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    _ Euh, je … ma tante ? Soufflai-je en la regardant.
    Je ne saurais décrire le sentiment qui m'avait envahie à cet instant. A la fois heureuse, mais aussi complètement désemparée, mais en même temps, ça devait être tout à fait normal vu la situation. Pourtant, quelque part au fond de moi, j'étais éperdument triste, je dirais même déçue. Je m'étais attendue à mon oncle sur le pas de cette porte, à sa tignasse rousse, son bon mètre quatre vingt, son sourire chaleureux et son regard rieur. A la place, c'était cette femme, cette Iris avec ses deux enfants, blonds, sans traits communs visibles avec mon oncle. Seulement sa parole, et mon excitation finit par tomber pour laisser place à une amère frustration. Encore une inconnue, toujours pas d'oncle.

     

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    _ Oui ... reprit-elle avant de se faire couper la parole par ma mère.
    _ Bon écoute Iris, j'ai pas très envie de me répéter, mais sors de chez moi. Tu sais très bien que tu n'es pas la bienvenue.
    Je sortis finalement de ma léthargie et me tournai vers ma mère, les poings serrés et hors de moi, prête à sortir de mes gonds pour assassiner tout ce qui pouvait passer sous ma main.

     

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    _ Tu … tu le savais, et tu m'as rien dit ! Pourquoi ?! Tu sais très bien que j'ai besoin de Raise, pourquoi tu m'empêche de le voir ?! Pourquoi tu brûles les lettres qu'il m'envoie ?
    Maman se contenta de me regarder pendant que mes larmes dévalaient sur mes joues. Mes yeux me piquaient, je reniflai bruyamment, mais tout mon être était littéralement en train d'exploser. Je voulais que toute cette haine sorte, que tout ce que j'ai ressenti sur ce qu'elle m'a fait lui arrive en plein dans le visage. Je voulais qu'elle sache à quel point elle m'avait fait souffrir, je voulais qu'elle comprenne que depuis que Raise est sorti de ma vie, je n'ai pas réussi à être heureuse, une seule fois.

     

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    _ J'ai … j'ai eu mes raisons Mélie, je suis ta maman, je ne souhaite que ton bonheur et ta sécurité, rien d'autre.
    Elle n'ajouta rien de plus, et pendant quelques secondes qui me parurent interminables, un silence lourd envahi la pièce, et même la maison. Seuls les rires de deux enfants arrivaient à casser cette monotonie. Puis Iris me tendit un bout de papier, sans un mot.

     

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    Elle se contenta de me sourire, que je pus tout de suite traduire par : « Fais moi confiance ». Et c'est exactement ce que je fis. Je pris le papier, le regardai pour y apercevoir ce qui semblait être une carte de visite avec un numéro de téléphone puis je relevais la tête. Ma « tante » avait attrapé ses enfants dans ses bras et rebroussait chemin. Et accroché à son épaule, l'un des deux garçonnets agita sa main vers moi.
    _ 'Voir madame !!
    Je ne répondis pas, me contentant d'un simple et léger sourire. Maman, qui était également restée silencieuse ferma la porte derrière Iris, alors que je ne cessai de regarder cette carte de visite, la rage montant en moi comme le mercure dans un thermomètre par une journée de canicule.

     

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    _ Tu t'es complètement foutu de ma gueule, soufflais-je à l'intention de ma mère.
    Elle ne releva pas ma réplique, mais je savais qu'elle me regardait, bien que j'eus la tête baissée. Je serrais la carte entre mes mains; avant de lui exploser ma rage à la figure; bien décidée à la faire souffrir comme elle m'a fait souffrir, bien qu'elle soit ma mère.
    _ Mais tu t'es prise pour qui putain ?! T'avais aucunement le droit de m'empêcher de voir Raise ! C'est le frère de papa !! Merde !

     

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    _ Il est dangereux Mélie, qu'est-ce que tu ne comprends pas dans ces mots là ? Il a tué sa mère, a frappé plusieurs personnes sans raison légitime. C'est mon rôle de te protéger ! Et j'étais bien contente de savoir qu'il partait il y a dix ans. Bon débarras !
    _ Parce que tu crois que toi, tu as été une sainte peut-être ? Personne ne fait d'erreur dans la vie ? T'es qu'une égoïste, tu le sais au moins ça ? Et j'ai le droit de connaître ma famille. J'aurais préféré être la fille de Meredith, au moins je sais que j'aurais été aimée à mon juste titre !

     

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    Et sur ces mots, les larmes balayant mon visage, je grimpai dans ma chambre, en insultant ma mère de tous les noms, tandis qu'elle restait debout au milieu de l'entrée, les bras ballants et le visage décomposé. Grand bien lui fasse, elle n'a eu que ce qu'elle méritait.

     

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    Et alors que je passais la porte de ma chambre, je tombais nez à nez avec Emilien. Je l'avais même oublié avec mes histoires, jusqu'à oublier notre presque baiser sur mon lit. Je me sentais affreusement nulle de l'avoir abandonné de la sorte, surtout que ses oreilles ont pu profiter d'un agréable théâtre de boulevard, un véritable vaudeville, les Feux de l'amour version Famille Hart.

     

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    _ Je … je suis désolée que tu aies du entendre tout ça … lui dis-je, honteuse. C'est pas toujours aussi animé à la maison, j'espère que tu me crois.
    _ T'inquiète pas, j'ai rien entendu … Tu veux reprendre où on s'était arrêté avant que tu te déboules au rez-de-chaussée ?

     

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    A ces mots, je ne pus m'empêcher de rougir, puisque le seul truc dont je me rappelle avant de me barrer à toute vitesse, c'est d'avoir manqué d'embrasser Emilien. Je baissai la tête, rouge pivoine, espérant oublier ce passage, et surtout, espérant qu'il ne souhaite pas poursuivre ça …
    _ Je te parle des cartes Mélie, pour aller à Saint Louis.
    _ On en a plus besoin, lui dis-je en ramassant tout ce qui traînait sur mon lit. Mon oncle est à Bloomigton, plus besoin d'aller le chercher à Pétaouchnok. Désolée de t'avoir dérangée pour ça, vraiment.
    _ T'excuses pas, je le faisais avec plaisir.
    Il me contourna avant de se diriger vers la porte, sous mon regard perdu. Il se tourna vers moi, me relevant la tête doucement, pour me regarder dans les yeux, tandis que je me figeais. Il m'adressa un petit sourire.

     

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    _ Je vais rentrer chez moi, et … oublie ce qu'on a failli faire, c'était pas sérieux. Tu penses encore à ton ex, et je crois que je suis pas prêt à avoir de copine, je préfère résoudre mes problèmes avant. J'espère que ça ne t'ennuie pas.
    Médusée, je le regardais. J'étais descendue dix minutes, et j'avais l'impression d'avoir un autre Emilien devant moi, plus adulte, plus sûr de lui. Comme s'il avait eu l'illumination de sa vie. Et je repensai à sa réaction, juste alors qu'il allait m'embrasser, de sa grimace d'incompréhension qui avait balayé son visage en une fraction de seconde, comme s'il avait trouvé quelque chose simplement en me regardant.
    _ Ah euh, non, ça ne m'ennuie pas, au contraire. Mais maintenant que j'ai retrouvé mon oncle, je vais tenir mon autre part du marché, je vais t'aider à retrouver ton père. Comme promis.

     

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    _ Ce n'est plus la peine, je l'ai trouvé. J'ai pas préféré t'en parler, c'est tout. On se voit au lycée demain, d'accord ?
    J'acquiesçai d'un simple hochement de tête, puis il sortit de ma chambre. Je l'entendis s'excuser auprès de ma mère pour le dérangement, et pour les assiettes, et la porte d'entrée claqua derrière lui. Je m'écroulais alors sur mon lit, serrant la carte de visite sur mon cœur, ne sachant pas comment faire suite à ce que je venais de voir, de comprendre.

     

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    Je ne savais même pas comment j'allais me débrouiller pour parler avec lui une fois que je l'aurais au téléphone. Je sais que c'est idiot de penser ça, après tout c'est mon oncle, mais comment je vais bien pouvoir commencer la discussion ? Je suis même presque sûre à deux cents pour cent que je vais perdre tous mes moyens quand je vais entendre sa voix. Je vais tout faire foirer, et il va trouver sa nièce complètement débile, complètement nulle, et que ses gamins sont certainement plus intelligents que moi alors qu'ils portent encore des couches.

     

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    Je regardai la carte de visite, tout en soupirant, puis me levai pour aller la ranger à côté de la photo de Papa. Après tout, si je me triture autant les méninges pour appeler mon oncle, c'est que je ne dois pas me sentir prête pour le revoir. Tout simplement. Je verrais ça une prochaine fois.