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    Je poussai la porte de l'appartement, sans grande conviction, et peu désireux de croiser le regard de mon père.
    Il est plus de vingt heures, et la lumière commence déjà à faiblir, j'ai passé ma soirée sur un banc en centre ville, à apprendre mes cours, ce serait toujours mieux que de chercher à les apprendre à la maison.

     

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    - C'est à cette heure-ci que tu rentres ? entendis-je depuis le salon.
    Mon père était encore devant la télévision, entouré de bouteilles de bière vides, le regard perdu dans les tréfonds de la boite à images.
    Je préfère ne pas répondre, l'ignorer, et passer directement dans la cuisine, en espérant qu'il m'ait oublié, pour ressortir directement dans les couloir des chambres.

     

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    Sauf qu'il se leva, et m'attendit devant l'autre porte de la cuisine, le regard noir.
    - Quand je pose une question, j'aimerais bien qu'on me réponde.
    - Excuse-moi, fis-je en le regardant dans les yeux, ce qu'il n'a pas l'air d’apprécier, puisque que je me retrouve très vite avec son poing dans les côtes, et je m'affale sur le sol, contre le réfrigérateur.

     

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    On ne s'habitue pas à la douleur quand un père soul nous frappe. Il frappe de plus en plus, de plus en plus fort, de plus en plus sans aucune raison, juste pour le plaisir de frapper, et tous les prétextes sont bons. Et j'encaisse sans rien dire, je constaterais les dégâts, une fois dans ma chambre, au toucher.
    La dernière fois, il m'a cassé deux côtes, et j'espère qu'il s'arrêtera à cet unique coup de poing pour la journée.
    - Hors de ma vue, cracha-t-il à mon égard, avant de disparaître de nouveau devant la télé, me laissant seul, aplati contre le frigo.

     

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    Difficilement, je me relève, massant mon abdomen douloureux, avant de prendre la direction de ma chambre, zigzaguant entre les cartons, et autre objets traînant dans la pièce.
    Je poussai la porte de ma chambre, que je verrouillais à grande vitesse, avant de faire tomber mon sac au sol, et de retirer mon haut, histoire de voir si je m'en suis plutôt bien tiré.

     

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    Aucune trace d'hématome pour l'instant, pourtant, dès que j'appuie sur le lieu de frappe, je sens une affreuse douleur lancinante. Mais encore heureux, ce n'est pas le torse qu'il a frappé cette fois ci.
    On ne peut pas dire que torse nu, je sois beau à voir. Une longue cicatrice suit mon sternum, partant cinq centimètres en dessous de mon cou, jusqu'au milieu des abdominaux. Cicatrice malheureusement indélébile, et qui attire le regard, dès que j'ai le malheur de mal fermer ma chemise, ou dans les vestiaires, avant d'aller en sport, sans parler des cours de natation obligatoires. Et voilà maintenant douze ans que je suis une curiosité, que je suis marqué à vie.

     

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    J'entends frapper à ma porte, mais je n'y fais pas attention, et m'allonge tel quel sur mon lit, sur le ventre, avant de fermer les yeux pour essayer de m'endormir. Je n'ai pas spécialement envie que mon père entre pour terminer ce qu'il a commencé, en essayant de rentrer, toutes pattes blanches dehors. Il continua de frapper contre ma porte, plus intensément, et bien que je ferme les yeux avec plus d'ardeur encore, je n'arrivais pas à trouver le sommeil.

     

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    - Allez, ouvre couillon. C'est moi.
    Je reconnu aussitôt la voix de mon frère, ce qui ne me força pas plus à me lever.
    C'est pas que j'aime pas Raise, mais il n'a pas la même conception de la vie que moi, ce que je ne comprends pas, pas après ce qu'on a vécu. Il est resté frivole malgré tout ça, même si je sais très bien qu'il n'a jamais osé depuis. Il est comme moi, comme un animal effrayé dès qu'il est question de ça, alors, on se replie, on retourne dans notre carapace, on joue les durs ... et on perd tout.

     

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    Finalement, je me lève de mon lit, je tourne la clé dans la serrure, laissant la possibilité à mon frère d'entrer, avant de retourner m'allonger, sur le dos cette fois-ci, mains sous la tête.
    Raise passa la porte, la referma en donnant deux tours de clés, avant de s'asseoir sur ma chaise de bureau, à l'envers. Je pus d'ailleurs remarquer qu'il s'était changé, signifiant ainsi qu'il avait pu rentrer plus tôt, pour profiter de la maison comme il le voulait, à savoir s'enfermer lui aussi dans sa chambre jusqu'à ce que le besoin de sortir ne devienne urgemment utile.

     

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    - C'est grave ? me demanda-t-il.
    - Non, dis-je, sachant très bien qu'il venait parce qu'il avait entendu Kreis me frapper.
    On est pas tous des sans cœurs dans la famille, et Raise est le seul à accourir quand je me retrouve au sol après que mon père m'ait battu. Ce n'est pas à ma mère qu'il faut demander d'accourir. Elle, elle va plutôt rester derrière Kreis à l'encourager jusqu'à ce que ma mort s'en suive.
    - Il a visé où ?
    Je sentais très bien l'inquiétude dans sa voix, de peur que notre père ne me frappe encore sur ma cicatrice - bien que ce ne soit qu'un morceau de peau, le simple fait de savoir ce qu'elle représente nous rend tous deux inquiets quand elle est sujette à la violence de Kreis - ou à l'emplacement de ma pile cardiaque, ce qui pourrait avoir des conséquences irréparables.
    - Dans les abdos, je vais m'en tirer.

     

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    - Je croyais que tu devais passer la nuit chez Heaven ? me questionna-t-il immédiatement.
    - Et bien non, même pas. Blocage, dis-je simplement, et il me comprit tout de suite.
    - Tu crois que ça va nous pourrir l'existence encore longtemps ?
    - J'en sais rien, avouai-je en soupirant. Mais ça devient de plus en plus handicapant. J'avais juste Heaven sur mes genoux quoi ...
    - ...

     

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    On est restés ainsi pendant un bon moment, sans rien dire ou faire.
    Raise avait allumé la radio, et finalement, je m'endormais paisiblement.
    Seul le bruissement d'une BD que Raise avait attrapé au passage cassait le silence, je savais qu'il ne sortirait pas tant que je serais endormi, il refuse de me laisser endormi, la porte ouverte.
    On a beau se chercher des noises à longueur de temps, on a encore quelques principes, comme le fait qu'on se soit alliés contre nos parents, jusqu'à la fin de la terminale. Une fois le diplôme en poche, on se casse d'ici, on crèche où on peut, et on se cherche un studio miteux.
    Inséparables, à la vie à la mort, malgré nos différends.