• ♪ Je cours (instrumental) - Kyo

     

    ▪ 126 ▪

     

    Xander avait pris son courage à deux mains, et il était sorti de chez lui. Dans sa paume, une copie froissée de son acte de naissance, et devant lui, le bâtiment de l’hôpital général d’Houlton. Il était resté figé là, piqué comme un poireau, à regarder les gens entrer et sortir. Il n’arrivait pas à faire un pas de plus.

    Un peu plus tôt dans la semaine, il avait eu Kellan au téléphone. Bon, il avait tous les jours Kellan au téléphone, pas seulement au début de la semaine. Mais cette fois-ci, dans la conversation, Xander avait parlé de l’hôpital où il était né, et qu’il avait hâte d’y mettre les pieds. Hâte de mettre un nom sur ses parents. Kellan l’avait d’ailleurs prévenu qu’il pourrait rencontrer un mur. Rien ne lui promettait que quelqu’un avait laissé un mot dans son dossier, avec un prénom ou quoi que ce soit d’autres. Il avait déjà eu deux choses : son prénom et sa croix. Il doutait un peu que la case hôpital serait maigre.

    Mais Xander avait insisté. Il devait bien commencer quelque part. Le collier de son père, c’était sûrement une breloque sans valeur, et il y avait probablement des milliers de Spencer dans le seul état du Maine. Ce n’est pas parce qu’il est né à Houlton que son père y vivait. Alors que au moins, à l’hôpital, ce serait concret. Il entrerait dans les lieux où il a vu le jour, là où il avait vécu ses premiers jours. Et c’est là qu’il commencerait.

    - Très bien, lui avait dit Kellan. Tu as raison, il faut bien commencer quelque part. Mais je ne pourrais pas venir avant un moment. Tu n’es pas obligé de m’attendre si tu ressens le besoin de commencer tes recherches.

    - Et quand j’irais les rencontrer ?

    - De qui ? Tes parents ? Je serais là. Evidemment que je serais là.

    Et la conversation sur ses origines s’était à peu près terminée là. Il était donc convenu qu’il entre dans cet hôpital de lui-même, qu’il cherche par lui-même mais que Kellan ferait tout pour se libérer et être là aux grandes avancées et à la rencontre. Et savoir que son petit ami le soutenait permettait à Xander d’être plus serein face à la tâche qu’il devait accomplir.

    Il soupira alors, serra d’autant plus sa main sur son acte de naissance, et fit les derniers pas qui le séparaient du hall de l’hôpital. Une fois entré, il fut assailli par une odeur de chlore, de désinfectant et … de papier. C’était une odeur rassurante pour lui, sans qu’il n’arrive à expliquer pourquoi. Il n’avait pas d’affinité particulière avec les hôpitaux, c’est même plutôt le contraire vu que, enfant, il avait été balloté de service en service pour essayer de soigner ses différentes pathologies qu’il avait depuis sa naissance.

     

    ▪ 126 ▪

     

    Devant l’accueil, il s’arrêta et attendit son tour. Les secondes semblaient s’égrainer si lentement devant lui. Il tapa frénétiquement du pied, son regarda courait partout autour de lui, ses mains devenaient moites et son cœur s’accélérait. Rien dans son corps n’allait, et il avait tellement envie de fuir. Sinon il s’écroulerait de stress.

    - Suivant ! clama la voix de l’hôtesse.

    Xander s’avança. Encore une personne devant lui.

    Et si on ne lui annonçait rien. Son dossier était peut-être aussi vide que son acte de naissance. Il trouvait son acte anormal, il manquait forcément un nom, voire deux hormis ceux de ses parents. Et ce sont ces noms là qu’il veut retrouver à tout prix. Ceux qui ont assisté à sa naissance.

    - Suivant !

     

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    Xander s’avança et tendit fébrilement son acte de naissance à la secrétaire. Elle leva les yeux vers le papier de Xander et le prit. Elle le déplia et regarda son contenu, sans vraiment comprendre ce que voulait Xander.

    - Bonjour. Je suis né sous X ici, dit-il en montrant son prénom sur l’acte de naissance et sa carte d’identité de sa main libre. J’aurais voulu savoir …

    - Les personnes nées sous X n’ont pas accès au nom de leurs géniteurs, dit-elle assez froidement.

    - Je sais. Mais ce n’est pas ce je demande. Il n’y pas le nom de chef de service. Ni l’officier d’état civil. L’acte n’est pas complet. Avez-vous l’acte au complet ?

    - Etat civil, troisième étage, lui dit-elle en tendant le papier sans un mot de plus.

    Xander déglutit avec peine. Il venait de se heurter à un mur plutôt violent. Il rangea sa carte, récupéra son papier. Il le plia aussi soigneusement qu’il put malgré qu’il fût froissé. Il le rangea dans la poche arrière de son jean, remercia l’hôtesse et lui souhaita une bonne journée, politesse qu’elle ne lui rendit pas. Aussi aimable qu’une porte de prison.

     

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    Il prit donc aussitôt à gauche, vers les ascenseurs. Il attendit patiemment son tour, et monta au troisième étage sans dire un mot de plus. Quand les portes s’ouvrirent, il entendit des pleurs. Ça le surprit, et il tourna la tête sur le détail des étages.

    L’état civil était avec la maternité. Plutôt logique. C’était soit là, soit à la morgue. Et ce côté de l’hôpital était moins oppressant que l’autre. Il sortit donc de l’ascenseur et prit la direction du bureau de l’état civil. Un petit bureau au fond d’un couloir. La plaquette sur la porte indiquait Claire Forest. Il toqua, attendit patiemment quand il entendit un « Entrez ! » d’une voix assez douce malgré le ton plutôt fort. Il poussa la porte timidement.

    Il fit alors face à une femme d’une cinquantaine d’année, aux cheveux d’un noir assez soutenu. Elle avait un visage presque enfantin. Et Xander espérait qu’elle serait aussi agréable que son visage l’était.

    - Bonjour Monsieur, que puis-je pour vous ?

    - Bonjour. Je m’appelle Xander Spencer Thompson, et je suis né dans cet hôpital le 15 août 2010. Sous X, ajouta-t-il.

    - Si c’est pour vos parents, débuta-t-elle.

    Mais elle ne poursuivit pas. Le visage de Xander était résigné, et ne donnait pas l’impression que c’était ce qu’il cherchait. Elle lui indiqua alors la chaise devant elle, et il s’y assit, la remerciant. Il fouilla dans sa poche, et sortit son acte de naissance, et de nouveau sa carte d’identité.

     

    ▪ 126 ▪

     

    - Mon acte de naissance n’est pas complet, expliqua-t-il. Je n’ai pas les noms des rédacteurs de l’acte.

    Claire Forest tendit le bras pour récupérer l’acte. Elle le déplia, le lut avec attention. En effet, il était très incomplet. Plutôt anormal, mais ce genre d’oubli pouvait arriver si c’était un acte temporaire qui avait été établit dans l’urgence. Elle tapa alors le numéro de l’acte dans sa base de données. Elle le lut avec attention. Pas de trace du nom des parents de l’enfant, mais ce n’était pas surprenant. Mais cette fois, il y avait les noms qui manquait.

    - Chef de service, Denis Aston. Et officier de l’état civil, Claire Forest, moi donc.

    Elle releva la tête vers lui, avec un petit sourire.

    - C’est moi qui vous ai inscrit au registre, expliqua-t-elle.

    - Vous vous souvenez de mes parents ? De ma mère du moins …

    Elle nia de la tête. Elle en avait vu des enfants naître, avec ou sans parents. Et l’homme présent en face d’elle avait vingt ans. Elle en avait vu depuis. Elle ne pouvait pas en retenir un en particulier.

    - Mon père, Spencer, m’a donné ce collier quand je suis né, dit-il en lui montrant le médaillon.

    Elle regarda l’objet. Ça arrivait qu’on laisse des objets aux enfants nés sous X. Ce n’était pas une particularité. Elle était vraiment attristée pour ce jeune homme. Ce n’était jamais facile de faire chou blanc.

    - Je vais vous imprimer l’acte en entier, et voir s’il n’y a pas une note qui y est liée, comme un prénom ou une adresse. Je ne peux pas faire mieux.

     

    ▪ 126 ▪

     

    Xander acquiesça. Il récupéra son acte de naissance, sa carte et raccrocha son collier à sa nuque. Il ne pouvait pas trouver ses parents du premier coup. C’était tout bonnement impossible. Il n’était pas si chanceux que ça. Il sortit de ses songes pour regarder la femme devant lui, qui s’était figée en regardant son écran.

    - Un problème ? demanda Xander.

    - Oui. Ce n’est pas votre acte de naissance. Ce n’est pas possible.

    - C’est le mien. Il était dans les documents d’adoption. Je suis bien Spencer, né ici le 15 août 2010. Je vous assure que c’est moi.

    - Impossible, répéta-t-elle fermement.

    - Pourquoi ?

    Elle tourna l’écran vers Xander, et lui montra un paragraphe en bas du document. Et surtout, l’en tête de ce document. Xander plissa les yeux pour voir ce qui était écrit, et il écarquilla les yeux.

     

    Acte de décès n° XXXXXX

    Le 14 décembre 2010 à 16h52 est décédé à l’hôpital général d’Houlton, Spencer, né à Houlton, hôpital Général, fils de père inconnu et de mère inconnue.

    Dressé le 15 décembre 2010 à 9h00 sur la déclaration de Edward Daniels, médecin, domiciliée à XXXXXXXX, Houlton. Claire Forest, officier de l’état civil, qui lecture faite, est invité à lire l’acte, a signé avec Nous.

     

    - Je suis mort, souffla Xander. Vous êtes en train de me dire que je suis mort ?

     

    ▪ 126 ▪

     

    Il se laissa tomber dans le fond de sa chaise, assommé par la nouvelle. Quelqu’un l’avait déclaré mort, alors qu’il était tout ce qu’il y a de plus vivant ! C’était le monde qui marchait sur la tête.

    - Pas vous, Spencer. Vous avez probablement reçu l’acte de naissance de Spencer, et ses effets par erreur.

    Xander nia vivement. Non. Il était Spencer. On lui avait toujours dit. Il avait la croix de son père, il avait son prénom. Il était né ici, le 15 août 2010. Il ne pouvait pas avoir pris l’identité de quelqu’un d’autre. Impossible. C’était son monde qui s’effondrait. Il y avait une solution.

    - Vous avez les empreintes ? demanda Xander à la cheffe de service.

    Celle-ci le regarda, sans comprendre.

    - Des talons. A la naissance, vous faites des empreintes des talons, pour déceler des maladies. Vous avez les empreintes de Spencer, dans le dossier ?

    - Oui.

    - Vous m’assurez que ce sont bien celles de Spencer ?

    - Oui. Il n’est pas possible que ce soit les empreintes d’un autre enfant. Pourquoi cette question ?

    - Comparez-les aux miennes.

     

    ▪ 126 ▪

     

    Claire Forest le regarda, interdite. Elle n’avait jamais vu autant de détermination dans les yeux de quelqu’un, et d’autant plus que ce jeune homme avait l’air calme, posé. Elle voyait bien qu’il était persuadé de ce qu’il disait. Il était sûr d’être ce Spencer. Elle ne pouvait pas l’en blâmer. S’il a grandi en pensant être lui, il ne pouvait pas laisser quelqu’un le persuader du contraire. Et c’est exactement ce que pensait Xander. S’il n’était pas Spencer, il aurait perdu le seul fil ténu qui le reliait à son passé. S’il n’était pas Spencer, qui était-il ? Il n’y avait aucune trace de lui.

    - Très bien, acquiesça la cheffe. Je le ferais.

    Elle posa ses mains sur le bureau, essayant d’être la plus prévenante possible.

     

     ▪ 126 ▪

     

    - Sachez qu’il y a de fortes chances que les empreintes ne concordent pas. Vous êtes sûr de le faire ?

    - Je veux être sûr de moi quand je rencontrerai mes parents. Faites la comparaison. S’il vous plaît.

    - Très bien, dit-elle. Ah, et autre chose.

    Xander releva la tête. Il était mort de stress, rongé d’angoisse et d’inquiétude. Il n’aurait jamais dû venir ici sans Kellan. Si le résultat était négatif, il serait littéralement à la fin de sa vie. Il ne serait plus personne. Et elle le coupa dans ses pensées.

    - Si vous êtes Spencer, il y a une lettre dans ce dossier pour vous.

     

     

     

     


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    ♪ Torch – Black Veil Brides

     

    ▪ 127 ▪

     

    Finalement, Méandre avait réussi à trouver des créneaux pour que GK puisse répéter au Rocksane, en conditions pour sa participation aux battles. Du moins, en presque conditions, car il ne passait pas encore les enregistrements définitifs de son groupe aux States, ni les vidéos. Elle l’aidait beaucoup, et il appréciait son aide de manière incommensurable, mais il voulait l’épater aussi. Alors, pour le moment, ce qu’elle voyait et entendait se limitait à GK et sa sample box, s’entraînant à jongler entre sa guitare, ses effets, ses pré-enregistrements et sa voix. Elle avait du mal à l’avouer, mais le jeune homme gérait.

     

    ▪ 127 ▪

     

    Every day || Chaque jour
    Cry out for the pain || Crier pour la douleur
    Doesn't matter anymore if what we say is true || N’a désormais plus d’importance si ce que nous disons est vrai
    It happened if I say it || Ca arrive si je le dis
    Your picture as I paint it || Ton image telle que je l’ai peinte
    I have made the universe the way I wanted to || J’ai modelé l’univers exactement comme je le voulais

     

    ▪ 127 ▪

     

    Will you burn down || Brûleras-tu jusqu’au bout
    When I ignite the torch ? || Quand j’enflammerai la torche ?
    In the moonlight || Dans la lumière de la lune
    Playing your final march || Jouant ta dernière marche
    Catching fire || Attrapant le feu
    Taking in broken hearts || Qui prend place dans les cœurs brisés
    To live is to lie || Vivre c’est mentir
    So light the torch || Alors allume la torche

     

    ▪ 127 ▪

     

    Kneel and pray || Mets-toi à genoux et prie
    What's the world today? || Comment va le monde aujourd’hui ?
    And who's the holy one that I can kill to stay alone? || Et qui est l’heureux élu que je peux tuer pour rester seul ?
    And if I take them down || Et si je les fais sombrer,
    Will my lies be found || Est-ce que mes mensonges seront trouvés ?
    Deep inside the sun || Au plus profond du soleil,
    My words become a gun || Mes mots deviennent des armes !

     

    ▪ 127 ▪

     

    Will you burn down || Brûleras-tu jusqu’au bout
    When I ignite the torch ? || Quabnd j’enflammerai la torche ?
    In the moonlight || Dans la lumière de la lune
    Playing your final march || Jouant ta dernière marche
    Catching fire || Attrapant le feu
    Taking in broken hearts || Qui prend place dans les cœurs brisés
    To live is to lie || Vivre c’est mentir
    So light the torch || Alors allume la torche

     

    ▪ 127 ▪

     

     

    ▪ 127 ▪

     

    Every day || Chaque jour
    Cry out for the pain || Crier pour la douleur
    Doesn't matter anymore if what we say is true || N’a pas désormais plus d’importance si ce que nous disons est vrai

     

    ▪ 127 ▪

     

    Will you burn down || Brûleras-tu jusqu’au bout
    When I ignite the torch ? || Quand j’enflammerai la torche ?
    In the moonlight || Dans la lumière de la lune
    Playing your final march || Jouant ta dernière marche
    Catching fire || Attrapant le feu
    Taking in broken hearts || Qui prend place dans les cœurs brisés
    To live is to lie || Vivre c’est mentir
    So light the torch || Alors allume la torche

     

    (Hold the torch...!) || Lève la torche !
    (Feel the warmth...!) || Ressens la chaleur !
    (Feed the flames...!) || Nourris les flammes !
    (Congregate...!) || Réunissons nous !

     

    To live is to lie || Vivre c’est mentir
    So light the torch || Alors allume la torche

     

    ▪ 127 ▪

     

    La musique s’arrêta nette, et GK garda la tête baissée, souhaitant reprendre son souffle quelques instants. Il essaya de repenser à sa prestation, il y avait encore pas mal de choses à travailler. Il savait qu’il avait buté à un moment sur ses propres pieds en bougeant du clavier au micro. Il allait devoir ajouter un micro, les faire communiquer sans créer de larsen. Mais il n’y avait aucune raison de ne pas y arriver.

    Quand il releva la tête, il remarqua que Méandre avait quitté les murs de la salle pour s’approcher de la fosse, et elle avait un sourire ébahi. C’était la première fois qu’elle assistait vraiment à une répétition de GK. Jusque-là, elle avait réussi à freiner sa curiosité, mais GK lui avait dit de rester, et elle ne s’était pas privée. Ce qu’il faisait était tout bonnement incroyable et elle était rassurée de savoir qu’il s’était inscrit hors compétition.

    - Ça t’a plu ? demanda-t-il en raccrochant sa guitare avec un petit sourire amusé, celui qu’ont les adultes fiers de voir les enfants gober leurs subterfuges pour les cadeaux de Noël.

    - Et tu oses me le demander alors que tu te pavanes comme un dindon ? Je croyais que tu n’étais pas modeste, alors vante toi un peu.

    - Il y a un temps pour tout Méandre. Je sais de quoi je suis capable, et je suis conscient de la qualité de ce que je produis, mais un avis extérieur empreint de rivalité, c’est toujours constructif.

     

    ▪ 127 ▪

     

    Il descendit de scène, s’approcha d’elle et resta de l’autre côté des barrières de scène, laissant Méandre de son côté de la fosse. Cette dernière quitta assez vite le regard de Georg qui devenait un peu gênant, et essaya de se rappeler avec objectivité ce qu’il pourrait améliorer dans sa prestation. Mais elle avait été si subjuguée d’entendre l’effet produit par ses enregistrements et la façon magistrale dont il se débrouillait pour faire en sorte qu’on oublie que ce n’était pas en live qu’elle ne trouvait rien à redire.

    - Il faudrait que je revoie ta prestation, dit-elle finalement. Là, j’ai juste été soufflée par ta technique régie, que je n’ai pas eu le temps de comprendre ce qui pourrait ne pas aller.

    - C’est gentil de me ménager, lui répondit-il du tac au tac. Mais il y a des améliorations à apporter, je ne suis pas dupe.

    - Alors remonte sur scène, que je puisse me faire une meilleure idée. De toute façon, il faut que tu répètes un maximum pour t’approprier la scène, donc ce ne sera que bénéfique. En selle l’Amerloque !

     

    ▪ 127 ▪

     

    Georg la regarda, haussant un sourcil. Amerloque ? Il ne connaissait pas ce mot-là. Méandre comprit assez vite son incompréhension et lui expliqua que c’était une façon pas très polie de parler des Américains, mais qu’elle l’utilisait dans ce cas précis comme une boutade.

    - Ah ! Comme nous on vous appelle les froggies. A cause des cuisses de grenouilles.

    - D’accord, des froggies, c’est presque mignon. Mais je te ferais goûter, tu verras, c’est extra.

    Georg fit une grimace exagérée pour exprimer son dégoût, autant manger du serpent, ce qui fit rire Méandre, et instantanément rougir celle-ci quand Georg la regarda avec un petit sourire plus posé et presque attendri. Il n’insista pas plus, la voyant gênée, et il remonta sur scène pour reprendre sa chanson.

     

    ▪ 127 ▪

     

    Cette fois-ci, Méandre fit plus attention à la manière de se déplacer, de se poser et de jouer de Georg. Elle n’avait rien à redire sur sa technique de chant ou de guitare, même lui était convaincu de son expertise, mais c’était la première fois qu’il montait sur ce genre de scène et qu’il se lançait en même temps à gérer une régie son et vidéo, et c’est là que les défauts remontaient.

    Une fois posée pour se concentrer sur cet aspect du spectacle, Méandre prit un malin plaisir à reprendre GK dès que quelque chose la contrariait. Elle ne le laissait pas finir sa chanson, se serait perdre un temps précieux. Il recommençait de là où ça avait coincé, encore et encore, répétant ces mouvements millimétrés que lui conseillait son amie, pour gagner en fluidité sur scène. Il devait donner l’impression que passer de la sample box du clavier à la guitare, puis de la guitare à la voix, c’était aussi facile que de respirer – ce qui n’était absolument pas le cas du reste car il souffrait le martyre de recommencer sans cesse ses switchs d’instruments.

     

    ▪ 127 ▪

     

    - Non, pas là, reprit Méandre en faisant de grands gestes pour lui dire de se tourner dans l’autre sens pour repartir. Tu te prends le fil de la guitare et tu vas finir par tomber. On ne fait pas dans les numéros de clowns ici.

    - Ah bon ? Ils font les pitres pourtant les Ephéméria.

    - C’est pour ça que Alana appelle Gabriel et Kurt Tic et Tac, car ils sont usants. Moi je préfère Oggy et les cafards pour l’ensemble du groupe. Un leader et trois emmerdeurs.

     

    ▪ 127 ▪

     

    Elle passa alors de l’autre côté des barrières, monta sur scène et attrapa GK par les épaules pour le mettre dans le sens qu’elle voulait. Il se laissa guider sans protester, suivant ses pieds au sol, puis Méandre se tint debout à côté de lui, faisant mine de tenir une guitare imaginaire.

    - La la la la la la TORCH ! et tu glisses sur la droite en appui sur le pied droit, comme ça tu te retrouves à mi-chemin des pédales, tu suis le mouvement de ton riff et ton déplacement disparait car on va croire que tu suis la musique alors qu’en fait tu vas chercher le sample suivant en rabattant ton pied gauche sur la pédale, tu vois ?

    Elle poussa GK pour prendre sa place et effectua le mouvement qu’elle lui expliquait, et il acquiesça. En effet, vu comme ça, et même sans musique, ça semblait naturel. Elle ne donnait pas l’impression d’aller chercher quelque chose de ce côté-ci de la scène, alors que lui avait l’air d’aller au marché avec ses sabots crottés et son mouvement pataud.

     

    ▪ 127 ▪

     

    Il répéta alors encore et encore le mouvement de Méandre, comprenant assez vite où elle voulait en venir, et de fil en aiguille, ce fut même la jeune femme qui chorégraphia la prestation des trois chansons de GK, il pouvait même dire qu’elle les scénarisa. Il nota d’ailleurs le tout dans un carnet, les idées fusant dans son crâne pour le tournage de Zhoo et Robbie. Il allait devoir scénariser leur passage aussi, pour rendre le tout fluide, ce qui annonçait de belles et effroyables heures de montage devant lui.

     

     

     

     


  • ▪ 128 ▪

     

    ▪ 128 ▪

         

    La nuit était presque tombée sur la ville quand ils décidèrent d’abandonner pour la journée. Georg était en nage d’essayer de passer d’un point A à un point B, il avait la gorge en feu à forcer sur sa voix, à se répéter et à gronder dès qu’il se plantait dans ses pas, d’autant plus qu’il avait choisi trois chansons qui lui demandaient pas mal de puissance vocale. C’était aussi son but, sortir d’un répertoire qui lui était attribué d’avance avec sa voix parlée et son visage « d’ange ». Ce n’est pas lui qui le disait, c’est Méandre.

    Elle le lui avait dit la première fois qu’elle avait entendu les chansons que GK présenterait aux battles. Elle s’était attendue à ce qu’il ait une voix calme, posée sur une guitare acoustique, à chanter du Coldplay. Pas du hard, surtout pas du hard.

    Le hard, bien qu’il affectionnât réellement ce style, ce n’était pas sa signature. Ça lui demandait pas mal de travail au niveau de sa tessiture, mais c’était un défi qu’il aimait relever. Tout comme il aimait travailler sur des sons plus bruts, avec des voix plus matures, plus dures et moins artificialisées que ce soit par des vocoders ou juste des coachs vocaux en recherche d’une voix plus cristalline. C’était donc pour lui un travail qui en valait la peine, et s’il se retrouvait muet pour le lendemain, tant pis. Tous ses efforts paieront le Jour J.

     

    ▪ 128 ▪

     

    Ils quittèrent le Rocksane, guitare sur le dos pour GK, et la nuit les enveloppa doucement tandis qu’ils marchaient côte à côté pour rentrer chez eux. Méandre habitait sur le chemin entre la salle de concert et l’immeuble de GK donc il s’était proposé de la raccompagner, en tout bien tout honneur.

    - Tu ne vas plus avoir de voix pour demain, lui dit la jeune femme en marchant, mains dans le dos.

    - Ca va, demain je n’ai rien de bien important. Je peux rester muet.

    - Rien d’important ? Eh ! Je vais me vexer, tu m’as déjà oubliée ?

    Georg s’arrêta, réfléchissant un court instant avant de se rappeler que le lendemain soir, en effet, il avait quelque chose. C’était son faux rencard avec Méandre, au bal des anciens de son lycée. Il laissa échapper un « merde » bien français, ce qui fit rire la rouquine.

    - T’inquiète, je te pardonne. Mais heureusement que je t’en reparle, ou tu m’aurais posé un lapin.

    - Te faire poser un lapin par un mec qui ne sort même pas avec toi, qui fait juste semblant, c’est d’autant plus dur à vivre. Je m’en serais voulu jusqu’à la fin de ma vie si tu avais été obligée d’affronter les débiles du lycée sans moi.

    - Oh, je n’y serais pas allée je pense. En plus, comme tu connais mon adresse, j’aurais attendu que tu viennes me chercher chez moi pour m’y emmener. Pas de GK et je me serais fait une soirée Netflix and chill.

     

    ▪ 128 ▪

     

    Elle haussa les épaules. Si elle avait dit oui à ce bal débile, c’est uniquement parce qu’elle serait accompagnée, et qu’elle pourrait prouver à ses anciens camarades et harceleurs du lycée qu’elle n’était pas juste la Maman Latour comme tout le monde l’appelait. Ce surnom lui avait collé au train si longtemps que les derniers utilisateurs de celui-ci ne savaient même pas pourquoi ils l’appelaient ainsi.

    - Et on ne peut pas troquer ton bal contre une soirée Netflix and chill ? demanda Georg. J’ai toujours été plus doué le cul enfoncé dans un canapé que mes deux pieds en train de danser. Tu viens d’ailleurs d’en avoir la preuve tout l’après-midi, j’ai deux pieds gauches.

    - Justement, je t’apprendrai à danser demain soir. Je ne vais pas laisser mon faux petit-ami sur le banc de touche pendant que je me ferai inviter par Edouard Duval, le beau gosse de Terminale B.

    - A une condition alors, reprit Georg en marchant toujours.

     

    ▪ 128 ▪

     

    La maison de Méandre se dessinait un peu plus loin. Ils avancèrent, et s’arrêtèrent devant l’entrée. Ni l’un ni l’autre n’avait envie de terminer leur conversation juste comme ça, et ils appréciaient leurs conversations, au travail ou en répétition. Ils avaient plus d’atomes crochus qu’ils ne l’auraient cru de prime abord, et les deux parties étaient bien conscients de la chance qu’ils avaient de s’être rencontrés et d’être devenus si proches en si peu de temps.

    - Je t’écoute, lui dit Méandre.

    Elle avait le dos tourné à la porte de sa maison, les mains toujours dans son dos. Elle frissonna cependant un peu. Elle n’avait pas pris de veste, ne s’étant pas attendue à rentrer si tard, et le fait de ne plus bouger depuis quelques instants avait eu comme effet d’abattre un coup de froid sur ses épaules.

    - J’aimerai bien enlever le faux de mon titre de demain soir, lui dit-il avec le même petit sourire charmeur que plus tôt dans la journée.

    Méandre mit quelques instants à comprendre qu’il parlait de « faux petit-ami ». Il voulait sortir avec elle ? Elle était extrêmement flattée, mais elle ne pouvait pas dire qu’elle était surprise. Leur relation avait pas mal évolué dans ce sens, et elle appréciait vraiment l’américain.

    - J’aimerai bien l’enlever aussi, avoua-t-elle. Et puis, ce sera plus crédible auprès des autres.

     

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    Georg acquiesça, avec son sourire usuel. Il s’approcha alors de Méandre, prit son menton entre ses doigts et lui déposa un chaste baiser sur les lèvres. La jeune femme se hissa sur la pointe des pieds, ne souhaitant pas se contenter de la gourmandise d’un simple bisou, et elle enroula ses bras autour de la nuque de Georg. Ce dernier plaqua ses mains dans le dos de Méandre, et ils échangèrent un long et passionné baiser sur ce trottoir à peine illuminé avec pour seuls spectateurs deux paires d’yeux blotties dans les rideaux du salon de Méandre.

     

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