• ▪ 9 ▪

    (9)

     

    Quelques heures plus tard, en milieu d'après midi, Georg attendait son meilleur ami, Camille, dans la bibliothèque du lycée, lieu qu'il fréquentait souvent quand il avait un imperceptible besoin de ne pas aller en cours, ou de dormir, tout simplement. Mais à ce moment-ci, ce n'était pas une sieste ou une flemmardise accrue qui motivait ce jeune homme d'à peine seize ans, mais les dernières nouvelles, qu'il avait entendu de la bouche de deux de ses professeurs lors de la pause de midi. Assis à une des tables les plus reculées de la pièce, il tapotait ses doigts nerveusement sur le bois du mobilier, se rongeant les ongles ici et là, ses pensées complètement accaparées par une inquiétude grandissante pour ses parents, et notamment sa mère.
    Pourquoi n'en fut-il pas autrement après tout ? Sa propre mère avait été séquestrée et battue par l'homme qu'elle avait toujours considéré, et qu'elle considère toujours par ailleurs, comme son père, malgré l'absence totale de lien de sang. Ses parents, William et Julia, ont été élevés ensemble, comme frère et sœur, enfants d'un couple auquel l'époux, Harry, mit fin, en assassinant son épouse, Emina. Et pour rajouter à la complexité de cette famille, il s'est avéré que Julia avait été adoptée, sœur cadette d'Emina, et que William était le fruit d'une précédente union. On ne pouvait certes pas faire plus compliqué comme famille : grand père assassin et trafiquant, grand mère assassinée et parents incestueux.
    Et ce ne fut qu'une fois Harry enfermé derrière les barreaux de sa prison qu'ils purent tous se reconstruire, Georg compris, né au milieu de tout ce trouble familial. Soupirant, Georg s'écrasa le visage contre la table, les yeux rivés sur les nervures du bois.

     

    (9)

     

    _ GK ! Héla son meilleur ami en débarquant à son tour dans la bibliothèque, de la façon la plus bruyante qu'il put, sous le regard rouge de la bibliothécaire qui remettait en rayon les livres dérangés par les incroyables et très disciplinés élèves de ce merveilleux lycée qui la fatiguait au plus haut point.
    Georg releva le nez pour distinguer la personne qui venait de s'installer en face de lui. Un petit châtain de quatorze ans à peine, maigre comme une crevette, sans un dessous de muscle sur les os. Le plus caractéristique chez cet adolescent était son aptitude à manipuler les gens, et notamment la gent masculine dont il était très friand, avec ses gestes, son regard et ses mots (oh, et peut-être ses lèvres quand il devait en arriver à de telles fins). Coureur de pantalon jamais rattrapé, jamais égalé et jamais acculé !

     

    (9)

     

    _ Alors, remis de tes émotions ? Demanda Camille en parcourant la bibliothèque du regard à la recherche d'un en-cas.
    _ Crois moi, à ma place tu t'en remettrais pas si facilement, soupira Georg.
    _ C'est pas toi, que ça concerne, mais tes vieux! Fulmina Camille.
    _ Ton père aussi est concerné, rajouta Georg. T'es au courant au moins ?
    _ Bien sûr que oui je sais que P'pa a foutu ce type en taule, prends moi pour une bille aussi. Mais je ne m'en soucie pas pour autant, on s'en remettra tous, et basta. On se doutait bien qu'il allait sortir un jour de toute, on fout plus les gens en taule à vie, alors bon …
    _ Certes … Mais Maman s'en foutra pas elle, et je visualise déjà la vie infernale que l'on va connaître à la maison.
    _ S'tu le dis …

     

    (9)

     

    Camille continua de fouiller la bibliothèque du regard, cherchant quelconque perle rare à découvrir entre deux livres, peut-être un charmant rat de bibliothèque, qui sait. Ce n'est pas une espèce si rare que ça quand on sait regarder où il faut. Son regard perdu dans le vague attira aussitôt Georg, qui claqua ses doigts devant son nez.
    _ Et Cloud ?
    _ Il est en latin, expliqua le plus sobrement du monde le châtain. Et puis, il sait déjà comment je fonctionne, qu'il se mette pas à piailler parce que je regarde ailleurs …
    _ Soit, soit …
    Georg se leva, rassembla ses affaires, et jeta son sac sur son épaule avant de se tourner vers son ami.

     

    (9)


    _ Bon, et bien, je te laisse chasser. Il paraît que je dois des explications à ta sœur …
    _ Bon courage !
    _ Toi aussi …