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    Voilà le constat : Marine devait absolument trouver une occupation ou elle allait devenir folle, littéralement barge, et elle tenait à sa santé mentale.

    Cela faisait des semaines que Nate avait disparu. Elle avait beau crier sur tous les toits qu’elle s’en fichait comme d’une guigne, le bébé dans son ventre lui chantait une toute autre chanson. Elle était morte d’inquiétude et elle n’avait aucun moyen de le contacter. Elle avait tout essayé. Téléphone, mail. Elle avait même fini par contacter sa belle-mère, Katia, la mère de Nate, qui ne pouvait pas la supporter pour lui demander si elle avait eu des nouvelles de Nate récemment. C’est pour dire à quel niveau se trouvait son inquiétude.

    Du coup, il fallait qu’elle s’occupe. Elle avait évidemment son travail, sa maison, Jayn. Mais tout ceci restait dans un univers habituel qui ne l’empêchait pas de penser à son déserteur de mari qu’elle avait envie de détester de toute son âme. Elle avait même songer à se mettre au tricot ! Cependant, rien de ce qu’elle pouvait essayer n’arrivait à lui faire penser à autre chose. Elle s’était fait une raison, et peut-être que ce sentiment complet d’impuissance finirait par lui passer un jour.

     

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    Sur le retour du travail, installée au volant de sa voiture, elle remarqua une personne allongée sur un banc. Elle avait l’air mal en point, potentiellement ivre. Ce n’était pas rare de croiser des personnes aussi démunies en ville, cela devenait même de plus en fréquent. Elle ne se serait d’ailleurs pas arrêtée si cette personne n’avait pas les cheveux bleus. Elle pila aussitôt, pied sur le frein et manqua de se faire rentrer dedans par une voiture qui la suivait et qui la doubla en klaxonnant. Elle sortit de sa voiture sans vraiment prendre garde à la circulation, s’approchant de l’homme allongé sur le banc.

    - William ? demanda-t-elle en restant néanmoins à une distance raisonnable.

    Il ne manquerait plus qu’elle hallucine et se fasse agresser par un ivrogne aux cheveux bleus. Elle ne connaissait personne d’autre dans Houlton avec une telle couleur de cheveux, la ville était assez traditionnelle. Il y avait peu de chance que ce ne soit pas son ami.

     

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    L’homme grommela, bougea la tête dans ses bras, la tournant un court instant vers Marine qui n’eut plus aucun doute sur l’identité de l’ivrogne avachi devant elle. Elle s’approcha alors de lui plus vivement, le prit par les épaules pour le secouer en grondant de sa voix d’autorité maternelle.

    - Debout cuve à vin !

    Nouveau grognement de la part de William. Elle lâcha un soupir. Sienna lui avait dit qu’il finirait dans un mauvais état, qu’il avait retouché à l’alcool.

    William avait un problème avec l’alcool qui était de notoriété publique. Il avait commencé à boire il y a plus de vingt ans, pour oublier sa vie chaotique et surtout ses sentiments pour Julia, qui était encore sa sœur aux yeux de tous et de la loi. Il avait fini par devenir sobre après la naissance de Georg, poussé par Julia et n’avait plus touché à une seule goutte d’alcool depuis. Autant dire que la chute était rapide et violente tant la marche était haute.

    - Lève-toi William, s’il te plaît, dit-elle plus calmement.

     

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    Elle s’agenouilla à côté de lui, pour avoir son visage en face du sien. Il laissa échapper une longue respiration, droit sur le nez de Marine, qui inspira des effluves d’alcool et de mauvaise haleine qui rappela ses nausées matinales à son bon souvenir. Elle posa sa main sur son nez et sa bouche, pour essayer de se contenir. Ce n’était pas le moment de dégueuler.

    - Laisse- moi, dit-il finalement.

    - Certainement pas. Je te ramène à la maison. Allez, debout.

    William ouvrit un œil, jaune et vitreux, et regarda Marine. Elle avait le regard droit et décidé, imperturbable. Quand elle avait une idée derrière la tête, bon courage à celui qui voudrait la lui faire changer.

    - Va emmerder Nate, s’il te plaît.

    - Je sais pas où il est, et il m’énerve. Toi au moins, je peux t’emmerder, t’es sous mon nez.

    - T’es chiante.

    - Merci de relever l’évidence. Tu veux bien te lever, mon canapé est plus confortable que ce banc si tu veux mon avis.

     

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    William abdiqua finalement. Il se redressa assis sur ce banc, et Marine se releva. Elle attendit patiemment qu’il se lève. Vu son probable taux d’alcool dans le sang, il valait mieux qu’il y aille à son rythme si elle ne voulait pas qu’il tombe. Elle serait bien incapable de le relever seule.

    William fit preuve de la plus grande concentration qu’il put et il se tint finalement debout devant Marine. Cette dernière lui esquissa un petit sourire encourageant, tendit la main vers lui et celui-ci l’accepta, lui prenant le bras en plus de la main. Ils retournèrent tous les deux à la voiture de Marine. Elle l’aida à s’installer sur le siège passager, et retourna ensuite derrière le volant pour reprendre sa route.

     

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    - C’est Sienna qui t’envoie me sauver ?

    - Je pense qu’elle serait venue d’elle-même te sauver si elle t’avait vu tel un cadavre sur ce banc. Je t’ai vu par hasard.

    - Elle a autre chose à faire, vu que son Matt est de retour dans le coin. Elle va pas perdre du temps avec le clochard du village.

    - Heureusement pour toi, j’ai du temps à perdre vu que Nate m’a larguée.

     

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    William hocha légèrement la tête en silence. Il n’avait pas envie de parler de Nate, tout comme il ne voulait pas non plus parler de Julia. Il ressentait la désertion de Nate comme une attaque personnelle. Il était plus que son meilleur ami, plus que son frère. Il avait l’impression de revivre son départ en France, quand il avait préféré fuir Andy plutôt qu’affronter ses sentiments.

    - Il nous a largué tous les deux, lâcha finalement William.

    - On va pouvoir le haïr en duo et sa tête finira par exploser tellement il aura eu les oreilles qui sifflent.

    Marine se gara après quelques minutes de trajet sur l’emplacement réservée à sa voiture, devant sa maison. Elle coupa le moteur, sortit de la voiture et en fit le tour pour ouvrir la porte à William et lui tendre le bras.

    - Ca va, je tiens debout, dit-il en sortant de la voiture.

     

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    A peine eut-il mis un pied hors de l’habitacle qu’il tangua et s’accrocha au bras de Marine. Elle passa son autre bras sous l’aisselle de William pour l’empêcher de chuter. Il tient debout, mais bien sûr ! Autant que Nate sans son fauteuil. Elle fit un léger pas de côté, William accroché à son bras, et ferma la portière avant de prendre la direction de la maison. Le chemin se fit au ralenti, William n’arrivant pas à lever les pieds assez haut pour ne pas se prendre chaque pierre du dallage dans les orteils.

    Une fois dans la maison, Marine lâcha William sur le canapé et alla aussitôt dans la cuisine mettre une cafetière à couler. Quand elle retourna dans le salon quelques secondes plus tard, William regardait le plafond, dans le vague.

     

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    - Tes cartons sont toujours là. Je les ai rangé dans le débarras. Tu ferais bien d’aller prendre une douche, ce ne serait pas du luxe.

    - Tu me traites de puant ? demanda-t-il en relevant la tête.

    - Tu pues, t’es crade, t’es soûl et tes fringues ont vingt ans. Va te doucher.

    Il ne pouvait pas nier l’évidence. Il ne s’en rendait pas compte, mais il savait très bien, pour l’avoir expérimenté quand Julia attendait Zhoo, que les sens d’une femme enceinte,  notamment l’odorat, étaient décuplés. Il se redressa sur le canapé, et se leva difficilement, essayant de tenir sur ses jambes.

    Marine le regarda, les bras croisés. Elle le jettera dans la douche s’il le faut et s’il est incapable de tenir debout, ça ne lui faisait pas peur. Par contre, elle savait que la fierté de William en avait déjà pris un coup, et qu’il ferait son possible pour pouvoir aller se doucher sans se faire materner. Il prit alors tout son temps pour rejoindre la salle de bain, se tenant aux murs. Marine le suivit, trois pas derrière lui et récupéra un sac de vêtements sur le chemin avant de le déposer dans la salle de bain. Elle lui récupéra des serviettes dans un placard, tandis que William retirait son tee-shirt. Quand elle se tourna vers lui pour les lui tendre, elle écarquilla les yeux un instant, les yeux rivés sur les bras de William, sur les traces violacées dans ses coudes.

     

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    - Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demanda-t-elle.

    William récupéra les serviettes sans rien dire. Il les posa sur une table à côté de la douche, et continua de se déshabiller, comme si elle n’était pas là. Il n’avait pas envie d’en parler. Marine baissa la tête, sortit de la salle de bain et referma la porte derrière elle.

    Elle ne s’était pas attendue à ça, à voir William diminué et marqué. Elle réalisait que l’alcool n’était que la surface visible de l’iceberg qu’étaient les problèmes de William. Elle ne pouvait pas le laisser comme ça, le laisser se détruire par tous les moyens possibles.

    Au moins, elle avait fini par trouver une occupation. Elle aurait préféré se mettre au tricot, c’était bien moins angoissant.

     

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