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    Rien à faire, je ne trouvais pas. Ca devait pourtant bien être quelque-part. J'avais sauté la pause de midi pour la passer dans le foyer du premier étage, à essayer de trouver les adresses et numéros de téléphone de ceux qui pourraient m'aider à trouver mon oncle. Je croyais bien avoir regardé ce carnet sous toutes les coutures, sans succès au final. Oh, bien sûr j'en trouvais du monde. Elden et Geist, Athénaïs, Ulyss, Kaoline et j'en passe. J'ai même trouvé l'ancienne adresse de mon oncle, que Maman avait bien pris soin de barrer, la maison étant aujourd'hui rasée, s'élevant à la place un horrible immeuble de vingt étages. Mais aucune trace de Cathe-Line Hammer. J'étais en train de baisser les bras quand la porte du foyer s'entrouvrit. Surprise, et n'ayant rien à faire ici, j'ai planqué le carnet d'adresse comme je pus, même si avoir ce carnet sur moi n'était pas un crime en soi. Après tout, qu'est-ce d'autre qu'un carnet d'adresse.
    - Ah, tu étais là …

     

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    Je me retournai et découvris que c'était Emilien qui entrait alors dans le foyer, et je soupirai, rassurée. Comme si ma mère pouvait venir squatter au lycée pour récupérer son carnet alors qu'elle pouvait à peine se mouvoir à la maison à cause de sa grossesse. Ca avait aussi bien un aspect pratique – puisque Priam et moi pouvions nous retrouver dans ma chambre sans crainte d'être dérangés – que chiant, comme pour l'histoire des lettres.
    - Qu'est-ce que tu caches dans ton dos ? Me demanda-t-il en s'asseyant au sol, juste en face de moi.

     

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    - Un carnet d'adresses, fis-je en le lui montrant. Je suis à la recherche des amis de mon oncle pour le trouver lui. C'est pas très concluant.
    Il attrapa le carnet, et le regarda, avant de reprendre la parole.
    - Et tu cherches qui ? Peut-être que je les connais, on sait jamais. Ma mère a le bras long.
    - Cathe-Line Hammer, c'est une amie de mon père de l'époque du lycée. Mais rien à faire, je ne la trouve pas, et ça commence à me pomper l'air. Je suis pourtant convaincue que Maman l'a dans son carnet d'adresse.
    - Elle s'est mariée.

     

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    - Gné ? Tu la connais ? M'estomaquai-je en le regardant.
    - Mais non, rétorqua-t-il. Quand une femme se marie, elle troque son nom de jeune fille,pour le nom de son époux. Elle a du se marier, tu la trouveras pas à Hammer.
    - Nom de jeune fille … répétais-je, inconsciemment, butant sur ce mot, réalisant ma connerie.
    - Bah oui. Toi c'est Fewser-Hart, mais quand tu te marieras, tu prendras le nom de ton mari. C'est comme ça. Me dis pas que tu le savais pas quand même.
    - Bien sur que si, lui dis-je, bougon, avant de récupérer le carnet et de tourner les pages à une vitesse folle. Faut juste que je me rappelle le nom de son petit ami de l'époque … Rah, c'était qui...

     

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    Tout en tournant les pages du carnet, j'essayais de me souvenir de son nom de famille, à ce fichu interne qui sortait avec Cathe-Line. Andrew, ça c'est sur, mais il y'a avait au moins sept Andrew dans son carnet, et je me voyais mal faire le tour de toutes les maisons, d'autant que l'un d'eux vivait au Nevada.
    - Bradley, Curtain, Hower, Parks, Samson et Zimer, sans compter celui qui est dans le Nevada, soupirai-je en inscrivant leurs adresses sur un cahier auquel j'avais ensuite déchiré les feuilles. En espérant que le bon soit dedans, et qu'il soit marié avec Cathe-Line, ou que au moins, il ait encore contact avec elle. C'est pas gagné, je te le dis.

     

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    - Je t'aiderais si tu veux. On prend chacun trois Andrew, et on fait le bilan, tu iras plus vite.
    - C'est gentil de m'aider, je sais pas comment je pourrais te rendre la pareille … Si t'as besoin d'un coup de main, surtout, tu me fais signe hein. On fait comme ça ? Je prend Bradley, Curtain et Hower, je te laisse les autres ?
    - Moi ça me va, me sourit-il, j'embaucherais Xander, ça l'éloignera de son imbécile de copine. Par contre, si ça t'embête pas … quand on aura retrouvé ton oncle, tu voudras bien m'aider ?

     

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    Je le regardai, mi-figue mi raisin, incrédule quant à sa demande. Je commençais à me demander si son aide n'était pas déjà calculé pour obtenir un coup de main de ma part. Quand il remarqua mon regard, il se mit à rougir immédiatement, avant que je n'étouffe un rire par sa réaction.
    - Oui oui, fis-je en me contenant. Tout ce que tu veux …
    - Bah voilà, tu veux bien m'aider à chercher mon père ? Ma mère n'a jamais voulu me dire de qui il s'agissait.


  • - 139 -

     

    - Tu lui as dit oui ? S'estomaqua Priam alors qu'on venait d'entrer dans ma chambre. On a aucune chance de le trouver son père, on sait même pas si on va trouver ton oncle.
    - Je vois que tu es très optimiste, c'est toujours bon à savoir, soupirai-je en allant dans ma salle de bain, une tenue civile sous le bras.
    Priam me regardait partir, avec une moue blasée, lassé que je me cache toujours. Il y a quelques jours, j'ai eu droit à la discussion houleuse comme quoi, les relations platoniques, ça ne va qu'un temps, et qu'il fallait que j'arrête mes gamineries, comme me changer ailleurs que devant ses yeux. Je pensais l'avoir esquivé la dernière fois, mais elle va retomber dans la conversation, je le sens bien.

     

    - 139 -


    Une fois changée, vêtue de façon à me promener en ville sans me faire remarquer par mon uniforme, je sortis de la salle de bain. Il n'avait pas bougé d'un millimètre, et leva la tête pour me regarder. Je soupirai et m'approchai de lui, pour m'asseoir sur ses genoux, et il me laissa faire. Soit il avait décidé de ne pas chercher les embrouilles aujourd'hui, soit il faisait le mec qui en avait rien à foutre afin de m'énerver, et personnellement, je penchai plus pour la deuxième option.

     

    - 139 -


    - Et puis je l'aime pas ce mec. Il te rôde trop autour … bougonna-t-il en resserrant ses bras autour de ma taille.
    J'explosais de rire, le voir jaloux était complètement nouveau pour moi, et ca ne lui correspondait pas vraiment. Quand je tournai le regard vers lui, je me rendis compte que lui, ne riait pas du tout. Dommage, ça aurait détendu l'atmosphère.
    - Tu t'es vu ? Tu es jaloux d'un mec que je ne vois que trente minutes par jour. Pourquoi je te laisserais pour lui, hein ? C'est juste un bon copain, point barre.
    - Et ? Peut-être que le « bon copain » en a après toi, après tout, qu'est-ce que tu en sais, continua-t-il.
    - Tu crois pas que moi, j'aurais plus de souci à me faire, avec toutes tes potes avec qui tu passes ton temps à la fac, qui sont bien plus matures que moi sur bien des domaines ? Alors tes crises de jalousie, tu te les gardes Priam. Mais t'as peur de quoi enfin ?

     

    - 139 -


    Je me levai, furieuse, et le toisai. Après tout, ma question était ridicule, je savais très bien ce qu'il voulait, de quoi il avait peur. J'avais fini par le comprendre sans qu'il me le dise, et c'est ce qui me faisait peur, à moi. J'aurais aimé qu'on aborde pas cette question avant un moment, et j'aurais bien voulu, aussi, sortir de cette mauvaise passe assez rapidement.
    - Que t'ailles voir ailleurs, dit-il un peu trop fort à mon goût.
    Je lui intimais de se taire, ne voulant pas qu'il réveille ma mère qui dormait dans le canapé du rez-de-chaussée. Mais il ne semblait pas comprendre que hurler ça, juste au dessus du salon, ce n'était pas le top niveau discrétion.
    - Ca fait quoi, près de six mois, et tu refuses que je te touche, ou que je te voies. Dis moi ce que je dois comprendre merde ! Tu t'amuses de moi ou quoi ? Ca t'éclate de me faire tourner en bourrique ?!
    - Calme-toi Priam, tu vas la réveiller ! Le suppliai-je. Ecoute, on va chercher Cathe et on en reparle, c'est promis … Mais pas maintenant, s'il te plait.

     

    - 139 -


    Il se leva brusquement et fonça vers moi, me plaquant contre le meuble. Mon cœur s'emballait dans ma poitrine, il commençait à me faire peur, et je ne savais plus comment régler cette situation. J'essayais de conserver mon calme, surtout ne pas céder à la panique. Puis je pris une grande inspiration avant de le regarder droit dans les yeux.
    - On va le faire. Mais lâche moi Priam, on a d'autres soucis pour le moment, et ce n'est ni le lieu ni l'endroit. Calme-toi, je t'en prie. Je te reconnais pas.
    Et comme s'il avait été possédé par quelqu'un d'autre, il cligna des yeux et retrouva son air doux que je lui connaissais, ses yeux un peu perdus. Desserrant ses mains de mes poignets, il recula, la tête baissée.
    - Je suis désolé Mélie, je … Rah je suis nul.

     

    - 139 -


    Je ne lui répondis pas, et sortis de ma chambre, pour aller chercher ce fameux Andrew. Ayant d'abord cru que Priam ne me suive pas, il me rejoignit et je soupirai, soulagée, bien que son attitude m'inquiète, ne m'attendant pas à le trouver si étrangement possessif.


  • - 140-

     

    C'est le troisième Andrew, et donc le dernier de ma liste, Emilien s'occupant des trois autres. Andrew Hower, sept Avenue Reagan. Priam avait du me laisser, à cause d'un appel de sa mère, et j'étais trop motivée pour renoncer et reprendre mes recherches demain. J'avais commencé, je continuai.
    Leur appartement se tenait dans un quartier bourgeois de la ville, près du centre. Je restai sur le trottoir de longues minutes, me demandant bien chez qui j'allais débarquer, et finalement, je pris mon courage à deux mains, inspirai un bon coup et gravis les quelques marches jusqu'à la porte et sonnai. Je dus attendre quelques minutes avant qu'on vienne m'ouvrir.

     

    - 140-


    Une femme brune, à peine la quarantaine, se tenait devant moi. Les yeux bleu glace, vêtue d'une tenue plutôt voyante. On se détailla longuement, avant qu'on ne lance, toutes les deux en même temps.
    - Je cherche Cathe-Line Hammer...
    - Mélie Hart ?!


  • - 141 -

     

    Elle venait de s'endormir, sa tête contre mon épaule. Voilà maintenant plus de deux heures que nous roulions en direction de l'état de New York, dans le train de nuit. J'avais attrapé Heaven à quatre heures du matin, chez elle, après qu'elle eut laissé les clés à Ulyss, qui dormait encore, afin qu'il les transmette à Elden dans le courant de la journée. Tout se passait comme prévu, pour le moment. Oui, pour le moment, car il était à peine sept heures du matin et je supposais que Meredith n'était pas encore réveillée, qu'elle ne me cherchait pas encore.
    Pas encore. Ces mots résonnaient à mes oreilles comme une alerte à la bombe, quelques minutes avant l'impact. Pas encore, mais ça ne saurait tarder. On est mercredi, elle devra se lever dans quelques minutes afin d'être à l'heure en cours. Dans quelques minutes, elle se rendra compte de mon absence. Dans quelques minutes, le téléphone au fond de ma poche se mettra à vibrer. Dans quelques minutes, elle réalisera que je suis parti loin d'elle, et ce pour longtemps. Elle cherchera Heaven, se rendra compte que elle aussi est partie, que je l'ai choisie à sa place.

     

    - 141 -

     

    Les yeux humides, je tournai la tête vers la fenêtre, regardant le paysage qui défilait devant mes yeux. Du regret, bien sûr que j'en éprouvais. Qui n'en éprouverait pas à ma place. Mais je tente de me persuader que c'est une bonne chose pour elle, qu'elle me remerciera un jour d'être parti mourir loin d'elle. Et mon téléphone se mit à vibrer dans le fond de ma poche, avant de sonner, réveillant Heaven. J'attrapai mon cellulaire et l'éteignis.

     

    - 141 -


    - Aaron ? Murmura-t-elle en se redressant.
    - C'est mon téléphone, je pensais qu'il était en silencieux, excuse moi.
    Elle se frotta alors les yeux avant de regarder par la fenêtre, à la recherche d'un indicateur de temps puis s'étira.
    - Tu n'as dormi qu'un petit quart d'heure, dis-je à sa question muette. Je suis vraiment désolé.
    - Laisse, c'est rien. Je me sens pas rassurée dans ce train, je préfère veiller mes arrières moi même. C'était qui au téléphone ? Me demanda-t-elle en tournant sa tête brune vers moi.
    - Meredith. Elle doit venir de se lever je pense. Elle s'est rendue compte de mon absence, soupirai-je.
    - Je m'obstine à croire que tu aurais du lui dire, quitte à mentir, seulement lui dire que tu partais faire un tour du monde avec moi. Pas besoin de lui donner de durée. Un petit mensonge vaut parfois mieux que la vérité Aaron.
    - On changera nos numéros quand on sera sur New York, fis-je pour terminer cette conversation. Je veux pas décrocher et tomber sur elle par mégarde. On préviendra Cathe et Ulyss, si tu veux.

     

    - 141 -


    Elle opina distraitement, sûrement peu satisfaite de cette solution avant de reporter son attention sur le paysage.
    - Comment on va faire pour s'en sortir Aaron ? Sans logement, ni rien …
    - T'inquiète … Le monde de la rue, je connais, je …

     

    - 141 -


    Et tandis que je tournai la tête, je vis qu'elle s'était rendormie, la tête appuyée contre la vitre, ballottée par le mouvement du train. J'esquissai un léger sourire avant de retourner à mes occupations : oublier Meredith et ma vie avec elle.


  • - 142 -

     

    Heaven posa ses valises à côté du banc d’un mouvement sec, celles-ci s’écrasant sur le chemin de terre pour retomber sur le côté. Elle balaya l'endroit d'un regard lugubre avant de se tourner vers moi, les sourcils froncés et le regard plus noir que jamais. Elle finit par lever un doigt accusateur vers moi en venant à mon encontre, un mot posé sur ses lèvres, très facile à deviner et qui parvint à mes oreilles finalement.

     

    - 142 -


    - Toi, tu es mort ! Gronda-t-elle avant d'écraser son doigt contre ma poitrine.
    Elle avait son regard fixé au mien, les lèvres tirées vers l'avant avec un air de reproche et de profond mépris pour ma personne. Pour ma part, j'essayais de ne pas bouger pour ne pas me prendre son doigt dans l'œil, en espérant qu'elle calme ses ardeurs.
    - Tu te rends compte dans quel pétrin tu nous a mis Aaron ?! A des centaines de kilomètres de chez nous, pommé en plein New York sans toit pour passer la nuit !
    - Techniquement, on est pas pommés, puisqu'il s'agit de central park …
    - Oh la ferme !

     

    - 142 -


    Elle tourna les talons avant de faire les cent pas, enserrant sa tête entre ses mains, grommelant, en me traitant de tous les qualificatifs qu'elle connaissait et qui en ferait frémir plus d'un, car Heaven en colère et vexée, ce n'est pas ce qu'on pourrait s'attendre en premier abord. Elle raconte à qui veut l'entendre que j'ai un caractère de merde, mais quand elle s'y met, elle peut être pire que moi, et ça allait faire des étincelles.
    - Tu n'avais qu'à pas me suivre non plus Heaven ! me défendis-je. Je t'y ai pas forcé ! Tu savais bien que ça risquait d'être dur, alors pas la peine de rejeter la faute uniquement sur moi !

     

    - 142 -


    De nouveau elle se tourna vers moi, et un éclair passa dans ses yeux et si elle avait été championne de boxe ou bien sumotori, j'aurais pris mes jambes à mon cou : elle avait l'envie d'abréger ma vie en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Ses mains dirigées en avant, comme si elle allait m'étrangler, elle fonça sur moi.
    - Si je l'ai fait, c'est pour toi ! Parce que tu as décidé de te casser à l'autre bout du monde pour aller mourir ! Et aux dernières nouvelles, tu comptes trop pour moi pour que je te laisse faire sans rien faire. Je me suis sacrifiée pour toi !

     

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    - Si ton Ulyss te manque, je t'en prie, prends le train et rentre ! Je peux le faire sans toi ce voyage,alors calme tes ardeurs et casse toi, fis-je en indiquant la direction de la gare de mon bras.
    - Alors pourquoi tu m'as demandé de te suivre si c'est pour que je me casse après ?! Qu'est-ce que tu attends de moi bordel ?! S'énerva-t-elle encore plus, le feu lui montant aux joues sous la colère.
    - Ta présence ! Je t'aime et j'ai besoin de toi ! Et je me voyais mal le faire sans toi !
    Elle se calma aussitôt, laissant ses bras retomber le long de son corps avant que ses yeux n'embuent et que ses lèvres ne frémirent, son front se plissant tandis qu'elle essayait de contenir ses larmes. Je serrai mes poings, les bras le long de mes flancs, les jointures devenues blanches par la force que j'exerçais. Finalement, je baissai a tête, comme un petit enfant qui se faisait gronder pour avoir fait une bêtise. Je me doutais qu'elle me regardait, mais je ne bougeai pas pour autant.

     

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    - Je … Je fais le fier, mais j'ai peur de mourir Heaven, j'ai besoin de toi pour y arriver … Alors, ne pars pas, je t'en prie …
    - Que …? C'est tout ce que tu as trouvé pour que je reste ?! C'est pas toi ce genre de paroles Aaron, tu essaies de me manipuler !
    Je relevai la tête, véritablement torturé à l'idée qu'elle me lâche, qu'elle m'abandonne et que je me retrouve seul, ce que je ne supporterai pas. Je ne veux plus être seul.

     

    - 142 -


    - Ecoute Heaven, on s'en sortira. S'il te plait, reste avec moi. Je … je sais que c'est pas rassurant ce genre de vie, mais j'y ai survécu quand j'étais môme, alors on y arrivera, on est plus malins que ça, n'est-ce pas ?
    Je tendais alors ma main vers elle, qu'elle considéra un instant avant de sourire et d'y glisser la sienne autour de laquelle je serrais mes doigts avant de la tirer vers moi et de la caler contre mon torse. Je la sentis soupirer d'aise et inspirer une grande bouffée d'air, son visage enfoui dans mon torse, humant mes vêtements à la recherche d'une odeur rassurante, comme quand on était enfants.

     

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    - Tu as vraiment vécu dans la rue ? Souffla-t-elle après quelques minutes dans mes bras sans bouger pour autant, bien blottie contre moi.
    - Si je te le dis, je ne te mentirais pas la dessus, sois en certaine. J'ai trop souffert pour raconter des conneries, mais je te jure que tu sauras tout, laisse moi le temps, et je ne peux pas te dire ça comme ça, j'ai pas envie de te faire paniquer ni quoi que ce soit.
    - C'était si terrible que ça ? S'enquit-elle.
    - Tu n'as même pas idée … fis-je en fermant les yeux. Maintenant, on va essayer de dormir, ok ?

     

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    Je la décollai doucement de moi, et elle opina faiblement, peu encline pour une nuit à la belle étoile. Elle embrassa une dernière fois le parc du regard pour soupirer de lassitude. Je l'embrassai tendrement sur le front, avant de lui prendre la main et de retourner vers les bancs. Je m'accroupis en face de nos valises quand un mouvement derrière nous nous fit sursauter. Heaven se figea tandis que je me retournai, méfiant, avant de faire face à une femme.

     

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    Brune, vêtue d'un manteau gris et ses longues jambes dissimulées par un collant noir, ses pieds dans des escarpins discrets. Mais ce qui attira mon regard en premier fut l'appareil photo qu'elle avait autour du poignet, la dragonne bien serrée à son poignet. Quand elle remarqua enfin notre présence, elle se contenta de sourire, puis avança vers moi. Je sais pas vous, mais moi, je ferais pas ça à sa place.
    - Pardon de vous déranger … j'ai entendu une partie de votre conversation par erreur, et j'ai cru comprendre que vous étiez ...à la rue.
    Je tournai la tête vers Heaven, qui me regarda, assaillie par la même incompréhension que moi. C'est courant à New York de lancer la conversation à deux SDF au beau milieu de la nuit avec un appareil photo dans la main ? Moi qui trouvait que Bloomington était particulière comme ville, je crois que je viens de trouver pire, en même temps, j'ai eu de sérieux doutes quand j'ai vu des gens se promener déguisés en pourceaux.
    - On est pas les seuls sans abris de New York, qu'est-ce que ça peut vous faire ? Fis-je,une pointe de mauvaise foi dans la voix.

     

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    - Et bien … Vous n'avez pas l'air … – elle nous balaya d'un geste de la main de haut en bas, comme pour nous dépeindre – du monde de la rue. Je peux vous héberger si vous voulez, vous êtes jeunes encore pour vous retrouver ici pour dormir au milieu de la nuit …
    Je dus cligner des yeux plusieurs fois pour assimiler ce qu'il se passait sous nos yeux. Elle venait réellement de nous proposer un hébergement ?! C'est quoi ce truc ? Une caméra cachée ? Elle fait partie de l'armée du Salut ? Les petits frères des pauvres ? Et avant que je ressorte une réplique culte tout droit tirée de mon répertoire du blasé qui envoie tout le monde se faire foutre, Heaven me devança.
    - Nous héberger ? Vous ne savez même pas qui on est, et c'est la même chose pour nous.
    - Pas besoin de ça pour voir que vous êtes des touristes sans le sous d'à peine vingt ans qui n'ont pas d'autre choix que dormir sur des bancs. Moi c'est Savannah Envey, j'habite pas très loin, je suis photographe-portraitiste, d'où l'appareil, ajouta-t-elle en nous le montrant.

     

    - 142 -

     

    - Au milieu de la nuit ? Vous photographiez les macchabées et les SDF ou quoi ?
    - Non, la nature la nuit à Central Park, dit-elle plus sérieusement.
    - Même pas capable de percevoir de l'ironie, cinglai-je. Je me fous de votre gueule au cas où vous n'auriez pas encore compris.
    - Moi pas, continua-t-elle. Soit vous dormez ici, sur ces bancs, sachant que Central Park n'éloigne pas les malfrats et ne va pas empêcher les flics de vous coffrer au matin, ou vous me suivez, et je vous offre un logement pour la nuit. Et y'a pas de piège là dedans, je cherche pas à vous égorger pour prendre vos cadavres en photo par la suite.
    - Je suis pas intéressé, persiflai-je. La rue, je connais assez pour me débrouiller, on a pas besoin de votre aide.

     

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    Heaven se tourna vers moi, le regard suppliant pour qu'on la suive, ce qui ne m'enchante guère. Exaspéré, je lâchai un profond soupir avant de la regarder pour lui faire comprendre ce que visiblement, elle ne comprenait pas.
    - On la connaît pas Heaven ! Qui sait si elle ne va pas nous tuer et nous bouffer en marmelade au petit déjeuner.
    - Je suis végétaliene, dit Savannah. Alors de là à vous manger en marmelade, ça ne risque pas d'arriver.
    - S'il te plait Aaron. Je sais que c'est pas sérieux, mais y'a pas un hôtel à cette heure, je suis crevée et j'ai pas envie de dormir sur un banc...
    Je tournai la tête vers Savannah, qui souriait pour se montrer rassurante, et finalement je lâchai un « c'est ok » dans un soupir de lassitude, tandis que Heaven soufflai de soulagement. Elle se rua vers ses sacs qu'elle empoigna pour aller vers elle, souriant comme une miraculée.

     

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    - Je m'appelle Heaven Fewser, et lui Aaron Hart. On vient de l'Illinois et on veut tenter le tour du monde avec ce qu'on a dans les poches.
    - Je vois, dit-elle alors que je m'approchai d'elles, mes valises en main. Laissez-moi vous aider, du moins, pour votre séjour à New York, je vous héberge, et en échange, vous me devez une faveur, ça marche ?
    - Je crois qu'on a pas le choix, soupirai-je en regardant Heaven, qui frétillait comme une enfant le matin de Noël.