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    Il venait d'écraser le dernier carton sous ses pieds. Le dernier d'une centaine approximative qui avait trouvé refuge dans cette immense maison de campagne. Plié soigneusement, il trouvera plus tard dans la journée sa place dans le grenier, avec tous les autres.
    _ Zélie ! J'ai déballé mon dernier carton ! Héla-t-il en passant celui-ci sous son bras.
    Il sortit de sa chambre et se dirigea vers la mezzanine de la maison, où il trouva Zélie, installée à son ordinateur, faisant les comptes du ménage. Autour d'elle s'agglutinaient encore quelques cartons rescapés du déménagement. Cela faisait pourtant déjà trois mois qu'ils avaient déménagés d'Albany pour une petite ville à côté de Bloomington, dans l'Illinois.
    _ Zélie ?
    _ Ton père les descendra dans la soirée, pose le contre la rambarde.

     

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    Elle fit pivoter sa chaise de bureau, pour indiquer au jeune homme où poser son chargement, afin que d'autres cartons ne s'empilent et ne créent un capharnaüm. Celui-ci obéit à la femme, posa ainsi donc son carton soigneusement plié avant de revenir vers elle, sans un mot supplémentaire.
    Zélie était très belle, et malgré ses quarante cinq ans déjà bien entamés, elle semblait n'avoir que trente ans. Ses cheveux dorés étaient toujours parfaitement coiffés, le plus souvent de manière relativement sophistiqué. Aujourd'hui, jour de congé, un simple chignon rassemblait sa chevelure blonde pour qu'elle n'entrave pas ses mouvements de maîtresse de maison. Elle était la belle mère du jeune homme depuis trois ans maintenant, du moins, de manière officielle. Cela faisait bien plus longtemps que son père, Alexis, la fréquentait, puisqu'ils ont tout deux donné naissance à une petite fille il y a quatorze ans bientôt : Chloé.
    Xander fit quelques pas vers le tas de carton a ses pieds pour s'assurer que rien de ce qui n'était à lui ne traînait. Et pour cause, cela faisait trois mois qu'il cherchait sa tablette graphique sans être capable de mettre la main dessus. Chloé et son instinct de sauvegarde primaire semble être un coupable idéal à cette disparition, mais il eut préféré encore qu'elle soit dans des cartons. Chloé n'avouera jamais son crime de toute manière.
    _ Xander ? L'appela la belle blonde.
    _ Oui ?

     

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    Il releva la tête vers Zélie, et vit qu'elle avait un petit paquet dans la main, aussi grand qu'un étui à bijou, ce qui sembla une chose tout à fait probable. Le jeune homme s'avança vers sa belle-mère et saisit le paquet dans sa main. Il était léger et un doux tintement se faisait entendre à l'intérieur.
    _ Qu'est-ce que c'est ? Questionna-t-il.
    _ Ton héritage. Alexis voulait te le donner depuis longtemps, mais il l'avait tellement bien ramassé que seul le déménagement l'a aidé à remettre la main dessus. Je l'ai retrouvé tout à l'heure, avec un mot de Sarah.
    Le regard de Xander, interloqué, se posa rapidement sur le paquet et sur Zélie qui lui tendit une lettre. Il tendit la main vers le courrier, qu'il accueillit comme un bien précieux contre lui. D'un simple hochement de tête, il la remercia, avant de tourner les talons jusqu'à sa chambre. Il ferma la porte doucement derrière lui et grimpa sur le lit sur lequel il s'assit en tailleur. De deux présents, il ne savait lequel ouvrir en premier.

     

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    D'abord ce que sa belle mère avait appelé « héritage » ou la lettre de sa mère ? Sarah était sa mère adoptive, la première épouse d'Alexis. Tous deux avaient adopté Xander alors qu'il n'avait que quelques mois à peine, et l'avaient baptisé ainsi en souvenir d'un illustre grand père de Sarah, nommé Alexander. Et comme beaucoup d'enfants adopté, Xander ne sait rien de sa naissance, de ses parents biologiques ou des circonstances qui ont poussé ceux-ci à l'abandonner. Enfin, si. Il connaît un élément de son passé. Son prénom. Parce que durant les premiers mois de sa vie, Xander n'était pas son prénom, Thompson n'était pas son nom. Il s'appelait Spencer. Rien de plus. Il le sait parce que c'est aujourd'hui son deuxième prénom. Xander Spencer Thompson. Et parce que la vie n'est pas rose, alors qu'il avait cinq ans, Sarah succomba à une forme rare de leucémie, laissant Alexis et Xander seuls au monde. Et pour le petit Xander, une boucle infernale sembla se poursuivre.
    Il déchira alors le haut de l'enveloppe d'une main tremblante mais encore vive par l'impatience, pour y lire la lettre de sa mère. Une lettre manuscrite. Pas très longue. Mais suffisante pour que des larmes pointent au coin des yeux du jeune homme.

     

    « Mon Xander,
    Tu dois avoir pas très loin de quatorze ans si tu lis cette lettre. Sauf si ton père a oublié notre accord, ou s'il a oublié la boîte et la lettre dans le fond d'une caisse dans le fond du grenier de la maison. Et il y a de fortes chances que ce soit le cas. Je n'ose pas imaginer ton âge dans une telle situation.
    Cette petite boite, si tu ne l'as pas encore ouverte, contient un petit objet, grand comme une phalange qui nous a été confié lors de ton adoption. La responsable des adoptions nous l'avait donné dans la même boite que celle où il se trouve – sauf si ton père a encore fait des siennes. Il a appartenu à ton père biologique, Spencer, celui dont tu portes le prénom. On ne sait rien de lui, malheureusement. Ce petit pendentif t'a été confié pour que tu saches que tes parents s'aimaient, et que ton abandon n'était pas un choix facile à faire. C'est ce qu'elle m'a dit. Et je voulais que tu le saches. J'espère qu'il saura te rassurer, et te faire grandir, comme un arbre qui a besoin de ses racines profondes pour viser le ciel.
    Je t'aime mon Xander, maintenant et à jamais.
    Maman »

     

    Il laissa la lettre lui glisser entre les doigts pour se poser, flottant, et tout en douceur sur le couvre lit. Les doigts fébriles du jeune homme cherchèrent à tâtons le petit paquet qui se trouvait juste en face de lui. Il le sentit sous sa paume, referma ses doigts autour et l'approcha de son visage pour l'examiner, avant de retirer le papier qui le protégeait. C'était bien un écrin à bijou. Il était vert sombre, avec un liseré doré entre les deux parties de l'écrin. Il le retournera et vit en dessous l'adresse d'une bijouterie inscrite en lettres dorées également, mais patinée et effacée en partie, ce qui la rendait illisible, sauf pour le dernier mot : Maine. Et finalement, il l'ouvrit, après avoir prit une profonde inspiration. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, et en d'autres circonstances, il en aurait paniqué. Mais à cet instant, il savait que son cœur avait besoin de battre aussi fort, et que rien ne pourrait l'arrêter. Posé sur un tissu de coton blanc et brillant, une petite croix en argent, pas plus grande qu'une phalange, attendait patiemment depuis près de vingt ans que quelqu'un vienne la sortir de sa prison. Elle était simple, ciselée de noire avec, au croisement des deux bras, une petite pierre rouge. Sans doute sans valeur, mais elle brillait quand bien même. Il saisit le pendentif entre ses doigts, délicatement, et vit qu'il était rattaché à une chaîne, prêt à embellir le cou de son destinataire. Xander posa alors l'écrin sur son lit, et fit courir ses doigts sur sa nuque, pour décrocher l'actuelle chaîne qui y était logée. Une breloque de vacances que lui avait offert Charlie l'été dernier. Il échangea les deux bijoux et installa la croix au creux de ses clavicules, où elle se logea sans le moindre effort. Xander ferma ensuite l'écrin pour aller le poser dans sa bibliothèque, et glissa la lettre entre deux livres.

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    Alors qu'il allait sortir de la chambre, il s'arrêta devant le miroir qui se trouvait à côté de sa porte, et croisa le regard d'un jeune homme, les cheveux de jais et les yeux d'un vert intense. Et soudain, cet individu lui semblait moins improbable avec ce collier autour du cou. Il devenait cohérent, il prenait forme. Il avait des origines, tout simplement, et un fragment de son passé qu'il pouvait afficher, et que lui seul pourrait revendiquer. Pour la première fois depuis bien longtemps, le reflet que lui renvoyait le miroir lui plaisait.
    Il attrapa ses papiers, les enfonça vivement dans la poche arrière de son jean et sortit de sa chambre. Ses pas le conduisirent directement au rez-de-chaussé, où il trouva son père, assis dans la cuisine, un journal dans les mains.

     

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    _ Je peux prendre ta voiture cette après-midi ? Questionna-t-il en attrapant les clés dudit véhicule dans le vide poche accroché à côté de la porte de la cuisine.
    _ Tu vas en ville ?
    _ Je dois retrouver Emilien et ses amis, oui. Je rentre pas trop tard, s'il te plait.
    _ Je n'y vois aucun problème. Tu as proposé à Chloé de sortir avec toi ? Ça lui ferait du bien de prendre l'air …
    Xander se renfrogna immédiatement, peu enthousiaste à l'idée de jouer les baby sitters cette après midi là, alors que Emilien allait lui présenter ses amis de Bloomington. Pour une fois qu'il avait l'occasion de rencontrer du monde, il voulait mettre toutes les chances de son côté, et ce n'est pas avec Chloé qu'il allait y arriver.

     

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    _ Une prochaine fois plutôt, modéra le jeune homme. Elle va s'ennuyer, on va juste rester à discuter dans un café, et on a tous au moins vingt ans alors …
    _ J'ai compris, sourit Alexis en refermant le journal. Tu peux y aller, mais ne rentre pas trop tard s'il te plaît, le nouveau locataire vient dîner ce soir.
    _ Le nouveau locataire ? Comment ça ? Je savais pas qu'on avait un nouveau locataire ...
    _ Le petit studio de Zélie en centre ville, tu te rappelles ?
    _ Ouais, celui pour lequel je t'avais supplié de me le laisser pour rejoindre mes potes, bougonna Xander. Bon, ok, je rentre pour manger. A ce soir.

     

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    Sans laisser la politesse à son paternel de lui souhaiter une bonne journée, il s'engouffra dans le garage de la maison et s'installa au volant de la petite voiture grise d'Alexis. Il fit ronronner le moteur quelques instants avant de faire marche arrière pour sortir du garage, et il fila sur les routes jusqu'à Bloomington, à vingt minutes de là, afin d'y retrouver ses amis.