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    - Installez-vous.

    Son supérieur lui indiqua la chaise en face de son bureau. Celui-ci s’assit à son tour à son bureau, repoussa un dossier dans un coin et posa ses coudes sur la table, main sur le menton, tout en regardant Julia. Cette dernière s’exécuta aussitôt, se tenant raide comme un piquet sur sa chaise. C’était bien la première fois de sa vie qu’elle était ainsi convoquée chez Kaiser, et en général, ça n’augurait rien de bon. Elle attendit patiemment qu’il lui explique ce qu’il en retournait, et coinça ses mains entre ses genoux pour se tenir bien droite.

     

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    Kaiser sortit finalement un dossier du tiroir de son bureau et l’ouvrit devant lui. De là où elle était, elle ne pouvait pas le lire ou voir de quoi il en retournait. Et le mutisme de son interlocuteur commençait vraiment à la stresser.

    - Julia, je vous ai convoqué car j’ai reçu des plaintes, à votre sujet, de la part de praticiens et de patients. Ceux-ci sont consignés dans ce dossier, et s’additionnent depuis plusieurs mois déjà. Jusqu’à la semaine dernière, où l’on m’a rapporté une erreur que je ne peux laisser passer.

    Julia vira au blanc. Une erreur ? Des plaintes ? Elle en resta muette de stupeur, incapable de prononcer le moindre son. Ce n’était pas possible, elle faisait toujours son travail avec soin.

    Kaiser reprit la parole, après avoir sorti une feuille en particulier du dossier pour la lire à Julia.

     

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    - Mercredi dernier, vous étiez affectée au service de chirurgie ambulatoire. Vous me le confirmez ?

    Julia hocha doucement la tête.

    - Nous avons accueilli Madame Margaret Chisolm pour une ablation des dents de sagesse sous anesthésie générale. Affectée aux soins ce jour-là : Julia Mayers. Vous confirmez ?

    Julia confirma d’un signe de tête. Oui, elle se rappelait bien de cette dame. Une trentaine d’année, pas de pathologie particulière mais une allergie au paracétamol. L’opération s’était bien passée, et Julia lui avait donc apporté par la suite le traitement qu’elle devait emporter chez elle pour sa convalescence. Rien d’extraordinaire.

    - La patiente a reçu du paracétamol pour soulager ses douleurs, alors que son dossier médical précisait très clairement qu’elle y était allergique. Elle est revenue dans la nuit de mercredi à jeudi aux urgences, avec une insuffisance cardiaque.

     

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    L’infirmière écarquilla les yeux. C’était impossible. Elle ne pouvait pas s’être trompée. Elle allait rétorquer qu’elle faisait attention, que la patiente s’était probablement procuré du paracétamol ailleurs.

    - Nous avons eu un retour des autorités aujourd’hui : les médicaments fournis par l’hôpital et retrouvés chez Madame Chisolm contenaient bien du paracétamol. Une plainte a été déposée par Madame Chisolm pour erreur médicale.

    - Erreur … médicale ? répéta Julia.

    - Oui Julia. Vous êtes donc suspendue jusqu’à nouvel ordre, le temps d’avoir le résultat du dépôt de plainte.

     

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    Elle se liquéfia sur sa chaise. Suspendue. Elle avait commis l’erreur absolue dans le domaine médical et elle se retrouvait désormais sans emploi. Immédiatement, ses yeux se remplirent de larmes, mais elles ne coulèrent pas sur ses joues. Elle devait tenir bon.

    Kaiser referma le dossier et se pencha plus en avant sur le bureau, pour lui parler moins formellement. Il voyait bien qu’elle était dévastée. Ce n’était jamais évident pour un membre du personnel soignant d’être accusé d’erreur médicale, mais cela arrivait beaucoup plus qu’on ne le pensait. Julia n’était pas la première, ni la dernière.

     

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    - Julia, j’ai bien vu que depuis quelques semaines, ça ne va pas. Vous êtes souvent dans la lune, vous vous trompez de patient ou de médecin, vous êtes moins attentive, plus fatiguée. Il se passe quelque chose à la maison ? Vous savez qu’il ne faut pas rester dans votre détresse. Ce n’est pas bon pour votre travail bien sûr, mais surtout pour vous.

    Julia posa ses mains sur ses yeux, voulant se retenir de pleurer. Elle n’avait jamais voulu déballer sa vie au travail. Elle a toujours cru que son travail aurait été le moyen parfait pour oublier ses tracas familiaux, mais il n’en était rien. Elle ramenait ses tracas à l’hôpital, et commettait des erreurs.

     

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    - Mon fils est parti sans rien nous dire, et je ne sais pas vraiment où il se trouve, mon mariage est en train d’imploser et mon père fait placer une menace constante sur ma famille. Il n’y a qu’ici que j’arrive à ne plus penser à tout ça.

    - Visiblement, vous y pensez assez pour ne plus être attentive. Il vaut mieux que vous résolviez vos problèmes plutôt que de les ignorer en venant travailler. La mise à pied dure quatre semaines. Profitez de ce temps pour résoudre vos problèmes et vous reviendrez plus sereine. 

    - Revenir ? Je ne vais pas perdre mon travail ?

     

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    - Non, et j’y veillerais. En quinze années de service, vous avez été parfaite à l’exception de ces dernières semaines et ces quelques étourderies. Mais cette mise à pied est nécessaire à l’hôpital pour se mettre en ligne avec la plainte, et pour que vous repreniez des forces et que vous vous reposiez.

    Julia acquiesça, puis se releva. Il avait probablement raison, certes. Mais elle n’allait certainement pas passer les meilleures quatre semaines de sa vie. Elle hocha la tête en guise d’au revoir et sortit du bureau de son supérieur pour prendre la direction des vestiaires. Elle n’avait plus qu’à se changer, et à rentrer chez elle. Ou William serait.

    Elle ne voulait pas rentrer.


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    Camille et Cloud étaient sur le chemin du retour. Ils avaient passé l’après-midi en ville ensemble, et le brunet avait une idée bien précise pour clôturer sa journée. Ce qui tombait plutôt bien quand il savait que sa sœur était partie du matin pour la France, et que ses parents avaient décidé de passer quelques temps tous les deux au loin, et en bord de mer. Camille avait donc la maison pour lui tout seul pour deux jours, et il comptait clairement en profiter.

    Sur le chemin, ils discutaient de tout, de rien, et notamment du film qu’ils venaient de voir. Camille n’était pas forcément très fan de l’exercice. A ses yeux, une fois le film vu, il était vu. Il n’y avait plus aucune raison pour s’épancher dessus. Mais Cloud débattait à chaque fois sur les potentielles suites pour les personnages, et Camille l’écoutait, plutôt docilement. Et il avait intérêt à être docile s’il ne voulait pas que son « petit-ami » change d’humeur et ne soit plus aussi disposé à passer la soirée chez lui.

     

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    Alors qu’ils traversaient tous les deux le parc qui se trouvait à quelques pas de la maison Philips, une voix appela Camille. Il s’arrêta alors, et regarda autour de lui par réflexe. Il crut avoir halluciné quand Cloud lui indiqua finalement une jeune femme, derrière eux, avec de très longs cheveux bruns.

    Camille eut une grimace de rejet. La revoilà. Il avait l’impression d’être poursuivi par Elizabeth depuis qu’il l’avait recroisé à la librairie. La jeune femme s’approcha d’eux, et Cloud l’accueillit avec un sourire chaleureux, ignorant totalement l’aversion de son copain pour la brunette. Cette dernière lui parut tout à fait sympathique, quoiqu’un peu timide derrière ses lunettes.

     

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    - Bonjour, dit-elle alors avec sa petite voix cristalline. Je m’appelle Elizabeth, j’ai été au collège avec vous deux, mais tu ne t’en rappelles peut-être pas.

    Cloud nia de la tête. Mais maintenant qu’elle le disait, son visage ne lui était pas tout à fait inconnu. Il avait probablement dû la croiser dans les couloirs plus d’une fois, il y a quelques années.

    - Tu me poursuis ou ce n’est que du hasard ? lui lança Camille, plutôt acerbe.

    - Il fallait que je te parle de quelque chose Camille, c’est pour ça que je suis là. J’allais chez toi.

     

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    - Me parler de quelque chose ? Je n’ai rien à te dire, lui dit-il aussitôt pour couper court à la conversation. Viens Cloud, on s’en va.

    Il prit alors la main du jeune homme pour l’entraîner avec lui jusqu’à son domicile. Surpris par la réaction de Camille, Cloud trébucha et tomba contre le dos de Camille, le ralentissant. Elizabeth en profita pour hâter le pas, et s’arrêter devant Camille, le regard résolu. Elle devait absolument lui parler, il ne pouvait pas continuer à fuir à ce point.

    - Il faut qu’on parle Camille.

     

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    Elle insista bien sur le « faut », et avait puisé dans toutes ses ressources pour s’adresser à lui. Ce n’était clairement pas son genre de faire preuve d’autorité.

    - Et moi je t’ai dit que je n’avais rien à te dire, et je n’ai pas envie de t’écouter non plus. Alors tu me lâches ou je me démerde pour que tu te retrouves avec une interdiction de m’approcher. Au cas où tu l’aurais oublié, mon père est flic.

    A la retraite, pensa aussitôt Cloud. Et il savait également qu’autant Mathieu adorait ses enfants, autant il ne ferait pas usage de ses privilèges pour les aider. Et jamais il ne concevrait l’idée d’utiliser des ses avantages de policier pour coller une restriction à quelqu’un.

    - Je m’en fous, rétorqua Elizabeth. Si tu ne m’écoutes pas, c’est le juge qui finira par te tomber dessus tôt ou tard.

     

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    - C’est une menace ?

    - Non, la réalité. Il est venu chez moi, et je n’ai rien pu faire pour l’en empêcher. Il me l’a pris et … je n’ai rien pu faire. Et un jour, c’est chez toi qu’il va venir. C’est ton nom que j’ai donné.

    - Mon nom ?!

    Camille explosa littéralement devant la jeune femme. Qu’elle insinuait simplement qu’il était mêlé à ses problèmes était une chose, mais maintenant qu’elle le dénonçait aux autorités en était totalement une autre. Elle allait l’entraîner dans sa merde, et il n’avait pas besoin de ça dans sa vie. Il était innocent merde !

     

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    - Tu n’as aucune preuve qu’il s’agit de moi, puisque ce n’était pas moi ! Tu es train de raconter des mensonges pour te couvrir, et en plus, tu m’impliques dedans. Je peux savoir ce que je t’ai fait pour que tu m’en veuilles à ce point ?! Je ne savais même pas que tu existais avant que tu m’impliques dans tes histoires ! Et tu crois sincèrement que le juge va te croire ? T’as aucune preuve à lui apporter, et il s’en rendra vite compte, et tu finiras en taule ou en asile. Alors fiche moi la paix putain !

    Et sur ces derniers mots, il abandonna Cloud au milieu du chemin avec Lizzie. Il marcha en quatrième vitesse en direction de chez lui, où il s’enferma à double tour. Dos à la porte, il essayait de reprendre sa respiration. Courir à une telle vitesse lui avait coupé le souffle.

     

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    Il devait faire vite. Elle ne rigolait probablement pas. Si le juge était passé chez elle pour le lui prendre, ils allaient forcément finir par débarquer chez lui. Et personne dans sa famille n’était au courant de cette histoire hormis Emma. Or cette dernière venait de faire ses valises pour la France. Et quand ses parents apprendront le pétrin dans lequel il s’est fichu, ils allaient le tuer ou pire, le déshériter. Et il n’avait pas très envie d’être là quand ça arrivera.

    Il devait fuir. Fuir très loin.

    A cet instant, son téléphone sonna dans le fond de sa poche. Par réflexe, il l’attrapa, et lu le message qu’il venait de recevoir. C’était de la part de Cameron.

    « Salut. T’es dispo ? »

    Il leva le nez de son téléphone, et regarda droit devant lui. Au moins, là-bas, les juges ne le retrouveraient pas. Ça se tentait.

     

     

     

     

     

     

     

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    Bonjour à tous, et bon retour sur Don't Turn Around !

    Cette fois-ci, je reviens après plus de trois ans d'absence, et je dois vous avouer que je ne me sens pas très fière de moi. Surtout quand je promettais à la dernière MaJ (janvier 2018) que je n'allais pas lâcher l'histoire de sitôt. Sauf que, la vie est ainsi faite qu'on vit ou fait plein de trucs et que ... non, en vrai, ça fait trois ans que je chasse une erreur fatale et que j'ai abandonné après plusieurs mois de tri. Et je l'ai trouvée il y a 10 jours ! Donc, et bien, j'ai relancé mon jeu. Et voilà le miracle.

    Alors j'espère que, pour les quelques promeneurs de ce blog, vous avez apprécié cette mise à jour, et je vous dit à bientôt pour la suite ♥

     

     

     

     

     


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    Quelques jours plus tard …

     

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    Georg avait le visage rivé sur l’écran des arrivées devant ses yeux. La gare était bondée et la foule s’agitait de tous les côtés. Mais il avait réussi à trouver une place et ne bougeait plus. Seul l’écran devant ses yeux avait de l’importance à ses yeux à cet instant.

    A quelques jours du début des vacances, la ville était en effervescence. Les locaux filaient déjà vers des contrées plus hospitalières pour passer l’été, et le jeune homme avait bien eu du mal de se frayer un chemin jusqu’à la gare. Il avait même cru un court instant faire partie du casting d’un film d’action à essayer de courir sur les trottoirs en évitant les passants. Il ne pouvait pas manquer ce train. Hors de question.

    Finalement, quand il arriva à la gare, il soupira de soulagement en réalisant qu’il avait de l’avance. Il se posa alors, essayant de reprendre sa respiration, non sans quitter cet écran. Arrivée prévue dans deux minutes. Seulement deux minutes. Deux minutes d’intense pression.

     

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    « Le train TER numéro XXXX va entrer en gare voie C. Merci de vous éloigner de la bordure du quai »

    Georg sauta aussitôt sur ses pieds et se rua hors du hall. Au moment de traverser les voies, il regarda au loin, le long des rails. Le train approchait, et son cœur s’emballa dans sa poitrine. Ses mains se firent aussitôt moites et un froid intense le parcourut de part en part. Autant le dire clairement : il était bouffé par le stress et l’appréhension. Et il ne s’attendait clairement pas à ça.

    Il avait encore quelques instants avant que le train ne l’empêche de traverser. Il sauta au-devant du train pour traverser les quais, et se prit aussitôt un sifflement de la part de la locomotive pour son geste totalement inconscient. Il n’y prit guère attention. A la place, il sortit son téléphone portable, et relut son dernier message.

     

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    « Voiture 16 ».

    Il regarda alors les wagons défiler devant ses yeux, un a un. Vingt-et-un. Vingt. Dix-neuf. Pourquoi il était si lent ce train ? Dix-huit. Dix-sept. Seize ! Il leva aussitôt le nez vers les vitres, espérant y voir quelqu’un qu’il pourrait reconnaitre. Mais les vitres légèrement fumées de l’habitacle l’empêchaient de discerner quoi que ce soit. Des silhouettes oui, mais rien de plus.

    Plus les secondes s’égrenaient, plus il mourrait d’impatience. Il tapait du pied, ses doigts s’agitaient sur sa cuisse, et il regardait son téléphone toutes les deux secondes. Pas de message. Evidemment, pas de message. Elle allait descendre du train à l’instant, elle n’allait pas perdre son temps à lui envoyer un message.

     

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    Il préféra alors se concentrer sur la porte du wagon d’où commençait à descendre des gens, au compte-gouttes. Plein de gens. Et surtout plein d’inconnus. S’était-il trompé de train ? D’heure ? de jour ? Ou alors elle n’était jamais arrivée jusqu’à Bordeaux ? Elle avait changé d’avis ? Elle …

    - Georg-Kaitlin, derrière-toi.

     

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    Il fit aussitôt volte-face. Elle était là, derrière lui, avec un sourire radieux et les traits tirés. A sa vue, il ne put s’en empêcher à son tour, et il sourit un peu béatement. Emma était finalement arrivée ici, en France, à Bergerac. Elle avait le visage fatigué par ses multiples correspondances et avion ou trains, ses cheveux étaient ramenés à l’arrière de sa tête et des mèches s’en échappaient. Et finalement, la jeune femme laissa tomber sa valise au sol pour sauter dans les bras de son petit-ami. Le jeune homme la réceptionna aussitôt, reculant d’un pas pour ne pas perdre l’équilibre. Elle était là. Dans ses bras.

     

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    Il resserra alors d’autant plus son étreinte autour d’elle, la soulevant du sol, sous les regards parfois admiratifs et surtout ahuris des passants. C’est vrai qu’en France, les effusions ça restait au cinéma, pas sur les quais de vraies gares. Mais il s’en fichait royalement. Il était désormais l’homme le plus heureux du monde.

    Il reposa alors sa petite amie au sol, et prit doucement son visage entre ses mains, avec toute la délicatesse possible, comme s’il craignait de la briser. Emma pencha sa tête sur la droite, appuyant sa joue contre la main de Georg, fermant les yeux, et la bougea doucement pour sentir la caresse de sa main sur son visage.

    - Tu m’as manqué, lui dit-elle finalement sans ouvrir les yeux.

     

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    Et pour seule réponse, Georg s’empara alors des lèvres d’Emma, sous les applaudissements des badauds qui continuaient de les regarder en riant et tout sourire. Visiblement, même si les français ne pratiquaient pas ce genre d’effusions, ils en appréciaient malgré tout le spectacle.

    Emma enroula alors ses bras autour de la nuque de Georg, se hissant sur la pointe des pieds pour se rapprocher d’autant plus de lui, de sentir sa chaleur contre elle. C’est maintenant qu’elle se trouvait dans ses bras qu’elle réalisait à quel point il avait pu lui manquer. Elle ne voulait même pas essayer de se séparer de lui, ce serait beaucoup trop dur. Ils devraient alors trouver une solution.

    Mais cette solution devra attendre. Car à l’instant, elle n’avait pas envie de penser à son départ pour son roadtrip en Europe. Elle voulait profiter à deux cents pour cent de son petit ami, de ses vacances en France et du simple plaisir de l’avoir retrouvé.

    Six semaines de rêve se profilaient, et ils devaient absolument en profiter.