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    Je crois que j'ai le mal de mer. Ce fut ma première pensée quand nous sommes arrivés au port avec Savannah. Je n'avais jamais vu de port, encore moins la mer comme elle se présentait en face de moi, différente de lors de mes vacances avec Meredith. J'eus un haut le cœur et m'appuyai contre un mur, ce qui inquiéta Heaven. C'était ça ou l'avion, et je n'avais pas le droit de prendre l'avion sans avis médical, or j'évitais de près ou de loin les hôpitaux, de peur qu'ils ne me forcent à rester pour me soigner, et il en est hors de question.

     

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    Savannah nous attrapa par les épaules et nous attira contre elle chacun notre tour, les larmes aux yeux, ce qui me fit émettre un petit rire malgré moi. C'était trop prévisible qu'elle se mette à pleurer le jour de notre départ. Après tout, ça faisait des semaines qu'on animait ses journées, ça allait lui faire un manque, mais après tout, elle pourrait roucouler tranquillement avec Noah sans nous avoir dans ses pattes, ce ne serait pas plus mal pour eux, ils ont l'air de bien s'entendre et de se rapprocher.
    - J'ai hâte de vous revoir … nous dit la photographe en serrant Heaven, que dis-je, la comprimant contre elle. Si vous revenez pas, je vous cherche à travers ce fichu globe et je vous tue ! Tous les deux, sans aucune pitié.

     

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    - Je crois qu'on a pas trop le choix alors, sourit Heaven. Ne t'inquiète pas, on compte bien revenir, de toute, on est obligé de repasser par New York pour rentrer chez nous …
    Je ne dis rien, mais j'entendais très bien ce que sa voix murmurait : elle seule repasserait à New York voir Savannah, elle le savait très bien. Moi, et bien, je serais soit enterré ou brûlé selon les coutumes du pays où je serais mort, à moins qu'Heaven choisisse de me rapatrier, elle fera comme elle le voudra, je peux bien lui laisser encore des choix.

     

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    Nous enlaçâmes brièvement Savannah une dernière fois, lui promettant alors de repasser la voir, et qu'à nouveau, on poserait pour elle si jamais elle a besoin de ses deux mannequins fétiches. On pouvait bien le lui promettre si ça pouvait la rassurer, je sais bien qu'elle a des doutes à notre sujet, comme celui de ne jamais nous revoir. Etions-nous si transparents que ça avec elle ? J'espérais bien que non, mais si elle a pu capter le moindre signal, il fallait croire que oui, et ça ne nous arrangeait guère, de devoir nous justifier ainsi devant ceux que l'on croiserait.

     

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    Arrivés sur le pont, je m'appuyais sur le rebord, et regardait le port, voyant Savannah nous faire de grands signes de bras, auquel je répondis de bon cœur. Je tournai la tête et croisait le visage d'Heaven qui souriait, comme une mère pleine de fierté de voir son enfant faire ses premiers pas devant ses yeux. Moi c'était plutôt admirer mes débuts en tant qu'être sociable.
    - On reste en contact ! Hurla-t-elle. Ecrivez moi dès que vous pouvez ! A bientôt !
    Elle se rua vers les quais, en continuant ses grands signes tandis que le bateau prenait le large, vers le transatlantique que nous rejoindrions dans quelques heures au large de la côte Américaine. Et le bateau s'éloigna, transformant les personnes en fourmis puis en simples points sur l'horizon, avant que celui-ci, à son tour, ne disparaisse de mon champ de vision, et j'eus un pincement au cœur, qu'Heaven s'empressa d'estomper en me prenant la main,toute sourire.

     

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    - Je … débutai-je en la regardant.
    - Mmh ?
    - Je crois que j'ai le mal de mer ! Fis-je avant de rendre le contenu de mon petit déjeuner par dessus bord.
    Le voyage promet d'être long … très long. Et ca ne fait même pas cinq minutes que nous étions sur ce fichu bateau de mes deux.


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    - Tu comptes passer tout ton séjour en mer allongé dans ta cabine sans profiter du tout de l'air marin ? Me talonna Heaven en s'asseyant sur mon lit.
    - J'ai le mal de mer Heav … bougonnai-je en portant mon bras contre mes yeux. Et là, tu me remues l'estomac avec tes questions …
    D'ailleurs, celui-ci se manifesta en se tordant dans mon abdomen, me faisant faire des grimaces que j'essayais de réprimer, ce qui fit exploser Heaven de rire. Je vais l'assassiner, je souffre le martyr moi, namého !
    - Tu comptais vraiment faire le tour du monde ? Parce que bon, être incapable de remarquer quand son estomac réclame à manger, ça devient grave là Aaron. Tu as faim sombre crétin. Bouge pas, je reviens !

     

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    Et elle sortit de la cabine, me laissant seul avec moi même … enfin moi même et le bruit des vagues contre la coque du bateau, et j'en étais pas très friand. Pitié, faite que ça s'arrête, j'en avais marre de devoir faire en sorte de pas gerber au milieu de la cabine, ça devenait réellement saoulant. Alors que je somnolais, en grognant à moitié, Heaven revient dans la cabine, avec une boite de sandwichs. Je réprimais un nouveau haut le cœur et tournai la tête vers le mur, pour ne pas voir ce truc … qui ne me donnait pas du tout envie de manger, mais plutôt l'inverse.

     

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    - Eloigne ça de ma vue, grognais-je.
    - T'as rien mangé depuis deux jours, il va être temps que tu te ravitailles. Allez, un petit effort Aaron, ou je te gave comme une oie, et ce sera loin d'être drôle.
    - Pas faim …
    - Mais oui, c'est ça, à d'autre …

     

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    Elle tira sur mon bras pour m'allonger sur le dos bien comme il faut et s'installa au dessus de moi, une jambe de chaque côté de mon corps, ses bras de chaque côté de ma tête. Ses sourcils se froncèrent aussitôt et son regard s'obscurcit. Mais j'ai pas faim moi... pffff.
    - Mange Aaron, c'est pas le moment de se laisser crever de faim, tu oublies qu'on a la France à aller visiter. La Tour Eiffel, les bateaux mouches, Notre Dame de Paris … Allez, mange !
    - Et on arrive quand ? Bougonnai-je.
    - Dans trois jours. Donc si tu manges aujourd'hui, je te laisse tranquille jusqu'à ce qu'on ait les pieds sur le plancher des vaches. Ca te va comme deal ?
    - Nan, j'ai pas faim … et puis tu vas me r'forcer à manger demain, je te connais comme si je t'avais faite, alors c'est niet. Je mangerais pas ton truc infâme.

     

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    Elle soupira et s'allongea sur mon torse, son oreille collée au niveau de mon cœur. Elle me fait quoi là ? A ce rythme, c'est pas la cabine qui sera douchée, mais Heaven, et je doute fort qu'elle apprécie le parfum « Vomi de Aaron », la nouvelle fragrance de cette année chaotique. J'expirai, exaspéré, et posai mes bras dans son dos.
    - Bon, qu'est-ce qu'il y a ?
    - Je te promets tout ce que tu veux si jamais tu manges ne serait-ce qu'une bouchée de ces sandwichs confectionnés avec amour par le chef cuistot de la sandwicherie.
    - J'aurais préféré par toi, je m'en fiche de l'amour du type de la sandwicherie …
    - Mais c'était plus rapide de les acheter tout prêts …

     

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    Elle releva la tête et posa son menton sur mon torse, pour me regarder.
    - Mange un peu Aaron, s'il te plaît, je vais être triste moi sinon... Tu n'as pas envie que je sois triste, n'est-ce pas ?
    Je soupirai, puis me redressai en la gardant contre moi pour l'empêcher de filer, j'aimais bien la savoir proche de moi comme ça, alors hors de question de la laisser partir. Je jetai un regard dépité aux sandwiches avant d'en attraper un dans lequel je mordis, sans grande envie. Je fermais les yeux, craignant le pire, avant de me rendre compte que manger me faisait le plus grand bien et j'engloutis la totalité de mon sandwich, sous les rires d'Heaven, qui fit de même, et en quelques minutes à peine, les sandwiches avaient disparu, et nous étions repus, la peau du ventre bien tendue.

     

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    - Sur ce coup là, j'avoue que tu avais raison Heaven … Mais la prochaine fois, je veux ton amour à toi dans les sandwiches, pas celui du type de la sandwicherie …
    - Je note, promis, dit-elle alors riant. Et maintenant, on va se promener sur le pont !

     

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    Elle sauta sur ses pieds, toute souriante, et je ne pus m'empêcher de l'admirer tandis qu'elle ouvrait les placards à la recherche d'une autre tenue pour ma part, très certainement un pull, il ne devait pas faire chaud sur le pont, on est dans l'Atlantique en même temps, et au Nord du globe...
    - Tu es heureuse Heaven ? Lui demandai-je en m'asseyant sur le bord du lit, ne pouvant m'empêcher de la regarder.
    - Hein ? Euh … oui, je crois. C'est quoi cette question bizarre ? Si c'est pour me dire que c'est parce que tu sens que tu vas mourir dans l'heure, c'est pas drôle hein !
    - Je vais pas mourir dans l'heure Heav', on se calme. Je me porte comme un charme, calme-toi. Je te trouve étrangement souriante en fait, je vais faire une overdose d'Heaven de bonne humeur …
    - C'est que …

     

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    Elle s'assit sur le siège du coin de la cabine, et me regarda, rougissante, ce qui me fit sourire, et battre mon cœur un peu plus fort dans ma poitrine,
    - J'ai toujours rêvé de sortir de Houlton pour voir le monde … Alors oui, ça me rend complètement euphorique, même notre virée à New York m'a plus que plu, même le caractère stupide de Savannah et même quand on a débarqué en pleine nuit à central Park... Tu sais, j'avais l'air furax, mais une partie au fond de moi adorait l'idée de dormir à la belle étoile en plein cœur de New York …
    - Sérieux ?
    - Ouais … Si il n'y avait pas de compte à rebours, ce seraient les plus jours de toute ma vie … Enfin, ils le sont quand même, mais savoir que je vais te perdre au final, ça entache un peu l'idée …
    Elle sourit, sa tête penchant sur le côté, mais ses larmes se remplissaient de larmes, d'ici je les voyais briller. Et des sanglots commencèrent à troubler sa voix.
    - J'aimerai que tu restes toujours avec moi … dit-elle avant de fondre en larmes.

     

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    Je me levai derechef et m'empressai de la prendre dans mes bras pour la blottir contre moi, lui frottant le dos pour la calmer et l'empêcher de pleurer plus encore, mais je ne me sentais plus mal, je ne me sentais plus égoïste comme avant, et j'appréhendais mieux ce qu'il allait m'arriver, surtout depuis que je m'étais décidé.
    - Je resterai toujours avec toi Heaven, je te le promets … Je te promets de devenir cette famille que tu n'as jamais eue, et toi vivante, tu ne seras plus jamais seule …
    Sur ces mots, je lui embrassai le front et lui essuyai ses larmes du bout de mes pouces, alors que ses doigts s'accrochaient à mon tee-shirt, comme pour m'empêcher de m'envoler. Comme si des ailes aller me pousser dans le dos, sérieusement, après tout, je suis loin d'être un ange. Et a cette pensée, je ne pus m'empêcher de sourire.


  • - 160 -

     

    Quand Heaven s'affala sur l'un des deux lits de la pièce, elle poussa un long soupir de soulagement, les yeux plein d'étoiles alors que je m'asseyais sur l'autre lit, après une journée de crapahutage en ville. Elle trépignait comme une enfant, tout sourire. Elle aurait fait une fugue quand elle était dans son orphelinat, elle n'aurait pas été plus heureuse, ça aurait été la même chose, en un mot : la liberté !
    - J'adooooore Paris !!
    - Paris ne vas pas t'aimer très longtemps si tu le réveilles au beau milieu de la nuit, soupirai-je.

     

    - 160 -


    Elle s'empressa alors de s'asseoir, ramenant ses jambes contre elle et me regarda; la mine en pleine réflexion. Et tandis que je m'approchai d'elle, elle ouvrit la bouche, pour faire profiter à tout le monde son intelligence de blonde quand il ne s'agit pas de scolarité.
    - Mais Paris c'est la ville qui ne dort jamais de toute façon, me dit-elle, aussi convaincue que possible.
    Je m'empressai de cacher mon fou rire. Je fus incapable de dire si c'était de sa bêtise, ou si c'était sa mine si convaincue qui me donnait le fou rire. Beaucoup des deux je pense, et elle s'empressa de tronquer son visage d'élève modèle pour celui offusqué, ce qui me fit rire davantage.
    - J'ai dit une bêtise, c'est ça ?
    - Oui, et une belle, lui répondis-je en me calmant difficilement. On en vient de la ville qui dort jamais, Savannah nous l'avait bien fait comprendre, tu crois pas ?
    - Sauf que moi, je compte bien le faire comprendre à Paris. Tant que moi je suis dans les parages, Paris a interdiction de dormir. Je veux tout voir, maintenant !

     

    - 160 -


    Elle sauta sur ses pieds, ouvrit en grand la commode dans laquelle elle farfouilla pour en dénicher une autre tenue, sous mes yeux amusés.
    - Hors de question que je parcours la plus belle ville du monde habillée comme une souillon.
    Elle leva ensuite les yeux vers moi, interrogative.
    - Je me suis pas trompée là ?
    - Nan, c'était parfait. Ca veut dire que moi aussi je dois me changer pour sortir ? Fis-je en pinçant les pans de mon tee-shirt pour le regarder. Je me plais bien comme ça.
    - Reste comme t'es, c'est moi qui suis moche, dit-elle finalement en allant se cacher dans la salle de bain pour se changer.


  • - 161 -

     

    - Paris, c'est la ville du bonheur ! Chantonna Heaven en se promenant sur le bord de la Seine, une bouteille de bière à la main.
    Comment vous dire clairement ce qu'il se passe, sans vous choquer …. Heaven est soûle. Je peux pas faire plus simple comme explication. Elle a bu comme un trou, on est allé prendre l'air et là je guette les flics qui pourraient éventuellement se pointer pour la coffrer et la mettre en cellule de dégrisement, pour acte d'ivrognerie sur la voie publique, ou un truc dans le genre. Et ça risquait de faire mal. Sauf que je me vois plutôt mal rentrer à l’hôtel avec Heaven dans un état pareil, autant qu'elle chante dehors. Et puis, si elle m'agresse, je la balance dans la Seine, au moins c'est rapide et efficace comme moyen de défense.
    - T'approche pas de l'eau Heaven, soupirai-je en l'attrapant par la main. Mais qu'est-ce qu'il t'a pris de boire autant ?

     

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    J'empoignai fermement son bras et le passai au dessus de mes épaules pour la traîner jusqu'à un banc pas loin, même s'il fallait que je grimpe un certain nombre de marches avec un poids mort sur les épaules.
    - Je suis amoureuse …. se mit-elle à pleurer ensuite.
    Je crois que je la préférais encore quand elle chantait, c'était moins déprimant. Et j'ai pas très envie de l'entendre me parler d'Ulyss alors qu'elle soûle, elle serait bien capable de tout me déballer, y compris ce que je n'ai pas envie de savoir … En fait, surtout ce que je n'ai pas envie de savoir. Normal, j'ai pas de chance à ce jeu là.

     

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    - Même que c'est mon meilleur ami, mais lui il m'aime pas …
    La nuit allait être longue. Elle va se plaindre de moi maintenant, je vais jamais m'en sortir. Je me contentais d'acquiescer en continuant de gravir les marches, alors qu'elle pleurait toujours, s'accrochant à moi. Je n'étais plus seul à supporter son poids, heureusement qu'elle sait se montrer coopérative.
    Je l'installai finalement sur un banc, lui remettais ses fringues comme il fallait pour que rien de ce qui ne doit dépasser ne dépasse, et m'assit à côté d'elle.

     

    - 161 -


    - De toute, il aime une menteuse et une hypocrite …
    - Nan mais je te permets pas dis-donc. On se calme l'ivrogne, tu laisses Meredith en dehors de ça, c'est moi le menteur et l'hypocrite de toute façon...
    - Elle va se marier, dit-elle en partant d'un éclat de rire avant de replonger son nez dans sa bière.
    C'est bon, on l'a définitivement perdue, paix à son âme. Je me laissai tomber contre le banc, ma tête en arrière et regardai les étoiles, me demandant où elle avait bien pêcher cette histoire au sujet de Meredith. L'alcool et Heaven, ça ne faisait pas vraiment bon ménage en cette soirée d'avril.
    - Tu crois qu'il va me demander en mariage ? Me demanda-t-elle en regardant dans le fond de sa bouteille. J'aimerais bien, Heaven Hart c'est bien, ça fait HH … J'aime bien bouder HH …

     

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    Et subitement, elle se pencha en avant et rendit tout le contenu de son estomac sur le trottoir, sous mes grimaces. Mmmh, la féminité à l'état brut façon Heaven, c'est très charmant. Et elle fondit à nouveau en larmes, un vrai torrent, elle pourrait remonter le niveau de la Seine à ce rythme, enfin, je dis ça, je dis rien n'est-ce pas ? Je me levai, contournai la flaque peu appétissante, et pris Heaven dans mes bras. Elle se cacha contre mon cou, pleurant encore un peu mais rien de comparable. Rah les émotions changeantes, c'est pas mon trip en ce moment. Je me dirigeai alors vers l'hôtel, et en cours de route, elle s'assoupit et ronflait doucement contre mon cou.
    - Je suis amoureuse de Aaron Hart madame … murmura-t-elle dans mon cou.

     

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    Ces quelques mots me firent sourire, puisque je le savais déjà, mais les entendre de sa voix, et non pas de celle de mon frère me faisait plus plaisir encore, même s'il me pinçait le cœur, en me disant que je ne l'aimais pas comme elle m'aimait.
    J'arrivai finalement à l'hôtel, d'humeur plus ou moins maussade, Heaven parfaitement endormie dans mes bras et grimpai à notre étage, où je l'allongeais sur son lit après l'avoir changée pour la vêtir d'un pyjama. C'est pas comme si je ne l'avais jamais vue après tout. Après un timide baiser sur son front, je me changeai à mon tour et me glissai sous les draps frais, la tête tournée vers elle et la regardai, l'air de rien, ou du moins, l'air un peu coupable quand même.


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    Quelques jours passèrent, et nous arpentions Paris en réels touristes, appareil photo en poche, allant de Montmartre, au quartier Latin, le Trocadéro, l'île Saint Louis … Nous avions tout parcouru en long et en large, pas en une seule journée, je vous rassure, ça faisait déjà un bon nombre de jours que nous étions ici, et nous n'arrivions pas à nous lasser de Paris. Cette ville était comme je l'avais imaginée, pleine de surprises. Finalement, avec Heaven, nous nous étions arrêtés à un petit café en face de la cathédrale Notre-Dame, et consommions nos cafés tranquillement.

     

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    - Dis Aaron … Je voulais te demander un truc … J'osais pas, mais … durant ma … ma cuite, j'ai fait quoi ?
    - Tu n'en as aucun souvenir ? M'étonnai-je. Moi qui pensais que si vu que tu ne m'avais rien dit...
    - J'avais trop honte en fait …
    Elle se cacha dans sa tasse de café, rouge pivoine. Apparemment, la voir dans un état de faiblesse n'était pas ce qu'elle espérait que je rencontre un jour en fin de compte.
    - T'as emballé tous les mecs dans le bar, on est sortis, tu as chanté à tue tête, tu as voulu me violer et je t'ai jetée dans la Seine. Tu remarquais pas que tu sentais le poisson pas frais en te réveillant ce matin là ?
    Elle ouvrit de grands yeux, et j'explosai de rire. Franchement, c'était bien trop facile de l'emmener en bateau, elle n'y voyait absolument que du feu.

     

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    - Je déconne Heaven, t'as juste chanté et tu m'as dit que tu m'aimais, que tu voulais te marier avec moi car ça ferais HH pour Heaven Hart et que tu aimais bouder en mode HH, mais là, j'avoue que j'avais pas trop compris l'allusion. T'es pas lucide une fois bourrée tu sais.
    Elle rit dans sa tasse avant de boire une gorgée de son café, pour me regarder ensuite.

     

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    - HH c'est un smiley zeboude sur Messenger, il tourne le dos, c'est tout … Bon, même que des fois, il montre ses fesses, conclut-elle avec un sourire amusé.
    - Il montre ses fesses ? Ah bah c'est du propre. Et ah, tu as vomi aussi, tu m'as dit que Meredith était une menteuse et une hypocrite, et qu'elle allait se marier … C'est quoi ça ? Soit t'es pas lucide bourrée, soit tu es extra-lucide, au contraire … Tu me caches des trucs ?

     

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    Elle écarquilla les yeux, et cessa de rire aussitôt, et j'en conclus que j'avais touché la corde sensible. Cependant, je préférai taire le sujet et sourit, pour donner l'illusion que je blaguais, même si elle n'était pas dupe un seul instant.

     

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    Soudain, une douleur vive me prit dans la poitrine, et ce fut à mon tour de cesser de rire et d'écarquiller avec force les yeux, me courbant sous la douleur. Je frappai du plat de ma main sur la table et ne captai plus aucun son compréhensible autour de moi, aucun mot, juste des cris, des hurlement, des pleurs … mais rien d'intelligible. Puis mon audition me fut rendue, je me décrispai en même temps que mon cœur et regardait Heaven, ma main toujours accrochée à la table.
    - Ca … ca va, grimaçais-je, ça va passer ...
    Alors que la douleur semblait se calmer, une nouvelle pique me transperça le cœur, et je sentis ma bouche s'ouvrir, sans qu'aucun son ne s'en échappe pour autant. De lourdes larmes me montèrent aux yeux et je décrispai ma main de la table avant de m'effondrer lourdement au sol sur lequel ma tête se heurta violemment. J'essayai d'esquisser un « ça va » supplémentaire à Heaven, me persuadant moi même que ça allait se calmer, que ce n'était que temporaire et que j'allais m'en remettre sans trop de mal. C'est rien, c'est trois fois rien. Tu peux tenir le coup Aaron, t'as pas le droit de mourir maintenant, pas avant d'avoir …

     

    - 162 -


    Puis ce fut le trou noir, emporté par la douleur dans ma poitrine, et le visage inquiet de Heaven comme dernier souvenir de ma misérable vie …