• ▪ 129 ▪

     

    An attendait patiemment à proximité d’un Starbucks où elle avait l’habitude de prendre sa portion quotidienne de caféine. Elle surveillait son téléphone d’un œil, et la rue de l’autre. Première bonne chose : cela faisait malgré tout quelques jours qu’elle avait rencontré Philip et passé la nuit avec lui, il avait suivi sa demande, de ne plus la recontacter. C’était assez surprenant, d’autant qu’avant ils étaient incapables de ne pas échanger un mot de la journée. Il était devenu son confident à un point tel qu’elle se sentait désormais seule.

    Encore plus seule. Père disparu, meilleurs amis à l’étranger, une autre enfermée dans un studio avec son petit ami. Même la tombe de sa mère au cimetière n’avait rien d’attrayant ou de distrayant. Non, pas sa mère. Sa génitrice.

    Sa mère était là, mais tellement rongée d’inquiétude qu’An ne voulait pas se reposer sur elle, et elle préférait que Marine se repose sur ses épaules à elle. Elle pouvait attendre, elle n’était pas malheureuse. Elle n’était pas vraiment seule. Seulement physiquement, mais Camille et Georg lui envoyaient des messages, Emma lui racontait ses aventures, et puis, Gabe répondait à ses textos, à défaut de lui consacrer du temps.

    Alors elle n’avait pas le droit de dire qu’elle était seule. Pourtant, c’était vrai. Elle était debout dans une rue passante, regardant un téléphone qui ne bipait pas, attendant quelqu’un qui ne viendrait pas. Elle n’avait pas la force d’aller gronder sur cette pierre où reposait celle qui avait voulu la tuer, et qui pourtant était son refuge. Rien de tout ça.

    Elle était désespérément seule, parce qu’elle avait franchi une frontière avec Ewan, et qu’elle lui avait dit de partir.

    - Un café noir avec de la cannelle, et de la crème, et du sucre et …

     

    ▪ 129 ▪

     

    Elle releva la tête, et sourit quand elle vit son ex-collègue, Théo, qui s’était approchée d’elle sans un bruit. Elle se redressa, rangea son téléphone et le prit brièvement dans ses bras.

    - Il n’y a rien d’autre que du café dans un café noir, Théo.

    - Il ferait mieux d’appeler ça « jus de chaussettes » ou « truc imbuvable que tu fais genre d’aimer pour te donner un genre sérieux ».

    - Soit, heureusement pour nous, Starbucks et son éventail de possibilités nous ouvrent les bras. Je te paye un latte ?

    - C’est déjà à ton tour ? demanda Théo en prenant la direction du café.

    - Oui, je crois. On peut vérifier les portefeuilles, mais je dois être plus riche que toi de deux cafés. Donc c’est mon tour.

     

    ▪ 129 ▪

     

    Théo n’ajouta rien à cette logique et il suivit donc An dans son café préféré. Ils commandèrent chacun une boisson chaude, et Théo en profita pour essayer en avant-première le goût spécial Halloween, avec de la citrouille et des noisettes. Ils ressortirent quelques minutes plus tard, avec leurs cafés en main, et décidèrent de déambuler en ville, au gré des vitrines.

    - Comment ça se passe à ton nouveau travail ? demanda An en buvant une gorgée de son café.

    - Hormis le fait que je suis interdit de comptabilité, tout va bien.

    An grimaça. Toutes les personnes qui avaient travaillé à la HGC s’étaient retrouvés fichées par les forces de l’ordre le temps de l’enquête, afin qu’un autre détournement de fonds ne soit fait. Bon, la police manquait un peu de discernement parfois : un malfrat un tant soit peu intelligent ne s’amuserait pas à recommencer ses bêtises tout juste sorti de la boîte de Nate. Mais ça rassurait les commerçants, les flics, et ça créait un peu de discrimination à l’embauche. Ce n’est pas comme s’il n’y en avait pas déjà, n’est-ce pas ?

    Théo avait trouvé un travail dans une épicerie de quartier. Rien de dingue mais au moins, il gagnait assez d’argent pour que sa mère ne vienne pas le chercher par la peau des fesses. Hors de question que Emilie Besnard, épouse Mc Fly, ne débarque à Houlton, foutre la merde dans la vie de Marine et Nate au prétexte de s’occuper de son fils. Parce que tout le monde sait qu’elle n’attend qu’une occasion pour décoller de Californie.

     

    ▪ 129 ▪

     

    - Pas de compta, pas de souci, lui dit An en levant son verre vers lui.

    - C’est tout sauf faux. Je fais du rayonnage, du ménage, je prends des cafés et des fois, je dis aux clients que non, je ne vends pas tel truc indispensable à leur vie, genre une fausse carte d’identité.

    - De vrai ?

    - Tout ce qu’il y a de plus vrai, reprit-il avec un sourire bête. Les jeunes, ce n’est plus ce que c’est. On leur dit d’acheter une fausse carte, et ils croient tout trouver dans la supérette de mamie Germaine. C’est chez mamie Paulette les cartes, tout le monde sait ça.

    An laissa échapper un rire franc. Flûte, c’était vraiment nul en plus comme blague, pourquoi ça la faisait rire ? Elle essaya de reprendre contenance, en sirotant son café. Finalement, elle repéra un banc libre dans un square un peu plus loin, devant le cinéma. Elle le pointa du doigt, pour le montrer à Théo et celui-ci accepta. Ils allèrent donc tous les deux s’asseoir, et An put oublier son rire nerveux.

     

    ▪ 129 ▪

     

    - Et toi ? Tu as des nouvelles croustillantes à partager ?

    - Non, pas vraiment, éluda An. Ma vie est morne.

    - Arrête, je sais qu’il s’est passé un truc. Ce n’est pas la peine de me la faire à l’envers.

    - Un truc ?

    Il les avait vus, elle et Philip ? Elle le regarda, la panique dans ses yeux, et dans ceux de Théo, elle ne vit rien d’autre que du bluff. Merde, il l’avait eu, et il avait la preuve qu’il s’était passé quelque chose. Elle ne pouvait plus se débiner. Il l’enjoignit à raconter d’un petit sourire, sans la forcer. Si elle ne voulait pas, elle n’était pas obligée. Chacun pouvait garder des secrets, eux d’autant plus l’un pour l’autre, il n’était guère plus que le fils du cousin de son père, pas son meilleur ami.

    - Tu ne me promets de rien raconter ?

    - Je n’ai pas dit aux flics que c’était ta mère qui avait détourné le fric de ton père pour s’acheter du Mogu Mogu, alors que j’aurais pu être vu comme le sauveur de Gotham City, Théo-vey Dent ! Tu vois que je sais me taire.

    La nouvelle blague pourrie de Théo la fit sourire. Il avait réussi à dédramatiser la situation, et c’était tout aussi bien. Elle regarda son café un moment, pencha la tête d’un côté, mais elle ne se sentait pas honteuse bizarrement. Juste bien.

     

    ▪ 129 ▪

     

    - Je crois que je devrais commencer par dire « j’ai fait une connerie », parce que ça y ressemble et c’est comme ça qu’ils le définissent dans les films, mais c’en était pas une. Pas du tout.

    - Une connerie ? s’étonna Théo. Du genre ? T’as roulé à contresens sur l’autoroute, mais c’était marrant ?

    - Du genre j’ai couché avec un parfait inconnu et je ne regrette absolument pas ? dit-elle avec un sourire à peine gêné, et les joues légèrement roses.

    - Ouah, tu m’impressionnes faut dire. Je ne t’aurais pas crue capable de ça. T’es plus avec Gabe ?

    - C’est justement là que je devrais dire que c’était une connerie, car on est encore ensemble. Et puis, ce n’était pas vraiment un parfait inconnu. Je ne l’avais jamais vu avant, en vrai, mais c’était Ewan, tu sais, mon ami du forum.

     

    ▪ 129 ▪

     

    Théo en resta bouche bée. An qui était sous tout rapport la jeune fille sage, du moins, qui en avait toutes les caractéristiques, qui s’occupait de sa mère, de sa sœur et de ses amis, avait fait un coup de folie incroyable. Il ne savait pas s’il devait l’engueuler ou juste la féliciter d’avoir fait ce qu’elle avait voulu de sa vie pour une fois. Elle aurait été célibataire, il n’aurait pas eu cette réflexion. C’était sûrement des restes sociétaux qui veut qu’on dût se maquer qu’avec une personne à la fois.

    - Et tu as prévu de le revoir, ton inconnu d’internet ?

    - Non.

    Elle haussa les épaules, en sirotant son café, le regard dans le vague.

    - Sur le coup, j’ai répondu quelque chose de formaté : « je n’aurais pas dû, ne me rappelle pas, j’ai déjà un mec » ou un truc dans le genre. Je n’ai plus de retour de sa part. Je me débrouille tellement bien que je suis tombée sur un mec réglo qui respecte mes décisions. Trentenaire, mais réglo. Ce n’est pas la vraie vie dans les films. En général, ils sont relous et ils rappellent, non ?

     

    ▪ 129 ▪

     

    Elle aimerait bien lui reparler quand même, comme avant. Librement. Elle avait eu assez de ces quelques jours pour réfléchir à la situation, et surtout pour se dire qu’elle recommencerait bien. Son corps réclamait, et c’était incroyablement désorientant. Sauf que bon, elle n’avait que Gabe sous la main, et quand bien même il savait y faire, il ne lui donnerait pas ce qu’elle attendait vraiment, vu qu’elle voulait Philip.

    Retour à la case départ, en pire, parce qu’elle s’était ajoutée de la frustration.

    - Bah appelle le, lui dit Théo comme une évidence. Si tu l’as dans la peau, éclate-toi tant que ça dure. Les mecs qui trompent leurs copines sont considérés comme des personnes qui en ont besoin, tu sais ce genre de besoin primaire sinon ils vont exploser, alors que les femmes sont traitées des salopes. Prouve donc que t’en as besoin, enfin, prouve le à toi-même, on s’en fout de l’avis des gens.

    - T’es bizarre comme mec, lui dit An.

    - Bizarre ? Non. Ma première réflexion a été de penser que tu étais franchement salope d’avoir fait ça à ton mec, avant de me rappeler que tu fais bien ce que tu veux de ta vie. C’est quoi cette aptitude qu’ont les mecs à donner un avis sur ce que font les meufs, sérieux ?

     

    ▪ 129 ▪

     

    - Ah, ça s’appelle des couilles et il paraît que ça gouverne le monde.

    Elle regarda Théo en coin, et il souriait. Elle avait réussi à faire rire Théo, c’était un bon point. Elle avait quelques blagues de retard, et elle devait faire des efforts si elle escomptait le rattraper un jour.

    - Enfin, merci, de pas m’avoir donné ton jugement trop rapidement et de m’avoir écoutée, lui dit An. J’avais besoin d’en parler à quelqu’un, mais je savais que je n’aurais pas eu de réponses très compréhensives.

    - Avec plaisir. Mais ce mec, aussi bon coup soit-il, a interdiction d’empiéter sur ma pause-café avec toi du jeudi après-midi. Parce que là, je le castre, et il ne risque pas de dominer le monde.

    An, qui avait osé boire une gorgée de son café, se retrouva à l’expulser de sa bouche à toute vitesse. Et merde ! il avait gagné, elle avait explosé de rire. Pour se venger, elle lui donna un coup de coude, ce qui fit renverser quelques gouttes de son café sur son pantalon. Pas plus, le café c’était sacré.

     

    ▪ 129 ▪

     

    - Je te hais Théo Mc Fly, dit An en toussant.

    - Ça tombe bien, c’est réciproque An Handers. Mais il paraît que la haine conduit à l’amour.

    - Ah bah, je vais t’épouser avant la fin de l’année alors vu comment je t’envoie rôtir en enfer.

    - Tout ça pour un café ?

    - Un café et mon égo. J’ai recraché 10 dollars par le nez là, tu ne mérites que ma haine.

    - Je t’offrirais un percolateur lors de notre nuit de noces. Tu vas en tomber raide de désir. Alors, tu m’épouses ?

    - Oui !

    Et elle tendit la main vers lui, agitant son annulaire gauche, avant d’exploser de rire à son tour, Théo étant déjà hilare.

     

     

     

     

     


  • ▪ 130 ▪

     

    Elle prit une profonde inspiration en regardant la façade du bâtiment devant elle. Elle entendait déjà les brouhahas à l’intérieur, les rires qui lui faisait dresser le fin duvet de sa nuque, et la musique, trop forte et trop ringarde. Elle serra un peu plus la main qui se trouvait dans la sienne, et elle tourna la tête vers son cavalier.

    Georg regardait Méandre avec un sourire qui se voulait rassurant. Il ne savait pas la moitié des angoisses qui pouvaient bousculer la rouquine à cet instant précis. Elle ne lui avait fait voir que le strict nécessaire pour qu’il comprenne de quoi cette soirée aller retourner : d’une revanche. Pas pour les autres, mais pour elle. Une revanche sur sa vie, et de la reprendre là où elle s’était arrêtée, avant le bal du lycée.

    - Tu sais, il n’est pas encore trop tard pour rebrousser chemin et aller manger des pop-corn devant Outlander, lui dit l’américain.

    Elle tourna la tête vers GK, et ne put s’empêcher de rire devant sa réflexion débile. La veille, il l’avait largement charriée sur cette série. Il n’avait pas compris en quoi cet univers était crédible, et il ne parlait pas des voyages dans le temps ! L’anachronisme le plus violent était quand même de voir un mec du XVIIIe siècle porter autant de respect à sa femme, alors qu’elle faisait clairement des trucs que la décence lui interdisait.

    - Avoue, tu veux savoir la suite, j’ai piqué ta curiosité.

    - Le cul de Jamie a piqué ma curiosité, nuance.

     

    ▪ 130 ▪

     

    Méandre explosa de rire. Elle était tellement stressée que la moindre blague débile que pouvait sortir GK la faisait rire. C’était nul et archi nul. Elle lui lâcha la main, essaya de reprendre une respiration normale, passa ses doigts sous ses yeux pour effacer des larmes imaginaires, et elle souffla.

    - Mais ce que je dis tiens toujours. T’as rien à leur prouver.

    - Non, je le sais. Mais je compte bien le faire quand même.

    Elle s’avança vers l’entrée du bâtiment et passa le double battant pour se retrouver dans un immense couloir traversant. De l’autre côté, elle vit sa meilleure amie, dans une robe absolument divine que peu aurait osé pour une simple soirée de retrouvailles d’étudiants dans un lycée de province, en train de discuter avec Grimm. Georg suivit Méandre, un pas derrière elle, et salua Alana et son compagnon. Hormis sur scène, il n’avait pas encore eu l’occasion de les rencontrer, et il était assez impressionné, il fallait le dire.

     

    ▪ 130 ▪

     

    - Bonjour ? demanda Alana en regardant le cavalier de sa meilleure amie.

    - Georg, répondit sobrement le jeune homme. Ou GK.

    Il se sentait un peu obligé de préciser, vu que Méandre pouvait l’appeler par son prénom ou ses initiales invariablement. Il tendit la main vers les deux membres des Alive!, attendant qu’on la lui serre. Alana l’ignora royalement, mais Grimm la lui serra chaleureusement.

    - Tu es le collègue de Méandre, dans le magasin de disques, c’est ça ?

    - C’est ça, acquiesça GK, plutôt ravi qu’il ne soit connu que comme ça pour le moment et non comme le petit-ami de Méandre.

    - Enchanté alors, les amis de Méandre sont mes amis. Je m’appelle Grimm, et voici Alana.

    - Oui, je vous ai vu sur scène. Je voulais d’ailleurs vous dire que j’ai adoré votre prestation, et j’espère vraiment ne pas passer pour un fanboy.

    - On n’est pas assez connus pour prétendre avoir des fanboys, donc on ne s’en soucie pas tant que ça, reprit le brun.

    Alana avait ignoré la suite de la conversation pour se focaliser uniquement sur sa meilleure amie. Elle savait très bien, tout comme Grimm, que ce bal du lycée allait être une épreuve pour Méandre. C’est d’ailleurs une des raisons qui les avaient poussés à venir au lycée ce soir-là, pour soutenir la rouquine dans cette épreuve sociale.

    - Ca va aller Min’ ? demanda Grimm en la regardant.

     

    ▪ 130 ▪

     

    Méandre serrait ses mains sur sa robe. Elle avait la tête baissée, et ses épaules tremblaient légèrement. Le grand brun s’avança près d’elle, posa une main sur son épaule et essayant d’être le plus rassurant possible. GK, un peu mis de côté, regardait cette scène d’un œil intrigué. Il avait l’impression qu’il y avait comme un terrible secret qui les liait tous les trois, un secret qui passait par Méandre. Mais il ne se sentait pas exclu néanmoins. Il voyait bien que cela ne le concernait pas, et il était plus inquiet de voir Méandre aussi démunie alors qu’il la voyait tous les jours avec un bagou à déraciner les cons.

    - Oui, ça va. Merci les gars. Ne vous occupez pas de moi, je gère.

    Elle releva la tête et, comme si cela eut été un signal, Alana et Grimm s’éloignèrent. Le batteur hocha la tête devant GK, tendit son bras à Alana et ils entrèrent dans la salle de devoir, réaménagée pour l’occasion en salle de bal à l’américaine.

    Georg attendit patiemment sur le côté que Méandre reprenne ses esprits, ce qu’elle fit après quelques secondes, et quand elle s’approcha de lui, il lui tendit son bras, singeant ce que venait de faire Grimm à l’instant. Elle sourit.

     

    ▪ 130 ▪

     

    - Merci.

    - Je t’en prie, j’ai toujours rêvé de faire ça.

    - D’attendre les filles ?

    - Non, de proposer mon bras à une jolie femme en robe de soirée.

    - J’espère que tu vas pouvoir t’amuser un peu quand même, reprit Méandre. T’es pas obligé de faire le chevalier servant toute la soirée.

    - Et manquer une leçon de danse ? Je ne sais toujours pas valser, et tu as promis de m’apprendre ce soir. Ne fais pas miroiter des choses comme ça aux américains, ils sont sensibles.

    Elle hocha la tête de haut en bas. C’est vrai qu’elle le lui avait promis. Elle entra donc dans la salle, où quelques anciens élèves se trouvaient déjà, au bras de Georg. Quelques regards se tournèrent vers eux, et elle perçut aussitôt des chuchotements dans leurs voix. Ils parlaient d’elle, c’était sûr. Elle aurait tout fait d’ailleurs pour cacher encore plus son visage derrière ses cheveux si c’était possible. Plus elle s’avançait, plus les chuchotements lui semblaient assourdissants, elle n’entendait même plus la musique. Georg la conduisit sur un côté et s’assit avec elle sur deux chaises qui n’avaient pas encore été prises d’assaut.

     

    ▪ 130 ▪

     

     

    - Ils me regardent, dit Méandre en regardant autour d’elle. Ils parlent de moi, je suis sûre.

    - Peut-être, répondit GK.

    Elle tourna la tête vers lui. Il n’était pas très rassurant sur ce point-là. Elle aurait dû venir avec Samuel, lui il aurait au moins essayé de la faire changer de sujet. Georg répondit alors assez rapidement, pour justifier sa pensée.

    - Non, je veux dire. C’est probable qu’ils parlent de toi : tu viens de rentrer dans la salle, ils ne t’ont pas vue depuis longtemps et donc ils doivent se dire « Oh, tu te souviens, c’est Méandre de Terminale B. Je ne l’aurais pas reconnue avec cette robe-là, elle a drôlement changé ». Puis, quand Edouard Duval rentrera à son tour, ils diront « Non mais attends, c’est Edouard lui ? Ils sont où ses cheveux ?! ». Tu vois ?

    - Oui, je vois, dit-elle avec un léger sourire. Sauf que Edouard Duval est déjà arrivé, c’est celui qui parle avec Alana.

     

    ▪ 130 ▪

     

    Elle indiqua de l’index un jeune homme à la peau foncée, vêtu de noir, qui faisait de grands sourires à Alana. Il avait l’air vraiment jovial, du genre le bon copain de tout le monde, et il comprenait pourquoi Méandre disait qu’il était le beau gosse du lycée :  il avait encore la tête du roi du bal de promo, et même plus. Il était carrément séduisant, ce qui fit sourire Méandre. Elle le regardait déjà du temps du lycée, sans s’en lasser, et elle était heureuse de constater qu’il s’était même bonifié avec le temps.

    - Il faisait juste le beau au lycée ? lui demanda Georg sans quitter du regard la discussion entre Alana et Edouard.

    La jeune femme aux cheveux bleus était l’égale d’elle-même, du moins, pour l’idée que GK se faisait d’Alana, à savoir hautaine, condescendante et … Alana quoi. Quant à Edouard, il lui parlait, agitant les mains dans tous les sens, il avait l’air de la féliciter, il ressemblait assez à une mouche tournant autour d’un pot de miel.

    - Oui, il n’avait pas vraiment d’autres caractéristiques pour beaucoup d’autres filles. Mais il était surtout très gentil, il s’entendait bien avec tout le monde. Pourquoi tu dis ça ?

    - Je ne sais pas, Alana a l’air de pas mal le snober là.

    - Elle n’avait pas envie de venir à la base tu sais. Il essaie sûrement de raccrocher les wagons, c’était un gars assez sociable, et Alana et moi avons coupé les ponts avec ceux du lycée quand on est parties faire nos études sur Bordeaux.

    - Des études sur Bordeaux ? Carrément ? Je croyais que vous n’étiez jamais parties d’ici.

     

    ▪ 130 ▪

     

    - Alana est toujours inscrite à la fac là-bas, en psycho. Elle suit les cours à distance. J’ai arrêté pour aller travailler afin de nourrir mes frères. Mais on n’a pas renoué avec les gens du lycée quand on est revenues. C’était aussi bien comme ça.

    - Laisse-moi deviner, dit Georg en se tournant vers elle. Vous n’étiez probablement pas les filles populaires du lycée, n’est-ce pas ?

    Méandre le regarda avec un petit sourire avant de lui prendre la main entre les deux siennes. Ce qui était surprenant avec Georg, c’est qu’il ne cherchait pas à savoir quoi que ce soit de son passé, mais qu’il avait toujours la bonne phrase pour lui permettre d’en parler si elle le voulait. Il ne parlait pas de sa vie aux Etats-Unis non plus, c’est sûrement la raison pour laquelle elle se sentait aussi bien en sa compagnie : ils n’essayaient pas de tout savoir l’un de l’autre.

    - Je me demande bien comment tu es arrivé à cette conclusion,  lui dit-elle avec une pointe d’ironie.

    - Et bien, je trouve qu’Alana a un caractère tellement amical qu’il était impossible qu’elle n’ait pas un million et demi d’amis sur cette planète.

    - Bien vu, lui répondit-elle dans un sourire. En effet, on n’était pas dans le club des populaires, mais on s’en moquait un peu. Tant qu’on était là l’une pour l’autre.

    - Tiens, d’ailleurs, je peux te poser une question un peu indiscrète … ?

     

    ▪ 130 ▪

     

    La jeune femme le regarda en haussant un sourcil. Elle allait finir par regretter d’avoir pensé de lui qu’il ne se mêlait pas de ce qui ne le regardait pas. Mais elle acquiesça néanmoins. Il pouvait toujours la poser, ça ne lui garantissait pas une réponse.

    - Si j’ai bien suivi, à l’origine c’est toi et Alana Alive!, c’est ça ? Comment ils sont arrivés les trois autres ?

    - Ah !

    Elle rit. Ce n’était pas du tout indiscret comme question.

    - Alive! c’est Alana, Grimm et moi en fait. Alana a rencontré Grimm quand on avait seize ans toutes les deux, et le courant est passé assez vite entre nous trois. Ils ont commencé à sortir ensemble peu de temps après ça. Samuel c’est le meilleur ami de Grimm, donc il a débarqué comme ça, assez naturellement. Pendant plusieurs années, on a été que quatre.

    - Et … Kaoline ? C’est ça ?

    - Oui, c’est ça. Kaoline, c’est digne d’une légende urbaine. Il y a deux ans, une groupie a forcé le passage de la régie son pour pouvoir admirer son « groupe préféré » de plus près, et donc du perchoir son. Elle avait aussi eu des idées de mixages complètement chelou de nos sons, enfin bref. Elle force le perchoir, et se met à passer des samples persos en plein concert ! Alana a adoré de suite, son son, et puis son audace. Et paf, ça fait une tête de plus chez les Alive!.

     

    ▪ 130 ▪

     

    Georg écarquilla les yeux tellement c’était improbable. Non seulement elle avait forcé le passage, mais ça avait payé ! Il imaginait bien la tête ébahie de Alana après une telle démonstration de force. Il se disait aussi que c’était sans doute la manière la plus logique de se faire une place à proximité des Alive!. Le groupe était si détonnant qu’il fallait forcément être à moitié perché pour réussir à s’en faire remarquer.

    Il fut assez vite coupé de ses pensées par une ombre qui passa devant eux. Il sentit Méandre qui lui lâchait la main pour se relever, et discuter avec l’ombre. Quand il releva le nez, il remarqua qu’il s’agissait du fameux Edouard Duval. Il se leva à son tour, et fut reçu avec un sourire jovial de la part du jeune homme. Ce dernier reprit sa conversation avec Méandre, visiblement ravi de la voir présente ce soir.

     

     

     

     


  • ▪ 131 ▪

     

    - C’est vraiment cool que tu aies pu venir Méandre, Mathilde me disait hier encore que tu serais probablement absente. Elle n’a pas pu venir d’ailleurs, elle est malade : ça lui apprendra à faire sa mauvaise langue. En tout cas, ça me fait vraiment plaisir de te revoir. Comment tu vas d’ailleurs ?

    - J’aurais manqué cette soirée pour rien au monde, lui assura la jeune rousse d’une voix posée. Je suis contente de te voir aussi.

    - Mens pas, lui dit Edouard avec un air un peu plus compatissant. Tu aurais eu de bonnes raisons de ne pas venir, et personne ne t’en aurait blâmé.

    - Toi, tu ne m’en aurais pas blâmé car tu es quelqu’un de bien. Les autres, ils auraient vu mon absence et l’auraient commenté au même titre qu’ils commentent ma présence actuellement. Je ne pensais pas devenir le centre des discussions un jour.

    Aux yeux de GK, la conversation tournait en banalités d’usage. Il n’avait pas un niveau de français assez bon pour comprendre toutes les nuances de cet échange, mais il voyait bien que Méandre se triturait les doigts, dansait d’un pied sur l’autre, se balançait. Elle n’était pas si à l’aise que ça dans la conversation, et pourtant il n’y avait aucune animosité dans le ton de son interlocuteur. Au contraire, il avait l’air vraiment curieux de sa santé et de sa vie actuelle, en toute amitié.

     

    ▪ 131 ▪

     

    Quand il regarda autour de lui, et notamment dans le champ de vision de sa cavalière, il remarqua que de nouvelles personnes étaient entrées dans la salle. Parmi elle, une jeune femme, brune, qui avait tout de Miss Popularité. Elle s’avançait, discutait avec les personnes présentes qui se pâmaient devant elle. Elle s’approcha alors d’Edouard, glissant ses doigts manucurés sur son épaule et le salua d’une bise sur chaque joue. Elle remarqua assez vite la présence de Georg, mais ne le reconnaissant pas, passa son chemin, avant que son regard ne s’arrête sur Méandre. Cette fois-ci, la jeune femme rousse se raidit. Georg n’eut pas besoin d’un schéma pour comprendre ce qui avait pu se passer entre elles par le passé.

    Si cette fille était Miss Popularité et que Méandre était l’exacte opposée, alors cette dernière avait probablement dû servir de bouc émissaire à cette fille, de défouloir. Il comprenait un peu mieux la revanche qu’elle voulait prendre ce soir. Il espérait juste que ça ne finisse pas en bain de sang.

    - Bonsoir Elaine, lui dit Méandre le plus posément du monde. Ta robe est ravissante.

    Méandre faisait des efforts assez importants pour prendre sur elle et lancer la conversation, ce que nota GK. Son interlocutrice en face semblait un peu surprise qu’elle lui adresse la parole. Elle se tourna alors un peu plus franchement vers Méandre pour la remercier de son compliment, et la saluer à son tour. Elle semblait troublée.

     

    ▪ 131 ▪

     

    - J’espère que tout se passe bien pour toi, débuta Elaine. On suit un petit peu Alive! avec ceux du lycée, et vous nous soufflez à chaque prestation. Vous irez loin je pense.

    - Merci, c’est gentil, lui répondit Méandre.

    Elle n’arrivait pas à faire autrement que triturer sa robe de ses mains. Ces dernières étaient moites d’angoisse, et elle n’avait pas mieux en magasin pour se calmer. Elle avait besoin de faire front, de lui montrer ce qu’elle valait, pour obtenir ce qu’elle voulait.

    - De rien, c’est normal, tu le mérites. Bien plus que ce qu’on t’a fait au bahut. Je tiens à te présenter mes excuses pour ça. On a… Je t’ai fait du mal, volontairement, car je trouvais ça amusant, mais il n’y a rien d’amusant à blesser les autres. Je sais que tu en as souffert, et j’espère que tu pourras me pardonner un jour.

    Méandre esquissa un léger sourire, et acquiesça d’un mouvement de tête aux mots de Elaine. Elle attendait de les entendre depuis tellement longtemps qu’elle ne savait pas vraiment l’effet que ça pouvait procurer.

    Finalement, les deux femmes se saluèrent d’un hochement de tête, sans rien dire de plus. Edouard s’excusa pour aller discuter avec d’autres anciens élèves, ne laissant plus que Georg et Méandre dans leur coin. Alana et Grimm étaient un peu plus loin, veillant au grain, mais ils n’approchèrent pas du petit couple.

     

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    - Ca va ? demanda Georg en s’approchant de Méandre.

    Il tendit la main vers la sienne, comme pour la lui prendre, mais la laissa en suspens, afin de lui laisser le choix de l’accepter ou non. La rouquine prit la main de Georg dans la sienne, entrelaçant ses doigts aux siens, et elle le regarda avec un sourire bien plus rayonnant qu’il ne se serait attendu à voir. Georg lui baisa la main, tel un gentleman tout droit sorti de Outlander.

    - Au top, répondit-elle tout sourire. Je t’ai promis une danse, et je ne dois pas contrarier les américains il parait.

    Elle s’approcha alors de lui et lui vola un baiser furtif qu’Alana ne manqua pas de remarquer, complètement offusquée d’apprendre que sa meilleure amie avait un mec sans l’avoir prévenue. Puis elle tira Georg avec elle sur la piste de danse, pour continuer son travail de prof de danse et chorégraphe.

     

     

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    Elle avait le pas tout de suite plus léger, le sourire plus facile, et Georg se disait que peu importe la revanche que s’était fixée Méandre, il se disait qu’elle avait finalement obtenu mieux qu’elle n’avait pu espérer. Cela aurait été sûrement plus facile d’envoyer son poing dans le nez de cette fille que de faire ce qu’elle avait fait, mais la récompense ne semblait pas la même : un poids semblait vraiment avoir quitté ses épaules.

    - Prochain objectif, murmura-t-elle à GK tandis qu’ils dansaient sur une chanson au rythme lent, fiche la trouille à Alana avec ta prestation aux battles.

    - J’ai confiance en toi, tu vas me rendre incroyable.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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     Bonsoir à tous !

    Tout d'abord, je m'excuse pour mes quatre jours de retard. Je suis malheureusement tombé dans un cercle de flemme tout le mois d'avril, une panne d'inspiration pour la rédaction de la dernière scène (dans ma première version, ça finissait en bain de sang, je vous laisse découvrir ça sous spoiler tiens, cadeau :p ) et le tout fut sublimé par une ultime semaine saupoudré par un gentil virus qui nous tourne autour depuis deux ans **très déçue de ne pas avoir réussi à passer entre les mailles du filet après deux ans de Résistance**. 

    Enfin bon, je vais essayer de reprendre le rythme, et ne soyez pas surpris si jamais la prochaine MaJ ne tombe pas les 28 ou 29 mai. Elle tombera bien un jour, promis ;)

     

    PS : Il y a deux jours et un an, je relançais DTA ! Même moi j'y crois pas que ça fait un an que mon jeu tourne régulièrement, champagne !!

    **retourne faire de la peinture dans sa maison en chantant Wouldn't it be nice des Beach Boys**

     

     ♥ 

     

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