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    (33)A plusieurs rues de là, dans un bâtiment ancien, terni par les ans, la pollution, un homme blond faisait les cents pas sur son tapis. Celui-ci commençait à ressentir le passage du temps bien qu’il

     

    A plusieurs rues de là, dans un bâtiment ancien, terni par les ans, la pollution, un homme blond faisait les cents pas sur son tapis. Celui-ci commençait à ressentir le passage du temps bien qu’il ne soit installé dans cette pièce que depuis cinq ou six ans. Mais tout comme les cheveux de cet homme, ce tapis blanchissait à certains endroits, et accumulait les tracas qu’il ne pouvait pas garder sur ses épaules.
    Eliott Thatch attendait depuis plusieurs heures son rendez-vous important de la journée. Etait-il en retard ? Bien sûr que non, l’homme avait au moins une bonne demi-heure devant lui. Mais il lui était impossible d’ouvrir un dossier et de travailler dessus. Sa concentration s’enfuyait presque instantanément. Il devait faire passer ce rendez-vous avant toute chose, même s’il doit passer sa soirée et sa nuit à terminer sa pile de dossier pour le lendemain.

     

    (33)A plusieurs rues de là, dans un bâtiment ancien, terni par les ans, la pollution, un homme blond faisait les cents pas sur son tapis. Celui-ci commençait à ressentir le passage du temps bien qu’il

     

    La porte de son bureau s’entrouvrit et une femme entra. Elle était brune, ses longs cheveux attachés en un chignon élégant. Son tailleur droit soulignait une certaine rigidité exigée par ce cabinet d’avocat d’élite. Eliott ne broncha pas, continuant de tourner, mains dans le dos. Elle s’avança alors de quelques pas, et tendit la main vers lui.
    _ Eliott, ton rendez-vous est arrivé, dit-elle doucement, de peur de le réveiller comme s’il était somnambule.
    Il sursauta subtilement et tourna son visage crispé et quelque peu paniqué vers la jeune femme. Une sueur froide lui coula le long du dos à l’idée de revoir Harry Mayers. Cet homme le faisait trembler de la tête aux pieds littéralement, et ce depuis son enfance. Mais il n’avait pas eu le choix. S’il l’avait eu, bien sûr qu’il ne l’aurait jamais accepté comme client.
    Il se contenta d’un simple hochement de tête en direction de la jeune femme pour lui donner accord. Elle ressortit aussi vite qu’elle était rentrée, une vague d’inquiétude sur le visage. Elle descendit vers l’accueil du bâtiment pour indiquer aux clients d’Eliott qu’ils pouvaient le rejoindre dans son bureau sans attendre, et qu’ils étaient attendus avec impatience. Tout cela en souriant bien évidemment, il n’est pas nécessaire de leur faire comprendre, surtout involontairement, qu’on préférerait qu’ils aillent trouver leur bonheur ailleurs.

     

     

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    Harry Mayers et la femme qui l’accompagnait montèrent ainsi au premier étage et tournèrent sur la droite une fois en haut des escaliers, pour se diriger vers le cabinet qui se trouvait tout au fond du couloir. Harry Mayers ne prit même pas la peine de frapper pour s’annoncer et se contenta d’ouvrir la porte.
    _ Maître Thatch ! Je suis bien heureux de vous revoir enfin, on a tellement de choses à voir.
    _ Monsieur Mayers, Madame Anderson, je suis ravi de vous revoir également.
    Eliott ne tournait plus en rond depuis le départ de sa collègue, mais s’était installé devant son bureau, face à une montagne de dossiers, voulant paraître le plus naturel possible. De même, il avait accroché un sourire sur ses lèvres, qui pouvait passer pour sincère pour beaucoup de monde, dont cet homme et sa compagne.

     

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    _ Je vous en prie, installez-vous, leur dit-il en indiquant les canapés qui entouraient le tapis blanchi par ses inquiétudes.
    Ils ne se firent pas prier plus longtemps et s’assirent côte à côte, laissant à Eliott sa place habituelle sur le canapé deux places. La femme sortit un dossier de sa sacoche de cuir pour le poser sur la table basse, et regarda Eliott d’un regard entendu.
    _ Bien évidemment, toute fuite de votre part, Maître, et vous savez très bien ce qui vous arrivera, n’est-ce pas.
    _ Bien évidemment, répéta-t-il en la regardant et en prenant le dossier entre ses mains.
    Il l’ouvrit sur plusieurs fiches de détenus, photos, biographies et crimes inclus. Au total, douze personnes figuraient dans ce dossier. Il les regarda quelques instants avant de refermer le dossier et de le reposer sur la table.

     

     

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    _ Combien de temps ? demanda Harry en croisant les jambes, son regard soutenant celui du jeune avocat.
    _ Quelques mois, je peux forcer le passage, mais je ne suis pas juge Monsieur Mayers. Je ne peux pas faire de miracles, osa-t-il tout de même dire.
    _ Nous vous donnons deux mois pour ces douze-ci, indiqua la femme, ferme. Au-delà, votre charmante épouse se retrouvera avec une oreille en moins, si nous sommes cléments bien sûr.
    Eliott serra les poings en retenant une grimace de dégout et d’horreur. Il ne voulait pas leur faire ce plaisir. Il se contenta de hocher la tête en signe d’approbation et chercha à se détendre en basculant son dos vers le dossier du canapé, croisant les bras.

     

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    _ Puis-je autre chose pour vous ? demanda-t-il en simple politesse, ne pensant pas qu’ils puissent lui demander autre chose, il aurait bien assez de travail comme ça.
    _ Comme vous nous le proposez ci gentiment, ce serait mal avisé de refuser, n’est-ce pas Brooke ? dit Harry en sortant un deuxième dossier de la sacoche.
    Un dossier cartonné vert, usé sur les bords et renforcé sur la tranche. Eliott le connaissait extrêmement bien ce dossier, il avait atterri plusieurs fois sur son bureau, sans qu’il ne puisse rien faire. De sa main fébrile, il l’attrapa, et l’ouvrit. Il remarqua un nouveau document au dessus des autres. Une analyse ADN.

    _ Comment avez-vous obtenu son accord ? questionna Eliott.
    _ Il n’a jamais été question d’avoir l’accord de qui que ce soit, « Maître ». J’ai la dernière preuve que vous demandiez, j’espère que vous mènerez ce dossier à terme.
    _ Vous savez que ça ne vous mènera à rien ? Quand le dossier sera bouclé et solide, il aura plus de vingt et un ans. Cela ne changera rien.
    _ Pour l’instant, Georg-Kaitlin n’a pas vingt et un ans, Eliott, dit-il en laissant tomber les courtoisies. Et tu as intérêt à me trouver une solution pour que mon fils intègre mon foyer, où est sa vraie place. Je ne veux pas de William comme héritier et reconnaître Georg-Kaitlin est essentiel. Suis-je assez clair ou dois-je aussi lui couper le nez pour que ça rentre dans ta charmante tête gominée ?
    _ Tout … tout est clair, dit finalement Eliott. Je vais m’occuper de tout ceci dans l’immédiat, Monsieur Mayers, Madame Anderson.
    _ Merci, Maître.

     

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    Harry se releva, suivit par Brooke. Il tendit la main vers Eliott. Celui-ci la regarda quelques instants, puis à son tour, il se leva et la lui serra le plus chaleureusement qu’il put. A son tour, Brooke fit de même et Eliott lui répondit de la même mécanique. Plus que quelques secondes, et à nouveau il serait seul, il pourra à nouveau faire les cents pas.
    Brooke récupéra sa sacoche, et rassembla correctement les deux dossiers sur la table basse. Elle adressa un sourire à Eliott avant de sortir de la pièce, Harry sur les talons. A peine ce dernier eu-t-il franchi la porte qu’Eliott s’empressa de la fermer à clé.

     

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    Il se tourna vers son bureau et attrapa le tableau qui se trouvait sur sa gauche pour l’envoyer violement contre le sol en hurlant à pleins poumons. Son visage vira rouge de colère, de peur, d’incompréhension tandis que des larmes commençaient à courir sur ses joues. Il avait l’impression que le monde s’abattait sur lui jour après jour, depuis sa plus tendre enfance, et ce monde en question n’était constitué que d’un seul et même homme. Il tenta tant bien que mal de se calmer avant de se rasseoir et d’attraper le dossier aux douze visages. Il tourna les feuillets quand il s’arrêta sur l’un d’entre eux. Il le connaissait. La peau extrêmement claire, les yeux gris clair et de longs cheveux noirs qui lui balayaient le visage. Des cicatrices et une aura de leader. Il regarda aussitôt son nom : Thomas Sacks. Celui-là même qui l’avait séquestré, torturé et qui avait proposé de le vendre en pièce détaché au marché noir. Celui qui avait ordonné son élimination. Celui que Liane essayait de convaincre sous le bureau pour négocier sa libération. Incarcéré pour homicide, quinze ans. La sentence était tombé il y a huit ans. Eliott tourna d’autres pages. Toujours le même profil, toujours des tueurs, des dealers, des kidnappeurs. Et tous portaient la même mention, mention qui allait lui poser de nombreux problèmes. En bas de chaque page, sur les pointillés qui suivaient la mention « Autre » se trouvaient en lettres capitales : « Harry Mayers ». Comment allait-il s’en sortir ? 1

     

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    Il lâcha les feuilles qui tombèrent une à une au sol, et se cacha le visage dans ses mains. Cette fois-ci, c’était le gang au grand complet qu’il souhaitait libérer. C’était impossible, n’importe qui allait se rendre compte de la supercherie. L’avocat de Mayers qui devient l’avocat du gang au complet, cela allait sauter aux yeux des policiers qui étaient actuellement penchés sur l’affaire, et ce depuis quatre ans.
    Et il lui restait ce deuxième dossier. Celui qu’il connaissait par cœur, il n’avait même pas besoin de le lire, chaque phrase, chaque mot était gravé dans sa mémoire. La reconnaissance de la paternité de Harry Mayers pour Georg-Kaitlin Mayers. Fils naturel de cet homme, élevé par son fils et sa fille adoptive comme étant le leur. Il souhaitait récupérer ses droits sur « l’enfant », tant qu’il était encore mineur, pour ensuite avoir droit à différentes clauses et compensations financières suite au retrait de son fils de ses droits parentaux. Tout ça pour du fric, même s’il faisait croire à tout le monde qu’il voulait donner à ce deuxième fils une chance que n’a pas eu le premier. Et cet argent lui était absolument nécessaire. Pas d’argent, et pas de business. Il pouvait dire adieu à ses petites affaires.
    Eliott lâcha un profond soupire de lassitude.

     

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    Il rassembla les dossiers et s’entreprit de les ranger rapidement pour que personne ne tombe dessus. Il ne fallait pas que cela se sache, il ne fallait pas qu’elle le sache. Elle était étrangère à tout ça, et elle n’avait pas besoin de s’inquiéter, encore moins en ce moment. Et il devait faire vite, aussi vite qu’il pouvait. Il ne peut pas se permettre de prendre son temps.
    Alors qu’il rangeait les dossiers dans un meuble sous clé, quelqu’un toqua à la porte. Il alla la déverrouiller instantanément et commença à ranger les morceaux de tableau qui jonchait le sol.
    _ C’est ouvert, annonça-t-il.
    La porte s’ouvrit sur une jeune femme, un peu plus jeune que lui. Ses cheveux bruns coupés courts lui encadraient le visage et elle esquissa un sourire en le voyant, sourire qui se fana vite en voyant le désordre. Elle se baissa alors pour aider Eliott, espérant que le petit rangement aller se terminer vite.
    _ Faith, je m’en sors très bien tu sais …

     

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    _ Je sais, mais j’allais pas te regarder faire. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
    _ Trois fois rien, j’ai glissé sur ce vieux tapis moisi, j’ai voulu me rattraper à ce que je pouvais, et je n’ai trouvé que ce tableau. Et voilà le résultat.
    _ Je vais devoir t’en retrouver un, tu me donnes du travail là.
    Ils se redressèrent tous les deux en même temps. Eliott lui sourit distraitement tandis qu’elle affichait un sourire long de trois kilomètres sur ses joues. Elle lui prit les mains et les lui serra aussi fort qu’elle put.

     

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    _ Allez, je peux plus attendre. Eliott, on va avoir une petite fille !
    Le sourire d’Eliott n’atteint pas ses yeux qui restèrent vides, mais envahie par l’euphorie, Faith ne le remarqua pas. A la place, elle se rapprocha de lui pour le serrer dans ses bras.

     

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    Il devait faire vite … très vite.

     

     

    1 - Pour ceux qui n'ont pas lu Paragraphes, ou qui ne s'en rappellent pas, un petit lien utile pour rencontrer une partie de la clique de Harry.