, qui l'accepta, se releva et récupéra l'album photo au sol. Celle-ci sourit d'ailleurs à la remarque du brun, en pensant à tous les déboires qu'elle avait déjà du endurer avec son fils, bien que le plus souvent, ce soit William qui gère ce genre de situation.
    Celui-ci d'ailleurs sortit de la chambre de son fils, laissant à Julia le soin de ranger l'album photo à sa place dans un tiroir de leur chambre, avant de descendre au rez-de-chaussé pour aller se blottir l'un contre l'autre sur le canapé du salon, allumant la télévision pour faire office de fond sonore.

     

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    _ Tu as passé une bonne journée sinon ? Demanda Julia une fois qu'ils furent tous les deux confortablement installés dans le canapé.
    _ Hormis le fait que le boulot m'ait tué, ça s'est plutôt bien passé, d'autant plus que j'ai eu le droit à une après midi de repos après l'enfer de ses six étages. Et toi ? Tu as pu dormir ?
    Julia resta muette à cette question, préférant jouer avec les doigts de son amant plutôt que de répondre sincèrement, car elle savait qu'il allait encore se répandre en excuse dès qu'elle lui aura avoué que son cri à sept heures du matin n'était pas de ceux qui ne réveillent pas, même au contraire. Les voisins aussi ont du l'entendre ce terrible rugissement.
    _ Tu as encore fait le même cauchemar ? Demanda-t-elle en changeant de sujet, tout en répondant de manière subtile à William, même par omission, Julia ne supporte pas le mensonge, il est vrai que vivre entouré par de tels préceptes ne facilitait pas leur acceptation.
    _ Je suis désolé, s'excusa William, de manière tout à fait prévisible. J'aurais souhaité ne pas te réveiller.

     

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    Il marqua une pause, durant laquelle il installa Julia contre lui. Cette dernière s'allongea sur les genoux de son époux, bien calée pour l'écouter, tout en en profitant pour le détailler sans aucun scrupule. Car même après quatorze ans de mariage, elle ne se lassait jamais de voir William, elle ne réalisait pas que cet homme, en face d'elle, qui faisait encore aujourd'hui tourner bien des têtes, était sien, comme le prouvait leurs anneaux. Alors chaque jour, elle en profitait pour prolonger le rêve encore plus longtemps en s'imprégnant de lui le plus possible. Elle était chanceuse, elle le savait.
    _ Oui, répondit-il finalement. Mais cette fois, ça se passait dans une boîte de nuit, deux ans avant le décès de Paul et Claire1. Andy mourrait une nouvelle fois, et devant mes yeux cette fois …
    Julia pris les mains de William dans les siennes, les serrant au plus fort qu'elle le pouvait, quand un son de sonnette de porte d'entrée retentit. Julia se leva alors, laissant William assis dans le canapé pour ouvrir au visiteur, qui se débattait avec la sonnette qui était trop haute pour sa faible hauteur, à savoir un mètre vingt les bras levés.

     

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    _ Bonjour Nate, le salua immédiatement Julia. William s'occupera de la sonnette d'ici samedi, comme ça tu pourras sonner sans te contorsionner.
    _ Merci Ju', mais on a un problème, dit-il en entrant dans l'appartement à grand tour de roues dès que Julia eût dégagée la porte d'entrée.
    Nate Handers s'approcha de son meilleur ami, le visage grave, un paquet de feuilles coincés dans son fauteuil roulant. Ne saluant pas son ami, il s'empara de la documentation, qu'il tendit à William, qui s'empressa de les récupérer, les balayant du regard, son regard s'effarant un peu plus au fil des secondes.
    _ Harry est ….

     

     

     

     

    1Parents de Delphes, Andy et Eliott Thatch. Décédés dans un accident de voiture causé volontairement et dont Harry Mayers est le suspect principal.