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    Elle prit une profonde inspiration en regardant la façade du bâtiment devant elle. Elle entendait déjà les brouhahas à l’intérieur, les rires qui lui faisait dresser le fin duvet de sa nuque, et la musique, trop forte et trop ringarde. Elle serra un peu plus la main qui se trouvait dans la sienne, et elle tourna la tête vers son cavalier.

    Georg regardait Méandre avec un sourire qui se voulait rassurant. Il ne savait pas la moitié des angoisses qui pouvaient bousculer la rouquine à cet instant précis. Elle ne lui avait fait voir que le strict nécessaire pour qu’il comprenne de quoi cette soirée aller retourner : d’une revanche. Pas pour les autres, mais pour elle. Une revanche sur sa vie, et de la reprendre là où elle s’était arrêtée, avant le bal du lycée.

    - Tu sais, il n’est pas encore trop tard pour rebrousser chemin et aller manger des pop-corn devant Outlander, lui dit l’américain.

    Elle tourna la tête vers GK, et ne put s’empêcher de rire devant sa réflexion débile. La veille, il l’avait largement charriée sur cette série. Il n’avait pas compris en quoi cet univers était crédible, et il ne parlait pas des voyages dans le temps ! L’anachronisme le plus violent était quand même de voir un mec du XVIIIe siècle porter autant de respect à sa femme, alors qu’elle faisait clairement des trucs que la décence lui interdisait.

    - Avoue, tu veux savoir la suite, j’ai piqué ta curiosité.

    - Le cul de Jamie a piqué ma curiosité, nuance.

     

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    Méandre explosa de rire. Elle était tellement stressée que la moindre blague débile que pouvait sortir GK la faisait rire. C’était nul et archi nul. Elle lui lâcha la main, essaya de reprendre une respiration normale, passa ses doigts sous ses yeux pour effacer des larmes imaginaires, et elle souffla.

    - Mais ce que je dis tiens toujours. T’as rien à leur prouver.

    - Non, je le sais. Mais je compte bien le faire quand même.

    Elle s’avança vers l’entrée du bâtiment et passa le double battant pour se retrouver dans un immense couloir traversant. De l’autre côté, elle vit sa meilleure amie, dans une robe absolument divine que peu aurait osé pour une simple soirée de retrouvailles d’étudiants dans un lycée de province, en train de discuter avec Grimm. Georg suivit Méandre, un pas derrière elle, et salua Alana et son compagnon. Hormis sur scène, il n’avait pas encore eu l’occasion de les rencontrer, et il était assez impressionné, il fallait le dire.

     

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    - Bonjour ? demanda Alana en regardant le cavalier de sa meilleure amie.

    - Georg, répondit sobrement le jeune homme. Ou GK.

    Il se sentait un peu obligé de préciser, vu que Méandre pouvait l’appeler par son prénom ou ses initiales invariablement. Il tendit la main vers les deux membres des Alive!, attendant qu’on la lui serre. Alana l’ignora royalement, mais Grimm la lui serra chaleureusement.

    - Tu es le collègue de Méandre, dans le magasin de disques, c’est ça ?

    - C’est ça, acquiesça GK, plutôt ravi qu’il ne soit connu que comme ça pour le moment et non comme le petit-ami de Méandre.

    - Enchanté alors, les amis de Méandre sont mes amis. Je m’appelle Grimm, et voici Alana.

    - Oui, je vous ai vu sur scène. Je voulais d’ailleurs vous dire que j’ai adoré votre prestation, et j’espère vraiment ne pas passer pour un fanboy.

    - On n’est pas assez connus pour prétendre avoir des fanboys, donc on ne s’en soucie pas tant que ça, reprit le brun.

    Alana avait ignoré la suite de la conversation pour se focaliser uniquement sur sa meilleure amie. Elle savait très bien, tout comme Grimm, que ce bal du lycée allait être une épreuve pour Méandre. C’est d’ailleurs une des raisons qui les avaient poussés à venir au lycée ce soir-là, pour soutenir la rouquine dans cette épreuve sociale.

    - Ca va aller Min’ ? demanda Grimm en la regardant.

     

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    Méandre serrait ses mains sur sa robe. Elle avait la tête baissée, et ses épaules tremblaient légèrement. Le grand brun s’avança près d’elle, posa une main sur son épaule et essayant d’être le plus rassurant possible. GK, un peu mis de côté, regardait cette scène d’un œil intrigué. Il avait l’impression qu’il y avait comme un terrible secret qui les liait tous les trois, un secret qui passait par Méandre. Mais il ne se sentait pas exclu néanmoins. Il voyait bien que cela ne le concernait pas, et il était plus inquiet de voir Méandre aussi démunie alors qu’il la voyait tous les jours avec un bagou à déraciner les cons.

    - Oui, ça va. Merci les gars. Ne vous occupez pas de moi, je gère.

    Elle releva la tête et, comme si cela eut été un signal, Alana et Grimm s’éloignèrent. Le batteur hocha la tête devant GK, tendit son bras à Alana et ils entrèrent dans la salle de devoir, réaménagée pour l’occasion en salle de bal à l’américaine.

    Georg attendit patiemment sur le côté que Méandre reprenne ses esprits, ce qu’elle fit après quelques secondes, et quand elle s’approcha de lui, il lui tendit son bras, singeant ce que venait de faire Grimm à l’instant. Elle sourit.

     

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    - Merci.

    - Je t’en prie, j’ai toujours rêvé de faire ça.

    - D’attendre les filles ?

    - Non, de proposer mon bras à une jolie femme en robe de soirée.

    - J’espère que tu vas pouvoir t’amuser un peu quand même, reprit Méandre. T’es pas obligé de faire le chevalier servant toute la soirée.

    - Et manquer une leçon de danse ? Je ne sais toujours pas valser, et tu as promis de m’apprendre ce soir. Ne fais pas miroiter des choses comme ça aux américains, ils sont sensibles.

    Elle hocha la tête de haut en bas. C’est vrai qu’elle le lui avait promis. Elle entra donc dans la salle, où quelques anciens élèves se trouvaient déjà, au bras de Georg. Quelques regards se tournèrent vers eux, et elle perçut aussitôt des chuchotements dans leurs voix. Ils parlaient d’elle, c’était sûr. Elle aurait tout fait d’ailleurs pour cacher encore plus son visage derrière ses cheveux si c’était possible. Plus elle s’avançait, plus les chuchotements lui semblaient assourdissants, elle n’entendait même plus la musique. Georg la conduisit sur un côté et s’assit avec elle sur deux chaises qui n’avaient pas encore été prises d’assaut.

     

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    - Ils me regardent, dit Méandre en regardant autour d’elle. Ils parlent de moi, je suis sûre.

    - Peut-être, répondit GK.

    Elle tourna la tête vers lui. Il n’était pas très rassurant sur ce point-là. Elle aurait dû venir avec Samuel, lui il aurait au moins essayé de la faire changer de sujet. Georg répondit alors assez rapidement, pour justifier sa pensée.

    - Non, je veux dire. C’est probable qu’ils parlent de toi : tu viens de rentrer dans la salle, ils ne t’ont pas vue depuis longtemps et donc ils doivent se dire « Oh, tu te souviens, c’est Méandre de Terminale B. Je ne l’aurais pas reconnue avec cette robe-là, elle a drôlement changé ». Puis, quand Edouard Duval rentrera à son tour, ils diront « Non mais attends, c’est Edouard lui ? Ils sont où ses cheveux ?! ». Tu vois ?

    - Oui, je vois, dit-elle avec un léger sourire. Sauf que Edouard Duval est déjà arrivé, c’est celui qui parle avec Alana.

     

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    Elle indiqua de l’index un jeune homme à la peau foncée, vêtu de noir, qui faisait de grands sourires à Alana. Il avait l’air vraiment jovial, du genre le bon copain de tout le monde, et il comprenait pourquoi Méandre disait qu’il était le beau gosse du lycée :  il avait encore la tête du roi du bal de promo, et même plus. Il était carrément séduisant, ce qui fit sourire Méandre. Elle le regardait déjà du temps du lycée, sans s’en lasser, et elle était heureuse de constater qu’il s’était même bonifié avec le temps.

    - Il faisait juste le beau au lycée ? lui demanda Georg sans quitter du regard la discussion entre Alana et Edouard.

    La jeune femme aux cheveux bleus était l’égale d’elle-même, du moins, pour l’idée que GK se faisait d’Alana, à savoir hautaine, condescendante et … Alana quoi. Quant à Edouard, il lui parlait, agitant les mains dans tous les sens, il avait l’air de la féliciter, il ressemblait assez à une mouche tournant autour d’un pot de miel.

    - Oui, il n’avait pas vraiment d’autres caractéristiques pour beaucoup d’autres filles. Mais il était surtout très gentil, il s’entendait bien avec tout le monde. Pourquoi tu dis ça ?

    - Je ne sais pas, Alana a l’air de pas mal le snober là.

    - Elle n’avait pas envie de venir à la base tu sais. Il essaie sûrement de raccrocher les wagons, c’était un gars assez sociable, et Alana et moi avons coupé les ponts avec ceux du lycée quand on est parties faire nos études sur Bordeaux.

    - Des études sur Bordeaux ? Carrément ? Je croyais que vous n’étiez jamais parties d’ici.

     

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    - Alana est toujours inscrite à la fac là-bas, en psycho. Elle suit les cours à distance. J’ai arrêté pour aller travailler afin de nourrir mes frères. Mais on n’a pas renoué avec les gens du lycée quand on est revenues. C’était aussi bien comme ça.

    - Laisse-moi deviner, dit Georg en se tournant vers elle. Vous n’étiez probablement pas les filles populaires du lycée, n’est-ce pas ?

    Méandre le regarda avec un petit sourire avant de lui prendre la main entre les deux siennes. Ce qui était surprenant avec Georg, c’est qu’il ne cherchait pas à savoir quoi que ce soit de son passé, mais qu’il avait toujours la bonne phrase pour lui permettre d’en parler si elle le voulait. Il ne parlait pas de sa vie aux Etats-Unis non plus, c’est sûrement la raison pour laquelle elle se sentait aussi bien en sa compagnie : ils n’essayaient pas de tout savoir l’un de l’autre.

    - Je me demande bien comment tu es arrivé à cette conclusion,  lui dit-elle avec une pointe d’ironie.

    - Et bien, je trouve qu’Alana a un caractère tellement amical qu’il était impossible qu’elle n’ait pas un million et demi d’amis sur cette planète.

    - Bien vu, lui répondit-elle dans un sourire. En effet, on n’était pas dans le club des populaires, mais on s’en moquait un peu. Tant qu’on était là l’une pour l’autre.

    - Tiens, d’ailleurs, je peux te poser une question un peu indiscrète … ?

     

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    La jeune femme le regarda en haussant un sourcil. Elle allait finir par regretter d’avoir pensé de lui qu’il ne se mêlait pas de ce qui ne le regardait pas. Mais elle acquiesça néanmoins. Il pouvait toujours la poser, ça ne lui garantissait pas une réponse.

    - Si j’ai bien suivi, à l’origine c’est toi et Alana Alive!, c’est ça ? Comment ils sont arrivés les trois autres ?

    - Ah !

    Elle rit. Ce n’était pas du tout indiscret comme question.

    - Alive! c’est Alana, Grimm et moi en fait. Alana a rencontré Grimm quand on avait seize ans toutes les deux, et le courant est passé assez vite entre nous trois. Ils ont commencé à sortir ensemble peu de temps après ça. Samuel c’est le meilleur ami de Grimm, donc il a débarqué comme ça, assez naturellement. Pendant plusieurs années, on a été que quatre.

    - Et … Kaoline ? C’est ça ?

    - Oui, c’est ça. Kaoline, c’est digne d’une légende urbaine. Il y a deux ans, une groupie a forcé le passage de la régie son pour pouvoir admirer son « groupe préféré » de plus près, et donc du perchoir son. Elle avait aussi eu des idées de mixages complètement chelou de nos sons, enfin bref. Elle force le perchoir, et se met à passer des samples persos en plein concert ! Alana a adoré de suite, son son, et puis son audace. Et paf, ça fait une tête de plus chez les Alive!.

     

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    Georg écarquilla les yeux tellement c’était improbable. Non seulement elle avait forcé le passage, mais ça avait payé ! Il imaginait bien la tête ébahie de Alana après une telle démonstration de force. Il se disait aussi que c’était sans doute la manière la plus logique de se faire une place à proximité des Alive!. Le groupe était si détonnant qu’il fallait forcément être à moitié perché pour réussir à s’en faire remarquer.

    Il fut assez vite coupé de ses pensées par une ombre qui passa devant eux. Il sentit Méandre qui lui lâchait la main pour se relever, et discuter avec l’ombre. Quand il releva le nez, il remarqua qu’il s’agissait du fameux Edouard Duval. Il se leva à son tour, et fut reçu avec un sourire jovial de la part du jeune homme. Ce dernier reprit sa conversation avec Méandre, visiblement ravi de la voir présente ce soir.