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    Je regardai le petit papier que je tenais dans le creux de ma main et qu'il m'avait donné la dernière fois que je l'avais vu. Il m'avait alors rappelé quelle tête de linotte, quel poisson rouge, j'étais et que j'étais capable de me perdre dans ma propre maison. Ce qui du reste, n'est pas complètement faux. La dernière fois, il m'avait accompagné, donc je n'avais pas trop fait attention au chemin, et puis, cela faisait maintenant plus de deux mois que je n'étais pas revenue. Et il avait raison, je m'étais belle et bien perdue, je n'ai pas du tourner à la bonne intersection, et je ne savais plus où j'étais. Je ne suis qu'une imbécile, c'est pas vrai. J'enfonçais ma main dans ma poche arrière pour en sortir mon téléphone portable, et appelait le numéro qui était griffonné sur le papier qu'il m'avait donné.

     

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    Une tonalité. Deux tonalités. Trois tonalités.
    _ Oui, allô ?
    _ C'est Mélie. Devine pas quoi, je me suis perdue.
    _ Je m'en doutais !
    Il se mit à rire à gorge déployée, ce qui ne fit rien faire d'autre que soupirer le plus longuement que je pouvais. Il se calma assez vite, me demandant ce que je voyais de là où j'étais.

     

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    _ Une église, c'est pas mal déjà, non ? Lui dis-je.
    _ Regarde à ta droite, je suis à la fenêtre !
    Je tournai ma tête comme il me l'avait dit, le cherchant à l'une des fenêtres, quand je le vis me faire de grands signes depuis sa fenêtre. Je ne pus m'empêcher d'esquisser un rire devant un tel spectacle. Il m'indiqua la porte qui se trouvait un étage en dessous de lui, et c'est donc ainsi que je m'y dirigeais.

     

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    Je passai la porte, escaladai la volée de marche à la vitesse d'un mollusque puis allait tambouriner à sa porte. Il ne se passa que quelques secondes jusqu'à ce que je vois ses cheveux noirs s'agiter devant mes yeux. Je ne pus m'empêcher de sourire quand je distinguais enfin son visage de statue grecque.

     

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    _ Tu étais chez Raise juste avant, non ?
    _ Exact ! Pourquoi cette question ?
    _ Parce que le trajet que tu viens de faire est exactement le même, à une porte près, que celui que ton père faisait pour aller voir Heaven. Boulette !
    _ Ah, c'est vrai que maman a vécu ici, j'avais presque oublié.
    Il se dégagea pour me permettre d'entrer dans son modeste appartement, et referma la porte à double tour derrière nous. Je m'avançai vers le canapé, où j'y posai mon sac, et finalement m'y assis.

     

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    _ Et au fait, comment va ta mère ?
    _ La baleine se porte comme un charme. Son ventre lui permet de repérer les portes, elle va finir couverte de bleus à ce rythme. Mais elle se déplace encore, donc ça va. J'ai encore quelques semaines de tranquillité, ça va être dur après.
    _ Tu pourras venir squatter ici autant que tu voudras.

     

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    Je le regardai, ma tête balancée sur mon épaule, en haussant un sourcil. Il eut un léger mouvement de recul, se rendant sûrement compte de ce qu'il venait de me dire. Je ramenais mes jambes sous moi, m'installant en tailleur sur son vieux canapé.
    _ Bon, ok, je retire ce que j'ai dit. Je te jure que c'était juste une invitation amicale Mélie, me dit-il en s'asseyant à son tour.
    _ Ne t'inquiète pas pour ça, je me doute bien. Mais je retiens que tu m'as invitée, si jamais le microbe me casse les reins, je viendrais te faire chier. Tu peux compter dessus.

     

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    Je fermai les yeux, inclinant ma tête vers l'arrière, appuyée sur le dossier du canapé. Il y a un peu plus de trois mois, Priam était venu me chercher dans le parc alors que j'étais avec Emilien, pour s'excuser de s'être comporté comme il l'a fait en me trompant avec Olympe. Il avait alors espéré que je lui redonne sa chance, qu'il s'en voulait d'avoir été le premier des imbéciles, des connards je dirais même, mais je ne la lui ai pas donné, il pouvait toujours courir. Alors il était rentré chez lui, de la même façon qu'il était arrivé, mais quand j'ai voulu rejoindre Emilien, c'est celui-ci qui s'était alors enfui à son tour.

     

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    J'ouvris un œil, et le regardai en coin. Il avait les yeux fixés sur l'écran de télévision, et ne s'occupait pas du tout de moi, et j'en profitai pour le regarder sans me gêner. Après tout, ce serait dommage de ne pas en profiter. C'est la même réflexion que j'ai eu il y a deux mois quand il est venu me voir à la maison, complètement changé, pour m'annoncer qu'il avait déménagé dans le centre ville, et qu'il m'invitait à passer le week-end chez lui. J'avais accepté, je ne pouvais pas résister à sa bouille de chiot battu, et voici où nous en sommes.

     

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    Priam et moi. Moi et Priam. Assis dans le canapé chez lui, à regarder la télévision, car aucun de nous n'ose faire le premier pas pour nous sortir de cette histoire ambiguë. On se voit, le plus souvent en public puisque ce n'est que la deuxième fois que je viens ici, on s'amuse comme autrefois, on se cherche un peu, on flirte légèrement, mais on n'a jamais rien réglé. Et ça me ronge de rester dans cette situation. Non pas que je lui pardonne ce qu'il m'a fait, mais c'est la première fois que ce genre de chose m'arrive. Après tout, Priam ne m'a jamais dragué, je n'ai jamais fait de même. Il a juste décidé de m'embrasser, j'y ai répondu, et voilà comment nous sommes sortis ensemble. Cette fois-ci, on s'amuse, on pense à autre chose qu'à nous deux, puisqu'il pense à lui et moi à ma propre personne.

     

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    Il m'a grillé.
    Son visage venait de se tourner vers le mien, et j'ouvris entièrement les yeux cette fois-ci. Il était immobile, ne disait rien, se contentait de me regarder. La télévision continuer de tourner, tel un bourdonnement sonore et je m'empressai de me lever pour aller la couper. Je me tins devant celle-ci, et transperçai Priam de mon regard.

     

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    _ Bon, je ne sais pas, mais fait quelque chose, c'est plutôt oppressant là comme situation, sérieusement.
    _ Pourquoi ce serait à moi de faire quelque chose ? Ce n'est pas moi qui t'ai repoussée et qui doit te pardonner ? Comment tu veux que je fasse quoi que ce soit ?
    Il se leva et fit un pas vers moi. Je continuai de le regarder.

     

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    _Parce que c'est toi qui viens vers moi à chaque fois peut-être ? Tu viens me chercher à la maison, tu me demandes de venir chez toi, tu me donnes rendez-vous au parc … La liste est longue comme ça.
    Je fis un pas en avant, les poings serrés le long de mon corps.
    _ Parce que tu serais venue de toi même peut-être ?
    Nouveau pas en avant de sa part.
    _ Pourquoi pas ?! Tu crois que je suis capable d'aucune volonté ?! Génial !

     

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    J'avançais encore. Je serrais encore. Je parlais plus fort, encore. On allait se disputer, encore.
    _ Pourquoi tu es venue alors si tu penses que je te force ?
    Il avança encore, il était tout près de moi, je sentais son souffle sur mon visage. Je le crispai, je montrais les dents, j'étais énervée de m'énerver contre lui, encore et encore, à croire que l'on ne s'entendra jamais.
    _ Je fais encore ce que je veux merde !
    _ Moi aussi !

     

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    Et sur ces deux mots prononcés avec hargne, il plaqua violemment sa main dans le creux de mon dos pour me coller à son torse. Il fondit avidement sur mon visage avant de m'embrasser à pleine bouche, n'y allant pas de main morte. Sa deuxième main était enserrée sur mon avant bras, dernier maillon pour m'empêcher de m'enfuir, de le frapper. Et comme s'il avait entendu le dernier mot de mes pensées, il avança son genou entre mes jambes, pour m'empêcher de m'en servir pour lui donner mon très célèbre coup de genou dans les parties.

     

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    Surprise, je ne savais plus quoi faire à sa réaction, quoi répondre. Et comme toujours quand je suis perdue dans ce genre de tourbillon émotionnel, mon corps répondit à ma place. Et mes bras s'enroulèrent autour de son cou. Ma bouche se fit encore plus avide sur la sienne. Mes pieds se dressèrent pour me rapprocher encore plus de lui, pour le sentir entièrement contre moi.
    Et comme une invitation à prolonger notre étreinte, il passa sa main sous mon tee-shirt dans mon dos. Poursuivant sur ma lancée, je lui retirai son haut. Il me regarda, j'avais le visage très certainement rouge, ma respiration était haletante, je sentais une goutter de sueur perler sur mon front mais qu'importe. À la place, il me prit dans ses bras, me soulevant du sol et m'aidant à enrouler mes jambes autour de son bassin.

     

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    Il s'approcha du mur contre lequel il m'appuya de la façon la plus douce possible, continuant de m'embrasser. Je n'avais aucune envie que ce moment s'arrête, j'eus espéré qu'il dure le plus longtemps possible, jamais je n'aurais espéré ce genre d'attention de la part d'un garçon … d'un homme. Mes mains se resserrèrent sur son dos, voulant qu'il continue, voulant l'empêcher de prendre la moindre pause qui pourrait me faire changer d'avis. Non, je voulais que tout cela continue indéfiniment.

     

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    Et cependant, il s'arrêta, et me regarda un instant, cherchant à reprendre sa respiration. J'eus un léger mouvement de panique à la moindre idée de ce qui pouvait se passer. Il glissa sa main le long de mon bras pour la loger sur mon cou, qu'il caressa tendrement. Je m'avançais vers lui, l'embrassait furtivement sur le bout des lèvres, et retirai mon tee-shirt aussi, voulant à tout prix qu'il reprenne ce qu'il avait commencé. Je le voulais, je le voulais, je le voulais. Je le voulais plus que tout autre chose. Et je savais que cette pensée était réciproque. Il déboutonna alors mon pantalon, déroula mes jambes de son bassin pour le faire tomber au sol.

     

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    Soudainement, dans cette tenue,je me sentais vulnérable, et je ne pus m'empêcher de rougir comme la lycéenne que j'étais. Je gardai mon regard fixe sur son torse, sa main caressa mon bras et il m'embrassa sur le front.
    _ Tu es sûre ? Me questionna-t-il.
    _ Promets quelque chose …
    _ Ce que tu voudras Mélie …
    _ On ne se cache plus.

     

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    J'appuyai ma demande du regard, et dans une telle situation, dans une telle tenue, il ne pouvait pas me refuser cette requête. Sa main remonta sur la joue, et il m'embrassa tendrement, et me murmura un léger « d'accord » au creux de mon oreille. J'enroulai mes bras autour de lui, pour cueillir cette journée qui nous appartenait pleinement.

     

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    La pluie accompagnait nos souffles saccadés, nos battements de cœur, le bruissement des draps. La pluie lavait tous mes malheurs, toutes mes rancunes, tout ce pourquoi je lui en voulais. Elle rinçait mon cœur de tous ces maux qui me faisaient tant mal, et pour la première fois depuis bien longtemps, j'avais pu dire adieu à mes angoisses.