• (12)

     

    A quelques rues de là, mains dans les poches, William Mayers sortait de l'entreprise de déménagement pour laquelle il travaillait depuis douze ans maintenant, harassé par sa journée de travail qui, bien que relativement courte à celles qu'il avait l'habitude d'effectuer, avait fini de l'achever pour la journée. En effet, déménager une famille dans un T5 au sixième étage d'un vieil immeuble sans ascenseur, ce n'était pas le genre d'activité favorable au repos et à la détente, et c'est pour cette raison que son employeur avait laissé le reste de la journée aux braves qui avaient donné de leur sang (et surtout de leur sueur en réalité) pour ce travail en particulier. William avait donc le cœur relativement léger, malgré ses muscles endoloris et sa tête qui commençait à tambouriner sourdement. Il avait la fin de l'après midi devant lui, pour faire ce qu'il voulait, et l'apprécierait d'autant plus qu'aujourd'hui étant le jour de congé de Julia, il pourrait le passer avec elle, loin de ses monstres d'adolescents surexcités. 
    La nouvelle de la libération de son père ? Il n'en a pas encore entendu parler. Les nouvelles, il préfère les lire le matin dans son journal devant un bon bol de café et ses tartines plutôt que d'écouter un ramassis de corneilles et de babouins tenter de se vendre en proposant les drames quotidiens que notre planète Terre devait supporter à chaque minute. Il est serein, rêve déjà du frigidaire et des sodas qu'il regorge, ne buvant plus de bières depuis bien longtemps comme il l'avait alors promis à sa sœur, Julia, pour que Georg « connaisse au moins son oncle à défaut de son père ». Mais tout cela était il y a bien longtemps. Bien avant que Harry ne révèle l'inconcevable, son premier mariage qui lui donna William, son deuxième qui le força à adopter la sœur cadette de son épouse. Avant que l'affection plus que fraternelle qu'éprouvait William pour sa sœur ne puisse finalement se dévoiler au grand jour pour en arriver à ce qu'il en est aujourd'hui.
    Après quelques minutes de marche, William arriva enfin au pied de l'immeuble dans lequel il était propriétaire d'un duplex, et poussa la lourde porte pour y entrer, escalada à la volée les escaliers les menant chez lui, et c'est tout sourire qu'il ouvrit la porte de son logement, souhaitant faire une surprise à sa Julia.
    _ Hello ! Lança-t-il en entrant.

     

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    Il se dirigea vers la bibliothèque à sa gauche pour y déposer ses affaires, clés et portefeuille, tendant l'oreille quant à une réponse de la femme qui partageait sa vie, mais rien ne vint à ses oreilles. Quelque peu inquiet, il réitéra l'expérience, regardant dans la mezzanine depuis le rez-de-chaussée, et à nouveau, il resta sans réponse.
    Sans crier gare, il ouvrit les portes des pièces du rez-de-chaussée, vérifiant le balcon, sans trouver une quelconque trace de Julia. Son sang ne fit qu'un tour et son cœur se mit à s'emballer dans sa poitrine. A chaque instant, il prenait peur pour Julia, et ce depuis presque toujours, depuis ses neuf ans où elle s'est enfermée dans un mutisme huit longues années durant. Son ex-sœur était fragile, et il n'avait qu'une crainte, que sa fragilité n'ait un jour raison de sa Julia.

     

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    Et il la trouva finalement, assise sur le lit dans la chambre de leur fils, un album photo sur les genoux et des larmes courant sur ses joues. Elle avait le regard fixé sur l'ouvrage, sur les photos qu'il contenait et que William connaissait par cœur. Un album qu'ils avaient réalisé en commun, à destination de Georg, pour qu'il connaisse les circonstances désastreuses de sa naissance, son premier « père » et ce qu'il a fait pour Julia. Ce « père », Mikael, qui avait recueilli Julia quand elle s'est enfuie de chez elle, et avec lequel elle avait pu s'épanouir et se rouvrir aux autres. Ce Mikael auquel Julia était fiancée, qui a choisi le deuxième prénom de Georg, Kaitlin,et qui avait trouvé la mort le lendemain de la naissance de ce dernier, de façon tragique. Or, cet album photo, jamais ils ne le lui avaient donné. Pour Georg, seul William est son père, et il ne sait rien des circonstances de sa naissance, ni même des drames que sa mère avait du endurer.

     

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    _ Qu'est-ce qu'il ne va pas ? Questionna William en restant dans l'encadrement de la porte, n'osant pas faire un pas supplémentaire de peur d'être une présence indésirable dans la tristesse de Julia.
    _ Il va avoir seize ans après demain Will … Je ne me sens pas prête pour ça.
    Elle ferma l'album photo qu'elle posa à ses pieds, et passa son poignet sous ses yeux pour assécher les dernières larmes qui tentaient de se frayer un chemin sur ses joues déjà humides et lavées de toute trace de maquillage. William s'approcha d'elle doucement, s'assit à ses côtés avant de l'attirer délicatement contre lui, étreinte qu'elle ne refusa pas, bien au contraire, puisqu'elle se blottit finalement contre lui.

     

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    _ Il va bien falloir pourtant, tempéra Will. On savait très bien que ses seize ans arriveraient, il a le droit de savoir.
    _ Tu n'as pas peur ? Qu'il ne te considère plus comme son père …
    _ Je lui fais confiance. On verra qui il choisit entre ce salopard, Mikael et moi. S'il choisit Mikael, je m'inclinerais, après tout, je ne suis que le père adoptif de Georg.
    Il déposa un léger baiser sur le front de Julia. Cette dernière ferma les yeux, ses mains s'accrochant au tee-shirt de son mari, rongée par l'inquiétude de ce qui se passera le lendemain, le surlendemain et les jours à venir. Elle était rongée par la peur que son propre fils ne la juge sur ses actes, ou n'accepte pas le fait d'être né d'un viol.

     

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    A cette simple pensée, Julia tressaillit, et William la serra un peu plus fort contre lui, jouant avec les cheveux platine de la femme de sa vie.
    _ On peut attendre dimanche si tu veux, qu'il passe sa fête d'anniversaire dans l'ignorance et l'innocence. Ça te convient ?
    Julia opina du chef, avant de se redresser, et de regarder William dans les yeux. Un léger sourire s'esquissa sur le visage la femme, que William s'empressa, tout en douceur cependant, de caresser de la pointe de son pouce, collectionnant ces quelques moments volés avec son épouse, loin de leurs enfants.
    _ Enfin, pour l'innocence,on repassera, se mit à rire William en se relevant.
    Il tendit la main à Julia, qui l'accepta, se releva et récupéra l'album photo au sol. Celle-ci sourit d'ailleurs à la remarque du brun, en pensant à tous les déboires qu'elle avait déjà du endurer avec son fils, bien que le plus souvent, ce soit William qui gère ce genre de situation.
    Celui-ci d'ailleurs sortit de la chambre de son fils, laissant à Julia le soin de ranger l'album photo à sa place dans un tiroir de leur chambre, avant de descendre au rez-de-chaussé pour aller se blottir l'un contre l'autre sur le canapé du salon, allumant la télévision pour faire office de fond sonore.

     

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    _ Tu as passé une bonne journée sinon ? Demanda Julia une fois qu'ils furent tous les deux confortablement installés dans le canapé.
    _ Hormis le fait que le boulot m'ait tué, ça s'est plutôt bien passé, d'autant plus que j'ai eu le droit à une après midi de repos après l'enfer de ses six étages. Et toi ? Tu as pu dormir ?
    Julia resta muette à cette question, préférant jouer avec les doigts de son amant plutôt que de répondre sincèrement, car elle savait qu'il allait encore se répandre en excuse dès qu'elle lui aura avoué que son cri à sept heures du matin n'était pas de ceux qui ne réveillent pas, même au contraire. Les voisins aussi ont du l'entendre ce terrible rugissement.
    _ Tu as encore fait le même cauchemar ? Demanda-t-elle en changeant de sujet, tout en répondant de manière subtile à William, même par omission, Julia ne supporte pas le mensonge, il est vrai que vivre entouré par de tels préceptes ne facilitait pas leur acceptation.
    _ Je suis désolé, s'excusa William, de manière tout à fait prévisible. J'aurais souhaité ne pas te réveiller.

     

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    Il marqua une pause, durant laquelle il installa Julia contre lui. Cette dernière s'allongea sur les genoux de son époux, bien calée pour l'écouter, tout en en profitant pour le détailler sans aucun scrupule. Car même après quatorze ans de mariage, elle ne se lassait jamais de voir William, elle ne réalisait pas que cet homme, en face d'elle, qui faisait encore aujourd'hui tourner bien des têtes, était sien, comme le prouvait leurs anneaux. Alors chaque jour, elle en profitait pour prolonger le rêve encore plus longtemps en s'imprégnant de lui le plus possible. Elle était chanceuse, elle le savait.
    _ Oui, répondit-il finalement. Mais cette fois, ça se passait dans une boîte de nuit, deux ans avant le décès de Paul et Claire1. Andy mourrait une nouvelle fois, et devant mes yeux cette fois …
    Julia pris les mains de William dans les siennes, les serrant au plus fort qu'elle le pouvait, quand un son de sonnette de porte d'entrée retentit. Julia se leva alors, laissant William assis dans le canapé pour ouvrir au visiteur, qui se débattait avec la sonnette qui était trop haute pour sa faible hauteur, à savoir un mètre vingt les bras levés.

     

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    _ Bonjour Nate, le salua immédiatement Julia. William s'occupera de la sonnette d'ici samedi, comme ça tu pourras sonner sans te contorsionner.
    _ Merci Ju', mais on a un problème, dit-il en entrant dans l'appartement à grand tour de roues dès que Julia eût dégagée la porte d'entrée.
    Nate Handers s'approcha de son meilleur ami, le visage grave, un paquet de feuilles coincés dans son fauteuil roulant. Ne saluant pas son ami, il s'empara de la documentation, qu'il tendit à William, qui s'empressa de les récupérer, les balayant du regard, son regard s'effarant un peu plus au fil des secondes.
    _ Harry est ….

     

     

     

     

    1Parents de Delphes, Andy et Eliott Thatch. Décédés dans un accident de voiture causé volontairement et dont Harry Mayers est le suspect principal.


  • (13)

     

    _ … sorti de prison aujourd'hui ?
    Mathieu recracha presque instantanément le café qu'il était en train de boire quand son ancienne collègue, Akira, avec qui il passait au minimum une heure par jour au téléphone, venait de lui annoncer la nouvelle qui courrait dans tout Houlton depuis le début de la journée. Harry Mayers était sorti de prison. Cet homme pour lequel il avait réalisé le genre de sacrifice qu'il s'était toujours interdit, refusant de mêler sa vie privée et professionnelle, il n'avait pas été assez prudent, et avait dû, à contrecœur, se séparer de la femme qu'il aimait. Acte qui par la suite avait commis l'irréparable, cet accident de balle perdue qui lui avait coûté non seulement son travail, mais avant tout, son poumon droit.
    Il appuya sur le haut parleur de son téléphone cellulaire, avant de grimper à l'étage, dans la chambre parentale de la maison, et posa l'objet sur le lit, avant d'ouvrir sa commode pour en sortir des vêtements plus adéquats pour ce qu'il s'apprêtait à faire, à savoir rejoindre l'ancien poste de police dans lequel il officiait quinze ans auparavant.

     

    (13)

     

    _ Tu peux m'en dire plus ? Lui demanda-t-il tandis qu'il nouait sa cravate soigneusement autour de son cou.
    _ Une de ses amies, une certaines Brook Anderson, a ré-ouvert le dossier il y a quelques mois en demandant le huis-clos, dans le but d'innocenter Mayers. Et elle a gagné le procès, faute de preuves pour incarcérer Mayers plus longtemps pour le double meurtre des Thatch, et celui de son épouse.
    _ Putain !
    D'un coup de pied violent, Mathieu referma le tiroir de la commode avant de s'asseoir sur le lit, tête entre ses mains. Pour lui, c'était pire que si son monde s'était écroulé. Ces sacrifices qu'il avait endurés, il les acceptait tant qu'il savait qu'ils étaient justifiés. Oui, perdre un poumon et son travail était une condition valable pour mettre ce décérébré derrière les barreaux. Et aujourd'hui, tout ça n'avait strictement servi à rien. Le voilà revenu au point de départ, avec une dette supplémentaire sur les épaules : pour le bien de Julia et William, qui faisaient partie de sa famille désormais, il se devait de remettre Harry là où il ne leur ferait plus aucun mal.

     

    (13)

     

    Il prit le téléphone, éteignit la fonction haut parleur, et le porta de nouveau à son oreille, restant assis comme il l'était auparavant, car bouger le moins possible lui permettait de garder un certain calme et une très bonne lucidité quant à ce qu'il essayait d'assimiler.
    _ Tu es au poste de police actuellement ?
    _ Oui. Yann est censé me rejoindre pour aller au palais de justice et tâcher de rencontrer l'avocat de Mayers. Il lui a d'ailleurs trouvé un très charmant surnom : l'avocat du Diable. C'est vrai que ça lui va bien.
    _ Tu as le nom de cet avocat ? Genre, il est connu, où quelque chose comme ça ?
    _ Non, il n'est pas connu. Mais son nom va t'étonner Matt, éluda-t-elle, puis voyant qu'il ne répondit pas, elle poursuivit. En fait, Yann le connaît bien, car il a été une victime de Mayers durant son enfance. Il s'agit d'Eliott Thatch.

     

    (13)

     

    Mathieu marqua un temps d'arrêt prolongé à l'entente de ce nom. Comment est-ce que Eliott Thatch pouvait-il être l'avocat de Harry Mayers. Bien sûr que Mathieu le connaissait, bien qu'il ne l'ai jamais vu. Il avait à peine trente ans, et alors qu'il avait neuf ans, un groupe de trafiquants de drogues et d'armes l'avait kidnappé, espérant faire ainsi revenir leur précédente otage, Delphes Thatch, la sœur aînée d'Eliott. Et c'est d'ailleurs pour ces trafics de drogues et d'armes que Harry Mayers avait été inculpé, la justice ayant prouvé qu'il eut été à la tête de cet important réseau de malfrats. Que pouvait bien espérer Eliott en s'alliant à un tel homme et en le faisant sortir de prison ?

     

    (13)

     

    _ Tu parles bien du petit frère d'Andy Thatch, la meilleure amie de Sienna ?! Osa-t-il tout de même s'écrier, de manière cependant modérée, dans le combiné.
    _ Oui, et je suis tout autant surprise que toi, Yann ne s'en remet pas. Il avait travaillé sur son enlèvement, rappelle-toi.
    _ Ouais, je sais. Je comprends pas, soupira-t-il, exaspéré.
    _ Nous non plus, c'est bien pour ça qu'on compte aller le voir au palais de justice dans l'immédiat, donc ce serait cool que tu bouges ton adorable p'tit cul de mannequin fissa avant qu'il ne nous file entre les mains.
    _ J'arrive !

     

    (13)

     

    Mathieu raccrocha presque instantanément son téléphone avant de le mettre dans sa poche, et de sortir de chez lui, en direction du palais de justice qui se trouvait à une vingtaine de minutes à pied de son domicile. Il envoya un texto rapide à son épouse, qui risquait de rentrer toujours plus tôt que prévu, préférant qu'elle ne le cherche pas où il se trouve en réalité.
    « J'ai été appelé en remplacement pour un cours d'auto-défense. Je ne sais pas quand je rentre. »
    Encore un mensonge supplémentaire pour ne pas inquiéter Sienna, qui n'avait qu'une seule et unique crainte : que l'ancien boulot de Mathieu, sa passion, sa vie, ne le lui enlève une nouvelle fois, mais pour de bon cette fois.

     


  • (14)

     

    Xander marchait, le pas las, tapant dans les gravier sur son chemin pour rentrer chez lui, ayant fui la salle de cours puis le lycée dès que la sonnerie de la fin de la journée retentit pour annoncer aux élèves qu'ils pouvaient rentrer chez eux avec plaisir, afin de faire leurs très nombreux devoirs pour le lendemain, dernier jour avant le week-end. Et le jeune homme en avait parfaitement saisi l'occasion, pour empêcher son meilleur ami, Emilien, de le caser avec Charlie, une élève de leur classe, rouquine, très mignonne, mais un peu trop fille pour Xander. Il se disait qu'il avait assez de sa sœur à piailler à la maison, pas besoin d'en rajouter une couche avec une amie, voire une petite amie. Il tenait à sa santé mentale.
    De fait, il est vrai qu'il s'en voulait un peu d'avoir lâchement planté son meilleur ami comme un poireau dans le potager, mais c'était la meilleure chose à faire semblait-il. Pour lui, l'annonce du déménagement d'Emilien était quelque chose d'assez dur à supporter, alors il avait pas besoin de distraction supplémentaire, s'ils pouvaient rester juste entre potes tous les deux, Dieu que ça l'arrangerait. Mais voilà, Emilien est trop bonne pâte, un véritable samaritain, et il était donc impensable de laisser son meilleur ami, seul une fois qu'il fut parti.

     

    (14)

     

    Tous deux se connaissaient presque depuis leur naissance, à croire qu'ils auraient pu être portés par la même mère, à la seule différence que Xander n'était pas né dans cet état, mais dans le Maine, une contrée rude et relativement glaciale comparé à l'état de New York. Il connaît même sa ville d'origine, mais franchement, pour lui, c'est rien qu'un mot écrit sur un bout de papier. Puis, il a atterrit en orphelinat, où Sarah et Alexis Thompson l'ont adopté, et le voilà alors ici, dans une ville pommé autour d'Albany. L'histoire d'Emilien était plus complexe d'un certain côté. Il n'a pas été adopté, certes, mais il n'a pas de père pour autant. Sa mère, Meredith Enoran a décidé que faire un enfant seule, c'était bien mieux et provoquait moins de complications. Alors Emilien est né à Albany, et ils ont été dans la même crèche durant leur petite enfance. Fin de leur merveilleuse rencontre qu'ils n'ont pas su apprécier, bien trop jeunes pour réaliser que ça allait changer leurs vies à jamais. Parce que désormais, pour Xander, une vie sans son meilleur ami depuis plus de quinze ans n'était pas envisageable. Il ne vous l'avouera jamais, mais il a passé sa journée de cours à trouver mille et une astuces pour suivre Emilien, ou pour le forcer à rester à Albany. Avant de se résigner, les choses étaient ainsi faites. Il se retrouvera tout seul jusqu'à ce que Emilien revienne, ou qu'il décide de prendre son envol pour Bloomington à son tour, quand il aura l'âge, et surtout, le courage de le faire, ce qui est loin d'être gagné avec un tel trouillard.
    _ Alexander ! Entendit-il derrière lui.

     

    (14)

     

    Il se stoppa net, écoutant le bruit des pas sur le pavé, mais ne se retourna pas. Cette voix, il ne la connaissait pas, ou peu, du moins, il ne put associer de visage à cette voix féminine. Après quelques instants, le bruit de course se stoppa, et le jeune homme se douta que quelqu'un, une fille plus particulièrement, se tenait dans son dos, juste à l'instant. Il déglutit avec difficulté, il n'était vraiment pas d'humeur à discuter avec une parfaite inconnue, il allait rougir, bégayer, se mettre à paniquer, voir même à pleurer, dans le pire des cas.
    Une main se posa sur son épaule, et un terrible sursaut lui parcourut l'intégralité du dos. Haletant de frayeur, il se retourna avant que ses pupilles vertes ne rencontrent celles dorées de la jeune femme, encadrées par un fin trait noir. Son regard resta ainsi figé sur celui de l'inconnue, sans qu'il ne puisse rien y faire, paralysé par la peur.

     

    (14)

     

    _ Alexander ? Reprit la voix.
    _ C'est Xander.
    Il ne s'était même pas entendu lui répondre. Il ne se savait même pas capable de parler à l'instant. Il secoua fébrilement la tête pour quitter les yeux de l'inconnue, pour la regarder plus largement, et réaliser qu'elle était très « fille » avec ses cheveux rouges très longs et sa dose de maquillage.
    _ Pardon, je croyais que c'était un diminutif.
    _ C'est Xander, répéta-t-il, bégayant.
    _ Oui, je crois que j'ai compris. Moi c'est Charlie, on a cours ensemble.
    Elle tendit la main vers lui, comme n'importe quel geste amical entre deux personnes qui se présentent, mais le jeune homme se contenta de fixer la dite paume, souriant en voyant la ligne de vie cahoteuse qui y était dessinée. Sa propre main resta ballante le long de son corps, et après un blanc assez lourd, Charlie finit par rapatrier sa main le long de son corps, se rendant compte que Xander ne la lui serrerait jamais.

     

    (14)

     

    _ On peut rentrer ensemble ? Demanda-t-elle.
    _ Pardon ?! S'estomaqua aussitôt le brunet, persuadé d'avoir mal compris.
    _ On habite dans des maisons voisines, on peut bien faire le trajet ensemble, non ?
    _ Non !
    Charlie sursauta à ce « Non » venant droit du cœur, quelque peu surprise d'une telle hargne prononcé par le jeune homme, pourtant si calme et réservé d'habitude. Elle ne se laissa pourtant pas marcher sur les pieds par la timidité impressionnante et haineuse de son camarade de classe.

     

    (14)

     

    _ Emilien m'a dit qu'il déménageait, et que tu allais donc, par conséquent, te retrouver complètement seul vu que tu n'as que lui comme pote, je me suis permise de te suivre.
    _ Pour te vendre comme potentielle amie ?
    _ Me vendre, me vendre, c'est vite dit hein, j'ai pas une étiquette sur le front qui stipule que j'ai besoin d'amis au point de me vendre tu sais.
    Xander haussa les épaules et continua sa route, ne voulant pas poursuivre une seconde de plus cette conversation qui commençait à l'agacer au plus haut point. Il connaissait un Emilien Enoran qui allait entendre parler du pays dès le lendemain, et ce ne sera pas en termes élogieux. Comme s'il avait besoin que son meilleur pote se prenne pour un mac à envoyer des filles pour s'occuper de lui.

     

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    _ Je te propose juste de pas rester seul dans ton coin et de venir avec nous, finit-elle par dire en regardant le dos de Xander s'éloigner.
    Ce dernier se contenta simplement d'un haussement d'épaules, et poursuivit son chemin, abandonnant ainsi Charlie derrière lui. Il ne voulait pas en parler, ni même lui répondre, bien que cette proposition lui avait quelque peu fait plaisir. Mais le fait de savoir que c'était Emilien qui était à l'origine de cette manipulation lui plaisait beaucoup moins, et ternissait quelque peu l'idée de devenir un être parfaitement sociable. Elle ne fit rien de plus, préférant rebrousser chemin et laisser Xander seul avec lui même.

     

    (14)

     

    Celui-ci attrapa d'ailleurs son téléphone portable, et rédigea à la va-vite un message à destination de son meilleur ami, au sujet d'un très clair manque de savoir vivre, de son attitude totalement sans gêne et de sa non-nécessité d'une petite amie, encore moins de Charlie parce qu'elle a une tête d' « hypocrite et ça se voit de loin que tu l'as forcée à me parler ». Nan mais c'est vrai quoi, il y a certaines limites à ne pas dépasser. Quelques secondes plus tard, son téléphone vibra dans sa poche, avec un très court mot d'excuse de la part de son meilleure amie, ainsi qu'une assez brève justification.
    « Mais elle a flashé sur toi, elle voulait que je lui arrange le coup. T'es con ! »
    _ Bah tiens …