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    Depuis quelques jours déjà, la petite ville de Bloomington, dans l'Illinois, profitait d'un radieux soleil, signe annonciateur d'un été qui se profilait à l'horizon. Le mois de Juillet commençait à peine, les rues se remplissaient de jeunes gens en vacances, les marchands de glace en faisaient leur bénéfice, les fontaines étaient prises d'assaut, et les services administratifs prenaient leur tempo lent et agaçant des vacances d'été.

    Tandis que certains programmaient leurs excursions estivales en direction de la côte la plus proche, histoire de piquer une tête dans l'eau salée, d'autres organisaient leur future année scolaire qui s'annonçait. Car Xander avait enfin obtenu la réponse tant attendue : il était accepté dans cette école de graphisme de l'état du Maine, ainsi que son ami, Robbie Taylor. Alors, dans la foulée, et après avoir arrosé ça tous les deux, ils se sont empressés de contacter l'agence immobilière pour réserver cet appartement qui les accueillerait dès septembre prochain.

    Tout était prêt. Leur inscription était finalisée, l'appartement réservé, le contrat de location signé et retourné avec le chèque de caution. Il ne leur restait plus qu'à faire leurs cartons, tout emballer comme il le fallait, et sans se charger. Car cet appartement était entièrement meublé, à leur plus grand bonheur ! Pas de frigo ou de canapé à acheter. Seulement des matelas à faire parvenir, un véritable jeu d'enfants !

     

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    Mais Xander ne se pressait pas. Ses cartons, il avait fini de les déballer il y a quelques semaines en arrivant ici, dans la nouvelle maison de ses parents, et il n'était pas très pressé de se retrouver à nouveau dans la poussière de carton. Pour l'instant, il se contentait de profiter du beau temps, comme tout à chacun, dans son jardin, allongé dans l'herbe avec un livre entre les mains. Sa sœur, Chloé, s'était installée à proximité de lui, sur une chaise longue, et discutait avec Fiona Taylor, sa nouvelle meilleure amie et petite sœur de Robbie. Depuis deux heures qu'elle était arrivée, la discussion ne s'arrêtait pas, et finit par lasser Xander qui se leva pour retourner vers la maison, et s'abriter au frais.

     

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    A peine fut-il rentré dans la maison que le téléphone fixe se mit à hurler sa sonnerie monstrueuse. Alexis et Zélie travaillaient encore et Xander décrocha finalement le combiné de téléphone, sans prendre le temps de regarder le numéro du correspondant.

    - Oui, allô ? Demanda-t-il en posant son livre sur la table se trouvant dans l'entrée.

    Xander s'installa dans le rocking chair au pied de la fenêtre, le regard se perdant dans l'extérieur.

    - Bonjour, c'est Kellan Stewart. C'est Xander ?

    - Oui. C'est pour quoi ?

     

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    A peine avait-il reconnu la voix de Kellan à l'autre bout du combiné qu'il s'empourpra presque aussitôt. Ce n'est pas la première fois que Kellan et lui discutent depuis le jour où il était venu lui apporter le loyer, et que Xander était devenu tellement rouge qu'il en avait cru à une attaque. Les deux jeunes hommes ont eu l'occasion de discuter, notamment par texto interposés, ce qui était bien plus facile pour le brunet. De vive voix, cela devenait plus laborieux, mais heureusement pour lui, ils ne se voyaient jamais de visu, et Xander pouvait rougir tout à loisir.

    - J'ai essayé de t'appeler sur ton portable, mais tu ne dois pas l'avoir avec toi. Je voulais savoir si ça te dirait de sortir un peu cet aprem. T'as vu le temps ? Argua-t-il directement.

    - Sortir ? S'enquit Xander. Je n'ai pas de voiture, conclut-il ensuite directement.

     

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    Il n'avait pas très envie de se retrouver à nouveau en face du jeune homme qui le troublait autant depuis plusieurs semaines, il n'en ressortirait que plus honteux.

    - Je viens te chercher, ce n’est pas un problème. Ça te dit d'aller au Miller Park ? Il fait juste trop chaud pour rester enfermé. Alors ?

    - Au Miller Park ?

    - Ouaip. Alors, je suis là dans genre … même pas un quart d'heure, tu mets ton maillot car je vais carrément aller piquer une tête. A toute de suite !

    Xander n'eut pas le temps de protester que Kellan raccrocha aussi rapidement son téléphone, laissant le jeune homme totalement perdu face à cet appel. Kellan arrive dans quelques minutes pour aller l'amener au Miller Park, et il a bien prévu d'aller se baigner, en entraînant Xander dans son sillage. Se baigner ? En maillot de bain ? D'instinct, il se regarda de bas en haut, y compris à travers le col de son tee-shirt. Et tout aussitôt, il rougit. Qu'est-ce qu'il pouvait être blanc … Tout le contraire de Kellan, pour sûr. Xander était même persuadé qu'il avait dû être surfeur dans une autre vie avec ce teint.  Et le blond au moins devait être plus agréable à regarder que sa carcasse blanche et maigre. Une image mentale de Kellan en maillot de bain, bronzé et muscles dessinés lui arriva devant les yeux, faisant piquer un horrible fard à Xander qui s'empressa de rejoindre sa chambre.

     

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    Il ouvrit en grand son armoire, à la recherche d'une tenue de bain, ne sachant même plus s'il en avait possédé une depuis qu'il est adulte. Après tout, il n'habite absolument pas au bord de la mer, il n'a aucune raison de posséder de tel vêtement, il n'aime pas aller à la piscine non plus, les cours obligatoires à l'époque du collège-lycée étaient ses pires cauchemars.

    Il se laissa finalement tomber sur le lit après avoir trouvé un short qui n'avait rien de très seyant. Non, vraiment, il n'irait pas se baigner, impossible. Il restera là, dans sa chambre, avec son bouquin et sa tablette graphique, à regarder le soleil à travers les carreaux de sa chambre. Même si une part de lui avait très envie de cette sortie avec Kellan.

    - Eh, Xanuche ! L'appela une voix au pied de la porte de chambre.

     

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    Il releva la tête et y vit sa petite sœur Chloé, qui affichait une mine rougie par le soleil, et un large sourire amusé. Xander haussa un sourcil, curieux de la voir débarquer alors qu'elle lui avait bien dit qu'elle ne ferait que dormir au soleil de la journée.

    - Kellan est arrivé. Je ne savais pas que tu avais rencard.

    - Je n'ai pas rencard Chloé, bougonna aussitôt Xander, piqué au vif.

    - Pourtant, ça y ressemble complètement. Donc tu descends peut-être ?

    Xander se releva de son lit, abandonna totalement ce qu'il avait trouvé dans son armoire sur son lit, et descendit au rez-de-chaussée où Kellan, vêtu d'un short et d'un tee-shirt, était en grande discussion avec Fiona. Il ne fit aucun signe ou bruit indiquant sa présence, se contentant simplement d'approcher d'eux deux.

     

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    - Franchement, tu devrais essayer la Casa de Papel, dit Fiona à l'intention de Kellan. Je te jure, c'est super comme série, et depuis, je suis bilingue en espagnol. Si, señor !

    - Promis, je la rajoute à ma liste, je m'en occuperais quand j'aurais un peu de temps.

    Kellan se tourna alors vers Xander, tout sourire.

    - Ah, te voilà ! T'es prêt ?

    - Oui. Mais je ne me baigne pas.

    - Oh, très bien. Comme tu veux. C'est parti ! A plus tard mesdemoiselles !

    Kellan se dirigea vers sa voiture avant d'y entrer, et Xander le suivit, sans dire un mot de plus et s'assit sur le siège passager, faisant en sorte d'être le plus près possible de la porte plutôt que de Kellan. Il continuait de fixer le paysage par la fenêtre. Sa gêne était totalement palpable.

     

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    - T'as passé une bonne semaine ? Demanda alors Kellan, le regard fixé sur la route.

    - Oui.

    - Moi aussi, je passe en Master l'année prochaine, c'est trop cool ! Je peux pleinement profiter de mes vacances. Je compte aller en Europe. Enfin, j'aimerais bien, mais il va me falloir du boulot avant. Et toi ? Des projets pour tes vacances ?

    - Je déménage, lui répondit-il sans pour autant le regarder.

    - Tu t'en vas ? Tu vas où ?

    - Dans le Maine. Je suis inscrit dans une école de dessin pour la rentrée.

    Sa deuxième phrase, il venait de la prononcer après un blanc qui sembla interminable. Il essayait de passer au-delà de son précepte de la phrase sujet-verbe-complément avec Kellan. Il s'entendait très bien avec lui, et ne voulait pas paraître pour un rustre, même si ça lui demandait beaucoup d'efforts. Et d'un certain côté, il apprécierait que Kellan le remarque, enfin, ne serait-ce qu'un peu.

     

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    - Ah ! Mais c'est géant ça ! Tu m'avais dit que tu avais fait une demande d'inscription. Je suis content pour toi. Tu sais quand tu déménages ?

    - Non. Je veux passer l'été ici, enfin … à Bloomington.

    - Ouais, au moins ici, il y a du soleil.

    Kellan explosa d'un rire franc qui fit sourire Xander. Celui-ci tourna d'ailleurs la tête vers lui, le détaillant de profil. Il l'aimait vraiment bien Kellan, il doit se l'avouer. Cela fait bien longtemps qu'il n'avait pas ressenti ce genre d'affection pour quelqu'un, comme une facilité à discuter. Alors certes, pour lui, c'était toujours laborieux, mais il ne repoussait pas Kellan. Il l'écoute, il est intéressé par leurs discussions, elles ont un sens. Et il aimerait bien s'ouvrir un peu plus avec lui, avoir moins peur et surtout, être moins embarrassé.

    La discussion se poursuivit pour les cinq minutes qui les séparaient d'un parking à proximité du parc choisi par Kellan. Un parc arboré avec en son centre, un lac où étaient proposées diverses activités aquatiques : pédalo, canoë, et même un ponton pour pouvoir plonger. Kellan se gara donc à proximité et sortit de la voiture, Xander à sa suite, avant de récupérer un sac dans le coffre de sa voiture.

    - Here we go !

     

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    Xander esquissa un léger sourire avant de suivre Kellan, qui décida finalement de s'installer sur une bande de sable, juste en face du lac, où il était tout à fait possible de se baigner. Il sortit alors de son sac deux serviettes de plage. Il s'assit sur l’une d’entre elles, avant de retirer son tee-shirt et ses chaussures. Xander le regarda faire, un peu gêné, et il eut bien la confirmation de ce qu'il pensait quand il imaginait quelques minutes plus tôt Kellan en tenue estivale : halé et muscles dessinés. Il s'assit cependant à côté de lui, la mine légèrement renfrognée, en ramenant ses jambes contre lui, tout en fixant du regard l'étendue d'eau qui se trouvait juste en face de lui.

     

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    - Wah … soupira Kellan. Il se faisait désirer quand même cet été. J'en pouvais plus de rester planqué chez moi à cause de la pluie. J'espère qu'on va le garder, et jusqu'en décembre, au moins ! Enfin, toi, ça ne te changera pas grand-chose, surtout si tu pars dans le Maine, il paraît qu'il pleut tout le temps là-bas …

    - La pluie ne me dérange pas, répondit Xander sans bouger de sa position de repli.

    Kellan s'assit de façon à se retrouver à côté de lui, le regardant de profil. Sa mine habituellement réjouie devint subitement plus grave, ses yeux se fermèrent légèrement. Il ne faisait plus sa tête de bon copain qui riait de tout. Il se doutait bien qu'il y avait un problème, du moins, il se demandait s'il y n'y en avait pas un.

    - Dis …

     

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    Xander tourna légèrement la tête vers Kellan, ne s'attendant absolument pas à ce qu'il soit aussi près de lui, et ce contact visuel le dérangea au point de le faire rougir à nouveau. Le brunet détourna alors le regard pour ne pas avoir à le regarder, bien qu'il ait vraiment envie de se plonger dans le bleu de ses yeux.

    Il secoua vivement sa tête à cette pensée. Il ne peut pas avoir envie de se plonger dans les yeux de Kellan quand même. Il a une copine, Charlie. Une copine qui l'aime et qui ne s'en remettrait pas si Xander allait regarder ailleurs. Et puis, d'abord, il n’est même pas gay. Il est tout ce qu'il y a de plus hétéro, sinon comment cela serait possible qu'il soit si peu résistant aux charmes de sa petite amie.

    - Tu rougis à chaque fois que tu me regardes. Il y a un problème ?

    - Aucun, répondit Xander, sans pour autant le regarder dans les yeux.

    - Vraiment ? Tu sais, si c'est parce que je … comment dire ça, je t' « impressionne », bah, ça me gêne pas de mon côté en fait.

     

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    - Tu ne m’impressionnes pas, se remit à bougonner Xander.

    - Bon ok, ce n’était peut-être pas le bon terme. Recommençons : je suis bi. Au moins, comme ça c'est clair, ne soit pas gêné face à moi.

    Alors qu'il lui répondit cela, il lui affichait un sourire à la Colgate, comme s'il était prêt à promouvoir n'importe quelle marque de dentifrice. De son côté, Xander ne savait que dire, à part balbutier. Bi ? Genre, il aime les filles et les mecs, c'est ça ? Pourquoi il se sentait étrangement soulagé d'un coup ? Hein ? Pourquoi ?

    - Tu te trompes, je ne suis pas comme ça. J'ai une copine, lui répondit-il.

    Mais sa dernière phrase était tout aussi bien à la destination de Kellan qu'à la sienne. Il cherchait absolument un moyen de se convaincre lui-même qu'il avait une copine, qu'il n'était pas gay. Parce que Kellan se trompe, et son intuition à lui se trompe aussi.

     

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    - Oh, je suis désolé …

    Kellan se mit à rire doucement, passant sa main sur sa nuque, légèrement gêné à son tour.

    - Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise, continua Kellan. J'avoue que j'ai du mal à te saisir parfois. T'es si lointain quand on est ensemble, et tu cherches clairement à m'éviter. Je ne suis pas aveugle, je l'ai bien vu.

    Xander détourna intégralement le visage pour que Kellan ne perçoive même pas un soupçon de son expression. Une expression de honte, celle d'avoir été percé à jour. Il aurait beaucoup aimé trouver un trou de souris pour pouvoir s'y enterrer.

    - Je ne t'évite pas, bougonna-t-il.

    - A d'autres. Je te l'ai dit, je ne suis pas aveugle. Dès que tu prends un peu plus tes aises avec moi, c'est comme si tu avais une alarme qui se mettait à hurler et tu te refermes aussitôt. Tu sais, aucun drame ne va se produire parce que tu apprécies d'autres personnes, ou parce que …

    Xander se retourna aussitôt vers lui, avec toute la vélocité qui lui était possible, rouge pivoine jusqu'aux oreilles pour lui rétorquer un « Je ne suis pas gay ! », sa voix vrillant sous l'émotion. La seule réaction de Kellan fut un simple sourire, très tendre. Peut-être le trouvait-il mignon, à se défendre aussi vite, ne faisant que conforter le grand blond dans ce qu'il pensait.

     

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    - Pas très convaincant, lui souffla-t-il en approchant son visage du sien. Je te le répète une dernière fois : qu'est-ce qu'il y a de mal à ça ?

    - Je ne suis pas …

    - Non, ce n’est pas ce que je te demande, reprit Kellan très sérieusement. Et ne me dit pas « Charlie » car depuis le temps qu'on se connaît, je ne l'ai toujours pas vue, non sans douter de son existence, et tu n'en parles pratiquement pas.

    - Ça ne se fait pas, de parler de sa copine face à quelqu'un de célibataire, argua Xander. C'est impoli. Et elle est venue, il n'y a pas si longtemps que ça.

    - Très bien, donc tu as Charlie et l'idée de voir quelqu'un d'autre, ne t'intéresse pas.

    - Je n'aime pas les hommes, continua-t-il, toujours aussi empourpré.

     

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    Kellan soupira avant de se lever. Il jeta un regard de biais, navré, vers Xander avant de faire deux pas vers le plan d'eau. Et finalement, il se tourna tout entier vers Xander.

    - Aimer une personne du même sexe que soi, ce n’est pas une tare Xander. Ce n’est pas une honte. Tu ne ferais de mal à personne en acceptant cette partie de toi, cependant, ta réaction peut être blessante. Si c'est une tare d'être homo, ça fait de moi un malade ?

    Et sur cette dernière parole, Kellan se dirigea directement vers l'étendue d'eau, laissant Xander seul sur la bande de sable, extrêmement mal à l'aise, et plus honteux que jamais.

     


  • (51)La journée avait été étouffante dans le Nord des États-Unis ce jour-là. Et la fraîcheur qui tombait actuellement dans les rues de Houlton était plus que bienvenue. Leurs habitants en avaient bien

     

    La journée avait été étouffante dans le Nord des États-Unis ce jour-là. Et la fraîcheur qui tombait actuellement dans les rues de Houlton était plus que bienvenue. Leurs habitants en avaient bien besoin, et sortaient pour en profiter, d'autant plus que de la pluie était annoncée dans la nuit. Et c'est parce que leurs filles avaient décidé de sortir avec des amis que le couple Handers se retrouvait seul à la maison ce soir-là, seuls pour la première fois depuis bien longtemps. Et Marine avait bien l'intention d'en profiter.

     

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    N'y voyez pas là une furieuse envie de dévêtir son homme pour en faire ce qu'elle voulait. Pas le moins du monde. Ils doivent surtout parler. Des semaines que le travail de Nate les empêchait de discuter, et leur dernière conversation en tête à tête avait même terminé de manière complètement houleuse. Parce que Nate, l'homme de sa vie, avait encore eu ce qu'il appelle des « paroles maladroites » en accusant son épouse de leur malchance parentale, pour concevoir leur troisième enfant, ce petit garçon qu'ils avaient longtemps désiré mais qui ne viendrait jamais. Ils devaient se faire une raison. Elle s'était faite une raison. Quatre ans pour avoir leur fille Jayn, après des heures interminables en hôpital avait fini par la convaincre que, naturellement, ils ne pourraient pas avoir de troisième enfant.

    Marine lâcha un profond soupir, en s'installant encore plus confortablement dans le canapé du salon, ne regardant que d'un œil le film qu'elle et son mari avaient choisi pour occuper leur soirée. Bien sûr, ils auraient pu en profiter, comme tout le monde, et se faire un restaurant et un cinéma, mais justement, comme tout le monde aurait exactement fait la même chose, l'idée de se retrouver seuls, au milieu d'une foule, très peu pour eux. A la place, Nate avait cuisiné pour eux deux, et acheté des donuts à la meilleure boulangerie de la ville qu'ils allaient engloutir devant le film.

     

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    - A quoi tu penses ? Demanda alors Nate à Marine en posant les gâteaux sur la table basse.

    - Hein ? Ah euh … à Jayn, répondit-elle en lui souriant – ce qui n'était pas faux en soi.

    - Tu as des problèmes avec Jayn ?

    A peine sa question posée, Nate serra les freins de son fauteuil et prit appui sur celui-ci pour effectuer un transfert vers le canapé, où il s'installa à côté de Marine, l'attirant doucement contre lui, son bras par-dessus son épaule. La mère de famille accepta cette étreinte et posa sa tête contre l'épaule de Nate, un sourire s'esquissant sur son visage, heureuse de cette affection qu'elle attendait depuis plusieurs jours, et même semaines.

     

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    - J'ai été convoquée par le directeur du club d'athlétisme aujourd'hui. Elle a encore fait des siennes avec les plus jeunes. Encore une remarque du genre, et elle est exclue du club.

    - Et tu l'as autorisée à sortir ce soir ? Malgré ses conneries ? Bougonna Nate en tournant la tête vers son épouse.

    Elle opina du bonnet en picorant distraitement.

    - Pourquoi ?

    - Parce qu'on aurait eu Jayn dans nos pattes ce soir, et j'avais envie de t'avoir rien qu'à moi …

    Elle leva les yeux vers lui, avec son regard de chiot battu, faisant la mignonne pour le faire craquer. Cela n'eut pas l'effet escompté, mais Nate esquissa malgré tout un léger sourire avant de l'embrasser sur le front. Il reporta son regard vers la télévision, laissant tout à loisir Marine continuer sur sa lancée.

     

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    - Et puis, parler de la pension devant elle n'aurait pas été très intelligent.

    - La pension ? S'interloqua Nate en regardant son épouse.

    Cette dernière se redressa pour regarder son mari droit dans les yeux. Oui, elle était bien sérieuse même si le regard de Nate en pensait le contraire. Jamais il n'aurait pensé que son épouse puisse envoyer une de leurs filles à l'internat.

    - Oui, j'y pense sérieusement. Peut-être pas pour la rentrée prochaine, mais si elle ne s'arrange pas, je ne vais pas lui laisser le choix.

    - Tu ? Et j'ai le droit d'en penser quelque chose ? Bougonna-t-il.

    - Oui, c'est pour ça que je voulais absolument passer cette soirée en tête à tête, argua-t-elle aussitôt.

     

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    Nate tombait littéralement des nues. Lui qui avait espéré une soirée romantique avec sa moitié aujourd'hui, il pouvait remballer tous ses projets, visiblement, ce n'était pas à l'ordre du jour. Il s'affala d'ailleurs aussitôt contre le dossier du canapé, son entrain totalement retombé.

    - Et si jamais je refuse que Jayn aille à l'internat, il se passe quoi ? Osa-t-il tout de même en tournant seulement la tête vers elle.  Parce que bon, elle n'a que 12 ans à peine. Ce n’est pas légèrement extrême comme solution ?

    - Que crois-tu que ta fille fait de mal ? Je te laisse me citer ses dernières inventions …

    - Et bien, elle se chamaille avec sa sœur, mais rien de plus normal, elle nous répond également. Mais c'est une ado aussi, tu espérais quoi ? An en faisait bien autant, elle n'est pas allée en pension.

     

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    - Jayn se bat dans la cour de récréation, répond à ses profs et quitte la salle de classe sans demander la permission. Je l'ai surprise également en train de voler 20 dollars dans mon sac à main l'autre jour. Ce n'est pas juste la crise d'adolescence Nate, et je suis totalement dépassée par son caractère. Je pensais lui donner encore un an pour se raisonner.

    - Et ça résoudra le problème tu crois ?

    - Je n’en sais rien, mais j'en ai marre de me battre tous les jours avec elle. Crois-moi, ça ne me fait pas plus plaisir que toi de la voir partir loin de la maison, mais quel genre d'adulte deviendra-t-elle si on ne fait rien ... ?

    Nate baissa la tête quelques instants, et prit les mains de son épouse dans les siennes.

     

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    - Je lui parlerais de la pension, j’essaierais d'être un peu plus présent pour vous trois. Je te le promets. Je sais que je t'ai promis beaucoup de choses depuis notre première rencontre, et que je n’en ai pas réalisé la moitié, sans compter celles que j'ai piétinées. Mais je me rattraperais Marine, je ferais tout ce qu'il faudra pour.

    - J'espère bien, lui répondit presque aussitôt Marine, ou ce sera notre dernière soirée en amoureux, je peux t'en assurer.

    - Ça n'a plus rien d'une soirée entre amoureux, grimaça Nate en glissant sa main vers le panier de donuts pour prendre de quoi grignoter.

    Après tout, ses plans avaient été annulés, il n'a plus qu'à se rabattre sur la bouffe pour sauver sa soirée. Et sur le film, bien entendu, dont il avait raté un bon quart d'heure à cause de leur discussion sur l'éducation de leur cadette. Il essaya de suivre l'intrigue comme il pouvait, grignotant par réflexe plus que par envie. Et puis, si sa soirée avait été annulée, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Après tout, dans cette maison, il brillait par son absence, et c'est sûrement ce qui a fini par causer l'insubordination de leur cadette, qui est alors devenue le sujet de conversation de leur soirée, enterrant ainsi ses projets. « C'est l'effet papillon, petite cause, grandes conséquences ... »

     

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    Et pourtant, quelques minutes plus tard, son épouse vint se blottir contre lui, jouant avec ses mains, préférant largement la présence de Nate à la maison à ce film qu'elle connaissait presque par cœur. A peine fut elle blottie contre lui que Nate enroula son bras gauche autour de sa taille pour la garder contre lui. Il tourna alors la tête vers elle pour l'embrasser le plus tendrement du monde, jouant avec les cheveux de Marine de sa main droite. Elle se rapprocha un peu plus de lui, voulant prolonger cette étreinte qu'elle désirait depuis des lustres. Après quelques secondes de cet échange tendre et passionné, Nate recula quelques peu des lèvres de son épouse pour se glisser dans son fauteuil, l'entraînant alors avec lui, laissant la télévision seule, avec ses donuts.

     


  • ♫ P!nk - Cuz I Can

     

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    - Tu étais drôlement remontée ce soir.

    - C'était amplement mérité ! J'en ai marre de leurs tronches, il fallait bien que quelqu'un les recadre.

    - Certes, mais « Je bois plus que vous, je fais la fête plus que vous et ma voiture est plus rapide que les vôtres » … tu n'as même pas de voiture Alana, encore moins le permis. Tu ne peux pas juste t'en tenir au texte ?

    - Nope. Et puis, je n’ai pas de piscine et pourtant « ta maison est tellement petite qu'elle rentre dans ma piscine » tu ne critiques pas hein ?

     

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    Il était tard, ou tôt, cela dépend du point de vue, dans les rues de Bergerac, et la ville n'était pas très motivée à se calmer lors de cette soirée d'été. Une grande partie de la jeunesse de la ville avait fait la fête en début de soirée, notamment pour assister au dernier concert donné dans le Rocksane, cette salle de spectacle très fortement squattée par les différents groupes qui sévissent en ville, musicalement parlant. Et une fois n'est pas coutume, c'est le groupe Alive! qui est sorti grand gagnant de la soirée, devançant comme d'habitude les Epheméria, éternels seconds. Après avoir copieusement arrosé leur victoire dans les loges avec les autres membres de leur groupe, ils étaient chacun repartis de leur côté, prêt à retrouver leurs oreillers, du moins, en apparence.

     

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    - Et puis, je n’ai pas de réflexions à recevoir d'un mec qui n'ose pas prendre le micro parce qu'il a peur que Samuel se foute de sa gueule, argua de plus belle la jeune femme aux cheveux bleus en marchant à reculons devant l'homme à l'imposante carrure qui se tenait devant elle.

    A peine deux secondes plus tard, elle buta contre un mur qu'elle n'avait pas calculé, et prit par surprise l'homme brun qui lui rentra littéralement dedans, se prenant le front d'Alana dans le menton. Il porta alors d'instinct sa main contre son visage lésé en soupirant.

    - Tu ne veux pas marcher comme tout le monde ? Bougonna-t-il en se massant le menton.

    - Je veux pouvoir te parler en te regardant dans les yeux. Et je te signale que je me suis prise le mur dans le cul, et que je vais avoir un bleu. Alors te plains pas.

    - Je m'abstiendrai de toutes remarques, mais tu me tends une perche très facile, lui dit-il en baissant légèrement la tête pour la regarder dans les yeux.

     

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    Il avait les yeux rieurs, mais d'un regard qui semblait peu commun pour son visage plutôt froid, presque paternel et sage. Son regard avait du mal à se fixer à un point précis, ses joues légèrement rosies et son haleine quelque peu désagréable ne firent que confirmer ce que la jeune femme pensait à l'instant de l'homme qui l'accompagnait : il a bien joué avec la bouteille quelques heures plus tôt, et en voilà le résultat. 

    - Grimm, t'es bourré. Dis-moi des trucs pas respectables … lui susurra-t-elle en glissant sa main dans sa poche pour en récupérer son téléphone portable.

    Bourrée ? Elle ? Pas ce soir. Bien qu'elle ait joyeusement participé à la célébration de leur victoire, elle a su faire preuve de modération. Trois cuites par semaine lui suffisaient, et si elle continuait, c'était sa jolie voix qu'elle perdrait. Et elle pouvait se féliciter ce soir, après tout, si elle n'avait pas été lucide, elle n'aurait jamais eu l'idée d'enregistrer ce qu'allait lui dire cet homme, d'un habituel sage et posé, pour ensuite le lui faire réécouter pour rire de tout son soûl quand celui-ci aurait décuvé.

     

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    - Il n'y a pas que le mur que ton cul va se prendre ce soir, dit alors Grimm en approchant son visage de celui de la jeune femme aux cheveux bleus. Je connais quelqu'un qui irait bien y faire un tour …

    A ces mots, il glissa une main sur la hanche de la jeune femme pour la faire glisser maladroitement dans le bas de son dos sans pour autant s'aventurer plus loin avant de glisser sa bouche contre son oreille et sa seconde main sur celle d'Alana qui tenait le téléphone. Il s'empara de ce dernier avant de lui souffler un « Je ne suis pas bourré Alana » et s'empressa de couper puis supprimer l'enregistrement.

    - Maiiiiis !

    - Allez, on rentre !

     

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    Il rangea le téléphone dans sa propre poche et prit la main de la jeune femme dans la sienne avant de poursuivre leur route vers leur appartement, à quelques pas de là.

    - Tu es toujours sérieux, c'est chiant.

    Elle esquissa un sourire en le regardant du coin de l’œil, pensant, comme à chaque fois qu'elle le voyait, qu'elle avait bien eu de la chance de le rencontrer, quelques années plus tôt. Elle resserra sa main autour de la sienne et pressa le pas pour rentrer chez eux, à quelques minutes de là.

    Ils arrivèrent finalement devant l’entrée d’un immeuble à terrasses, tout en briques, aux toits bleus et parfaitement symétrique. Une immense verrière centrale illuminait la cage d'escalier. Douze appartements s'y trouvaient, et Alana était locataire d'un logement au rez-de-chaussée, avec jardin. Elle poussa la porte de l'immeuble, chercha ses clés dans ses poches avant de rentrer à l'intérieur.

     

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    Une pièce toute en longueur aux murs fades les accueillit, mais de taille assez réduite cependant. Point d'entrée, mais une cuisine aux meubles blancs usés, recouverts d'un très joli carrelage blanc et jaune, la pièce s'ouvrant immédiatement sur un salon/salle à manger plutôt encombré, où le rouge des meubles permettait de rehausser l'intérêt de la pièce.

    Alana posa ses clés sur le petit tabouret se trouvant en face de la porte et entra dans la pièce, s'engouffra directement dans le salon avant de laisser tomber son pull au sol. Un soupir de soulagement accompagna son geste.

    - Bon, je vais me démaquiller, ajouta-t-elle, à l'intention des murs sûrement puisque que Grimm avait déjà disparu derrière l'une des trois portes qui se trouvaient sur le mur de droite.

     

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    Une petite dizaine de minutes plus tard, la jeune femme ressortit de la salle de bain, en tenue de nuit, les cheveux tressés et le visage débarbouillé. Cependant, lui restait sur le visage d'étranges arabesques, lui barrant la moitié gauche du visage. Comme tracées au compas, elles s'articulaient principalement autour de son œil gauche et de sa pommette. Une dernière marque, en forme de croix, barrait la commissure de ses lèvres à droite de sa bouche. Sans son maquillage, avec la lumière artificielle de la salle principale de cet appartement, ces cicatrices devenaient plus visibles, et gagnaient en étrangeté.

    La jeune femme, poussa une des trois portes, et entra dans une chambre, tapissée de bleu et toute aussi encombrée que le reste de la maison. Des plantes, des photos sur le bureau de la pièce, et un homme brun avachi en travers du lit, ronflant doucement. Alana s'approcha alors de lui et s'assit juste à côté de son visage, passant sa main dans ses cheveux.

     

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    - Grimm ...Tu prends toute la place là.

    - Mmmpf, gronda celui-ci en tournant son visage sur le côté.

    Elle tenta une autre technique pour essayer de le réveiller, mais en vain cependant. Alors à nouveau, elle se leva du lit, en fit le tour et déchaussa son bel endormi avant de s'allonger à côté de lui. Elle l'embrassa furtivement sur la joue et ferma les yeux, en faisant défiler derrière ses paupières les meilleurs moments du concert qu'elle venait de vivre. Un sourire s'étira sur son visage ensommeillé, et c'est quand elle vit en lettres rouges flamboyantes le nom de Alive! sur le mur de l'Olympia qu'elle trouva finalement le sommeil, dans des rêves de grandeur. Après tout, Alive! sera le plus grand groupe français d'ici quelques temps, et les textes d'Alana, son style, seront reconnu comme unique. Une vie rêvée l'attendait, et justement, c'est exactement ce qu'elle fit cette nuit-là.

     


  •  

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    Georg n’avait pas passé la nuit la plus calme de sa vie.

    Il n’avait pourtant pas décidé de sortir, d’aller faire la fête avec ses nouveaux amis imaginaires. Il en était encore bien loin à vrai dire. Le jeune homme était encore dans l’étape « découverte » de sa nouvelle vie en France, et préférait plutôt jouer les touristes que de faire le tour des lieux de convivialité pour rencontrer de nouvelles personnes. Il aurait tout le temps de le faire quand il aura rejoint les bancs de l’université. Ce n’était donc pas sa nouvelle vie sociale qui était la cause de ses cernes ce matin-là.

     

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    Ni son ancienne vie sociale. Depuis qu’il était arrivé, il avait reçu deux appels de sa sœur et un de son meilleur ami. Visiblement, ils étaient tous trop occupés pour trouver dix minutes de leur temps pour aller aux nouvelles de Georg. Quant à ses parents … en réalité, ils l’avaient appelé. Ils essayaient du moins, plusieurs fois par jour les premiers jours. Et réalisant que leur rejeton ne leur répondait pas, ils avaient finalement abandonné. En plus du départ de Georg, l’indifférence que leur fils leur portait désormais ne faisait creuser qu’un peu plus le fossé dans le foyer des Mayers. Mais le jeune homme n’était plus à ça près. Il n’avait pas envie d’essayer de le combler, ou d’arrêter le massacre. Il n’en avait même pas la force. La blessure était encore trop profonde à ses yeux.

    La raison de ses cernes était beaucoup plus prosaïque, terre à terre. Le voisinage. Georg avait en effet emménagé dans un appartement au troisième étage d’une résidence de douze appartements, et deux de ses voisins étaient non seulement rentrés tard, mais avaient en plus fait du tapage dans le bas de l’immeuble.

     

    ֎

     

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    Il était alors sorti sur son balcon, pour expliquer le plus calmement du monde à ces personnes fort peu civilisées que passé une certaine heure, ils étaient priés de rentrer chez eux en silence. Il se pencha alors, jeta un œil dans la rue éclairée par les lampadaires. Et il les vit, juste en dessous de lui. Un couple. Un homme et une femme, aux cheveux bleus.

    - Tu ne veux pas marcher comme tout le monde ?

    - Je veux pouvoir te parler en te regardant dans les yeux. Et je te signale que je me suis prise le mur dans le cul, et que je vais avoir un bleu. Alors te plains pas.

    - Je m'abstiendrai de toutes remarques, mais tu me tends une perche très facile.

     

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    Alors qu’il ouvrait la bouche pour pousser un hurlement qui allait réveiller le reste de l’immeuble, il se stoppa, intrigué par ce couple au milieu de la rue. Lui semblait plutôt banal, assez grand, un mètre quatre-vingt probablement, une musculature plutôt carrée et brun. Elle par contre détonnait dans le décor, et ce n’était pas seulement dû à la couleur particulière de ses cheveux. Même à dix mètres au-dessus d’eux, il arrivait à percevoir une aura un peu particulière. Cette fille n’était pas ordinaire. Ou si elle l’était, elle ne se croyait pas ordinaire. Elle avait cette façon particulière de se tenir debout, d’emplir l’espace de sa présence, annihilant presque celle de celui qui l’accompagnait qui était pourtant beaucoup plus imposant qu’elle. Il en mettrait sa main à couper, elle était chanteuse.

     

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    - Grimm, t'es bourré. Dis-moi des trucs pas respectables …

    - Il n'y a pas que le mur que ton cul va se prendre ce soir. Je connais quelqu'un qui irait bien y faire un tour …

    Georg esquissa un sourire amusé. Estimant qu’il en avait assez entendu, et voyant qu’ils prenaient la direction du hall de l’immeuble, il se releva de son balcon et s’étira un moment, laissant à la fraîcheur de la fin de l’été le soin de l’envelopper. Il frissonna un instant puis retourna dans sa chambre.

     

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    Une fois dans la pièce, il regarda le réveil. Trois heures treize du matin. Il allait clairement avoir du mal à s’endormir après ça. Il se laissa alors tomber sur son lit, et attrapa un roman qui trainait au pied de son lit. Il aurait préféré sa guitare, mais il ne valait peut-être mieux pas pour lui qu’il essaie et se risque de réveiller les quelques rares habitants qui n’avait pas été réveillés par la chanteuse aux cheveux bleus et son compagnon.

     

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    Il n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Incapable de se rendormir, il avait poursuivi la lecture d'un roman en ligne jusqu’au matin, appréciant le lever du soleil depuis la fenêtre de sa chambre. Et il serait bien resté allongé dans son lit pour poursuivre les aventures trépidantes des personnages de l'histoire, si son estomac ne s’était pas rappelé à lui en émettant un borborisme assourdissant. Georg posta alors d’instinct sa main sur son estomac.

    - Je crois que j’ai compris, café.

     

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    Il repoussa son ordinateur et se leva, profitant pour s’étirer. Il sortit de la chambre en traînant des pieds pour rejoindre la cuisine, slalomant entre ses affaires pas tout à fait déballées et pas tout à fait rangées. Sur le chemin il prit son téléphone portable, posé sur son bureau, et vérifia l’heure. Dix heures bientôt, soit quatre heures à Houlton. Il ne risquait pas d’être dérangé si vite. Il se servit alors une large tasse de café noir, attrapa un petit pain dans la panière et alla s’installer dans son canapé, devant la télévision qu’il alluma sur une chaîne d’information.

     

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    Il n’était pas spécialement friand de toutes ces choses, les journaux télévisés n’annonçaient à ses yeux que problèmes sur problèmes. Mais c’était le seul programme français qui avait un intérêt pour lui en ce moment : il pouvait entendre parler français de façon correcte, du moins il l’espérait, et c’était soit ça, soit les émissions infantilisantes telles que les Ch’tis à Pétaouchnok ou les Marseillais sur la Lune. Et il tenait encore à son cerveau, cela va sans dire.

    Sa matinée passa plutôt tranquillement. Il naviguait entre son canapé, sa cuisine, son bureau, sa chambre, le salon à nouveau, pour finir de ranger ses affaires, tout en laissant la télévision allumée, pour essayer de s’imprimer au maximum de la langue française, même s’il n’écoutait que d’une oreille. S’il pouvait au moins obtenir la bonne prononciation des mots pour ne pas passer pour le premier des demeurés, ce serait plutôt une réussite.

     

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    Alors qu’il terminait de ranger ses dossiers sur son bureau, une vidéo apparut sur son fil d’actualité qu’il avait laissé ouvert sur son ordinateur. La vidéo qu’il avait vu avant de partir pour la France, celle mise en avant par sa future école pour promouvoir les arts dans leur établissement. C’était un extrait d’un concert d’un groupe local nommé Alive! dans la salle de spectacle de la ville, le Rock Sane. Il écarquilla les yeux. La chanteuse. C’est celle qu’il avait vu hier soir, non ? Il ne pouvait pas y avoir des mille et des cents des personnes avec les cheveux bleus dans cette ville quand même. Il habiterait dans le même immeuble qu’elle ?

     

    (53)

     

    Il laissa défiler la vidéo. Le caméraman s’attarda sur chacun des membres du groupe, et quand il s’arrêta sur le batteur, il en était désormais persuadé : c’était l’homme qu’il avait vu hier soir avec la fille aux cheveux bleus. Il se repassa la vidéo en boucle, voulant en être sûr, mais il se demandait bien quand même ce que ça allait lui apporter. Il est vrai que cette vidéo avait fait partie des éléments déterminant pour que GK vienne vivre ici, à Bergerac – poussé aussi par Camille qui connaissait la ville de nom, ayant un ami y vivant. Mais qu’est-ce qu’il cherchait ? Rejoindre ce groupe ? Il ne fallait pas abuser non plus.

    Mais d’un autre côté, il était irrémédiablement attiré par l’aura de cette jeune femme aux cheveux bleus. Elle dégageait quelque chose. Du talent ? En tout cas, quelque chose qui donnait envie à Georg de se replonger d’autant plus dans sa musique.

     

    (53)

     

    Son téléphone vibra juste à côté de lui et le sortit de ses songes. Il tourna la tête vers celui-ci et s’arrêta un instant quand il vit le nom qui s’affichait : Emma. Son sang ne fit qu’un tour. Sa petite amie, enfin ex-petite amie devrait-il plutôt dire, était en train de l’appeler à l’instant. C’était inconcevable après la scène qu’elle lui avait fait quelques semaines plus tôt, quand il lui avait annoncé qu’il partait.

    Une sonnerie. Deux sonneries. Trois sonneries.

    Il se précipita sur son téléphone avant la quatrième sonnerie, et il décrocha.

    - Emma ?


  • (54)

     

    Julia venait de quitter son domicile quelques minutes plus tôt, en direction de l’hôpital d’Houlton où elle travaillait en tant qu’infirmière depuis de nombreuses années déjà. Elle avait pour habitude d’aller au travail à pied. Cela représentait une petite vingtaine de minutes de marche, et surtout, elle pouvait ainsi réussir à se vider l’esprit. Et quand tout allait mal pour elle dans la journée, elle faisait le trajet en courant, concentrant ses esprits sur l’effort et non sur ses tracas quotidiens. Et Dieu sait qu’elle en avait.

    Et par quoi commencer quand tout se cassait la gueule dans sa vie ? Enfants, mari, père … A tous les niveaux, rien n’allait. Et elle était incapable de savoir ce qui lui faisait le plus mal. Elle baissa la tête, les yeux rivés sur ses chaussures et le trottoir, resserrant sa main sur l’anse de son sac à main.

    Elle s’arrêta un instant, au milieu du trottoir, à regarder autour d’elle. Des gens affairés se pressaient dans tous les sens, à pied, à vélo, en voiture … Et elle n’arrivait plus à avancer. Ses pieds ne bougeaient plus. Comment avait-elle fait pour que sa vie s’emballe de cette manière ? Elle était en train de tout perdre, tout.

     

    (54)

     

    Son fils ne lui parlait plus, ne répondait plus au téléphone et avait déménagé à l’autre bout du globe : heureusement, elle avait réussi à obtenir l’adresse de Georg par le biais de Camille, ce qui la rassurait quelque peu. Mais ça ne calmait pas la maman en elle, qui était morte d’inquiétude pour son garçon, son bébé, son premier né.

    Il venait certes d’avoir vingt ans, mais elle ne voyait clairement pas comment il arriverait à se débrouiller, seul, et aussi loin. C’était sûrement sa paranoïa de maman qui parlait, mais tant qu’elle ne serait pas sûre qu’il soit bien installé dans son nouvel appartement, dans son nouveau pays, elle n’arrivait clairement pas à dormir sur ses deux oreilles. Et elle espérait que celui-ci la contacte enfin pour lui donner de ses nouvelles, et lui permettre ainsi de retrouver une partie de son sommeil.

     

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    L’autre étant portée disparue depuis de longs mois. Depuis qu’elle était en froid avec William.

    Son mari, l’homme de sa vie. Depuis la réapparition de Harry, elle et William avaient été incapables de communiquer calmement. Elle n’y arrivait pas. Elle savait pourtant pertinemment qu’il n’y était pour rien si Harry était réapparu il y a quatre ans. Mais c’était plus fort qu’elle. Dès que William s’approchait d’elle, pour discuter, elle reculait, comme par automatisme. Un automatisme de défense ? Est-ce que le retour de son père avait fait ressurgir en elle le traumatisme de sa séquestration, des abus qu’elle avait subi ? Est-ce qu’elle en arrivait à avoir peur des hommes ? Peur de son mari ?

    Elle secoua la tête. Impossible. William n’avait jamais été violent avec elle. Même verbalement. Hormis la gifle d’il y a quelques semaines, il n’avait jamais levé la main sur elle, ni même tenté. Et les seuls souvenirs de William violent dataient de nombreuses années, quand il buvait. Mais sobre, il était un agneau. Alors pourquoi le fuyait-elle constamment ?

     

    (54)

     

    Elle resserra ses bras autour d’elle, prise d’un soudain frisson. Son mariage battait de l’aile, et ils courraient droit vers le divorce. La simple pensée de ce mot lui fit monter les larmes aux yeux. Elle ne pouvait pas divorcer de Will. C’était impossible. Ils avaient été si heureux auparavant, si complices et fusionnels. Elle ne pouvait pas imaginer un seul instant sa vie sans William, sans sa présence. Et pourtant, elle ne cessait de l’éviter. Et il faisait de même. Leur vie devenait un dialogue de sourds, où rien n’était dit, mais toujours sous-entendu.

    Elle lâcha un soupir, se tapota les joues pour se ressaisir. Ce n’était clairement pas le moment pour avoir des pensées négatives. Elle, non … Ils trouveront la solution à leurs problèmes. Et une fois ceux-ci résolus, Georg reviendra à la maison. Il ne pouvait pas y avoir d’autre possibilité.

    Quand elle releva la tête, elle était devant l’hôpital. Elle était pourtant persuadée de s’être arrêté de marcher à mi-chemin. Mais prise dans ses pensées, ses pieds avaient fait le chemin jusqu’à l’hôpital, par automatisme. Elle regarda un instant le défilé des personnes entrant et sortant de l’hôpital, et finalement, hâta le pas pour débuter sa journée de travail.