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    Finalement, face à l’immensité de la tâche que représentait la rédaction de deux lettres de motivation en français, Camille avait fini par faire appel à une bienfaitrice : An. Sa meilleure amie n’avait pas son pareil pour écrire et elle maîtrisait plutôt bien la langue de Molière. Mais il avait malgré tout dû faire preuve de fourberie, pour voir An sans que sa mère ne se rende compte de la supercherie. S’il était sorti et qu’il revenait avec une lettre de motivation, sa mère, pas dupe, se serait doutée qu’il aurait fait appel à une aide extérieure. S’il s'était enfermé dans sa chambre pour faire une visio avec An, sa mère l’aurait entendu. Et si An était venue d’elle même à la maison, Sienna aurait trouvé ça louche également. 

    Il avait donc trouvé une solution plus simple et efficace : cacher l’arbre au milieu de la forêt. Faire venir An et Zhoo pour parler mecs. Il était tout bonnement impossible de travailler avec Zhoo dans les parages, donc Sienna n’aurait jamais fait attention à ce qui pouvait se dire dans cette chambre. Ils étaient donc tous les trois installés sur le lit de Camille, entourés des papiers en tout genre et d’un ordinateur portable.

    - Aloooooors ? demanda Zhoo en minaudant devant An qui tapotait sur le clavier de l’ordinateur.

    - Alors quoi ?

     

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    An releva la tête vers sa meilleure amie, en haussant un sourcil. Elle pouvait se garder ses alors la demoiselle, c’était plutôt elle qu’ils devraient cuisiner à cet instant. N’avait-elle pas eu un rencard avec un superbe étranger venu de Mars, ou de l’Illinois, il y a quelques jours ?

    - Alors il est bien foutu Gabe ? traduisit Camille sans lever le nez de ses papiers. Fais pas l’innocente An, tu te doutes bien qu’on parle de ton nouveau mec.

    - On pourrait aussi parler du nouveau mec de Zhoo aussi, ça c’est très nouveau.Plus que Gabe.

    - Je ne sors pas avec Robbie, rétorqua Zhoo. Pas encore du moins, donc je ne peux pas répondre à ce “Alooors” très équivoque. Mais toi tu peux, et tu m’avais promis que tu me raconterais. 

    - Et je dois avouer que ça m’intéresse aussi, poursuivit Camille. J’ai été toujours curieux de savoir ce que valait Gabe, et vu comment il te tournait autour comme un chien en rut, j’espère que tu as pris ton pied.

    An rougit aussitôt. Ils étaient vraiment pas possible tous les deux, ils n’avaient que ça en tête. Venant de la part de Camille, ce n’était pas vraiment surprenant. Les sentiments, il ne connaissait pas et ses amies en étaient conscientes. Après tout, Cloud n’était qu’un passe-temps pour lui et tout le monde en était conscient, sauf peut-être Cloud qui se voilait la face depuis quatre ans. Mais il était sacrément mordu de Camille car malgré toutes les crasses et infidélités qu’il pouvait lui faire, il ne le boudait que deux jours avant de revenir. Un vrai chien fidèle.

     

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    - Oui, et bien je n’ai pas spécialement envie de vous parler des exploits horizontaux de Gabe jeunes gens. Donc je passe mon tour.

    - Je te parle bien de Cloud moi, et de ses “exploits horizontaux”, dit Camille en mimant des guillemets.

    - Ils sont plutôt perpendiculaires ses exploits si je me souviens bien, lui dit Zhoo avec un regard entendu. Les chiottes du lycée sont trop étroites pour passer à l’horizontale.

    - Ah ah ah, trop drôle, j’en pisse de rire.

    - Vous voulez une équerre ?

     

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    Sienna passa à ce moment-là la tête dans la chambre de Camille, et tomba sur une conversation pour le moins curieuse. Elle était montée pour s’assurer qu’ils n’avaient besoin de rien, comme de la limonade ou des sandwichs, mais visiblement, la bonne humeur allait bon train. Zhoo explosa de rire quand elle vit le visage de Sienna et An vira rouge pivoine, ne sachant pas où se mettre. Camille resta indifférent : ce n’est pas comme s’il avait des choses à cacher à sa mère. Il savait qu’elle était consciente de ses aventures, et il n’allait rien lui apprendre, où alors il ne serait pas de ce monde.

    - Tu voulais quelque chose ? demanda Camille à sa mère.

    Il se leva du lit et s’approcha d’elle, tout sourire. Son père était parti depuis trois jours maintenant, et il n’avait jamais eu l’occasion d’être seul avec sa mère. Et cette situation peu commune était plutôt sympa.

     

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    - Non, c’est plutôt le contraire. Je voulais savoir si vous vouliez à boire ou à grignoter.

    Elle lui ramena des cheveux derrière l’oreille, avec un petit sourire attendri. Les deux filles firent non de la tête en regardant Sienna et Camille les rejoignit. 

    - Ok, super. Mais si il y a besoin, il y a de la limonade au frigo, ok ?

    Camille acquiesça et Sienna sortit de la chambre, les laissant à nouveau entre eux. Elle ne put s’empêcher de sourire quand elle se rappela leur conversation à l’instant. Ca lui rappelait ses propres conversations avec Andy et William, quand elle était adolescente. Et cette idée lui pinça momentanément le cœur. Andy, sa meilleure amie, lui manquait terriblement. Elle était presque tout pour elle, sa sœur. Et ne plus pouvoir partager ce genre de moment lui faisait terriblement mal. Alors comme souvent quand elle pensait à Andy, elle serra ses deux mains l’une contre l’autre, ferma les yeux et adressa une pensée à Andy. “J’espère que tu es heureuse là haut, avec Spencer et ton fils”. Et elle reprit le cours de sa journée.

     

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    Dans la chambre, Camille était retourné sur son lit, tout en poussant Zhoo par la même occasion.

    - Eh ! gronda la blonde.

    - Alors, Robbie hein ? Vas-y, raconte, je suis tout ouï, lui dit Camille. An ne veut pas parler de Gabe, dis moi que tu as quelque chose à nous dire de ton bel extraterrestre.

    - Et bien, pas grand chose en vrai. On est juste allés boire un café pour le moment, mais j’ai pu récupérer son numéro de téléphone.

    - Oh ! Ça relève de l’exploit, lui dit An en la taquinant.

    - Mais je sais ! rétorqua Zhoo. Pas besoin de me le rappeler. Sinon, il vient de Bloomington, c’est dans l’Illinois et il s’installe avec un ami en colocation pour l’année scolaire. Ils sont tous les deux inscrits à l’école de chara-design. 

    - Un ami ? demanda Camille subitement intéressé. Gay ?

    - Comment veux-tu que je le sache, je ne l’ai vu que deux minutes son coloc. Je suis incapable de te dire s’il est gay ou zoophile. 

    - Ca, c’est parce que tu n’as pas de gay-dar, lui dit An en riant. Camille l’aurait senti avant même que le pauvre type n’ouvre la bouche.

    - De toute façon, je vois pas pourquoi je m’emballe pour un américain, alors que je vais pouvoir découvrir la gastronomie française. Il paraît que c’est réputé.

     

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    Les deux jeunes filles se regardèrent en soupirant. Il ne perdait décidemment pas le Nord celui-là, c’en était incroyable. Mais leur regard était malgré tout emprunt d’une certaine tristesse. De leur groupe d’amis d’origine, il ne restait plus que eux trois : Georg ayant décidé de vivre en France et Emma de faire son tour du monde. Si Camille partait à son tour, il ne resterait plus que elles deux. Leur groupe se réduisait à peau de chagrin.

    - Eh, vous allez pas pleurer parce que je veux partir en France moi aussi.

    - Et pourquoi pas ? lui lança Zhoo avec un regard noir. Et on ne sait même pas pourquoi tu as décidé de fuir comme ça. Tu veux faire ton Georg toi aussi, et partir sans raison ?

    - Georg n’est pas parti sans raison Zhoo, lui dit An en lui prenant la main.

    - Bien sûr que si ! Et me dis pas que c’est à cause de Harry, on l’a jamais revu depuis l’anniversaire de GK il y a quatre ans.

    - C’est pas tout à fait vrai, lui dit Camille en baissant la tête.

     

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    Georg avait revu Harry Mayers, il y a trois mois. Mais il n’en avait parlé à personne, hormis lui et sa jumelle. Et il pouvait comprendre que sa défection pouvait sembler encore plus folle aux yeux de sa famille, alors qu’ils n’avaient pas eu vent de toute l’histoire.

    - Hein ? Mais je pense que je suis la mieux placée pour savoir si ce grand père cinglé avait décidé de montrer sa face de cul.

    - Il a revu Harry, dit finalement Camille. A la sortie des cours en avril. Il pleuvait et il l’attendait à l’arrêt de bus. Pour ne pas avoir à rentrer à pied sous la flotte, GK a accepté qu’il le ramène.

    - LE CON ! s’égosilla aussitôt Zhoo. Mais pourquoi il a rien dit ? Et pourquoi il a accepté sans rien dire ? Il lui a parlé ?

    - Il a essayé de faire le gentil papa et GK l’a envoyé se faire foutre avant de poursuivre à pied. Et si il a rien dit, c’est parce qu’en rentrant, il a vu vos parents se disputer violemment dans la cuisine. Il n’a pas voulu rajouter d’huile sur le feu.

    Zhoo fulminait. Elle n’aurait jamais cru que son frère aurait eu le cran de lui cacher ce genre de secret. Elle était sa sœur quand même, ils avaient le même sang. Pourquoi il en parlerait d’abord à son meilleur ami, et pas à elle ? 

     

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    - Ne lui en veux pas Zhoo, lui dit Camille. C’est pas comme s’il était parti définitivement.

    - Qu’est-ce que tu en sais ? Il te l’a dit ?

    - Euh … non. Mais il reviendra après ses études, il avait juste besoin d’air.

    An regarda Camille parler. Elle avait l’impression que celui-ci parlait plutôt pour se défendre lui que défendre son ami. Elle referma alors l’ordinateur devant elle et se campa juste sous le nez de Camille. A son tour de se faire cuisiner.

    - Et toi ? Pourquoi tu fuis ? questionna An.

    - Bah, je fuis pas. C’est pour mes études.

    - Prends moi pour une bille aussi. Si c’était vraiment pour tes études, tu n’aurais aucun problème pour rédiger ta lettre de motivation en français. Et tu parles aussi bien le français qu’un bavarois installé au Japon. 

    - Euh …

    Évidemment, rouler An n’était pas aussi facile que de se jouer de sa mère. Elle était plus perspicace que la moyenne, et elle connaît surtout très bien son niveau de français. C’est bien normal après tout, c’était ses parents qui avaient appris le français à toute la tribu, et quand Camille ne passait pas les leçons à discuter sur son téléphone avec Cameron, il dormait. 

     

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    - Qu’est-ce que tu fuis ? répéta-t-elle. On vient de te faire la leçon au sujet de Georg qui ne nous dit rien alors qu’on est ses meilleurs amis, et toi tu vas jouer le même jeu que lui. Dis nous, on le répétera pas.

    Après tout, GK et Emma étaient déjà au courant de l’affaire. Ce serait donc normal que An et Zhoo le soient aussi. Mais avant toute chose, il devait s’assurer que sa mère n’étaient pas dans les parages. Car elle ne savait absolument rien, et il refusait qu’elle le sache. Il s’approcha alors de la porte, l’entrouvrit et vérifia que le couloir était bien vide. Il referma la porte derrière lui et resta à côté de celle-ci.

    - Bon, ok. Je vous dis tout. 

    Il prit une profonde inspiration pour se donner du courage. Les filles s’étaient assises au bord du lit, impatientes de connaître l’histoire, déjà pendues à ses lèvres.

    - J’ai couché avec une fille il y a deux ans.

    - HEIN ?! s’étranglèrent les deux filles.

     

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    - Chut ! Ma mère est pas au courant, alors on se calme. Sinon, je ne vous raconte pas la suite.

    Les deux demoiselles se turent, et restèrent bien droites.

    - Je m’étais soûlé ce soir là, car Cloud m’avait prit la tête. Et tout ce que je vous raconte, c’est Georg qui me l’a raconté, car je m’en souviens absolument pas. Il y a une fille du lycée qui s’est approchée de moi, qui m’a chauffé et j’ai accepté de la suivre. Georg m’a vu réapparaître une bonne heure plus tard, totalement débraillé et je me suis effondré au sol. Sauf que, par la suite, cette fille n’a pas arrêté de me courir après, pour me parler. Mais je ne m’en souviens pas ok ? Si ça se trouve, c’est une mytho et Georg en a profité pour me faire une blague. Je suis même sûr que ça peut-être que ça. Je suis pas con à ce point. 

    Il passa sa main sur sa nuque, n’osant pas regarder ses deux amies. Elles devaient le regarder avec des yeux de merlan frits. Il s’arrêta alors, et attendit que l’une d’elles reprenne la parole.

    - Elle te course toujours ?

    - Je suis retombée sur elle il y a un peu plus d’un mois, et depuis oui, elle me poursuit. Sauf que cette fois-ci, elle y a mêlé les flics et les juges. Je peux pas rester là.

    - Attends ? Comment ça les flics et les juges ? De quoi elle t’accuse ?

    Camille resta muet. Un instant trop longtemps.

     

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    - De sa dépression et de sa tentative de suicide. Comme je ne m'occupais pas d'elle, elle a voulu mettre fin à ses jours et elle s’est ouvert les veines. Sa mère l’a découverte juste à temps et elle est partie en hôpital psy, et je ne l’ai plus vue jusqu’au mois dernier. Et cette fois-ci, elle ne veut pas me laisser m’en tirer, alors que je n’y suis pour rien.

    - Si tu n’y es pour rien, tu n’as rien à craindre Camille, lui dit Zhoo. On ne coffre pas les gens sur des rumeurs. Et puis, elle savait pertinemment que tu es gay, c’est elle qui est conne de s’accrocher à toi.

    Le jeune homme alla s’asseoir à côté de ses amies, et se tourna vers la brunette.

    - Je peux pas rester là. Pitié An, j’ai vraiment besoin de ton aide pour me barrer d’ici.