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    Quand Sienna ouvrit les yeux ce matin-là, elle eut un instant d’incompréhension. En face d’elle, des murs blancs. Enfin, blanc était un mot un peu trop pur pour la couleur des murs de cette pièce. Et puis, elle se rappela que, trop bourrée pour rentrer chez elle, elle était restée dormir chez Nate et William. Ses deux meilleurs amis, en parfait gentlemen, lui avait laissé la chambre, et elle y avait très bien dormi d’ailleurs. Elle s’assit alors en tailleur, s’étira brièvement et s’assit sur le bord du lit. Sa robe gisait au sol, à côté de ses chaussures et une tache qui ne lui disait rien qui vaille s’y développait.

    Ah oui. Elle avait vomi.

     

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    Elle réprima une grimace. Cette robe était bonne à jeter si ça se trouve, et c’était une de ses préférées. Merde. Elle se leva, évita l’objet purulent et ouvrit en grand l’armoire en face d’elle. C’était la chambre de William, elle trouverait donc quelque chose de simple sans trop avoir à fouiller. Ce qui n’aurait pas été le cas si elle avait dû fouiller dans les affaires de Nate. Elle en tira alors un tee-shirt et un pantalon un peu trop grand pour elle. Elle passa brièvement une main dans ses cheveux, et sortit de la chambre, sans faire de bruit.

     

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    Mais les garçons étaient déjà levés. Nate était dans le salon, un ordinateur sur les genoux, et sur l’ordinateur, tout un tas de chiffres et de tableaux. William était debout dans la cuisine, torse nu, et finissait de faire du café.

    - Salut les gars, dit-elle finalement en sortant franchement de la pièce.

    Nate lui répondit assez brièvement un « salut » digne des plus grandes périodes de concentration de sa vie. William revint vers elle, avec un sourire béat, qui aussitôt migra en rire moqueur.

    - Tu fouilles dans mon armoire ?

    - Je n’allais quand même pas sortir en sous-vêtements, rétorqua-t-elle.

    - Non pas que ça nous dérangerait, lui répondit Nate en levant enfin les yeux avec un air taquin.

     

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    - Eurk. T’as pas mieux à faire que de vouloir me reluquer ?

    - Non, lui répondit aussi Nate avant qu’elle ne lui lance encore une fois qu’il pouvait s’occuper de ses filles, de sa femme et de son bébé à naître.

    Il n’avait pas vraiment envie d’y penser, il avait bien mieux à faire. Il voulait comprendre absolument ce qui lui était arrivé, du moins, à son entreprise. Donc depuis hier soir, il fouillait les relevés de compte de sa compagnie, espérant trouver quoi que ce soit d’étrange. Mais ces lignes de compte étaient interminables, et son cerveau s’épuisait. Il revint à la civilisation quand il vit un café fumant apparaître dans son champ de vision. Il referma son ordinateur, et le posa au sol avant d’accepter la tasse que lui tendait Sienna.

    - Merci.

    - Mais je t’en prie. Tu cherches la fuite ? demanda-t-elle en pointant l’ordinateur au sol.

     

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    Il acquiesça d’un mouvement de tête en prenant une gorgée de la boisson salvatrice. Il serra ensuite la tasse entre ses mains, et regarda son contenu. Il n’osait pas relever la tête et regarder Sienna. Il n’avait pas été très correct avec elle dernièrement. Ni avec William d’ailleurs.

    - Je suis désolé, dit-il finalement sans relever la tête. Pardonnez-moi, tous les deux. Je suis complètement à côté du fauteuil en ce moment, et vous en pâtissez.

    Sienna haussa les épaules, mouvement que Nate perçut. Il releva la tête. Ce n’était pas une attitude comme quoi elle s’en foutait. Elle était bien trop sage et réfléchie pour refuser des excuses sincères. C’était plus un haussement d’épaule type « j’accepte tes excuses, mais franchement, t’avais pas besoin d’en donner ». Ça le fit sourire. William, qui s’était rhabillé entre temps d’un tee-shirt propre, quant à lui, balaya la situation d’un mouvement de la main.

     

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    - Sérieux les gars, engueulez-moi là, finit-il par dire. J’ai l’air ridicule.

    - Pourquoi t’engueuler ? répondit Sienna. Ça ne sert à rien. Tu as compris que tu avais fait une connerie, tu t’es excusé même si franchement t’as des circonstances atténuantes valables, et je suis sûre que tu t’en veux. Pas besoin de remuer le couteau dans la plaie.

    - Comme elle a dit la rouquine.

     

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    William se laissa tomber à côté d’eux. Il se vautra comme à son habitude dans le canapé. Il aurait bien attrapé la manette de la console, mais elle était un peu loin. Et il n’avait pas envie de passer pour le gamin de service en demandant la manette à Sienna.

    - Bon, écoute. Je n’ai vraiment pas apprécié que tu me sortes que ça ne faisait que deux semaines que j’étais plus avec Julia.

    - La même avec tes allusions sur Mathieu, compléta Sienna. C’était déplacé.

    - Et je comprends, poursuivit William. Ça te passe au-dessus du crâne, mais tu n’es pas le seul à vivre des trucs difficiles. On n’a pas la même peine, et puis ça ne se compare pas, mais là, tous les trois, on a plus besoin de se serrer les coudes que de s’engueuler constamment. Et ça vaut pour toi aussi Sien’.

    - Quoi ? rétorqua la rousse après avoir posé sa tasse sur la table basse.

    - Arrête de dire constamment à Nate de retourner vers Marine. S’il n’a pas saisi hier, il ne le saisira pas demain non plus.

    - N’importe quoi ! argua-t-elle.

     

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    Nate la regarda directement dans les yeux, et Sienna comprit assez vite quand elle croisa les yeux sombres de Nate. Il n’était pas fier de son départ de la maison. Il ne savait pas vraiment comment y retourner sans se faire énucléer par son épouse, ni comment accepter la naissance de cet enfant qu’il n’avait pas du tout calculé. Et tout ça, même s’il savait pertinemment que sa place n’était pas ici, mais chez lui, à soutenir Marine dans ces épreuves. Celle où ils risquaient tous les deux de perdre espoir si ce bébé n’était pas viable comme les précédents ; et la menace pesante d’un retour en prison. Quand bien même il était dehors aujourd’hui, son retour derrière les barreaux était inéluctable.

     

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    - Très bien, j’ai saisi, abdiqua Sienna. Il faut donc commencer par attraper ce fils de chien qui vole tes clients en ton nom.

    - Oui, dit Nate. Sinon, je retourne en prison. Il en est hors de question. Je ne veux pas revivre ça, et je ne veux pas leur imposer ça.

    William et Sienna ne relevèrent pas la dernière phrase de Nate. Ils avaient bien compris que Nate ne restait pas ici par gaieté de cœur, même si c’était plus simple de fuir que d’affronter la réalité. La fuite, ça a toujours été la meilleure solution à ses problèmes. Et la fuite, c’était génétique chez les Handers.

    Ses parents avaient fui leur famille californienne pour le Maine, Nate avait fui Andy à l’annonce du décès de ses parents, il avait fui Emilie plutôt que d’accepter les sentiments de sa sex-friend. Et là, de nouveau, il fuyait son futur enfant et ce que tout cela induisait.

    Mais ses problèmes financiers, il préférait les affronter après les avoir laissés derrière lui. Il devait bien commencer quelque part, et les chiffres avaient une logique qu’il pouvait comprendre. Comprendre plus facilement que la logique d’une femme enceinte bafouée.

     

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    - On va t’aider, dit Sienna calmement. Elle en dit quoi ton avocate ?

    - Elle pense que cette personne n’a pas vraiment de grief contre moi. Sinon, elle se serait arrangée pour que je reste en taule, ou que je m’y fasse tuer. Pour le moment, je suis encore en vie, et à moins qu’un tueur à gage m’attende au coin de la rue, il y a peu de chance que je me fasse descendre.

    - Tu nous l’annonces comme ça ?

    Sienna gronda. Comme si on annonçait qu’on risquait de se faire tuer en sortant dans la rue avec un calme aussi olympien que celui dont Nate faisait preuve. Elle pouvait le claquer ?

    - Tu veux que je l’annonce comment ? rétorqua Nate. Sérieux Sienna, tu es la plus intelligente du groupe. Pourquoi à ton avis quelqu’un en aurait après mon argent ?

     

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    - Pour s’acheter une villa ? osa William en entrant dans la conversation.

    Nate se retint de lancer à William que c’est à cause de ce genre de réponse qu’il avait demandé à Sienna de répondre. Cette dernière ne dit rien, réfléchit un instant. Avec l’histoire de la ville où ils vivaient depuis toujours, il n’y avait aucune autre explication que la pègre qui lui venait à l’esprit. C’était ce qu’il y avait de plus évident dès qu’un crime crapuleux avait lieu par ici. Et Nate vit sur le visage de son amie qu’elle avait trouvé la réponse.

    - Voilà, t’as compris. Je te laisse me donner le nom du coupable, tu vas voir, ça va couler de source après.

    - Harry. Mais pourq…

    - PARDON ?! écuma William en se levant d’un coup.

     

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    Ça devenait trop pour lui. Harry était à l’origine de beaucoup trop de choses dans leur entourage, dans le sien tout du moins, et voilà qu’il s’attaquait désormais à ses amis. Ils ne s’en sortiraient donc jamais.

    - Comment tu sais que c’est lui ? demanda William plus posément.

    - Les virements ont commencé il y a quatre ans. Harry est sorti de prison, il y a quatre ans. En plus, Eliott a refusé de me défendre …

    - … et on l’appelle l’Avocat du Diable, compléta Sienna. Il ne pouvait pas défendre ton dossier car il est avec Harry.

    - Non, lâcha le tatoué.

     

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    William fit face à ses amis, la mine plus sérieuse que jamais. Contrairement à ce que certains pensaient, il n’était pas né avec la moitié d’un cerveau. Et il comptait bien le leur rappeler.

    - Si Eliott est avec Harry, il t’aurait pris comme client pour s’assurer que tu restes en taule. Harry aurait accepté. Si Eliott refuse, c’est parce que … bon, là je ne sais pas. Parce qu’il veut t’aider ? c’est lui qui t’a envoyé Chelsea après tout.

    - Chelsea ?

    - Elle a demandé à ce que je l’appelle par son prénom, expliqua Nate. Elle veut être la plus discrète possible, et ne pas qu’on comprenne qu’elle est mon avocate. Le dossier est épineux, elle a besoin d’une marge de manœuvre assez importante. Si on se croise comme des amis, ça a l’air moins étrange si on se fait épier.

    Sienna fit la moue. Elle ne comprenait pas trop la logique, mais après tout pourquoi pas. Si ça marchait, ce n’était pas plus mal. Et à sa tête, Nate se dit qu’elle avait besoin d’un peu plus d’explication.

    - Elle bosse sur ce dossier sur son temps libre. Elle ne peut pas le faire à découvert. Harry a des yeux et des oreilles partout. Donc on fait comme si on avait sympathisé lors de mon passage en prison, et plus si on doit donner l’illusion de plus.

     

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    Ce fut au tour de Sienna de se lever et de faire les cents pas. Elle aurait bien aimé avoir Mathieu avec elle sous le coude en ce moment, il l’aurait aidé à y voir plus clair avec ses années de travail dans la mafia locale. Mais elle allait devoir se débrouiller seule.

    - Bon, de quoi tu as besoin ? demanda Sienna, signant ainsi sa participation à l’entreprise folle de Nate.

    - Mes dossiers. Ils sont dans le bureau, à la maison. Mais je ne peux pas y aller. Ils vont comprendre que j’y vais pour les récupérer, et Marine ne sera pas discrète quand je rentrerai.

    - J’irais les récupérer, finit par dire William.

    - Et moi aussi. Ce sera plus discret si on donne tous les deux une visite de courtoisie à Marine. On ne ressortira pas de là-bas avec des kilos de papier.

    - Merci, répondit Nate. Vous êtes des potes.

     

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    - Non ducon, on est ta famille, siffla William. Rappelle-t’en la prochaine fois que tu décideras de nous insulter.

    - C’est promis.

    - Un message à transmettre à ta dulcinée ? lui dit Sienna avec un sourire tendre.

    - Non. Tout ce que je pourrais te dire sonnera faux à ses oreilles. J’irai m’excuser moi-même, quand tout ça sera fini.

    - Tarde pas trop, lui dit William. Ou tu ne pourras plus faire machine arrière.