• (81)

     

    ♫ American Dream – Diamante 


    Des notes de guitare finirent par se faire entendre par-dessus les remarques peu ragoutantes des présents. Méandre s’impatientait et avait fait taire tout le monde en trois notes. Chacun se concentra alors, laissant tomber les découvertes ubuesques de Kaoline. Alana s’empara du micro et laissa la musique s’emparer d’elle et la transcender. 

     

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    You're my American Dream || Tu es mon rêve américain 
    Nicotine and palm trees || Nicotine et palmiers 
    Gimme gimme that red, white and blue oh yeah || Donne-moi, donne-moi ce rouge, ce blanc et ce bleu 

     

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    I got a California heart || J’ai un Coeur Californien 
    And an east coast state of mind || Et un état d’esprit de la côte Ouest 
    He's got that Tennessee blood || Il a ce sang du Tenesse 
    That I'm craving all the time || Que je desire tout le temps 
    I like the roses on his neck || J’aime les roses sur son cou 
    Like a modern James Dean || Comme un James Dean moderne 
    In the wild, wild West || Dans l’ouest sauvage, très sauvage 
    Living on a silverscreen || Vivant sur écran géant

     

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    Kiss me hard || Embrasse moi férocement 
    Say it slow || Dis-le doucement 
    I never wanna see you go || Je ne te verrais jamais partir 

     
    You're my American Dream || Tu es mon rêve américain 
    Nicotine and palm trees || Nicotine et palmiers 
    Gimme gimme that red, white and blue oh yeah || Donne-moi, donne-moi ce rouge, ce blanc et ce bleu 
    You got me doing bad things || Tu me fais faire de mauvaises choses 
    In your new Mercedes || Dans ta nouvelle Mercedes 
    Baby baby we're red, white and blue oh yeah || Bébé, nous sommes rouges, blancs et bleu 
    Like an American Dream || Comme un rêve américain 
    You're my American Dream || Tu es mon rêve américain 

     

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    I got a classic kinda soul || J’ai une âme plutôt classique 
    With an up to no good smile || Avec un penchant pour les mauvais sourires 
    He's like that old school rock n' roll || Il est comme ce rock’n’roll old school 
    That never goes out of style || Qui ne perd jamais son style 
    I like the lines across his face || J’aime les lignes en travers de son visage 
    Like he's seen a thing or two || Comme s’il avait vu une chose ou deux 
    And if he ever left me || Et si jamais il me quittait 
    He'd leave me dark blue || Il me laisserait bleue foncée 

     
    Kiss me hard || Embrasse-moi férocement 
    Say it slow || Dis-le doucement 
    I never wanna see you go || Je ne te verrais jamais partir 
     

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    You're my American Dream || Tu es mon rêve américain 
    Nicotine and palm trees || Nicotine et palmiers 
    Gimme gimme that red, white and blue oh yeah || Donne-moi, donne-moi ce rouge, ce blanc et ce bleu 
    You got me doing bad things || Tu me fais faire de mauvaises choses 
    In your new Mercedes || Dans ta nouvelle Mercedes 
    Baby baby we're red, white and blue oh yeah || Bébé, nous sommes rouges, blancs et bleu 
    Like an American Dream || Comme un rêve américain 
    You're my American Dream || Tu es mon rêve américain 

     

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    In the wild, wild West || Dans l’Ouest sauvage, très sauvage 
    Like a modern James Dean || Comme un James Dean moderne 
    Roses on his neck || Des roses sur son cou 
    Living on a silverscreen || Vivant sur écran géant

     

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    You're my American Dream || Tu es mon rêve américain 
    Nicotine and palm trees || Nicotine et palmiers 
    Gimme gimme that red, white and blue oh yeah || Donne-moi, donne-moi ce rouge, ce blanc et ce bleu 
    You got me doing bad things || Tu me fais faire de mauvaises choses 
    Like it's 1980 || Comme si nous étions en 1980 
    Baby baby we're red, white and blue oh yeah || Bébé, nous sommes rouges, blancs et bleus 
    Like an American Dream || Comme un rêve américain 
    You're my American Dream || Tu es mon rêve américain 
    Like an American Dream || Comme un rêve américain 
    You're my American Dream || Tu es mon rêve américain 

     

    (81)

     

     

     

     


  • (82)

     

    Mathieu était arrivé à Burlington quelques jours plus tôt, et avait parfaitement réussi à s’intégrer à la brigade des mœurs en place au poste. Il fut d’ailleurs accueilli sous un quasi tonnerre d’applaudissement de la part de ses nouveaux coéquipiers. La rumeur de ses états de service n’avait pas su rester dans les dossiers des ressources humaines, et les agents de Burlington étaient fiers de compter parmi les leurs l’homme qui avait réussi à faire enfermer Harry Mayers pendant de nombreuses années.  

    Pour certains de ses hommes d’ailleurs, Mathieu était presque un héros ou un modèle, et l’ancien policier était embarrassé de ces attentions, ne se sentant pas légitime de les recevoir. Après tout, il n’avait pas participé seul à l’arrestation et l’inculpation de Mayers, et de plus, ce dernier avait fini par sortir de prison pour bonne conduite et poursuivait ses méfaits dans de nombreux états du Nord des Etats-Unis. Pas franchement une réussite. 

    Mais Charles Worton n’était pas de ces hommes. Il ne rejoignait pas l’euphorie générale de ses hommes. Loin de là. Commissaire en chef à la brigade des mœurs, il avait plus de trente ans de carrière et voyait la venue de Mathieu Philips d’un mauvais œil. Non pas qu’il ait une dent contre l’ex-retraité, au contraire. Il était ravi de récupérer un élément aussi compétent dans son équipe. Mais son arrivée n’augurait rien de bon : on ne faisait pas reprendre le service à un réformé sans une bonne raison. Et en général, ce genre de bonnes raisons ne sont pas très positives. 

    La situation tournait à l’avantage de Mayers. Et une véritable menace planait sur la ville frontalière. Ils devaient se préparer à toute éventualité. 

    Charles Worton avait pris Mathieu sous son aile assez rapidement. Il savait que son collègue ne serait présent que quelques jours avant de rentrer sur Houlton, et il devait lui faire assimiler assez rapidement l’univers de la ville, lui faire rencontrer ses indics et lui sortir tout l’historique des gangs de cette ville. Autrement dit, un travail de titan. 

     

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    Ils s’étaient tous les deux installés dans la salle d’interrogatoire de la police ce jour-là. Chacun avait devant lui un dossier grand ouvert ainsi qu’un café en boîte encore fumant. Mathieu faisait de son mieux pour assimiler les principaux visages de cette affaire, et son regard s’arrêta sur un des feuillets de son dossier. Il s’agissait de la fiche d’un homme, un adolescent plutôt au vu de cette photo, qui avait fait partie du gang de Mayers du temps des guerres qui avaient annihilé le trafic dans la région, vingt ans plus tôt.  

     

    (82)

     

    Ce visage lui était familier, sans qu’il arrive à deviner pourquoi. Ce n’était qu’un ado, qui portait un âge bien plus avancé sur son visage. Il avait dû connaître des aventures fort peu recommandées pour un gamin de son âge tellement ses traits étaient tirés et marqués. Worton leva le nez de son dossier quand il remarqua que Mathieu ne bougeait plus. Il le surprit ainsi, le regard fixe sur une photo. Il se redressa alors sur sa chaise, pour voir lequel des hommes de Mayers avait attiré son regard. 

    - Ah, c’est Hyde, lui dit Worton. Tu ne risques pas de tomber sur lui, il est mort il y a presque vingt ans. 

    - Hyde tu dis ? demanda Mathieu. Tu connais son vrai nom ? 

    - Non, en général on connaît que leurs prénoms. Et c’est souvent des pseudos. Pourquoi ? 

    - Je le connais, dit Matt en donnant la photo à Worton.  

    - Possible. Après les rixes qui ont anéanti la clique de Mayers à Burlington, il a suivi Mayers à Houlton. C’est là-bas qu’il est mort. Tué par un de ses clients. Tu as dû le croiser en ville quand tu enquêtais sur Mayers …  

     

    (82)

     

    - J’ai bu des bières avec lui un soir de Noël dans un karaoké si tu veux tout savoir. Il était en couple avec la meilleure amie de ma femme. Je ne savais même pas qu’il faisait partie de l’environnement de Mayers. C’était un type bien … Du moins, du peu que je l’ai vu. Il a été tué une semaine plus tard, la nuit où j’ai arrêté Mayers. 

    - Sérieux ? s’étonna Worton. La vache ! Mais je peux t’assurer qu’il bossait pour Mayers, c’était même son petit toutou. Il le suivait partout, obéissait à tous ses ordres. Il a même tué pour lui. Très loin de l’image qu’on peut se faire d’un type bien. 

     

    ֎

     

    (82)

     

    La première fois que j’ai croisé Hyde, c’était en 2002. Il venait de débarquer dans la clique de Mayers. Il avait dix-sept ans, et de ce que mon indic m’avait dit à l’époque, il avait fugué de chez ses parents. C’était un gosse de riche qui était en pleine crise d’existence, et qui avait décidé de monter une rébellion contre ses vieux. Enfin bref, ce n’est pas le sujet de conversation. Dans tous les cas, il s’était retrouvé à Burlington alors que sa famille était à Houlton. Et à dix-sept ans, sans argent, il n’y a pas trente-six solutions pour survivre. Il s’est vite retrouvé à la rue, ou à traîner dans des squats. C’est comme ça qu’il a été retrouvé par le bras droit de Mayers à l’époque : Thomas Sacks. Enfin, je dis Mayers, c’est de l’abus de langage. A l’époque, on le connaissait sous le pseudo de Jack. On avait aucun background à son sujet : il apparaissait et disparaissait en ville sans un mot. Bon, avec le recul on sait qu’il rentrait auprès de sa famille à Houlton, mais à l’époque, on n’en savait rien. Donc, pour revenir à Hyde, Sacks l’a récupéré, lui a proposé de travailler pour lui comme dealer, et il a accepté. D’abord par dépit, il s’est avéré qu’il était plutôt bon à ce petit jeu. Il avait une gueule d’ange ce môme, et il arrivait à passer entre les mailles du filet. Une véritable anguille.  

     

    (82)

     

    Je l’ai rencontré peu de temps après ça. J’étais au poste, dans cette pièce même, en train de cuisiner un de mes indics quand il a débarqué en cellule, la gueule en sang. Il s’était battu avec un gars d’une vingtaine d’année, un client, qui lui avait sauté dessus avec un couteau pour lui voler sa marchandise. Hyde s’en est tiré avec une balafre sur l’œil gauche, qui n’est jamais partie, l’autre a eu moins de chance : il lui a pété les dents. Les deux sont arrivés en même temps au poste, et bien que ce n’était qu’un ado, il avait quelque chose dans le regard qui était mauvais. Ce n’était pas juste de la hargne ou de la haine. Si j’étais croyant, je te dirais qu’il avait le diable dans les yeux. C’était effrayant. Dans ce genre de situation, tu oublies bien vite l’allure juvénile du gosse. Je voyais plus que son regard, et il irradiait de dangerosité. Il n’avait aucune limite, aucune compassion dans son regard. Ce type, celui à qui il a pété les dents, on serait arrivé deux minutes plus tard, il se vidait de son sang sur le trottoir. Je déconne pas. 

     

    (82)

     

    Suite à cet exploit, Mayers lui a accordé une jolie promotion : en plus de la came, il refourguait des armes sous le manteau. Même stratagème : gueule d’ange, beau sourire et les collègues n’ont pas pensé une seconde à ce qu’il fasse partie du groupe de Mayers. Son petit manège a duré un moment, jusqu’à ce que son allure angélique disparaisse de son visage. Il avait fini par se faire repérer. J’ai réussi à le coincer au poste plus d’une fois, mais je n’avais aucune preuve tangible de ce qu’il faisait pour pouvoir le garder plus que vingt-quatre heures. Alors je le relâchais le lendemain. 

    Et puis, du jour au lendemain, on ne l’a plus vu dans les rues. Volatilisé. Impossible de remettre la main dessus. J’ai bien cru qu’il avait fini par se faire tuer. Ça n’aurait pas été surprenant. Il cherchait la merde avec tout le monde : aussi bien parmi les gangs rivaux que dans son propre clan. Un fout-la-merde ! De vrai ! 

     

    (82)

     

    Et il est réapparu deux ans plus tard. Et à la droite de Mayers, si je peux me permettre cette analogie. Si Sacks était le bras armé de Mayers dans le trafic de drogue et d’humains, Hyde était le sien dans le trafic d’armes et surtout, dans la liquidation. La même : toujours soupçonné, jamais coffré. Il s’en sortait toujours. J’ai même fini par penser que Mayers avait le commissaire dans la poche, arrosé de pots de vins. Et je pense que je n’étais pas loin de la vérité. C’est impossible de s’en sortir à ce point. 

     

    (82)

     

    Et puis, il y a eu cette fameuse guerre de gangs. J’y ai assisté, j’étais aux premières loges, ou presque. Une boucherie, crois-moi. Il n’aura pas fallu bien longtemps pour faire disparaître tous les types présents. Et je te donne dans le mille : Hyde était en plein milieu de la cohue, arme au poing et l’envie de tuer dans les yeux. Il a été le plus productif ce jour-là, et il s’en est tiré avec des égratignures. Même pas de plaie par balles. Après le massacre, Mayers et son équipe se sont volatilisés. Impossible de remettre le grappin sur eux. Il aura fallu attendre que tu coffres Mayers pour qu’on fasse le lien entre les deux, Jack et lui. Et c’est là que j’ai appris pour Hyde. Qu’il était de retour à Houlton, qu’il vivait chez ses vieux et qu’il avait repris ses activités de dealer pour le compte de Jack, enfin, de Mayers. 

     

    ֎

     

    (82)

     

    Mathieu resta muet tout le long du récit de Worton, incapable d’aligner deux mots. Il n’aurait jamais cru que Spencer, que le copain d’Andy, puisse avoir été ce type-là, ce Hyde. Dans son souvenir, il avait été un homme paisible, souriant avec un regard foncièrement doux. Bien loin de la description que venait de lui fournir son collègue. 

    - J’en reviens pas, articula finalement Mathieu, estomaqué. Si ce que tu me dis est vrai, - non pas que je ne veuille pas te croire, mais je n’ai pas côtoyé cette version de lui – alors il devait encore être mêlé aux affaires de Mayers sur Houlton.  

    - C’est plus que probable. Je te dis que c’était le singe savant de Mayers. Si Mayers avait besoin de faire exécuter des ordres, il y a fort à parier que Hyde n’était pas loin.  

     

    (82)

     

    Mathieu porta son café à ses lèvres, essayant de mettre ses idées au clair, et de faire la liste des crimes dont Mayers a été accusé sur Houlton. Et cette liste lui fit froid dans le dos. Mayers avait été condamné pour homicide involontaire sur sa femme et trafic de drogue. Emina Mayers étant décédée en 2001, ce n’était pas l’œuvre de Spencer. Par contre, parmi les accusations qui n’ont pas été retenues, il y avait le meurtre des parents de Andy, Paul et Claire Thatch, l’enlèvement de Delphes et Eliott, les sœur et frère de Andy. Et s’il y avait été mêlé ? Si c’était lui qui avait causé l’accident des parents de Andy ? Qui avait commandité les deux enlèvements ? Et tout ça tandis qu’il consolait Andy de la mort de ses parents et du départ de Nate. Et elle s’était tuée car elle n’arrivait pas à vivre sans lui. Si Spencer n’avait jamais remis les pieds à Houlton, s’il était mort ce soir-là à Burlington, Andy serait encore en vie … 

    Mathieu eut un haut le cœur et il porta sa main à sa bouche. Il sentit le sang quitter ses joues et son visage pâlir et se refroidir. Worton remarqua ce brusque changement de situation sur le visage de son collègue, et il le regarda avec inquiétude. Ce serait plutôt mal venu qu’il fasse un malaise. 

     

    (82)

     

    - Hé ? Ça va aller Philips ? lui demanda-t-il. 

    - Ouais, ça va aller, dit Matt en soufflant. J’essaie de digérer l’éventualité que ce type a tué la famille de sa petite amie. La famille de mon épouse.  

    - Je vois. Va prendre l’air, ça va te faire du bien. Ça fait beaucoup à encaisser d’un coup. 

    Mathieu acquiesça et se releva, prenant appui sur le bureau. Il attrapa ensuite la fiche de Spencer, et avec un marqueur rouge, écrivit le nom de Spencer en bas de la photo. Il tendit le document à Worton. 

    - Comme ça, tu as le nom de Hyde pour compléter ton dossier. 

    Mathieu sortit de la salle d’interrogatoire à la recherche d’air frais, tandis que Worton baissait les yeux vers la fiche de Spencer. 

    - Spencer Jekyll, dit-il dans un rictus. Tu portais plutôt bien ton nom, Mr Hyde. 

     

     

     

     


  • (83)

     

    Sa petite routine s’installait et l’été filait doucement pour An. La reprise des cours était encore lointaine pour les deux étudiants, et ils profitaient de ce temps à passer ensemble. An passait le plus clair de son temps hors de la maison, et notamment avec son petit ami. Cinéma, restaurant, balades à vélo ou excursions plus lointaines à la journée, ils n’avaient pas vraiment le temps de s’ennuyer. Mais malgré tout ça, une ombre planait sur leur bonheur parfait et cette ombre s’appelait “rentrée scolaire des étudiants en médecine”.  

    Gabe entrait en deuxième année de médecine, et son cerveau était déjà en ébullition. Il ne s’arrêtait pas vraiment en réalité. Mais il faisait au mieux pour que ses études et la rentrée imminente ne pèse pas sur sa relation avec sa petite amie. 

    Oui, il faisait au mieux. Il faisait toujours au mieux. 

     

    (83)

     

    Quand An ouvrit les yeux, elle était blottie dans les bras de Gabe, et elle n’avait absolument pas envie de s’en défaire. Au contraire. Elle y était bien, parfaitement calée et le soleil frappait doucement contre les carreaux de la chambre d’étudiant. Une matinée idéale pour ne rien faire, se laisser couler dans la couette et profiter de la seule présence de l’autre pour discuter. Mais le son de la respiration régulière de Gabe dans son oreille lui coupa court ses idées : il dormait encore, et profondément. 

    La veille au soir, c’est An qui s’était couchée la première alors qu’elle piquait du nez devant le film qu’ils regardaient. Elle avait donc attrapé son oreiller, l’avait calé contre le flanc de Gabe et s’était endormie en l’espace de cinq secondes. Gabe aurait pu danser la java toute la nuit, elle ne s’en serait pas rendue compte. Et quoi qu’il ait fait, elle ne s’en était pas rendue compte. Mais visiblement, il avait dû veiller tard.  

     

    (83)

     

    Elle se redressa alors assise dans le lit, tout en faisant attention à ne pas réveiller Gabe par ses mouvements. Et après un bref étirement, et s’être assurée que tous ses doigts étaient en place, elle regarda un peu plus attentivement autour d’elle. Sur le bureau, en bout de lit, se trouvait une pile de livres de médecine, ouverts. Et elle en aurait mis sa main à couper qu’ils ne l’étaient pas hier soir. Il avait profité de son sommeil pour réviser, et l’abandonnant ainsi seule ce matin. 

    - Vil personnage, bougonna-t-elle dans sa barbe. 

    Elle se tourna vers le bord du lit et laissa ses orteils toucher le sol. La jeune femme tendit le bras vers son téléphone, qu’elle avait posé sur la table de nuit avant de s’installer pour regarder son film. Il avait vibré hier soir pendant le film, mais elle était trop bien installée pour tenter de le récupérer et risquer de perdre son petit confort. Au moins, ce matin, elle ne risquait rien. Elle le déverrouilla et le mobile lui indiqua qu’il était dix heures passées, et qu’elle avait en effet reçu un message. De la part d’Ewan. 

     

    (83)

     

    Elle fut plutôt surprise. Cela faisait un petit moment qu’elle n’avait pas discuté avec son ami du net. Bon, c’était peut-être un peu de sa faute, elle était pas mal occupée à vivre sa relation amoureuse et essayer de sauver sa bande de copains pour s’occuper de ses amis en ligne. Mais, à l’écoute des respirations de Gabe, elle avait toute la matinée pour s’en occuper. 

    Elle ouvrit alors le message, et sourit un peu bêtement en le lisant. 

    “Salut Anie ! Toujours en vie ? A moins que tu ne te sois transformée en ermite depuis le temps. Enfin bref, je venais aux nouvelles, voir comment tu allais et si ton été se passait bien. Bye” 

    Un petit coup d'œil en haut de la conversation lui confirma que Ewan était actuellement disponible, et donc sur son téléphone. Elle allait pouvoir passer le temps à discuter comme ça.  

    “ Hey ! Oui, toujours en vie mais étrangement je carbure aux cerveaux ces jours-ci. Tu crois que je doive m’en inquiéter ?” 

    Elle agrémenta son message d’un petit smiley effrayé et une fois le message envoyé, elle reposa son téléphone sur la table de chevet. Elle se leva et prit la direction de la salle de bain, et revint deux minutes plus tard. Elle avait reçu un nouveau message.  

     

    (83)

     

    “Non, je pense que c’est tout à fait normal. Mais si tu commences à avoir un appétit particulier pour les orteils, il faudra penser à consulter. Comment tu vas ?” 

    “Je vais surveiller mes envies avec attention alors, merci pour le conseil. Je vais très bien, merci de demander. Et toi ? Tu écris toujours ? Je n’ai pas pu passer sur le forum ces jours-ci, j’étais occupée.” 

    An prit la direction de la petite kitchenette de la chambre et sortit de quoi préparer un petit déjeuner. L’installation était très sommaire, certes, mais il y avait tout ce dont elle avait besoin, et même plus. Gabe avait une passion de dingue pour les crumpets et ses placards en regorgeait. Elle en sortit alors un paquet et en mis deux au micro-ondes avant de sortir le beurre et la confiture du frigo. Le temps que le tout chauffe, elle était revenue à son téléphone. 

    “Ah ! Occupée tu dis ? Je vois, je vois … Et il s’appelle comment ton nouveau chéri ?” 

     

    (83)

     

    - Mais comment est-ce qu’il fait ? marmonna An tout en rosissant. C’est si évident que ça ? 

    Elle pianota alors super rapidement sur son téléphone, pour ne pas laisser son ami sans réponse. 

    “Comment tu pourrais être sûr qu’il y a un ‘il’ derrière mes occupations ? Je me suis peut-être mise à la peinture que tu n’en saurais rien.” 

    Le micro-onde sonna et An s’empressa de se relever pour aller l’ouvrir et l’empêcher qu’il ne réveille Gabe. Ce dernier marmonna, mais il roula sur le côté pour poursuivre sa nuit. An lâcha un petit soupir de soulagement et prépara son repas, beurrant les crumpets et se servant une large tasse de thé à la fraise. Le tout posé sur une assiette, elle retourna à table où son téléphone, et sa discussion l’attendait. 

    “Je ne suis pas si con que j’en ai l’air. Je n’ai plus eu de signe de vie depuis le bal du lycée. Et tu devais y aller avec un ami à toi de mémoire. CQFD …” 

    “Bon ok, tu m’as grillée. J’ai peut-être décidé de sortir avec mon cavalier du bal du lycée. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle je ne discute plus. J’ai une vie super trépidante tu sais !” 

     

    (83)

     

    Voilà, au moins, il n’allait peut-être plus faire le fier à essayer de décrypter chaque petit aspect de sa vie. Mais étrangement, chez Ewan, cette partie de sa personnalité ne la dérangeait pas. Au contraire, elle trouvait ça amusant. 

    “Ah oui ? Comme quoi ? Raconte.” 

    An mordit dans un crumpet et but une gorgée de thé avant de lui répondre, le plus évasivement possible. Il n’avait pas besoin de savoir que sa seule occupation estivale était Gabe, et chaque recoin de Gabe. Elle allait passer pour une pauvre âme en peine et sans aucune passion dans la vie. 

    “Et toi, tu aimes les crumpets ? Moi j’adore ça, je suis sûre que j’ai été britannique dans une autre vie. Mais j’ai plus de Earl Grey pour aller avec, alors du coup je suis triste” 

    Elle attendit patiemment une réponse, tout en continuant son petit déjeuner. Elle jetait de temps en temps un œil vers Gabe, mais celui-ci dormait toujours comme un bienheureux. Son téléphone sursauta et elle s’en empara. 

    “Je suis britannique, donc oui, j’aime les crumpets. Mais les tiens, ils sont probablement industriels. Je t’en ferais des vrais quand on se verra, tu verras que tout ce qu’on raconte sur les anglais est totalement faux.” 

     

    (83)

     

    Anglais ? Elle ne le savait pas. Elle ne savait pas grand-chose d’Ewan, ni si c’était son vrai prénom, ni son métier, ni dans quelle partie du monde il vivait. Elle, en revanche, lui en avait dit un peu plus, comme quoi elle était étudiante en lettres et qu’elle vivait dans le Nord-Est des Etats-Unis. Mais elle était contente de cette information, qu’elle stocka dans un coin de sa tête : Ewan était britannique, et même anglais. Donc il vivait très probablement là-bas et la possibilité qu’elle le rencontre un jour était très maigre. 

    “Ah oui ? Qu’est-ce qu’on raconte déjà sur les anglais déjà ? … Ah ! Ça me revient : leur bouffe est dégueulasse, ils arrêtent tout ce qu’ils font quand sonne 17h, oups, 5h, pardon, et ils ont tous des petites assiettes avec la Reine dessus.” 

    La réponse de Ewan ne se fit pas attendre et il lui envoya un smiley qui pleurait de rire. An sourit, et attendit patiemment la suite. 

    “Clichés, clichés, clichés. Alors déjà, niveau bouffe, je pense que vous autres américains n’êtes pas les meilleurs du coin non plus. Ensuite, le thé c’est sacré. En France c’est l’apéro, chacun son truc mais nous au moins on ne finit pas bourrés. Et pour ce qui est de la Reine, je n’ai pas les assiettes. Mais la figurine qui bouge la tête toute seule, comme le chien sur la plage arrière des voitures” 

     

    (83)

     

    Il compléta son message d’une image de la figurine en question, dodelinant sa tête royale deux fois trop grosse pour son maigre corps. Cette fois-ci, An ne peut s’empêcher de contenir son rire, et elle posa sa main contre sa bouche. Elle perçut du mouvement devant elle, elle avait réveillé Gabe. Elle reposa son téléphone sur la table de la cuisine, et elle se leva pour rejoindre Gabe sur le lit. Elle alla s’allonger contre son dos, passant ses bras le long de ses côtes pour les poser contre son ventre.  

     

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    Elle approcha sa bouche de son oreille et lui souffla doucement sur le lobe pour tenter de le réveiller. Il n’était pas loin de sortir de ses songes, et autant l’y aider un peu. 

    - Gabe, debout … Sinon je mange tous tes crumpets. 

    Le jeune homme roula un peu des épaules, et se tourna sur le dos doucement. An suivit le mouvement pour s’allonger contre son torse, continuant de lui souffler sur le visage doucement. Au bout de quelques secondes, il finit par ouvrir les yeux et sourit en voyant An blottie contre lui. 

    - Salut, lui dit-il en clignant des yeux. 

    - Salut, lui répondit-elle. 

    Elle l’embrassa sous le menton et se redressa. 

    - Tu viens, le petit déjeuner est chaud. J’ai fait des crumpets et du thé à la fraise. 

    - J’arrive. 

    An se leva et rejoignit sa tasse de thé. Elle s’assit à table, bu une gorgée de sa boisson et reprit son téléphone entre ses mains le temps que Gabe la rejoigne. 

    “Bon, je te laisse. On se parle plus tard, ok ?”

    Elle reposa son téléphone sur la table, ne guettant plus de réponses de la part de Ewan. Le temps que Gabe se traîne jusqu’à table, elle lui servit une tasse de thé et remit d’autres crumpets au micro-ondes.  

     

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    - Tu discutais avec quelqu’un ? lui demanda Gabe sans aucune arrière-pensée alors qu’il s’asseyait à sa place. 

    Il remercia An pour le thé et cette dernière lui mit les crumpets sous le nez quand le micro-onde sonna. Le jeune homme en attrapa un qu’il fit sauter entre ses doigts, se brûlant car sa gourmandise était trop vorace pour patienter que son petit déjeuner refroidisse, et il y mit une large couche de confiture. 

    - Non, je traînais sur Instagram. 

    Elle détourna les yeux vers la fenêtre, n’osant pas regarder Gabe en face. Elle ne savait pas pourquoi elle venait de lui mentir. Elle n’avait aucune raison de lui mentir. Après tout, Ewan était un ami comme un autre, qui vivait loin. Elle n’avait rien à cacher. Mais ça avait été plus fort qu’elle, son instinct lui avait dit de ne pas raconter la vérité. Ewan était son secret à elle, pas besoin que d’autres l’apprennent. 

    - Désolée, je t’ai réveillée, lui dit-elle en portant sa tasse à ses lèvres. 

    - Mais non, ne t’inquiète pas Je n’allais pas passer ma journée au lit non plus. On avait prévu d’aller au Canada aujourd’hui, non ? 

     

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    An acquiesça et sourit. Pourquoi est-ce qu’elle s’inquiétait que les études de Gabe l’éloignent d’elle ? Elle savait pourtant pertinemment qu’il trouverait des solutions pour qu’ils continuent de se voir et que, tant qu’il le pouvait, il la ferait passer avant la médecine. 

    Son téléphone vibra. Un nouveau message de Ewan. Elle le regarda de biais, sans déverrouiller le téléphone. Elle ne l’aurait pas en entier, mais elle ne voulait pas que Gabe se pose des questions. Peut-être qu’il se poserait des questions, qu’il s'inquiéterait sans raison. Ou peut-être que son propre inconscient avait d’autres projets pour Ewan. Des projets que Gabe ne devait pas connaître.  

    “Bonne journée alors. Mes félicitations au petit co…”