• -- Deux semaines plus tard –

     

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    Finalement, cela avait été plus rapide que prévu pour An et Gabe. Ils étaient le lundi 10 septembre, et elle n’avait pas vu son petit ami depuis plus d’une semaine. Il avait même raté son anniversaire.

    Voilà. C’était fini. Elle le savait, elle s’en était doutée, bien avant qu’elle n’accepte de sortir avec lui. C’était aussi évident que le nez au milieu de la figure. Mais elle avait eu le malheur de finalement tomber amoureuse de Gabe, et elle se prenait en pleine figure leur séparation.

    A cela, il fallait rajouter l’ambiance plus que morose à la maison. Son père avait été aussitôt envoyé en prison après son arrestation, sans autre forme de procès. Sa mère subissait les désagréments de sa grossesse, entre sautes d’humeurs, nausées et l’incertitude de leur avenir avec un mari en prison. Jayn profitait de tout ce chaos pour pousser sa mère à bout, insulter son père et repartait impunie, Marine étant complètement dépassée par la situation.

    Mais la vie avait dû reprendre son cours.

     

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    An avait repris les cours quelques jours plus tôt, et avec eux, sa routine quotidienne. Journées à l’université, et soirée sur son ordinateur, à traîner sur les forums, et à discuter avec Ewan. Elle esquivait Jayn quand c’était possible, renvoyait la toute jeune adolescente dans ses quatre mètres carrés quand elle outrepassait ses privilèges, et essayer d’aider sa mère au maximum. Mais elle restait sans aucune nouvelle de Gabe, ni de son père.

    Jusqu’à ce matin-là. Elle était en plein cours de littérature moderne quand elle reçut un message de son petit ami. Comme toujours, elle s’installait en haut de l’amphithéâtre, et elle avait pu lire son message sans se faire griller par le prof, qui était bien trop bigleux pour voir que ses élèves n’en fichaient pas une.

    « Salut An. Désolé, je ne suis pas trop présent en ce moment. Ça te dit de passer le week-end du 15 avec moi ? J’ai réussi à me dégager du temps, on va pouvoir fêter ton anniversaire ♥ »

    La jeune femme ne put s’empêcher de sourire à la vue de ce message. Finalement, elle avait parlé trop vite. Il arriverait à leur trouver du temps. Elle s’empressa de lui répondre qu’il n’avait pas à s’excuser et qu’elle lui réservait bien évidemment son week-end, le tout avec un petit cœur à la fin.

     

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    Elle était déjà impatiente, et avait du mal à rester concentrée sur la suite de son cours, tout comme pour le reste de la journée. Elle était donc rentrée chez elle le soir, avec un sourire béat sur son visage, ce qui ne manqua pas d’intriguer sa mère qui se trouvait dans l’entrée à ce moment-là.

    - Tiens, tu as l’air heureuse, lui dit-elle.

    Ça lui faisait plaisir de voir sa fille avec le sourire jusqu’aux oreilles. Ça changeait un peu de la négativité qui suintait de chaque mur de la maison. La mère de famille s’approcha alors de sa fille, curieuse d’en savoir un peu plus.

    - Je vais voir Gabe ce week-end, lui dit-elle en haussant les épaules. Pour mon anniversaire. Ça va aller avec Jayn ?

    - Comment ça avec Jayn ? Bien sûr que ça va aller. On ne va pas s’arrêter de vivre parce que ton père est en prison. Tu sors avec Gabe ce week-end, et je m’occupe de Jayn. C’est mon boulot de m’occuper d’elle.

    - Dis ça à tes cernes. Tu fais peur maman …

     

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    Et ce n’était que peu comparé à ce qu’elle pensait vraiment. Marine vivait très mal l’arrestation de Nate, ainsi que le silence de ce dernier. Depuis l’arrestation, elle n’avait pas eu l’occasion de lui parler une seule fois. Il était interdit de visite, ne pouvait pas recevoir d’appels et n’avait même pas d’avocat à qui elle pouvait demander des nouvelles. Nate était en silence radio, et plus le temps passait, plus elle était morte d’inquiétude.

    - Ça va aller, répéta-t-elle à sa fille. Je gère Jayn et tu profites de ton chéri ce week-end. Je ne veux pas que tu te prives pour moi, d’accord ?

    Elle fit le dernier pas qui la séparait de son aînée et elle l’embrassa sur le front. An ferma les yeux, profitant de la présence de sa maman, et de recevoir ces petites attentions comme quand elle était enfant.

    - Je t’aime Maman.

    - Moi aussi ma chérie. Heureusement que je vous ai ta sœur et toi.

    - Même Jayn alors qu’elle est infernale ?

    - Ça me donne une bonne raison de maudire ton père pour autre chose que son passage en prison.

    An esquissa un sourire avant d’embrasser sa mère sur la joue et de filer dans sa chambre pour retrouver Ewan sur son ordinateur. Et à peine fut elle assise sur son siège de bureau, qu’une fenêtre de discussion s’ouvrit, avec l’avatar d’Ewan. Elle posa son sac et sauta sur son clavier.

     

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    « Salut Anie ! Comment tu vas ? Dis-moi, t’es loin de la frontière canadienne ? »

    An resta quelques secondes perplexe, face à la demande d’Ewan. Effectivement, elle habitait à une dizaine de kilomètres de la frontière. Elle avait même l’habitude avec sa famille et ses amis de se rendre au Canada pour passer une journée ou deux.

    « Salut. Pourquoi cette question ? Tu me traques ? »

    « Peut-être, hé hé. »

    « T’es flippant. Et sinon, pourquoi tu demandes ? »

    « Je suis au Canada cette semaine, et pas loin de la frontière américaine, alors je tente »

     

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    An rougit aussitôt jusqu’aux oreilles. Ewan était là ? Enfin, qu’elle ne s’excite pas trop non plus. La frontière avec le Canada fait au bas mot plusieurs dizaines de milliers de kilomètres. La probabilité qu’il passe à proximité de Houlton était plutôt mince.

    « Anie ? »

    « Oui, je ne suis pas loin de la frontière »

    Elle ferma les yeux aussitôt. Qu’elle idée elle avait eu. Elle s’était pourtant promis de ne jamais donner à Ewan son adresse, ou de précisions même vagues dessus. Elle venait clairement de déroger à la règle.

    « De quel côté ? Ce serait sympa qu’on se voie enfin, non ? »

    « Woodstock, je ne suis pas très loin »

    Elle regarda avec attention l’écran une fois qu’elle eut envoyé son message. Elle voyait bien les trois petits points s’agiter à côté du pseudo d’Ewan, et elle avait l’impression que son cœur aller s’arrêter par le stress. Finalement, le couperet tomba.

    « Ah, ça tombe bien ! J’y suis le soir du 15. On pourrait aller boire un verre, t’en penses quoi ? »

     

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    Le week-end du 15, c’était le week-end qu’elle venait de promettre à Gabe. Et quand bien même elle était curieuse de rencontrer Ewan, elle avait une folle envie de passer du temps avec son petit ami. Elle reprit alors contenance, réalisant que ce n’était toujours pas pour maintenant qu’elle rencontrerait son ami anglais.

    « Une prochaine fois peut-être, je suis prise ce week-end-là. »

    « Et tu ne peux pas t’arranger ? Je ne sais pas quand je reviendrai dans les environs. »

    « Non, désolée. Je ne peux pas. Une prochaine fois Ewan. »

    Et parce qu’elle n’avait pas envie d’argumenter plus longtemps, elle passa aussitôt en hors ligne, et ouvrit son sac pour récupérer ses cours, et bosser un peu. Mais elle n’avait pas la tête à ça. Pourquoi est-ce que sa seule possibilité de rencontrer enfin Ewan tombait le week-end que Gabe avait réussi à se dégager ?

     

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    Elle réfléchit un instant. Elle aurait pu négocier avec Gabe pour qu’ils se retrouvent le soir, comme ça il aurait eu l’après-midi pour réviser, et elle pour aller voir Ewan. Ca aurait pu être une bonne idée. Elle pouvait envoyer un sms à Gabe et lui proposer ça.

    Alors qu’elle allait prendre son téléphone pour envoyer un message à Gabe, elle se ravisa. Non. Il avait dû faire des pieds et des mains de son côté pour lui réserver son week-end, elle ne pouvait pas se permettre de lui dire qu’elle voulait passer l’après-midi ailleurs. Elle reposa son téléphone. Elle avait fait le bon choix. Ewan n’était que quelqu’un de virtuel. Le voir une fois ne changerait rien, elle ne le reverrait jamais après ça. Or Gabe était bien réel pour elle, et il avait été là pour elle depuis bien plus longtemps.

    Elle hocha la tête pour se remettre les idées en place.

    Elle passera son week-end prochain avec son petit ami, et tout sera parfait. Elle n’avait pas besoin de voir son ami du web. Et une fois décidée, et les idées claires, elle se concentra de nouveau sur ses cours.

     

     

     

     


  • ♪ L490 - Thirty Seconds To Mars

     

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    Cela faisait deux semaines qu’il croupissait dans sa cellule.

    Nate n’avait même pas été jugé, et simplement désigné coupable de détournement de fonds. Il n’avait pu apporter aucune preuve pouvant l’innocenter. Il n’avait pas pu trouver de solution pour s’en sortir depuis la découverte du détournement par An et Théo, ce n’est pas maintenant loin de ses comptes qu’il allait en trouver une. Celui qui avait fait ça l’avait bien fait, et avait réussi à s’en tirer, laissant Nate payer pour son crime.

    Il soupira, et se tourna sur le flanc, faisant face au mur le long de sa couchette, et il glissa un bras sous son cou. C’est ainsi qu’il passait le plus clair de ses journées. N’ayant pas encore été jugé, il ne pouvait pas rejoindre les autres détenus, et les lieux communs. Il était donc seul, sans aucune possibilité de visite.

    Une fois par semaine, il avait le droit à un appel de quinze minutes. Et il avait pu contacter ainsi Eliott tout d’abord, son « beau-frère » et avocat de la famille, du moins, seul avocat de la famille, afin de lui demander de l’aide sur ce coup-ci. Il pensait sincèrement qu’Eliott l’aurait aidé. Après tout, il était l’oncle d’An, il avait été proche de lui dans une autre vie, mais sa réponse lui avait scié d’autant plus les jambes.

     

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    « Désolé Nate, je ne peux pas prendre ton dossier en charge. Il vaut mieux que tu trouves un autre avocat. Bon courage. »

    Et il avait raccroché au bout de deux minutes de conversation. Il s’était donc retrouvé sans avocat, et avait gaspillé son appel dans le vent.

    La semaine suivante, il n’avait pas fait la même bêtise. Il avait appelé la personne la plus à même de le comprendre à ce moment précis : William.

    Son seul appel hebdomadaire, il l’avait fait à son meilleur ami. Ni à sa femme, ni à ses filles. Mais à son meilleur ami. Il ne sentait pas capable d’affronter Marine dans de telles conditions. Cela faisait donc deux semaines qu’il n’avait pas eu de nouvelles de sa part, ni de ses filles. Il n’avait pas de droit de visite, ou de courrier. Rien. Seul cet appel hebdomadaire le reliait au monde extérieur.

     

     

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    Evidemment, William l’avait quasiment engueulé de l’avoir choisi lui plutôt que Marine pour ce très rare contact avec ses proches, et Nate s’était empressé de lui faire comprendre qu’il n’avait pas envie de perdre quinze minutes à s’engueuler avec lui.

    - Sérieusement Nate, tu sais dans quel état elle est Marine là ? Elle va tourner folle !! Elle est rendue chez Julia tous les jours.

    - D’où tu le sais, je croyais qu’elle t’avait mise dehors Julia ?

    - Elle ne m’a pas mise dehors, je m’y suis mis tout seul. Mais je te rappelle qu’on n’est pas … rah, et puis merde ce n’est pas le sujet. Tu aurais dû l’appeler elle, pas moi !

    - Je ne vais pas appeler Marine, lui avait rétorqué Nate. On s’est un peu … accrochés avant que les flics n’arrivent.

    - T’as fait quoi encore ?

    - Parle pas avec ce ton de moralisateur, c’est toi qui es en train de bousiller ton ménage je te rappelle. Je n’ai rien fait, enfin … Si, j’ai fait quelque chose, et je ne suis pas d’accord avec ce que j’ai fait.

    - T’arrêtes de tourner autour du pot ? Il reste que dix minutes là, s’était impatienté William de l’autre côté du téléphone.

    - Elle est enceinte.

     

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    Et seul le silence lui avait répondu. Après dix secondes, Nate lui avait intimé de répondre, car il n’avait pas pris le téléphone pour discuter avec un muet. Ses minutes de communication étaient précieuses.

    - Tu viens vraiment de dire que Marine est enceinte ? avait répété William.

    - Oui.

    - Et t’es pas content ?

    - Tu veux que je te rappelle où je suis ? Bien sûr que je ne suis pas « content » comme tu dis. Je suis en taule William, et je ne suis pas près de sortir. Donc clairement, je ne suis pas ravi. Comme si la situation n’était pas assez difficile.

    - Attends, ne me dis pas que tu lui as dit d’avorter ?

    Cette fois-ci, c’est Nate qui s’était tu. Et William n’avait pas mis bien longtemps avant de comprendre la raison de sa dispute avec Marine. Il connaissait assez l’épouse de son meilleur ami pour savoir qu’avorter ne faisait pas partie de son vocabulaire.

    - Mais tu n’es qu’un sombre imbécile ! Ça ne fait pas des années que vous cherchiez à avoir le troisième ? Et là tu lui dis de balancer le bébé avec l’eau du bain ? Tu m’étonnes qu’elle t’ait envoyé chier. Tu l’as mérité.

    - Ta gueule, avait rétorqué Nate. Je ne t’appelle pas pour que tu me fasses la morale.

    - Deux minutes.

     

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    Un surveillant était passé à côté de Nate, lui rappelant la fin imminente de cette conversation. Il avait hoché la tête pour lui faire comprendre qu’il avait saisi, et avait reporté son attention sur William. Ce n’était clairement pas le moment de s’engueuler avec lui.

    - Bon, Will, écoute, j’ai plus que deux minutes. Eliott refuse de me défendre. Je suis persuadé qu’il baigne dans quelque chose de pas net. Il faut que tu ailles voir An et Théo. Ce sont eux qui ont découvert ce qu’il se passait dans la boîte. Si quelqu’un peut trouver le moyen de me tirer de là, c’est eux. Tu peux faire ça ?

    William avait acquiescé de l’autre côté du téléphone, se retenant de lui demander pourquoi l’avoir contacté lui plutôt que sa propre fille, et finalement, l’appel s’était coupé de lui-même, au bout des quinze minutes de communication. Nate avait raccroché le combiné comme il put sur le téléphone, et avait suivi le surveillant jusqu’à sa cellule.

     

     

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    Et depuis, évidemment il n’avait eu aucune nouvelle. Il lui restait quatre jours à attendre avant qu’il puisse de nouveau contacter son meilleur ami. Quatre jours d’attente interminable. Il ferma alors les yeux, lassé de contempler le mur devant lui, quand quelqu’un frappa à la porte de sa cellule. Il sursauta, et se redressa assis sur sa couchette.

    - Handers, parloir !

    Il s’assit sur le bord du matelas, et tira son fauteuil à lui avant de faire un transfert. Il n’avait pas le droit au parloir pourtant. Pas tant qu’un juge n’aura pas statué sur sa situation. Totalement sous l’incompréhension, il alla jusqu’à la porte, et frappa contre celle-ci pour indiquer au surveillant qu’il sortait. On lui déverrouilla la porte, et il suivit le maton jusqu’aux parloirs, où l’attendait, derrière une vitre, une parfaite inconnue. Une jeune femme qui devait avoir tout juste trente ans, les cheveux bruns coupés au carré et un air déterminé qui se lisait dans ses yeux. Il regarda autour de lui, cherchant une explication qu’on ne lui donna pas, et la jeune femme lui adressa un petit sourire encouragé, ce qui le confortait dans son idée : elle était là pour lui.

    Il s’approcha alors du poste, cherchant à comprendre ce qu’il se passait.

     

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    - Bonjour Monsieur Handers, lui dit la femme. Je suis Chelsea Swann, enfin, Maître Swann. Maître Thatch m’envoie pour vous défendre.

    Nate écarquilla les yeux, ne s’étant pas du tout attendu à ce que Eliott l’aide, vu la conversation qu’ils avaient eu la dernière fois. C’était plutôt surprenant. Il se présenta à son tour, se rendant bien compte que ça ne serait pas forcément utile, elle devait déjà tout savoir de lui vu qu’elle devenait son avocate.

    - Vous sortez demain, dit-elle pour commencer. Ils n’ont aucune raison légale de vous garder plus longtemps. Pas de preuve contre vous ne fait pas de vous un criminel.

    Elle lui sourit, essayant d’être la plus avenante. Nate soupira longuement à cette annonce, et il eut l’impression de se ratatiner sur sa chaise.

    - Maintenant, il va falloir qu’on se débrouille pour passer devant le juge, sans peine ni amende. On devrait y arriver, il n’y a rien dans votre dossier qui prouve que vous soyez le coupable. Ça ressemble plutôt à une escroquerie …

    - Merci, dit finalement Nate. Je ne pensais pas que Eliott changerait d’avis à mon sujet.

    - Oh, il n’a pas changé d’avis. C’est votre fille, An, qui est allée faire un scandale dans son bureau, dit-elle avec un sourire amusé qui lui faisait bien comprendre qu’elle avait assisté à toute la scène.

     

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    Nate sourit aussitôt, fier de la ténacité de sa fille qui était capable de soulever des montagnes pour le tirer de là. L’avocate sortit un dossier qu’elle posa devant elle. Elle l’ouvrit, sortit un bloc-notes et un crayon.

    - Monsieur Handers, reprit-elle, si on commençait à établir votre défense.

    Nate acquiesça, et il se rapprocha de la cloison vitrée pour regarder le dossier que lui présentait l’avocate et lui racontait tout ce qu’il savait de l’affaire. Savoir qu’il sortirait d’ici dès le lendemain lui donna une motivation de plus pour se battre. Mais une chose restait floue dans son esprit : après leur dispute et ces deux semaines de silence, que dirait-il à Marine quand il la reverrait ?

     

     

     

     

     


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    Georg-Kaitlin était assis derrière le comptoir de la petite boutique de disquaire où il travaillait avec Méandre depuis quelques semaines déjà. Sa collègue avait dû filer faire une course urgente il y a une vingtaine de minutes, lui confiant ainsi la boutique. Mais il n’avait pas trop besoin de s’en inquiéter : ils n’étaient clairement pas envahis de clients à ce moment de la journée. Il en profitait alors pour travailler sur son cahier de chansons. Ce qu’Emma lui avait dit quelques jours plus tôt avait fini par émerger dans son esprit, et il se disait que ce ne serait peut-être pas si improbable que ça de se présenter pour une de ces battles. Il avait donc attrapé un dossier d’inscription ici, sur ce comptoir, et avait regardé les formalités.

    Ça n’avait rien de franchement sorcier.

    Il devait juste présenter un minimum de deux chansons, sans que ce soit des créations originales, et se débrouiller pour tout. Instruments, communication, etc. Il n’avait pas spécialement envie de communiquer sur son passage. Après tout, il avait envie de tester, juste une fois, de monter sur scène, et de proposer ses créations, voir ce que ça faisait. Il bossait donc sur deux d’entre elles. Une qui traînait depuis un moment dans ses cahiers, que ses proches connaissaient, et une autre, qu’il avait écrite et composée avec Emma. Seule restait la question des instruments : il ne pouvait monter qu’avec sa guitare sur scène, et n’avait pas les moyens techniques et humains pour faire figurer basse, batterie et claviers. Il avait bien pensé utiliser les samples qu’il avait avec lui, ainsi que les quelques enregistrements qu’il avait déjà fait sur le premier morceau, mais il devait néanmoins trouver un clavier ou une table pour mixer tout ça.

     

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    - Raaaah !

    Il se prit la tête dans les mains. Il n’avait rien de tout ça, il n’avait pas l’argent pour en louer, et il ne connaissait personne ici qui pouvait lui prêter ça. Autant dire que sa participation aux battles, du moins à l’une d’entre elles, était complètement compromise.

    - Tu as des problèmes GK ?

    Méandre venait justement de rentrer dans la boutique, avec son sac de commission, et flanquée de deux jeunes garçons qui devaient être dans les dix ans. Il écarquilla les yeux, ne s’étant pas attendu à la voir avec des enfants. Enfin, si, les siens, mais ils devaient être plus jeunes.

    - Non, tout va bien. C’est qui ? demanda-t-il en pointant les deux enfants qui étaient sages comme des images.

     

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     (Léon le roux - Asty le brun)

     

    - Mes petits frères. Léonidas et Astyanax, mais on les appelle Léon et Asty. Leur institutrice est malade, elle a dû annuler la classe cet aprèm, alors je les récupère. Ils vont monter dans la salle de pause, t’inquiète, tu ne vas pas les entendre.

    - Tes frères … répéta-t-il. Attend, l’autre jour au téléphone, quand tu parlais des jumeaux, tu parlais d’eux ?

    - Tu écoutes mes conversations téléphoniques ? demanda-t-elle en riant.

    Georg piqua un fard, tandis que les jumeaux filaient à l’étage. Il avait effectivement écouté sa conversation, et s’était même fait des idées. Il avait de quoi se sentir doublement ridicule.

    - Oui. Je devais probablement parler de mes frères ce jour-là, à un ami, ajouta-t-elle en voyant que GK se mettait dans tous ses états, ce qui fit rougir d’autant plus le jeune homme.

    - Ok, excuse-moi, je n’ai pas été très malin.

    - T’inquiète, c’était assez drôle à regarder.

    - Merci de ta sollicitude.

    - Je t’en prie.

     

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    Elle passa à côté de lui et remarqua le parolier posé sur le comptoir. Elle détourna le regard, elle savait que ce genre de document était comme un journal intime et qu’il n’apprécierait pas qu’elle le lise. Elle avait exactement le même chez elle, planqué de ses frères.

    - Tu écris des chansons ? demanda-t-elle innocemment.

    - Ah oui. Ma copine, euh … enfin, ex-copine, m’a mis dans le crâne que je pouvais participer aux battles, alors …

    Il haussa les épaules et ferma son cahier.

    - Tu peux, c’est ouvert à tout le monde. Tu y vas samedi d’ailleurs, non ? Tu verras, c’est assez hétéroclite comme compétition.

    - Et toi, tu y vas samedi ? lui demanda-t-il.

    C’était l’occasion de l’inviter à l’accompagner, vu que Emma avait finalement filé faire son tour du monde. Méandre le regarda avec un petit sourire amusé, et déclina poliment son invitation prononcée à demi-mot.

    - Désolée, je suis prise ce soir-là. Une prochaine fois peut-être, ajouta-t-elle avec une œillade.

    Elle avait hâte de voir sa réaction quand il réalisera qu’elle serait sur scène samedi soir, alors qu’il était incapable de la reconnaître sur les affiches placardées partout en ville. Et le lundi suivant, au magasin, elle en profitera bien pour rire de sa gêne.

     

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    - Tu ne sais pas où je pourrais emprunter un clavier ?

    - Euh, non pas vraiment. Je connais quelqu’un qui a un clavier, mais elle y tient énormément. C’est pour ta participation ?

    - Ouais. Je n’ai pas de groupe, mais j’ai des enregistrements dans mon ordinateur, et si j’avais un clavier, je pourrais clairement mieux me débrouiller qu’avec juste mon ordinateur, tu vois … ?

    Méandre réfléchit un instant. Elle voyait bien où GK voulait en venir, mais il se compliquait plutôt la vie en réalité. Le clavier n’était clairement pas le meilleur outil du monde pour ce qu’il pouvait faire.

    - Je ne peux pas te trouver de clavier, mais je peux te dépanner d’un soundboard et d’une vieille table de mixage. Ton son sera meilleur. T’as une piste par instrument ?

    - Basse et percus. Je reste à la guitare sur scène.

    - Tu vas galérer si tu dois jongler entre la guitare et la table. Tu ferais mieux de tout pré-enregistrer.

    - T’inquiète, je gère. Ce n’est pas parce que je n’ai pas le matériel que je ne sais pas me débrouiller, lui dit-il avec un sourire en coin.

    - Comme tu voudras, je t’amènerai ça quand j’y penserai.

    Elle passa de l’autre côté du comptoir pour faire un peu de rangement sur les présentoirs.

     

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    - Tiens, sinon, blague à part, lui dit Méandre. T’es dispo samedi dans quinze jours ?

    GK releva la tête et regarda Méandre. Il n’avait rien de prévu pour le moment, de toute façon, il ne connaissait personne, donc il n’y avait aucun moyen d’être pris ce week-end-là. Il acquiesça alors en regardant Méandre.

    - Tu m’accompagnerai à une soirée ?

    - Euh … Oui, si tu veux. T’as pas de copain à inviter ? lui demanda-t-il.

    - Justement, non. C’est une soirée d’anciens du lycée, et je n’ai pas très envie de me faire charrier si j’arrive seule.

    - Tu veux un faux copain ?

    Il sourit, amusé. Il ne s’était pas du tout attendu à ça, et ce n’était pas trop mal comme plan pour se rapprocher d’elle, d’autant plus qu’il avait confirmation qu’elle n’avait pas de copain.

    - Et ton pote, qui devait gérer tes frères ?

    - Samuel ? Il est connu comme le loup blanc, et il est gay. Ça ne marchera jamais. Toi, personne ne te connaît, t’es le candidat idéal, ajouta-t-elle en rougissant légèrement. Je t’offre même le restaurant pour te dédommager de ton coup de main.

    - T’inquiète, ça ne me dérange pas. Et puis, pas la peine de me payer le restaurant. J’accepte avec plaisir.

    Et avec beaucoup d’arrières pensées, soit dit en pensant.