• (9)

     

    Quelques heures plus tard, en milieu d'après midi, Georg attendait son meilleur ami, Camille, dans la bibliothèque du lycée, lieu qu'il fréquentait souvent quand il avait un imperceptible besoin de ne pas aller en cours, ou de dormir, tout simplement. Mais à ce moment-ci, ce n'était pas une sieste ou une flemmardise accrue qui motivait ce jeune homme d'à peine seize ans, mais les dernières nouvelles, qu'il avait entendu de la bouche de deux de ses professeurs lors de la pause de midi. Assis à une des tables les plus reculées de la pièce, il tapotait ses doigts nerveusement sur le bois du mobilier, se rongeant les ongles ici et là, ses pensées complètement accaparées par une inquiétude grandissante pour ses parents, et notamment sa mère.
    Pourquoi n'en fut-il pas autrement après tout ? Sa propre mère avait été séquestrée et battue par l'homme qu'elle avait toujours considéré, et qu'elle considère toujours par ailleurs, comme son père, malgré l'absence totale de lien de sang. Ses parents, William et Julia, ont été élevés ensemble, comme frère et sœur, enfants d'un couple auquel l'époux, Harry, mit fin, en assassinant son épouse, Emina. Et pour rajouter à la complexité de cette famille, il s'est avéré que Julia avait été adoptée, sœur cadette d'Emina, et que William était le fruit d'une précédente union. On ne pouvait certes pas faire plus compliqué comme famille : grand père assassin et trafiquant, grand mère assassinée et parents incestueux.
    Et ce ne fut qu'une fois Harry enfermé derrière les barreaux de sa prison qu'ils purent tous se reconstruire, Georg compris, né au milieu de tout ce trouble familial. Soupirant, Georg s'écrasa le visage contre la table, les yeux rivés sur les nervures du bois.

     

    (9)

     

    _ GK ! Héla son meilleur ami en débarquant à son tour dans la bibliothèque, de la façon la plus bruyante qu'il put, sous le regard rouge de la bibliothécaire qui remettait en rayon les livres dérangés par les incroyables et très disciplinés élèves de ce merveilleux lycée qui la fatiguait au plus haut point.
    Georg releva le nez pour distinguer la personne qui venait de s'installer en face de lui. Un petit châtain de quatorze ans à peine, maigre comme une crevette, sans un dessous de muscle sur les os. Le plus caractéristique chez cet adolescent était son aptitude à manipuler les gens, et notamment la gent masculine dont il était très friand, avec ses gestes, son regard et ses mots (oh, et peut-être ses lèvres quand il devait en arriver à de telles fins). Coureur de pantalon jamais rattrapé, jamais égalé et jamais acculé !

     

    (9)

     

    _ Alors, remis de tes émotions ? Demanda Camille en parcourant la bibliothèque du regard à la recherche d'un en-cas.
    _ Crois moi, à ma place tu t'en remettrais pas si facilement, soupira Georg.
    _ C'est pas toi, que ça concerne, mais tes vieux! Fulmina Camille.
    _ Ton père aussi est concerné, rajouta Georg. T'es au courant au moins ?
    _ Bien sûr que oui je sais que P'pa a foutu ce type en taule, prends moi pour une bille aussi. Mais je ne m'en soucie pas pour autant, on s'en remettra tous, et basta. On se doutait bien qu'il allait sortir un jour de toute, on fout plus les gens en taule à vie, alors bon …
    _ Certes … Mais Maman s'en foutra pas elle, et je visualise déjà la vie infernale que l'on va connaître à la maison.
    _ S'tu le dis …

     

    (9)

     

    Camille continua de fouiller la bibliothèque du regard, cherchant quelconque perle rare à découvrir entre deux livres, peut-être un charmant rat de bibliothèque, qui sait. Ce n'est pas une espèce si rare que ça quand on sait regarder où il faut. Son regard perdu dans le vague attira aussitôt Georg, qui claqua ses doigts devant son nez.
    _ Et Cloud ?
    _ Il est en latin, expliqua le plus sobrement du monde le châtain. Et puis, il sait déjà comment je fonctionne, qu'il se mette pas à piailler parce que je regarde ailleurs …
    _ Soit, soit …
    Georg se leva, rassembla ses affaires, et jeta son sac sur son épaule avant de se tourner vers son ami.

     

    (9)


    _ Bon, et bien, je te laisse chasser. Il paraît que je dois des explications à ta sœur …
    _ Bon courage !
    _ Toi aussi …

     


  • (10)

     

    En effet, le courage était quelque chose de plus que nécessaire pour Georg à cet instant précis, puisqu'il connaissait très bien la sœur jumelle de son meilleur ami, et notamment sa capacité fulgurante et instantanée de le tuer d'un simple regard, bien que parfois, elle y faisait participer ses poings. Mains enfoncées dans les poches, il parcourait le lycée de long en large, espérant la trouver ainsi, puisque comme son frère, elle était actuellement en pause. Après quelques minutes de recherche intensive, il la trouva finalement dans une salle de classe, seule, en train de travailler face à des piles de livres.

     

    (10)

     

    _ Je peux entrer ? Demanda-t-il en passant la tête par l’entrebâillement de la porte.
    Elle ne tourna même pas la tête quand elle entendit la voix de Georg, bien que tout son être tremblait d'envie de le voir, d'autant plus qu'il était visiblement venu seulement pour elle. Elle resta alors figée sur ses feuilles, ses lèvres s'ouvrant imperceptiblement pour lui répondre.
    _ On est dans un pays libre, fais comme tu veux.
    Le brun prit donc cette phrase comme une invitation, et s'installa au côté d'Emma, qui n'avait pas bougé d'un cil. Elle ne lisait même plus ses cours, elle n'écrivait plus, elle se contentait de mimer un travail assidu pour espérer qu'il la laisse tranquille, plutôt que d'entendre ses plates excuses, vides de sens et qu'il lui sortait à chaque fois. Aujourd'hui, Emma avait décidé d'être forte, et de ne pas craquer face à la bouille de chien battu de Georg.

     

    (10)

     

    _ Je suis venu m'excuser, lança-t-il pourtant à l'attention de sa voisine de paillasse. Pour hier soir, puisque je sais que Camille t'a déjà tout raconté.
    Emma ne bougea pas, hormis peut-être une raideur qui lui parcourut le corps pour se forcer à rester muette et indifférente au baratin qu'il allait lui servir. Elle attrapa un crayon, qu'elle fit tourner entre ses doigts avant d'entamer un exercice de mathématiques.
    _ Mais je peux t'assurer que je n'ai rien fait de répressible hier, et puis …
    Il se coupa un instant, fronça le nez et leva les yeux au ciel.

     

    (10)

     

    _ Nan, mais pourquoi je m'évertue à te présenter des excuses et à me justifier, alors qu'en fait, on ne sort pas ensemble. C'est pas comme si j'avais franchement fait quelque chose de mal. Tu serais ma copine, okay, ce serait logique, mais là, juridiquement, j'ai rien à te devoir.
    _ « Juridiquement » … c'est un terme qu'on utilise quand un contrat est compris. On n'est pas mariés, il n'a pas de juridiquement qui tienne Georg-Kaitlin.
    _ Eh ! M'appelle pas comme ça, tu sais que je supporte pas ! Gronda-t-il aussitôt en regardant la rouquine.

     

    (10)

     

    Cette dernière se tourna vers lui, un léger sourire moqueur sur le visage. Quelque peu rassuré de voir un geste amical sur le visage de son amie, il lui répondit en souriant à son tour, et tendit la main vers elle.
    _ Allez, on fait la paix Em', okay ?
    Elle considéra cette main tendue un instant, puis remonta son regard vers celui bronze de son ami. Elle hocha la tête en signe de négation et retourna à ses exercices de mathématiques, résolue et pleine de bonne volonté.
    _ Euh, ok … Je viens en signe de paix, et tu veux toujours me faire la guerre. Qu'est-ce que j'ai fait de mal, franchement ?
    Le brun bougonna, puis croisa les bras sur la paillasse, avant de laisser reposer sa tête sur ceux-ci, regardant ailleurs.

     

    (10)

     

    _ Je te jure que je fais preuve de la meilleure volonté du monde en venant te voir, qu'est-ce qu'il te faut de plus ?
    _ Sors avec moi peut-être, murmura-t-elle.
    Elle piqua immédiatement un fard, et tourna la tête à l'opposé, ne voulant pas croiser le visage de son voisin, et risquer de paraître encore plus ridicule à ses yeux, d'autant plus que le rouge de ses joues devait faire tâche avec la rousseur de ses cheveux.
    _ Pourquoi pas, souffla simplement Georg. Je comprends pas pourquoi tu ne m'avais pas dit ça plus tôt d'ailleurs.

     

    (10)

     

    Emma fit aussitôt volte face, dévisageant immédiatement Georg. Elle était absolument sûre d'avoir rêvé ce qu'il venait de dire, puisque tout ceci n'était pour elle qu'une simple illusion. Elle hésita même à se pincer, mais enleva très vite cette idée de son esprit. Georg la verrait, et ce ne serait qu'une raison de plus pour se moquer d'elle.
    _ On a qu'à se dire ciné demain soir, t'en penses quoi ?
    Il se leva de son tabouret, et réajusta son sac sur son épaule. Emma ne cessait de le quitter des yeux, plus rougissante que jamais. Elle se contenta alors d'opiner du chef tout en regardant Georg qui se trouvait devant elle, abasourdie.

     

    (10)

     

    _ Cool. Je passerais vers vingt heures alors. A plus tard !
    Il lui fit un simple signe de la main en guise d'au revoir, avant de sortir de la pièce et de poursuivre son avancée hasardeuse dans les couloirs du lycée, tout en évitant le personnel éducatif, avant d'aller se poser dans un coin de l'établissement, et ne plus bouger jusqu'au cours suivant.

     


  • (11)A quelques mètres de là, une porte subissait les ravages de la jeunesse, dans un silence des plus étranges, malgré quelques bruits étouffés. Une sonnerie perça cet étrange calme et la porte cessa

     

    A quelques mètres de là, une porte subissait les ravages de la jeunesse, dans un silence des plus étranges, malgré quelques bruits étouffés. Une sonnerie perça cet étrange calme et la porte cessa de se mouvoir sur elle même.
    Un cri de victoire perça depuis la petite pièce, et un jeune homme en déboula, mal vêtu, le nez rivé sur l'écran de son téléphone portable, sur lequel il avait reçu un message assez improbable de la part de son meilleur ami :
    « Appelle moi beau frère Cam ♥ »

     

    (11)A quelques mètres de là, une porte subissait les ravages de la jeunesse, dans un silence des plus étranges, malgré quelques bruits étouffés. Une sonnerie perça cet étrange calme et la porte cessa

     

    Et à ce simple message, il envoya un texto de félicitations à sa sœur, bien content de ne plus avoir à se prendre des oreillers et des peluches dans la figure chaque lendemain de fête. Déjà que lui même y participait, si elle pouvait cesser d'aggraver sa propre gueule de bois en hurlant dans tous les coins, ça lui fera quelques vacances, qui ne seront pas de trop.
    Il partit donc à la recherche de son meilleur ami, plantant sa conquête qui lui a servi d'encas à la place de son petit ami, quand un autre message vint lui rompre sa très éphémère solitude.
    « Bonjour ^.^ »
    Camille s'arrêta un instant, regardant son téléphone, étonné d'avoir des nouvelles de lui, alors que cela faisait des jours qu'il ne lui avait plus parlé.

     

    (11)A quelques mètres de là, une porte subissait les ravages de la jeunesse, dans un silence des plus étranges, malgré quelques bruits étouffés. Une sonnerie perça cet étrange calme et la porte cessa

     

    Lui, un gars que Camille avait rencontré fortuitement sur un site internet alors que Georg l'avait forcé à s'y inscrire, et finalement, avaient fini par s'entendre plutôt bien, prouvant à beaucoup de personnes autour de lui que l'on pouvait se faire de vrais amis sur internet, car c'est ce que Cameron était devenu pour Camille. Un véritable ami, bien que récemment ce n'était plus tout à fait le cas, vu leur clair manque de communication.
    Les doigts de Camille glissèrent alors sur le pavé tactile de l'appareil, et commença à pianoter une réponse pour ce déserteur d'ami qu'il était.
    « Encore en vie ? C'est si bien que ça la mer, les vacances, les vieux et tout ? »
    « Oui c'est agréable »
    « Quoi de neuf alors ? »
    Camille se dirigea vers le fond de la cour de l'établissement, le regard fixé sur son téléphone portable, en attente d'une réponse, pendu à la conversation qu'il entreprenait. Plusieurs minutes passèrent ainsi, les yeux de Camille n'avaient pas quitté l'écran pour autant, esquivant comme il pouvait les élèves qu'il croisait dans son périple.

     

    (11)A quelques mètres de là, une porte subissait les ravages de la jeunesse, dans un silence des plus étranges, malgré quelques bruits étouffés. Une sonnerie perça cet étrange calme et la porte cessa

     

    - Piliiiip -
    Le téléphone sautilla dans la paume de l'adolescent, qui s'empressa aussitôt d'ouvrir la conversation pour y lire le message tant attendu.
    « Jai un cou de soleil xD et toi ? »
    Et lui ? Un sourire passa sur son visage en repensant à ses nouveautés, se demandant s'il était vraiment judicieux qu'il lui parle de ses aventures scolaires. Il commença à pianoter un message, l'effaça ensuite, en récrivit un autre et ainsi de suite, jusqu'à ce que ces doigts glissent et forment :
    « Rien de spécial … Hormis que ton texto est un peu mal tombé :p J'étais assez occupé xDDD »
    « Ah excuse moi, t'été pas obliger de répondre »
    « Justement, c'était pas un bon coup. Tu m'as sauvé la vie, thks »
    « Aha.. Serien.
    Derien* »
    A cet instant, la sonnerie retentit, annonçant le changement de cours, et notamment, la fin du cours de latin auquel était inscrit le petit ami de Camille. Du moins, petit ami pour la forme. Non pas que ce jeune homme ne ressente pas une réelle affection pour le blondinet, mais s'attacher à un seul mec à son âge, ce n'était clairement pas envisageable pour lui. Il rangea alors son cellulaire dans le fond de sa poche, et n'eut pas à attendre bien longtemps avant que ne se pointe son petit ami, qui s'installa immédiatement à califourchon sur ses genoux.

     

    (11)A quelques mètres de là, une porte subissait les ravages de la jeunesse, dans un silence des plus étranges, malgré quelques bruits étouffés. Une sonnerie perça cet étrange calme et la porte cessa

     

    _ Bon cours ? Demanda la crevette en posant ses mains dans le bas du dos de Cloud.
    _ C'est du latin, qu'est-ce qu'il y a d'intéressant et de bien là dedans ? Demanda-t-il de manière tout à fait rhétorique.
    _ Bah je sais pas moi, je n'ai pas choisi l'option latin contrairement à une certaine personne juste en face de moi.
    Le blond encadra le visage de son petit ami de ses mains, cherchant à lui déposer un baiser sur les lèvres quand quelque chose le freina dans son envie. Une odeur qu'il ne connaissait pas émanait de Camille. Il se recula alors vivement, le regard noir et dévisagea son petit ami, furieux.

     

    (11)A quelques mètres de là, une porte subissait les ravages de la jeunesse, dans un silence des plus étranges, malgré quelques bruits étouffés. Une sonnerie perça cet étrange calme et la porte cessa

     

    _ Quoi ? S'étonna le châtain. J'ai fait quoi encore ?
    _ Fais pas l'ignorant. T'as recommencé. C'était qui cette fois ?
    _ Qu'est-ce que ça peut te foutre ?
    _ Je suis ton MEC ! Je me sens un minimum concerné par tes petites sauteries tu vois. Putain, tu me soûles Cam ! J'en ai marre de ta gueule, je me casse.

     

    (11)A quelques mètres de là, une porte subissait les ravages de la jeunesse, dans un silence des plus étranges, malgré quelques bruits étouffés. Une sonnerie perça cet étrange calme et la porte cessa

     

    Sur ces mots, Cloud se leva des genoux de son désormais ex petit ami, avant de tourner les talons et de prendre la direction du lycée, laissant Camille seul sur son banc à l'extérieur. Il attrapa alors son téléphone portable, pianota sur l'écran, et envoya un unique message au seul ami qu'il savait accessible à cette heure.
    « Toujours par là ? Où tu es retourné te baigner ? »
    Son message resta ainsi sans réponse de longues minutes, puis Camille entreprit de se lever, pour aller rejoindre sa sœur en classe, pour la fin de la journée de cours qui l'attendait.

     


  • (12)

     

    A quelques rues de là, mains dans les poches, William Mayers sortait de l'entreprise de déménagement pour laquelle il travaillait depuis douze ans maintenant, harassé par sa journée de travail qui, bien que relativement courte à celles qu'il avait l'habitude d'effectuer, avait fini de l'achever pour la journée. En effet, déménager une famille dans un T5 au sixième étage d'un vieil immeuble sans ascenseur, ce n'était pas le genre d'activité favorable au repos et à la détente, et c'est pour cette raison que son employeur avait laissé le reste de la journée aux braves qui avaient donné de leur sang (et surtout de leur sueur en réalité) pour ce travail en particulier. William avait donc le cœur relativement léger, malgré ses muscles endoloris et sa tête qui commençait à tambouriner sourdement. Il avait la fin de l'après midi devant lui, pour faire ce qu'il voulait, et l'apprécierait d'autant plus qu'aujourd'hui étant le jour de congé de Julia, il pourrait le passer avec elle, loin de ses monstres d'adolescents surexcités. 
    La nouvelle de la libération de son père ? Il n'en a pas encore entendu parler. Les nouvelles, il préfère les lire le matin dans son journal devant un bon bol de café et ses tartines plutôt que d'écouter un ramassis de corneilles et de babouins tenter de se vendre en proposant les drames quotidiens que notre planète Terre devait supporter à chaque minute. Il est serein, rêve déjà du frigidaire et des sodas qu'il regorge, ne buvant plus de bières depuis bien longtemps comme il l'avait alors promis à sa sœur, Julia, pour que Georg « connaisse au moins son oncle à défaut de son père ». Mais tout cela était il y a bien longtemps. Bien avant que Harry ne révèle l'inconcevable, son premier mariage qui lui donna William, son deuxième qui le força à adopter la sœur cadette de son épouse. Avant que l'affection plus que fraternelle qu'éprouvait William pour sa sœur ne puisse finalement se dévoiler au grand jour pour en arriver à ce qu'il en est aujourd'hui.
    Après quelques minutes de marche, William arriva enfin au pied de l'immeuble dans lequel il était propriétaire d'un duplex, et poussa la lourde porte pour y entrer, escalada à la volée les escaliers les menant chez lui, et c'est tout sourire qu'il ouvrit la porte de son logement, souhaitant faire une surprise à sa Julia.
    _ Hello ! Lança-t-il en entrant.

     

    (12)

     

    Il se dirigea vers la bibliothèque à sa gauche pour y déposer ses affaires, clés et portefeuille, tendant l'oreille quant à une réponse de la femme qui partageait sa vie, mais rien ne vint à ses oreilles. Quelque peu inquiet, il réitéra l'expérience, regardant dans la mezzanine depuis le rez-de-chaussée, et à nouveau, il resta sans réponse.
    Sans crier gare, il ouvrit les portes des pièces du rez-de-chaussée, vérifiant le balcon, sans trouver une quelconque trace de Julia. Son sang ne fit qu'un tour et son cœur se mit à s'emballer dans sa poitrine. A chaque instant, il prenait peur pour Julia, et ce depuis presque toujours, depuis ses neuf ans où elle s'est enfermée dans un mutisme huit longues années durant. Son ex-sœur était fragile, et il n'avait qu'une crainte, que sa fragilité n'ait un jour raison de sa Julia.

     

    (12)

     

    Et il la trouva finalement, assise sur le lit dans la chambre de leur fils, un album photo sur les genoux et des larmes courant sur ses joues. Elle avait le regard fixé sur l'ouvrage, sur les photos qu'il contenait et que William connaissait par cœur. Un album qu'ils avaient réalisé en commun, à destination de Georg, pour qu'il connaisse les circonstances désastreuses de sa naissance, son premier « père » et ce qu'il a fait pour Julia. Ce « père », Mikael, qui avait recueilli Julia quand elle s'est enfuie de chez elle, et avec lequel elle avait pu s'épanouir et se rouvrir aux autres. Ce Mikael auquel Julia était fiancée, qui a choisi le deuxième prénom de Georg, Kaitlin,et qui avait trouvé la mort le lendemain de la naissance de ce dernier, de façon tragique. Or, cet album photo, jamais ils ne le lui avaient donné. Pour Georg, seul William est son père, et il ne sait rien des circonstances de sa naissance, ni même des drames que sa mère avait du endurer.

     

    (12)

     

    _ Qu'est-ce qu'il ne va pas ? Questionna William en restant dans l'encadrement de la porte, n'osant pas faire un pas supplémentaire de peur d'être une présence indésirable dans la tristesse de Julia.
    _ Il va avoir seize ans après demain Will … Je ne me sens pas prête pour ça.
    Elle ferma l'album photo qu'elle posa à ses pieds, et passa son poignet sous ses yeux pour assécher les dernières larmes qui tentaient de se frayer un chemin sur ses joues déjà humides et lavées de toute trace de maquillage. William s'approcha d'elle doucement, s'assit à ses côtés avant de l'attirer délicatement contre lui, étreinte qu'elle ne refusa pas, bien au contraire, puisqu'elle se blottit finalement contre lui.

     

    (12)

     

    _ Il va bien falloir pourtant, tempéra Will. On savait très bien que ses seize ans arriveraient, il a le droit de savoir.
    _ Tu n'as pas peur ? Qu'il ne te considère plus comme son père …
    _ Je lui fais confiance. On verra qui il choisit entre ce salopard, Mikael et moi. S'il choisit Mikael, je m'inclinerais, après tout, je ne suis que le père adoptif de Georg.
    Il déposa un léger baiser sur le front de Julia. Cette dernière ferma les yeux, ses mains s'accrochant au tee-shirt de son mari, rongée par l'inquiétude de ce qui se passera le lendemain, le surlendemain et les jours à venir. Elle était rongée par la peur que son propre fils ne la juge sur ses actes, ou n'accepte pas le fait d'être né d'un viol.

     

    (12)

     

    A cette simple pensée, Julia tressaillit, et William la serra un peu plus fort contre lui, jouant avec les cheveux platine de la femme de sa vie.
    _ On peut attendre dimanche si tu veux, qu'il passe sa fête d'anniversaire dans l'ignorance et l'innocence. Ça te convient ?
    Julia opina du chef, avant de se redresser, et de regarder William dans les yeux. Un léger sourire s'esquissa sur le visage la femme, que William s'empressa, tout en douceur cependant, de caresser de la pointe de son pouce, collectionnant ces quelques moments volés avec son épouse, loin de leurs enfants.
    _ Enfin, pour l'innocence,on repassera, se mit à rire William en se relevant.
    Il tendit la main à Julia, qui l'accepta, se releva et récupéra l'album photo au sol. Celle-ci sourit d'ailleurs à la remarque du brun, en pensant à tous les déboires qu'elle avait déjà du endurer avec son fils, bien que le plus souvent, ce soit William qui gère ce genre de situation.
    Celui-ci d'ailleurs sortit de la chambre de son fils, laissant à Julia le soin de ranger l'album photo à sa place dans un tiroir de leur chambre, avant de descendre au rez-de-chaussé pour aller se blottir l'un contre l'autre sur le canapé du salon, allumant la télévision pour faire office de fond sonore.

     

    (12)

     

    _ Tu as passé une bonne journée sinon ? Demanda Julia une fois qu'ils furent tous les deux confortablement installés dans le canapé.
    _ Hormis le fait que le boulot m'ait tué, ça s'est plutôt bien passé, d'autant plus que j'ai eu le droit à une après midi de repos après l'enfer de ses six étages. Et toi ? Tu as pu dormir ?
    Julia resta muette à cette question, préférant jouer avec les doigts de son amant plutôt que de répondre sincèrement, car elle savait qu'il allait encore se répandre en excuse dès qu'elle lui aura avoué que son cri à sept heures du matin n'était pas de ceux qui ne réveillent pas, même au contraire. Les voisins aussi ont du l'entendre ce terrible rugissement.
    _ Tu as encore fait le même cauchemar ? Demanda-t-elle en changeant de sujet, tout en répondant de manière subtile à William, même par omission, Julia ne supporte pas le mensonge, il est vrai que vivre entouré par de tels préceptes ne facilitait pas leur acceptation.
    _ Je suis désolé, s'excusa William, de manière tout à fait prévisible. J'aurais souhaité ne pas te réveiller.

     

    (12)

     

    Il marqua une pause, durant laquelle il installa Julia contre lui. Cette dernière s'allongea sur les genoux de son époux, bien calée pour l'écouter, tout en en profitant pour le détailler sans aucun scrupule. Car même après quatorze ans de mariage, elle ne se lassait jamais de voir William, elle ne réalisait pas que cet homme, en face d'elle, qui faisait encore aujourd'hui tourner bien des têtes, était sien, comme le prouvait leurs anneaux. Alors chaque jour, elle en profitait pour prolonger le rêve encore plus longtemps en s'imprégnant de lui le plus possible. Elle était chanceuse, elle le savait.
    _ Oui, répondit-il finalement. Mais cette fois, ça se passait dans une boîte de nuit, deux ans avant le décès de Paul et Claire1. Andy mourrait une nouvelle fois, et devant mes yeux cette fois …
    Julia pris les mains de William dans les siennes, les serrant au plus fort qu'elle le pouvait, quand un son de sonnette de porte d'entrée retentit. Julia se leva alors, laissant William assis dans le canapé pour ouvrir au visiteur, qui se débattait avec la sonnette qui était trop haute pour sa faible hauteur, à savoir un mètre vingt les bras levés.

     

    (12)

     

    _ Bonjour Nate, le salua immédiatement Julia. William s'occupera de la sonnette d'ici samedi, comme ça tu pourras sonner sans te contorsionner.
    _ Merci Ju', mais on a un problème, dit-il en entrant dans l'appartement à grand tour de roues dès que Julia eût dégagée la porte d'entrée.
    Nate Handers s'approcha de son meilleur ami, le visage grave, un paquet de feuilles coincés dans son fauteuil roulant. Ne saluant pas son ami, il s'empara de la documentation, qu'il tendit à William, qui s'empressa de les récupérer, les balayant du regard, son regard s'effarant un peu plus au fil des secondes.
    _ Harry est ….

     

     

     

     

    1Parents de Delphes, Andy et Eliott Thatch. Décédés dans un accident de voiture causé volontairement et dont Harry Mayers est le suspect principal.


  • (13)

     

    _ … sorti de prison aujourd'hui ?
    Mathieu recracha presque instantanément le café qu'il était en train de boire quand son ancienne collègue, Akira, avec qui il passait au minimum une heure par jour au téléphone, venait de lui annoncer la nouvelle qui courrait dans tout Houlton depuis le début de la journée. Harry Mayers était sorti de prison. Cet homme pour lequel il avait réalisé le genre de sacrifice qu'il s'était toujours interdit, refusant de mêler sa vie privée et professionnelle, il n'avait pas été assez prudent, et avait dû, à contrecœur, se séparer de la femme qu'il aimait. Acte qui par la suite avait commis l'irréparable, cet accident de balle perdue qui lui avait coûté non seulement son travail, mais avant tout, son poumon droit.
    Il appuya sur le haut parleur de son téléphone cellulaire, avant de grimper à l'étage, dans la chambre parentale de la maison, et posa l'objet sur le lit, avant d'ouvrir sa commode pour en sortir des vêtements plus adéquats pour ce qu'il s'apprêtait à faire, à savoir rejoindre l'ancien poste de police dans lequel il officiait quinze ans auparavant.

     

    (13)

     

    _ Tu peux m'en dire plus ? Lui demanda-t-il tandis qu'il nouait sa cravate soigneusement autour de son cou.
    _ Une de ses amies, une certaines Brook Anderson, a ré-ouvert le dossier il y a quelques mois en demandant le huis-clos, dans le but d'innocenter Mayers. Et elle a gagné le procès, faute de preuves pour incarcérer Mayers plus longtemps pour le double meurtre des Thatch, et celui de son épouse.
    _ Putain !
    D'un coup de pied violent, Mathieu referma le tiroir de la commode avant de s'asseoir sur le lit, tête entre ses mains. Pour lui, c'était pire que si son monde s'était écroulé. Ces sacrifices qu'il avait endurés, il les acceptait tant qu'il savait qu'ils étaient justifiés. Oui, perdre un poumon et son travail était une condition valable pour mettre ce décérébré derrière les barreaux. Et aujourd'hui, tout ça n'avait strictement servi à rien. Le voilà revenu au point de départ, avec une dette supplémentaire sur les épaules : pour le bien de Julia et William, qui faisaient partie de sa famille désormais, il se devait de remettre Harry là où il ne leur ferait plus aucun mal.

     

    (13)

     

    Il prit le téléphone, éteignit la fonction haut parleur, et le porta de nouveau à son oreille, restant assis comme il l'était auparavant, car bouger le moins possible lui permettait de garder un certain calme et une très bonne lucidité quant à ce qu'il essayait d'assimiler.
    _ Tu es au poste de police actuellement ?
    _ Oui. Yann est censé me rejoindre pour aller au palais de justice et tâcher de rencontrer l'avocat de Mayers. Il lui a d'ailleurs trouvé un très charmant surnom : l'avocat du Diable. C'est vrai que ça lui va bien.
    _ Tu as le nom de cet avocat ? Genre, il est connu, où quelque chose comme ça ?
    _ Non, il n'est pas connu. Mais son nom va t'étonner Matt, éluda-t-elle, puis voyant qu'il ne répondit pas, elle poursuivit. En fait, Yann le connaît bien, car il a été une victime de Mayers durant son enfance. Il s'agit d'Eliott Thatch.

     

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    Mathieu marqua un temps d'arrêt prolongé à l'entente de ce nom. Comment est-ce que Eliott Thatch pouvait-il être l'avocat de Harry Mayers. Bien sûr que Mathieu le connaissait, bien qu'il ne l'ai jamais vu. Il avait à peine trente ans, et alors qu'il avait neuf ans, un groupe de trafiquants de drogues et d'armes l'avait kidnappé, espérant faire ainsi revenir leur précédente otage, Delphes Thatch, la sœur aînée d'Eliott. Et c'est d'ailleurs pour ces trafics de drogues et d'armes que Harry Mayers avait été inculpé, la justice ayant prouvé qu'il eut été à la tête de cet important réseau de malfrats. Que pouvait bien espérer Eliott en s'alliant à un tel homme et en le faisant sortir de prison ?

     

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    _ Tu parles bien du petit frère d'Andy Thatch, la meilleure amie de Sienna ?! Osa-t-il tout de même s'écrier, de manière cependant modérée, dans le combiné.
    _ Oui, et je suis tout autant surprise que toi, Yann ne s'en remet pas. Il avait travaillé sur son enlèvement, rappelle-toi.
    _ Ouais, je sais. Je comprends pas, soupira-t-il, exaspéré.
    _ Nous non plus, c'est bien pour ça qu'on compte aller le voir au palais de justice dans l'immédiat, donc ce serait cool que tu bouges ton adorable p'tit cul de mannequin fissa avant qu'il ne nous file entre les mains.
    _ J'arrive !

     

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    Mathieu raccrocha presque instantanément son téléphone avant de le mettre dans sa poche, et de sortir de chez lui, en direction du palais de justice qui se trouvait à une vingtaine de minutes à pied de son domicile. Il envoya un texto rapide à son épouse, qui risquait de rentrer toujours plus tôt que prévu, préférant qu'elle ne le cherche pas où il se trouve en réalité.
    « J'ai été appelé en remplacement pour un cours d'auto-défense. Je ne sais pas quand je rentre. »
    Encore un mensonge supplémentaire pour ne pas inquiéter Sienna, qui n'avait qu'une seule et unique crainte : que l'ancien boulot de Mathieu, sa passion, sa vie, ne le lui enlève une nouvelle fois, mais pour de bon cette fois.