-
▪ 35 ▪
Le soleil perçait au travers des rideaux de la petite chambre sous pente. Le jeune homme s’éveillait doucement, un rayon s’amusant à courir sur son visage encore ensommeillé. Une petite grimace suivi d’un léger étirement suffit à finir de le réveiller. Son regard fixa le plafond en face de lui où miroitaient deux yeux bleus qu’il n’avait pas réussi à oublier depuis qu’ils les avaient vus il y a de ça quelques jours déjà. Et pourtant le reste de son visage avait disparu. Ne restaient que ses yeux bleus et son prénom : Kellan. Il se demandait d’ailleurs comment il avait pu réussir à oublier le reste du visage du nouveau locataire de ses parents, après tout, ils avaient partagé un repas tous ensemble ce soir là. Mais peut-être était-ce autre chose qui l’avait gêné. Cette attirance qu’il avait clairement ressentie mais qu’il trouvait totalement ... anormale.
Il se redressa légèrement dans son lit pour jeter un regard à la pièce, mais quelque chose entravait ses mouvements. Un poids sur sa poitrine. Il baissa les yeux et se rappela. Il se rappela de la nuit dernière, et de ce qu’il s’était passé. Ce qui n’aurait pas du se passer. Il avait pourtant dit à son meilleur ami qu’il laissait tout ça derrière lui. Mais elle était arrivée plutôt que prévu, avait battu des cils devant lui, s’était rapprochée … et il n’avait pas pu résister quand elle avait posé ses lèvres sur les siennes. Comme il pouvait être faible face à la tentation de la chair ! Il s’était pourtant décidé à tout lui expliquer, à lui parler … pour la millième fois. C’était un peu comme un jeu, parfois lassant, où la séparation se produisait, qu’elle le soulageait d’un poids avant qu’elle ne revienne une autrefois, demandant une autre chance, qu’elle se rattrapera. Comment lui résister quand elle lui fait du charme ? Et cette fois-ci, il n’avait même pas été question de se quereller. Peut-être avait-elle anticipé et sauté à la case réconciliation sur l’oreiller ? N’était-elle plus dupe des manigances de celui qu’elle présente encore comme son petit-ami, son meilleur ami, l’homme de sa vie …
Il tourna la tête pour la regarder, il passa même sa main gauche dans ses cheveux, jouant avec doucement. Il s’en voulait presque de réagir comme ça quand elle était endormie. Elle était une toute autre personne, il avait peut-être tort d’agir comme il le faisait, se disait-il. Elle ne pouvait pas être si terrible que ça, c’est peut-être à ça que ressemble une relation normale, c’est peut-être lui qui n’est pas normal de ne pas comprendre.
Son regard fila sur les dessins qui parcouraient le corps de Charlie, se souvenant de chacun. Adolescente, elle ne possédait qu’une étoile sur l’avant bras droit, tout le reste était apparu au cours de leur relation et Xander avait été présent à chacune de leur naissance. C’était son devoir de petit ami d’être présent quand Charlie avait besoin de soutien. Il sait qu’il n’oubliera jamais le visage humain de la jeune femme quand elle se retrouvait en position de faiblesse, après tout, elle aussi est vulnérable. Ce n’est pas une méchante sorcière, ce n’est pas un monstre. Elle est normale, c’est lui qui est bizarre, qui ne la comprend pas, qui ne la soutient pas assez, qui n’est pas un bon compagnon.
Elle commença à bouger, et Xander, pour éviter une confrontation trop matinale, préféra se tourner doucement sur le côté opposé, voulant lui faire croire qu’il dormait encore. Il n’avait pas le courage de lui parler ce matin.
Finalement, la jeune femme se réveilla et s’assit en tailleur, toujours sous les couvertures. Xander mimait tant bien que mal le sommeil du juste, un bras replié sous sa tête. Charlie s’étira et chercha l’heure du regard, surprise d’être réveillée aussi tôt alors qu’ils s’étaient couchés tard. A peine sept heures. Elle soupira longuement. Connaissant la maisonnée, les parents de Xander, Zélie et Alexis, ainsi que sa sœur Chloé, ne serait pas réveillés avant une bonne heure, c’est le weekend après tout. Doucement, elle se pencha au dessus de Xander, voulant tenter de le réveiller sans qu’il ne croit que ce soit de sa faute à elle, mais rien n’y faisait, il continuait de dormir. C’est boudeuse qu’elle posa alors ses deux pieds au sol, voulant trouver une occupation pour l’heure qui promettait d’être longue. Elle était dans une chambre de garçon, elle allait sûrement trouver quelque chose, ne serait-ce qu’un magazine porno, après tout, c’est de son âge, et elle, ça l’amuserait. Mais rien de tout ça dans son périmètre proche, elle se rabattit alors sur la bibliothèque en face d’elle, qui regorgeait de livres universitaires, sur le droit. Barbant, mais au moins, elle pourrait tourner des pages pour s’occuper.
Xander perçut le mouvement de la jeune femme et se douta qu’elle fouillait dans sa chambre, à la recherche de il-ne-sait-quoi. De peur qu’elle ne trouve quelque chose qui risquait de faire exploserune dispute matinale, il commença à se mouvoir pour signaler à Charlie qu’il était réveillé. Elle posa alors le livre qu’elle avait dans la main et se tourna vers Xander qui s’asseyait sur le lit.
_ Eh eh ! Salut toi ! lui lança-t-elle joyeusement. Je t’ai réveillé ? Je suis désolée, je cherchais de quoi m’occuper …
_ Salut, répondit très sobrement Xander. Non, je me suis réveillé seul.
Sujet-verbe-complément était une devise que Xander aimait suivre au bout de la lettre, pas très friand des phrases à rallonge. Il a toujours trouvé ça inutile et ridicule de trop en dire dans ces phrases, il allait à l’essentiel. Sauf avec Emilien, c’était plus facile de s’épancher avec lui, où quand il était contrarié. Mais avec Charlie, ça n’a guère été plus que des phrases simples. Et comme d’habitude, elle prit la mouche, n’aimant guère la rudesse de Xander.
_ Tu pourrais y mettre un peu plus d’entrain, bouda-t-elle. J’ai l’air de te faire chier, ce n’est pas l’impression que tu m’as donné hier soir.
_ Parler n’était pas utile hier soir, dit-il finalement après quelques secondes de silence.
Charlie se rembrunit et fronça les sourcils. Elle n’aimait vraiment pas quand il lui répondait de cette manière tel un homme sortit tout droit du Moyen-Age. Elle avait l’impression d’avoir à faire à un homme sans sentiment.
_ Si tu n’as pas envie de parler, tu n’as qu’à me sauter dessus !
Et voilà, c’était parti, elle boudait. Elle avait détourné son visage de celui de Xander et se mordait la lèvre inférieure. La voir ainsi n’allait pas aider le jeune homme dans ses objectifs de la quitter. Il n’aime pas voir les autres dans l’embarras, encore plus si c’est par sa faute, encore plus si c’est elle. Alors, pour une énième fois, il s’excusera et lui promettra de faire un peu plus d’effort pour que leur couple fonctionne, parce que il n’y a rien qui devrait l’en empêcher. Après tout, ils s’entendaient plutôt bien, avaient les mêmes intérêts pour les arts graphiques même s’ils n’aimaient pas les mêmes artistes, ils avaient grandis dans la même ville, avaient parfois les mêmes délires, et même physiquement ils étaient compatibles. Pourquoi alors ça ne marcherait pas entre eux ? Tout était là pour que ça dure, leur problème, c’était lui, se disait-il à longueur de temps. Lui qui ne se sentait pas à sa place, qui avait l’impression de vivre l’histoire de quelqu’un d’autre. Pensait-il peut-être ne pas avoir mérité qu’une fille comme Charlie ne s’intéresse à lui et l’aime ? Alors il devait faire en sorte de la mériter, il devait faire des efforts.
_ Excuse moi Charlie, finit-il par lui souffler en la regardant. Je ne pensais pas te vexer.
_ Pas me vexer ? Alors que tu me dis clairement que ça sert à rien de parler avec moi et que me sauter ça te suffit, comment veux-tu que je ne sois pas vexée ?
Xander lâcha un profond soupir intérieur. Comme s’il avait vraiment envie de parler de ça avec elle ce matin. Il essaya pourtant d’accrocher son regard en baissant un peu la tête pour essayer de croiser ses yeux aux teintes dorées, et elle mordit à l’hameçon.
_ Je suis vraiment désolé. Ce n’est pas ce que j’entendais par ça. Tu me connais. Je ne parle pas. Peu. Ca ne veut pas dire que je ne t’aime pas.
Elle redressa un peu la tête à l’écoute de ce « je t’aime » dissimulé qu’elle comprit et que Xander avait su habilement placer sans le lui dire clairement. Il n’a jamais voulu lui dire ces trois mots, il ne les pensait pas encore destinés à Charlie. Il s’arrangeait juste pour qu’elle le croit.
_ Pourquoi tu m’as dit ça alors ? reprit-elle, toujours un peu hargneuse mais un peu plus apaisée.
_ Car tu me comprends sans que je te parle. Même si tu penses le contraire.
Charlie lui sourit, et voilà, le tour était joué. Il lui avait rappelé à quel point elle pouvait être importante pour lui et la dispute s’achèvera de cette manière, enfin presque, car il ne fallait pas oublier le détail important qui clôt chaque dispute : les charmes de la demoiselle.
Charlie se pencha alors vers Xander, à genoux sur le lit, et passa ses bras autour du coup de son petit-ami. Il ferma aussitôt les yeux, cherchant mentalement un moyen de passer à côté de cette nouvelle réconciliation qu’il n’avait pas envie de terminer de cette manière, enfin, pas vraiment envie. Mais comme il était faible face à elle, il posa malgré tout ses mains dans le dos de Charlie, les passant sous son haut, tandis qu’elle l’embrassait doucement en se rapprochant encore plus de lui. Et alors qu’il s’apprêtait à retourner sous les couvertures avec la jeune femme, une sonnerie de téléphone retentit. Si Charlie en faisait fi, Xander reconnut celle de son téléphone portable et repoussa doucement la jeune femme pour aller décrocher.
_ Allô ?
Charlie s’était assise en tailleurs sur le lit, affichant très clairement sa mine des mauvais jour. Non, elle n’aimait pas être contrariée, encore moins dérangée quand elle voulait un peu d’intimité avec Xander. Celui-ci par contre, était étrangement soulagé d’avoir été sauvé par le gong mais il se gardait bien de le lui montrer.
_ C’est Rob, entendit-il de l’autre côté du téléphone. Je te dérange ?
_ Non. Un problème ?
Ce que Xander aimait avec Rob Taylor, c’est qu’il faisait partie lui aussi du club des utilisateurs du sujet-verbe-complément, membre encore plus assidu car il était encore moins bavard que lui. Ça évitait au moins les longues discussions pour ne rien dire, ils allaient toujours à l’essentiel.
_ Non. Au sujet de l’inscription, on peut se voir une heure avant ? Au café devant.
L’inscription en question était celle qu’ils espéraient obtenir pour une école réputée dans le design, notamment de personnages de jeux vidéos et d’animations. Il n’y en avait que quelques unes dans le pays, mais une en particulier avait attiré l’attention de Xander : celle de Houlton, dans le Maine. Le Maine, l’état où il était né et d’où provenait la croix qu’il avait au cou, du moins, c’est ce qu’indiquait le coffret.
_ Pas de souci, ça me donne une heure.
Charlie comprit bien ce qu’il se passait. Son Jules allait filer en douce, plus ou moins, pour aller rejoindre quelqu’un d’autre. Elle commença à se renfrogner et le fit savoir à Xander par sa plus belle tête des mines peu réjouies. Comme s’il allait avoir le choix de refuser.
_ Ca t’ennuie que je vienne avec quelqu’un ? Ma copine est en vacances ici, demanda-t-il bien qu’il connaisse la réponse en avance.
_ Elle peut venir. See ya.
Et il raccrocha. Xander posa alors son téléphone sur le bureau sur lequel il était appuyé.
_ On a une heure pour se laver, s’habiller et rejoindre la fac qui est à vingt minutes de bus d’ici. Je te laisse la salle de bain. Je vais en bas.
Charlie écarquilla presque instantanément les yeux, il avait enfin prononcé plus de deux mots à suivre. Cependant, elle ne se laissa pas avoir par ça, elle voulait savoir.
_ Et on va y faire quoi à ton université ? questionna-t-elle.
_ Rejoindre un ami, Robbie. Tu n’es pas obligée de venir, continua-t-il. Mais ta présence ne le dérange pas.
Charlie se redressa d’un mouvement sec et le regarda.
_ Je viens ! Nan mais oh, si tu crois m’échapper comme ça, et puis c’est l’occasion de faire du tourisme.
_ Comme tu voudras, reprit-il. Je t’y paye le petit déjeuner.
Xander se redressa et prit quelques affaires dans son armoire pour rejoindre la salle de bain du rez-de-chaussée afin de se doucher rapidement. Mais la jeune femme ne l’entendit pas de cette oreille et lui attrapa l’avant bras.
_ Je ne suis pas contre une douche avec toi, et promis, je garderais le timing, et mes mains dans mon dos.
D’un signe de tête, Xander lui donna son accord avant de rejoindre la salle de bain, Charlie sur ses talons, continuant de se marteler le crâne que tout était normal, que Charlie agissait normalement, et qu’il n’avait rien à craindre : ce n’est pas une sorcière, ce n’est pas un monstre, c’est une fille.
Et à cette pensée, à nouveau, il vit deux yeux bleus flotter devant ses yeux. C’est lui qui n’est pas normal, c’est lui qui est un sorcier, c’est lui qui est attiré par ce qu’il ne devrait pas.