• (75)

     

    Les jours s'égrainaient doucement pour Emma et Georg. Ils profitaient pleinement de leurs semaines de vacances, et c’était l’occasion pour Georg de découvrir dans les moindres recoins cette ville qu’il avait choisie comme pied à terre. Il avait toujours rêvé de partir en vacances en France, et y vivre n’avait jamais vraiment été une possibilité jusqu’à ces dernières semaines. Mais pour le moment, il restait dans sa phase vacances : sa petite amie était là, avec lui, et tous deux se promenaient main dans la main, le long de la Dordogne. Et cette ville lui plaisait, avec ses petites rues, ses maisons typiques et l’ambiance qui s’en dégageait. 

    Et parmi leurs découvertes, Emma et Georg avaient un objectif bien précis en tête. Celui d’enfin trouver un petit boulot au jeune homme. Il vivait actuellement sur ses maigres économies, mais elles ne feraient pas long feu très longtemps. Il devait de toute urgence trouver quelque chose. Il avait bien évidemment écumé les différents sites de petites annonces, en vain : rien ne lui correspondait. Ils s’étaient donc tout naturellement dit qu’ils finiraient bien par trouver une petite annonce sur une vitrine.

     

    (75)


    - Là !

    Emma pointa son doigt directement en direction d’une boutique qui faisait l’angle d’une rue. Elle avait d’abord remarqué le petit écriteau blanc sur la vitrine avant même l’enseigne. Quand Georg leva légèrement le nez pour identifier le commerce, il sourit. Un disquaire. Ca ne pouvait guère tomber mieux. Au moins, il restait dans sa passion. 

    A première vue, le commerce semblait vide de tout client. Il ne distinguait qu’une silhouette derrière la caisse, en train de lire.

    - Et bien vas-y, lui dit Emma en lui indiquant la porte du menton. 

    - Je suis sûr que cette annonce a été déposée il y a deux cents ans. Il n’y a pas un client dans cette boutique, et le vendeur à l’air de s’ennuyer comme un rat mort.

    - Tu ne vas pas me faire ton timide Kaitlin, allez, entre et demande. Tu risques pas grand chose.

     

    (75)

     

    Emma se glissa derrière Georg pour le pousser dans le commerce. Quand la porte s’ouvrit, une clochette tintinnabula et la personne au comptoir releva la tête. Une vendeuse donc. Elle reposa son livre à côté d’elle et les accueillit avec un sourire chaleureux ainsi qu’un bonjour qui n’avait rien à lui envier.

    - Bonjour, lui répondit Emma tout sourire dans un français impeccable. On a vu l’annonce sur la porte, pour du travail et on voulait savoir si c’était toujours d’actualité.

    - Oui, elle l’est. C’est pour vous ? demanda-t-elle en se relevant.

    - Non, c’est pour mon ami juste ici.

     

    (75)

     

    Elle donna un coup de coude à Georg pour le faire réagir, mais il n’en avait pas besoin. Elle avait dit “ami” et non pas “petit ami” ou “copain” comme elle avait l’habitude de le présenter. La jeune française s’éclipsa dans l’arrière boutique, prétextant aller chercher le formulaire de demande d’emploi, laissant ainsi Georg et Emma seuls dans le magasin.

    - Ami ? rétorqua GK. Tu nous a déjà enterrés ?

    - Mais non, mais elle est choue, tu trouves pas ? Et toi tu es grave sexy avec cette coupe de cheveux, alors autant te donner quelques points d’avance, non ?

    - Emma … soupira Georg.

    - Oui, je sais. Mais je reste sur mon idée, alors souris, tu dois lui faire bonne impression.

    La française revint quelques instants plus tard avec une plaquette. Elle la posa devant Georg pour lui permettre de remplir le document tranquillement. Georg accepta, récupéra les papiers et remplit consciencieusement les cases. En deux minutes trente, c’était fait. Il signa en bas de la page, et tendit le formulaire à la jeune femme. Elle y jeta un œil, et sourit.

     

    (75)


    - Américain ? Classe. Moi c’est Méandre, dit-elle en souriant. Et vous, Georg-Kaitlin, c’est ça ?

    Georg hocha la tête de droite à gauche.

    - Juste Georg, ça ira. 

    Méandre acquiesça et posa la tablette derrière elle sur le comptoir, et reprit une conversation un peu plus formelle.

    - Georg, c’est noté. Mon patron lira votre candidature d’ici la fin de la semaine, et il vous rappellera en conséquence. Vous êtes disponible à partir de maintenant ?


    Georg hocha la tête, et enfonça ses mains dans ses poches. Il tourna la tête vers Emma. Elle était encore en ville pour quatre semaines, et il voulait en profiter le plus possible. Mais il avait absolument besoin de ce boulot et il ne voulait pas risquer de le voir lui filer sous le nez au prétexte qu’il voulait commencer début septembre. Et il savait qu’Emma comprendrait son point de vue, et c’était d’autant plus facile à gérer.

    - Super ! On vous tient au courant très vite.

    - Merci, bon après-midi, lui dit alors le jeune homme.

    - A vous aussi.

     

    (75)

     

    Emma sortit de la boutique la première et Georg la rejoignit très vite. Une fois dans la rue, il lui prit la main, et entrecroisa ses doigts aux siens. La rouquine se laissa faire, et le tira même un peu plus loin, vers une placette arborée. Une fois arrivés, ils s’installèrent sur un banc, à l’ombre. Georg passa son bras autour des épaules de Emma, l’attirant vers lui.

    - Ne recommence pas Emma, s’il te plaît, lui dit Georg après quelques instants de silence.

    - De quoi ?

    -D’essayer de me caser avec la moitié de la ville. Je te rappelle que j’ai actuellement une petite amie dont je suis dingue, et je n’ai pas envie d’aller voir ailleurs.

     

    (75)

     

    Emma roula des yeux, qu’elle leva au ciel. Il était d’un chiant celui-là. Il refusait de comprendre qu’elle faisait ça pour son bien. Elle ne voulait pas le voir malheureux comme les pierres à cause de son absence ni savoir qu’il devait se priver au prétexte de devoir l’attendre. Il ne méritait pas ça, même s’il ne voulait pas le comprendre.

    Alors, en guise de réponse, elle bougonna. Georg soupira et s’affala un peu plus sur le banc.

    - Je sais ce que tu en penses Emma, mais j’ai encore le droit d’avoir un avis sur la question. Or, et ce malgré ton départ, je refuse de te chercher une remplaçante. Il va falloir t’y faire, c’est tout. Je t’aime, c’est si difficile à comprendre qu’il n’y a que toi que je veuille prendre dans mes bras, que toi que je veuille embrasser ou toucher ?

    - Certes, mais …

    - Mais tu vas partir, oui, c’est bon, je sais. Mais il nous reste quatre semaines avant ça, et je n’ai pas envie de les passer à te chercher une remplaçante. On cassera dans quatre semaines, comme prévu. Mais en attendant, laisse moi t’aimer comme un dingue d’accord ?

     

    (75)

     

    Emma acquiesça en silence. Elle ne voulait pas le laisser comme ça, sans ressource. Mais elle n’avait pas d’autre choix que de s’y résoudre. Elle se blottit alors contre Georg, et celui-ci l’embrassa sur le front. Emma ferma les yeux, appréciant cet instant suspendu. C’est Georg qui perturba son silence avec une réflexion amusée.

    - Tu trouves pas qu’elle te ressemblait la vendeuse de disques ? 

    - Parce qu’elle est rousse ? Tu es réducteur GK … Tu me déçois.

    Emma lui donna un gentil coup de coude dans les côtes, en riant. Mais il n’avait pas tout à fait tort, il y avait un air de ressemblance. Rousse, les yeux bleus. Mais elle avait l’air d’avoir un peu plus de connaissance qu’elle en matière de musique, ce qui lui donnait un réel avantage sur elle. Elle secoua la tête. Non, elle venait de lui promettre qu’elle arrêterait d’essayer de la caser avec la moitié de la ville.

    - J’espère que tu seras retenu, dit-elle finalement. Mais que le poste ne se libérera qu’en septembre. Je vais avoir du mal à te laisser partir au boulot le matin.

    - Et bien, tu as plus qu’à prier je ne sais pas quel dieu pour obtenir ce que tu souhaites. Mais si je suis pris, ce sera de ta faute : c’est toi qui a vu l’annonce. Moi je serais passé devant sans même la remarquer.

    - Car ça va être ma faute maintenant. Et bien, t’es grand seigneur dis voir.

     

    (75)

     

    Emma fit la moue, sous les rires de Georg. Celui-ci s’approcha de sa petite amie et il l’embrassa tendrement, dissimulés par les arbres et faisant fi des passants. Emma ne put contenir son rire, tout en lui volant baiser sur baiser. Elle ouvrit les yeux, et essaya de capter le regard de Georg. Celui-ci fit de même, et leurs regards, louchant, se croisèrent, ce qui les fit exploser de rire.

    - Aller, on y va, dit Emma en se relevant sur ses pieds.

    - Hein ? Comment ça “on y va” ? On va où ?

    - Bah, faire un tour en ville. Je ne vais pas rester là alors que plein de curiosités nous attendent !

    - Des curiosités ? Ah oui ?

    - Y’a le musée du tabac, je peux pas rater ça, allez debout !

     

    (75)

     

    Georg soupira, et Emma lui tira sur le bras pour le faire se lever. Il obéit finalement, en râlant, et suivit Emma qui poursuivit son chemin. Juste à côté du banc où ils étaient assis, son regard accrocha une affichette agrafée sur un poteau de bois. Il tira sur la main de Emma, pour la faire se rapprocher de lui. 

    - C’est quoi ? demanda Emma en regardant l’affichette.

    Georg ne répondit pas, lisant ce qui y était inscrit. C’était une affiche de pub pour une salle de concert qui se trouvait dans le cœur de la ville, le Rocksane. Et plus particulièrement pour un concert de rentrée du groupe local, les Alive!. Ils organisaient des battles pour permettre à des jeunes artistes du coin de percer comme eux l’avaient fait. Et celles-ci reprenaient en septembre.

     

    (75)


    - Tu veux t’inscrire ? lui demanda Emma. Tu as toutes tes chances non ?

    - C’est un groupe de rock Emma, je n’ai absolument aucune chance moi tout seul. Mais j’avais voulu aller au concert de clôture, toutes les places avaient été vendues. Je pourrais peut-être assister au premier de la saison.

    - Moui … Ça a l’air ouvert à tous, rien ne t’empêche de t’inscrire.

    Georg haussa les épaules. Elle n’avait pas tort, mais il n’avait pas envie de chanter devant un public. Il chantait pour lui et pour ses proches, et son public n’avait guère été plus nombreux que les quelques classes de son ancien lycée. Il ne se sentait pas vraiment prêt pour chanter devant une salle comble. Il arracha cependant l’affichette et l’enfonça dans la poche arrière de son pantalon, avant de reprendre son chemin vers le musée du tabac repéré par Emma.

     

     

     

     


  • (76)

     

    Finalement, face à l’immensité de la tâche que représentait la rédaction de deux lettres de motivation en français, Camille avait fini par faire appel à une bienfaitrice : An. Sa meilleure amie n’avait pas son pareil pour écrire et elle maîtrisait plutôt bien la langue de Molière. Mais il avait malgré tout dû faire preuve de fourberie, pour voir An sans que sa mère ne se rende compte de la supercherie. S’il était sorti et qu’il revenait avec une lettre de motivation, sa mère, pas dupe, se serait doutée qu’il aurait fait appel à une aide extérieure. S’il s'était enfermé dans sa chambre pour faire une visio avec An, sa mère l’aurait entendu. Et si An était venue d’elle même à la maison, Sienna aurait trouvé ça louche également. 

    Il avait donc trouvé une solution plus simple et efficace : cacher l’arbre au milieu de la forêt. Faire venir An et Zhoo pour parler mecs. Il était tout bonnement impossible de travailler avec Zhoo dans les parages, donc Sienna n’aurait jamais fait attention à ce qui pouvait se dire dans cette chambre. Ils étaient donc tous les trois installés sur le lit de Camille, entourés des papiers en tout genre et d’un ordinateur portable.

    - Aloooooors ? demanda Zhoo en minaudant devant An qui tapotait sur le clavier de l’ordinateur.

    - Alors quoi ?

     

    (76)

     

    An releva la tête vers sa meilleure amie, en haussant un sourcil. Elle pouvait se garder ses alors la demoiselle, c’était plutôt elle qu’ils devraient cuisiner à cet instant. N’avait-elle pas eu un rencard avec un superbe étranger venu de Mars, ou de l’Illinois, il y a quelques jours ?

    - Alors il est bien foutu Gabe ? traduisit Camille sans lever le nez de ses papiers. Fais pas l’innocente An, tu te doutes bien qu’on parle de ton nouveau mec.

    - On pourrait aussi parler du nouveau mec de Zhoo aussi, ça c’est très nouveau.Plus que Gabe.

    - Je ne sors pas avec Robbie, rétorqua Zhoo. Pas encore du moins, donc je ne peux pas répondre à ce “Alooors” très équivoque. Mais toi tu peux, et tu m’avais promis que tu me raconterais. 

    - Et je dois avouer que ça m’intéresse aussi, poursuivit Camille. J’ai été toujours curieux de savoir ce que valait Gabe, et vu comment il te tournait autour comme un chien en rut, j’espère que tu as pris ton pied.

    An rougit aussitôt. Ils étaient vraiment pas possible tous les deux, ils n’avaient que ça en tête. Venant de la part de Camille, ce n’était pas vraiment surprenant. Les sentiments, il ne connaissait pas et ses amies en étaient conscientes. Après tout, Cloud n’était qu’un passe-temps pour lui et tout le monde en était conscient, sauf peut-être Cloud qui se voilait la face depuis quatre ans. Mais il était sacrément mordu de Camille car malgré toutes les crasses et infidélités qu’il pouvait lui faire, il ne le boudait que deux jours avant de revenir. Un vrai chien fidèle.

     

    (76)


    - Oui, et bien je n’ai pas spécialement envie de vous parler des exploits horizontaux de Gabe jeunes gens. Donc je passe mon tour.

    - Je te parle bien de Cloud moi, et de ses “exploits horizontaux”, dit Camille en mimant des guillemets.

    - Ils sont plutôt perpendiculaires ses exploits si je me souviens bien, lui dit Zhoo avec un regard entendu. Les chiottes du lycée sont trop étroites pour passer à l’horizontale.

    - Ah ah ah, trop drôle, j’en pisse de rire.

    - Vous voulez une équerre ?

     

    (76)

     

    Sienna passa à ce moment-là la tête dans la chambre de Camille, et tomba sur une conversation pour le moins curieuse. Elle était montée pour s’assurer qu’ils n’avaient besoin de rien, comme de la limonade ou des sandwichs, mais visiblement, la bonne humeur allait bon train. Zhoo explosa de rire quand elle vit le visage de Sienna et An vira rouge pivoine, ne sachant pas où se mettre. Camille resta indifférent : ce n’est pas comme s’il avait des choses à cacher à sa mère. Il savait qu’elle était consciente de ses aventures, et il n’allait rien lui apprendre, où alors il ne serait pas de ce monde.

    - Tu voulais quelque chose ? demanda Camille à sa mère.

    Il se leva du lit et s’approcha d’elle, tout sourire. Son père était parti depuis trois jours maintenant, et il n’avait jamais eu l’occasion d’être seul avec sa mère. Et cette situation peu commune était plutôt sympa.

     

    (76)


    - Non, c’est plutôt le contraire. Je voulais savoir si vous vouliez à boire ou à grignoter.

    Elle lui ramena des cheveux derrière l’oreille, avec un petit sourire attendri. Les deux filles firent non de la tête en regardant Sienna et Camille les rejoignit. 

    - Ok, super. Mais si il y a besoin, il y a de la limonade au frigo, ok ?

    Camille acquiesça et Sienna sortit de la chambre, les laissant à nouveau entre eux. Elle ne put s’empêcher de sourire quand elle se rappela leur conversation à l’instant. Ca lui rappelait ses propres conversations avec Andy et William, quand elle était adolescente. Et cette idée lui pinça momentanément le cœur. Andy, sa meilleure amie, lui manquait terriblement. Elle était presque tout pour elle, sa sœur. Et ne plus pouvoir partager ce genre de moment lui faisait terriblement mal. Alors comme souvent quand elle pensait à Andy, elle serra ses deux mains l’une contre l’autre, ferma les yeux et adressa une pensée à Andy. “J’espère que tu es heureuse là haut, avec Spencer et ton fils”. Et elle reprit le cours de sa journée.

     

    (76)


    Dans la chambre, Camille était retourné sur son lit, tout en poussant Zhoo par la même occasion.

    - Eh ! gronda la blonde.

    - Alors, Robbie hein ? Vas-y, raconte, je suis tout ouï, lui dit Camille. An ne veut pas parler de Gabe, dis moi que tu as quelque chose à nous dire de ton bel extraterrestre.

    - Et bien, pas grand chose en vrai. On est juste allés boire un café pour le moment, mais j’ai pu récupérer son numéro de téléphone.

    - Oh ! Ça relève de l’exploit, lui dit An en la taquinant.

    - Mais je sais ! rétorqua Zhoo. Pas besoin de me le rappeler. Sinon, il vient de Bloomington, c’est dans l’Illinois et il s’installe avec un ami en colocation pour l’année scolaire. Ils sont tous les deux inscrits à l’école de chara-design. 

    - Un ami ? demanda Camille subitement intéressé. Gay ?

    - Comment veux-tu que je le sache, je ne l’ai vu que deux minutes son coloc. Je suis incapable de te dire s’il est gay ou zoophile. 

    - Ca, c’est parce que tu n’as pas de gay-dar, lui dit An en riant. Camille l’aurait senti avant même que le pauvre type n’ouvre la bouche.

    - De toute façon, je vois pas pourquoi je m’emballe pour un américain, alors que je vais pouvoir découvrir la gastronomie française. Il paraît que c’est réputé.

     

    (76)

     

    Les deux jeunes filles se regardèrent en soupirant. Il ne perdait décidemment pas le Nord celui-là, c’en était incroyable. Mais leur regard était malgré tout emprunt d’une certaine tristesse. De leur groupe d’amis d’origine, il ne restait plus que eux trois : Georg ayant décidé de vivre en France et Emma de faire son tour du monde. Si Camille partait à son tour, il ne resterait plus que elles deux. Leur groupe se réduisait à peau de chagrin.

    - Eh, vous allez pas pleurer parce que je veux partir en France moi aussi.

    - Et pourquoi pas ? lui lança Zhoo avec un regard noir. Et on ne sait même pas pourquoi tu as décidé de fuir comme ça. Tu veux faire ton Georg toi aussi, et partir sans raison ?

    - Georg n’est pas parti sans raison Zhoo, lui dit An en lui prenant la main.

    - Bien sûr que si ! Et me dis pas que c’est à cause de Harry, on l’a jamais revu depuis l’anniversaire de GK il y a quatre ans.

    - C’est pas tout à fait vrai, lui dit Camille en baissant la tête.

     

    (76)

     

    Georg avait revu Harry Mayers, il y a trois mois. Mais il n’en avait parlé à personne, hormis lui et sa jumelle. Et il pouvait comprendre que sa défection pouvait sembler encore plus folle aux yeux de sa famille, alors qu’ils n’avaient pas eu vent de toute l’histoire.

    - Hein ? Mais je pense que je suis la mieux placée pour savoir si ce grand père cinglé avait décidé de montrer sa face de cul.

    - Il a revu Harry, dit finalement Camille. A la sortie des cours en avril. Il pleuvait et il l’attendait à l’arrêt de bus. Pour ne pas avoir à rentrer à pied sous la flotte, GK a accepté qu’il le ramène.

    - LE CON ! s’égosilla aussitôt Zhoo. Mais pourquoi il a rien dit ? Et pourquoi il a accepté sans rien dire ? Il lui a parlé ?

    - Il a essayé de faire le gentil papa et GK l’a envoyé se faire foutre avant de poursuivre à pied. Et si il a rien dit, c’est parce qu’en rentrant, il a vu vos parents se disputer violemment dans la cuisine. Il n’a pas voulu rajouter d’huile sur le feu.

    Zhoo fulminait. Elle n’aurait jamais cru que son frère aurait eu le cran de lui cacher ce genre de secret. Elle était sa sœur quand même, ils avaient le même sang. Pourquoi il en parlerait d’abord à son meilleur ami, et pas à elle ? 

     

    (76)


    - Ne lui en veux pas Zhoo, lui dit Camille. C’est pas comme s’il était parti définitivement.

    - Qu’est-ce que tu en sais ? Il te l’a dit ?

    - Euh … non. Mais il reviendra après ses études, il avait juste besoin d’air.

    An regarda Camille parler. Elle avait l’impression que celui-ci parlait plutôt pour se défendre lui que défendre son ami. Elle referma alors l’ordinateur devant elle et se campa juste sous le nez de Camille. A son tour de se faire cuisiner.

    - Et toi ? Pourquoi tu fuis ? questionna An.

    - Bah, je fuis pas. C’est pour mes études.

    - Prends moi pour une bille aussi. Si c’était vraiment pour tes études, tu n’aurais aucun problème pour rédiger ta lettre de motivation en français. Et tu parles aussi bien le français qu’un bavarois installé au Japon. 

    - Euh …

    Évidemment, rouler An n’était pas aussi facile que de se jouer de sa mère. Elle était plus perspicace que la moyenne, et elle connaît surtout très bien son niveau de français. C’est bien normal après tout, c’était ses parents qui avaient appris le français à toute la tribu, et quand Camille ne passait pas les leçons à discuter sur son téléphone avec Cameron, il dormait. 

     

    (76)


    - Qu’est-ce que tu fuis ? répéta-t-elle. On vient de te faire la leçon au sujet de Georg qui ne nous dit rien alors qu’on est ses meilleurs amis, et toi tu vas jouer le même jeu que lui. Dis nous, on le répétera pas.

    Après tout, GK et Emma étaient déjà au courant de l’affaire. Ce serait donc normal que An et Zhoo le soient aussi. Mais avant toute chose, il devait s’assurer que sa mère n’étaient pas dans les parages. Car elle ne savait absolument rien, et il refusait qu’elle le sache. Il s’approcha alors de la porte, l’entrouvrit et vérifia que le couloir était bien vide. Il referma la porte derrière lui et resta à côté de celle-ci.

    - Bon, ok. Je vous dis tout. 

    Il prit une profonde inspiration pour se donner du courage. Les filles s’étaient assises au bord du lit, impatientes de connaître l’histoire, déjà pendues à ses lèvres.

    - J’ai couché avec une fille il y a deux ans.

    - HEIN ?! s’étranglèrent les deux filles.

     

    (76)

     

    - Chut ! Ma mère est pas au courant, alors on se calme. Sinon, je ne vous raconte pas la suite.

    Les deux demoiselles se turent, et restèrent bien droites.

    - Je m’étais soûlé ce soir là, car Cloud m’avait prit la tête. Et tout ce que je vous raconte, c’est Georg qui me l’a raconté, car je m’en souviens absolument pas. Il y a une fille du lycée qui s’est approchée de moi, qui m’a chauffé et j’ai accepté de la suivre. Georg m’a vu réapparaître une bonne heure plus tard, totalement débraillé et je me suis effondré au sol. Sauf que, par la suite, cette fille n’a pas arrêté de me courir après, pour me parler. Mais je ne m’en souviens pas ok ? Si ça se trouve, c’est une mytho et Georg en a profité pour me faire une blague. Je suis même sûr que ça peut-être que ça. Je suis pas con à ce point. 

    Il passa sa main sur sa nuque, n’osant pas regarder ses deux amies. Elles devaient le regarder avec des yeux de merlan frits. Il s’arrêta alors, et attendit que l’une d’elles reprenne la parole.

    - Elle te course toujours ?

    - Je suis retombée sur elle il y a un peu plus d’un mois, et depuis oui, elle me poursuit. Sauf que cette fois-ci, elle y a mêlé les flics et les juges. Je peux pas rester là.

    - Attends ? Comment ça les flics et les juges ? De quoi elle t’accuse ?

    Camille resta muet. Un instant trop longtemps.

     

    (76)


    - De sa dépression et de sa tentative de suicide. Comme je ne m'occupais pas d'elle, elle a voulu mettre fin à ses jours et elle s’est ouvert les veines. Sa mère l’a découverte juste à temps et elle est partie en hôpital psy, et je ne l’ai plus vue jusqu’au mois dernier. Et cette fois-ci, elle ne veut pas me laisser m’en tirer, alors que je n’y suis pour rien.

    - Si tu n’y es pour rien, tu n’as rien à craindre Camille, lui dit Zhoo. On ne coffre pas les gens sur des rumeurs. Et puis, elle savait pertinemment que tu es gay, c’est elle qui est conne de s’accrocher à toi.

    Le jeune homme alla s’asseoir à côté de ses amies, et se tourna vers la brunette.

    - Je peux pas rester là. Pitié An, j’ai vraiment besoin de ton aide pour me barrer d’ici.

     

     

     

     


  • (77)

     

    Le moment qu’Akira préférait dans sa journée, c’était le petit déjeuner. C’était même un rituel. Elle se levait, allait dans la cuisine pour mettre la cafetière en marche, prenait sa douche, et se préparait pour sa journée. Ainsi, quand elle arrivait dans la cuisine, non seulement le café était prêt et chaud, mais elle était prête à partir et elle pouvait profiter sereinement de cet instant privilégié. En général, Carmen, son épouse, arrivait peu de temps après, en pyjama, pour partager ensemble le premier repas de la journée.

     

    (77)


    - Bonjour mon amour, lui dit Carmen en s’approchant d’elle pour l’embrasser sur la joue. Tu as bien dormi ?

    Akira hocha la tête en guise de réponse positive. Elle porta sa tasse à ses lèvres, savourant son café et ce début de journée prometteur. Du moins, la journée commençait plutôt bien. Jusqu’à ce que son téléphone se mette à sonner, déclenchant ainsi une colère et une mauvaise humeur toute légitime pour l'inspectrice. En un coup d'œil, sa journée était fichue. Quand bien même elle adorait son travail dans la police, elle n’appréciait pas trop d’aller sur une scène de crime en plein milieu de son petit déjeuner.

    Elle décrocha alors son téléphone, et regarda Carmen avec une moue désolée.

     

    (77)


    - Akira, dit-elle sobrement.

    - Bonjour Akira, c’est Clive. On a un cadavre qui relève de tes compétences, le chef te demande. Le légiste est déjà sur place.

    - Qui c’est ? demanda Akira en se levant.

    Elle s’essuya la bouche, fit un léger signe de la main à son épouse et sortit de chez elle une fois qu’elle eut attrapé son sac.

    - On attend une confirmation d’identité, mais ce serait l’assistante de Eliott Thatch, l’avocat de Mayers.

    - Faith Thatch ? demanda Akira. L’épouse de Thatch ?

    Son collègue se fit silencieux de l’autre côté du téléphone. Apparemment, le doute était assez présent pour qu’il ne soit pas capable de l’affirmer ou l’infirmer. Le téléphone d’Akira émit une légère sonnerie : son chef venait de lui renvoyer l’adresse par message. Elle n’avait plus qu’à aller le constater par elle-même.

     

    (77)


    Ses talons claquaient au rythme de ses pas rapides sur le trottoir, et elle rejoignit son véhicule qu’elle démarra en trombe en direction de la scène de crime. En temps normal, le simple cadavre d’une femme ne faisait pas partie de ses missions. Elle travaillait à la brigade des mœurs et non à la criminelle. Son dossier de fond, c’était le gang de Harry Mayers, et elle ne se déplaçait sur une scène de meurtre que si Mayers était impliqué. Mais le simple fait que cette femme fasse partie de l’environnement proche de Eliott Thatch avait fait remonter ce cadavre dans ses dossiers.

     

    (77)


    Elle arriva en quelques minutes à l’adresse, qui était déjà bien entourée de véhicules de police. Ces collègues avaient bien fait leur travail, il n’y avait pas trop de curieux, et ça arrangeait plutôt tout le monde. Elle se gara alors sur le trottoir et jeta un œil à la maison. Il s’agissait d’une petite maison pavillonnaire, tout ce qu’il y avait de plus banal, avec un jardin, des clôtures bien propres. Elle sortit de son véhicule, esquiva ses collègues qui s’affairaient et passa sous les scellés de la police. Elle rejoignit alors le médecin légiste dans la maison, et le repéra bien vite, accompagné de policiers qui prenaient toute la pièce en photo, ne voulant oublier aucun détail. Elle s’approcha alors de lui, et de la victime.

     

    (77)


    La femme était étendue à plat ventre dans son salon, la tête légèrement tournée sur le côté. Ses yeux étaient exorbités, sa bouche grande ouverte. Elle était vêtue d’un tailleur et ses pieds étaient encore chaussés de chaussures à talons. Quant à sa coiffure, hormis quelques mèches volantes, elle était impeccable.

    - Bonjour inspectrice. Vous avez l’air de super bonne humeur, lui dit le médecin avec un sourire amusé.

    - Bonjour Lillywhite, répondit Akira. Vous voulez vraiment qu’on parle de mon humeur ? Je n’ai même pas fini mon café, j’espère qu’au moins il y en a au poste. Je peux avoir un topo ? dit-elle en pointant le cadavre.

    - Savannah Envey, 28 ans, assistante d’Eliott Thatch, avocat. Le meurtrier l’a probablement surprise au retour du travail, lui dit Lillywhite en écho à ses pensées. 

    - On a une idée de l’heure du décès ?

    Akira s’accroupit à proximité du cadavre, soulagée d’une certaine manière que ce ne soit pas l’épouse de l’avocat. Une impressionnante tache de sang se déployait sous son omoplate, avec un point central plus sombre. On lui avait tiré dessus.

     

    (77)


    - Cela fait environ une douzaine d’heures. Entre vingt et vingt et une heures.

    Elle regarda autour d’elle, cherchant des indices. Mais la pièce était nickelle, hormis le sang qui s’étalait autour de Savannah.

    - On a trouvé la douille ?

    - Non, lui répondit le légiste. Et on ne trouvera probablement pas la balle non plus.

    Akira se releva et regarda le légiste en haussant un sourcil, interrogative. Comment ça on ne retrouverait probablement pas la balle ?

    - Regardez la plaie de plus près, elle a été ouverte. Le meurtrier a bien pris soin de retirer la balle de sa victime avant de partir. A ce rythme, si tous les meurtriers se mettent à faire ça, je vais perdre mon travail. Ils pourraient au moins me laisser les balles à extraire, c’est à ça que je sers …

    - Oui, c’est bon. On a compris, shh !

    L’inspectrice se pencha alors, et regarda plus attentivement la blessure de la victime. Il avait raison. Ce n’était pas le travail le plus propre qu’elle ait vu de toute sa carrière, mais c’était efficace. Du moins, ça en avait l’air. Seule une autopsie plus approfondie pourra confirmer l’hypothèse du légiste. Akira passa sa main sur sa nuque, troublée.

     

    (77)


    - Elle le connaissait, dit-elle puis voyant que le médecin ne la suivait pas elle poursuivit : il n’y a aucune trace de lutte autour d’elle. Tout à l’air à sa place et même aligné au cordeau. Elle ne porte pas de trace de violence non plus. Je n’ai pas fait attention à la porte, mais je suppose qu’elle n’a pas été fracturée.

    Elle fit alors le tour de la pièce, se mettant dans la position probable de Savannah au moment du meurtre. Elle regarda en face d’elle : une bibliothèque, des cadres et la cheminée.

    - Elle ouvre à son visiteur, qui lui demande quelque chose. Un document, un dossier, que sais-je. Elle acquiesce, se retourne et se dirige vers la bibliothèque. Là, il lui tire dessus, dans le dos. Elle s’effondre et il nettoie. Un vrai travail de pro.

    - Si c’est un travail de professionnel du nettoyage, pourquoi le cadavre est encore là ? En principe, leur travail c’est de faire en sorte qu’il n’y ait plus de cadavre. Hors là, on en a un. Pourquoi se donner tant de peine pour camoufler ses traces alors qu’il aurait été mille fois plus simple de l’incinérer dans un coin ou de la jeter à l’eau ? Ou même de juste la poignarder. Le résultat aurait été le même, sans qu’il se donne autant de peine.

     

    (77)

     

    Akira releva la tête vers Lillywhite. Il avait raison sur tous ces points, mais plus habitué aux meurtres passionnels ou impulsifs, il n’avait pas le même regard qu’un habitué du bureau de mœurs. Il fallait penser comme eux si on voulait les comprendre et résoudre les affaires. Elle se tourna alors vers lui, pédagogue.

    - Parce que le commanditaire voulait qu’on la trouve, tuée par balle. C’est un message, reste à savoir à qui il est adressé. Mais une chose est sûre : ce meurtre porte la signature de Harry Mayers.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Bonjour tout le monde !!

     

    Du sang ! Enfin du saaaaaang ! Il était temps, j'étais légèrement en manque : plus de 75 articles sans sadisme pur, je suis pas faite pour ça, niark !

    Et si jamais le nom de Savannah Envey ne vous est pas inconnu, c'est parce qu'elle nous vient tout droit de This Is War. C'était la photographe New Yorkaise qui accueillait Aaron et Heaven lors de leurs aventures : vous pouvez la retrouver ici. Bon, elle n'a pas décidé de changer de carrière hein, on va dire que c'est sa sœur jumelle dans un monde parallèle (ou juste moi qui m'amuse quand j'ai besoin de PNJ)

     

    Sinon, petite info pratico-pratique :

    Pour ceux qui ne le saurait pas encore, je travaille dans le tourisme, et si vous suivez le calendrier, c'est bientôt les grandes vacances ! Ce qui correspond dans mon travail à une forte période d'activité avec plus de taff, plus d'animations à superviser et encore plus de touristes et de gens pas toujours gentils merveilleux. En gros, je vais finir sur les rotules et dormir mes jours de repos.

    Il n'y aura donc pas de MaJ en Juillet et Août. Je préfère ne rien programmer et ne pas me mettre la pression. Mais je vais en profiter pour avancer sur DTA (promis, je vous abandonne pas) et je vous retrouve donc à la rentrée ♥

    Cœur sur vos c*ls ♥

     

     

     

     


    4 commentaires
  • (78)


    Plusieurs semaines avaient passé, et Xander avait l’impression d’être sur un petit nuage. Traitez-le de niais ou de ridicule si ça vous chante, il n’en a absolument pas cure. Pour la première fois depuis bien longtemps, il avait l’impression de respirer dans une relation amoureuse, réellement. Tout avec Charlie n’étaient qu’efforts constants pour essayer que leur histoire fonctionne. Il se remettait en question à chaque fois que Charlie désapprouvait son comportement, qui pourtant lui était naturel, comme le fait de peu parler. Avec Kellan, c’était plus facile. 

    Kellan ne remettait pas en cause la façon d’être de Xander, il l’acceptait. Et pour la première fois donc depuis des lustres, il n’avait plus besoin de se créer un personnage pour faire tenir une relation amoureuse. Alors, tout n’était pas parfait, il ne fallait pas non plus trop s’avancer. Après tout, c’était la première fois pour Xander qu’il s’engageait dans une relation avec un homme (et ce n’était que sa deuxième relation amoureuse), et il y allait à son rythme, et avec beaucoup de recul. Par exemple, personne dans son entourage n’était au courant qu’il avait un petit-ami. Ils savaient que lui et Charlie c’était terminé, mais c’est tout. Il craignait malgré tout le regard des autres, et surtout les répercussions qui pourraient tomber sur sa famille. Comme il l’avait déjà expliqué à Kellan, il causait déjà suffisamment de souci à son père, et il ne voulait pas qu’il s’inquiète plus qu’il ne l’était déjà.  

    Alors il faisait preuve d’astuces pour ne pas révéler son secret à ses parents. Il se disait également que ce serait bien plus facile de le leur cacher quand il aura déménagé, mais d’un autre côté, le Maine ce n’était clairement pas la porte à côté et il se doutait qu’il allait devoir à nouveau vivre une relation à distance. Il soupira.  

    - Tu as des soucis mon petit Xan’ ? 

     

    (78)



    Il sortit de ses pensées et tourna la tête vers son meilleur ami, Emilien. Ce dernier était venu l’aider à préparer ses cartons en vue du futur grand départ, le mois prochain. Il n’avait pas grand-chose à empaqueter, mais Emilien avait prétexté qu’avec son départ imminent ils ne se reverraient pas avant les vacances d'automne. Il voulait donc profiter encore un peu de la présence de son meilleur ami. 

    - Non, je n’ai pas de soucis, lui dit Xander. Pourquoi en aurais-je ? 

    - Parce que tu soupires drôlement fort dès que tu mets un livre dans ce carton. Alors soit ces livres sont extrêmement lourds, soit tu penses à quelque chose qui te cause du souci. Mais vu que c’était une BD, je penche plutôt du côté du souci. Tu veux en parler ? 

    Emilien ferma le carton qu’il venait de remplir et s’assit au sol. Il tapota le parquet en face de lui pour inviter Xander à faire de même, et ce dernier accepta finalement, après un énième soupir, ce qui fit rire Emilien. 
     

    (78)

     
    - Je t’écoute Xander. Raconte à tonton Emilien. 

    C’était son nouveau surnom ces temps-ci. Mélie, sa sœur, avait accouché trois jours plus tôt d’un petit garçon en parfaite santé du nom de Aron, et il était fier comme un paon. Son addiction à ce mini être humain était assez amusante à regarder, et sa fierté également. Mais il pouvait comprendre.  Il n’avait pas grandi dans une grande famille, et tout ce qui pouvait le rapprocher de son père le rendait heureux. 

    - Rien. C’est juste que … Je me demandais si c’est la distance qui m’a fait casser avec Charlie. C’est tout. 

    Emilien haussa un sourcil. Ça faisait des lustres qu’il n’avait plus parlé de Charlie, il se demandait bien ce qui pouvait lui traverser l’esprit pour qu’il repense à son ex de la sorte. Le jeune roux haussa les épaules, n’ayant visiblement pas la réponse. 

    - Tu crois vraiment qu’il y avait une raison autre que vous deux à votre rupture ? Je ne pense pas que la distance vous ait achevé, ça vous a juste précipité. Après, je ne suis pas le plus grand expert des relations amoureuses je te rappelle. Pourquoi tu repenses à Charlie ? Elle t’a rappelé ? 
     

    (78)


    - Oh non, et ça ne risque pas d’arriver vu comment elle m’a jeté. Non, j’y pensais. 

    - Tu pensais à ta relation à distance pendant que tu faisais tes cartons pour ton déménagement, débuta Emilien avec un air suspicieux. C’est assez louche ton histoire, tu ne nous laisserais pas une petite amie derrière toi avant de partir ? 

    Il sourit, amusé. Si c’était le cas, il ne perdait pas vraiment de temps celui-là. Il attendit alors la réaction de Xander, qui ne se fit pas attendre. Le brunet piqua un fard monumental et baissa la tête pour cacher ses joues cramoisies.  

    - J’y crois pas, t’as une copine ! s’exclama Emilien, hilare. Et tu ne m’as rien dit ? Je ne suis pas censé être ton frère ? Moi je te raconte tout. 

    - Je n’ai pas de copine, bougonna Xander. Alors calme-toi. 

    - Arrête de me prendre pour un crétin, t’es rouge comme une pivoine. Donc c’est que tu me caches un truc, et tu marmonnes pour me dire que tu n’as pas de copine. Ne me mens pas. 

    - Je ne te mens pas, je n’ai pas de copine Emilien. 

    Emilien regarda Xander droit dans les yeux. Il ne mentait pas, mais il ne dérougissait pas pour autant. Il se passait quelque chose, et il refusait de le lui dire. Mais foi d’Emilien, il n’allait pas en rester là et attendre que ça se passe. 
     

    (78)

     
    Et là, d’un coup, un éclair de lucidité lui traversa l’esprit. Non, ce n’était pas ça quand même … 

    - Un mec ? C’est ça ? T’as un mec, tu sors avec un gars. 

    Nouveau fard, et bien au-dessus du niveau cramoisi. Il était grillé, lui qui n’avait pas envie d’en parler tout de suite, il n’avait pas été très efficace pour le cacher à son perspicace de meilleur ami. Il se frotta la nuque et hocha doucement la tête de haut en bas. 

    - Ne le dis à personne, marmonna Xander. S’il te plaît. 

    Emilien mima une bouche cousue et jeta la fermeture imaginaire derrière lui. Mais maintenant, il voulait en savoir plus. Il n’avait pas imaginé un seul instant que son meilleur ami pouvait être gay, et finalement, maintenant qu’il le savait, ça lui semblait plutôt logique. Il se demandait même pourquoi il ne l’avait pas remarqué plus tôt. 

    - Je le connais ? demanda-t-il malgré tout. 

    Xander essaya de rassembler sa respiration et ses idées pour essayer de perdre quelques teintes de rouge, et il se redressa. Après tout, Emilien était son meilleur ami, il était celui qui allait le moins le juger, et il pouvait lui faire confiance aveuglément. 
     

    (78)

     
    - Non, tu ne le connais pas. Mais je t’ai déjà parlé de lui. C’est le locataire de mes parents. Il s’appelle Kellan. 

    - T’as une photo ? 

    Évidemment qu’il avait une photo, pensa aussitôt Emilien. S’il n’en avait pas une dans son téléphone, il en trouverait probablement une sur un réseau social quelconque. Xander sortit alors son téléphone, et farfouilla dedans à la recherche d’une photo. Pas besoin d’aller jusque sur les réseaux sociaux, il avait plusieurs photos de Kellan dans sa galerie, notamment faites lors de leurs sorties, avant qu’ils ne sortent ensemble. Il en afficha une en plein écran et tendit son téléphone à Emilien. 

    Ce dernier écarquilla les yeux face à la photo du petit ami de Xander. “Wah” fut tout ce qu’il réussit à dire. Il ne faisait pas les choses à moitié, quitte à devenir gay, il avait mis le grappin sur le mec d’Alerte à Malibu. Xander détourna le regard, toujours gêné par la tournure de la conversation. Mais ce qui le surprenait le plus, c’était la non réaction de son ami : il n’avait fait aucun commentaire sur le fait qu’il sorte avec un mec. Il s’était attendu à pas mal de choses pour le jour où il ferait son coming-out, à des cris, des rires ou du dégoût. Mais pas à la banalité affichée sur le visage de son meilleur ami. 
     

    (78)

     
    - Il a l’air super sympa, lui dit Emilien en lui rendant son téléphone. Je suis content pour toi, je me disais bien que tu avais l’air moins stressé ces derniers temps. Je mettais ça sur le compte de ta rupture avec Charlie, mais je pense qu’il y est pour quelque chose. 

    - Oui. C’est lui qui m’a fait ouvrir les yeux sur Charlie. 

    Emilien haussa un sourcil, se méfiant. Le gars le fait rompre avec sa copine pour lui mettre le grappin dessus, ce n’était pas la tactique la plus poussée de l’univers, mais elle avait déjà fait ses preuves.  
     

    (78)


    - Je t’arrête tout de suite, je l’ai repoussé plus d’une fois, et il avait compris que ça ne m'intéressait pas. Il s'est arrêté, et on est devenus potes. Et pour Charlie, il m’a simplement dit que m'obstiner à rester avec elle lui faisait aussi du mal. C’est tout. 

    - Ce qui en soit n’est pas faux. Donc tu as jeté Charlie pour Kellan, si j’ai tout suivi. 

    Xander fit non de la tête. Il n’écoutait pas celui-là, c’était pas possible. 

    - D’un, c’est Charlie qui m’a jeté. Ensuite, je l'ai fait pour elle car elle ne méritait pas ça. Et pour Kellan, je suis juste revenu sur ma décision. 

    - Okay, okay. Et bien écoute, tant que tu es heureux, tu avais bien le droit de quitter Charlie pour Kellan … 

    - Tu m’as jetée pour un mec ?! 

     

     

     


  • (79)


    Au son de cette voix, Xander se figea et regarda Emilien qui était devant lui, et ce dernier fixait un point au-dessus de la tête de Xander. Et ce point devait apparemment mesurer un mètre soixante-dix si on suivait l’angle du cou de son ami. Il espérait seulement qu’il avait halluciné, que cette voix n’était pas ce qu’il avait cru et qu’Emilien avait juste vu Zélie passer avec un pot de fleurs sur la tête. Mais vu à quel point son visage se décomposait à cet instant, Zélie ne devait pas avoir de pot de fleurs sur la tête. Et là voix reprit la parole : 

    - Tu vas me répondre Xander ? 

    Elle avait des trémolos dans la voix, mais il l’avait bien reconnue. C’était Charlie. Qu’est-ce qu’elle fichait ici ? Il vit Emilien se redresser et se tenir debout, et Xander fit de même. Il n’osait pas encore se retourner, de peur d’affronter une tornade rousse. Emilien marmonna un “je vais te laisser Xander, on se voit plus tard”, et il passa à côté de lui, pour quitter la pièce et la maison. 

    Xander restait toujours dos à Charlie. Il n’avait pas osé se retourner. S’il ne la voyait pas, elle disparaîtrait peut-être. Mais c’était fort peu probable. Il prit alors une grande inspiration, et il se retourna. 
     

    (79)

     
    Et plus aucun doute, c’était Charlie. Elle avait les yeux rouges et des larmes coulaient le long de ses joues. Elle avait le cœur brisé, ça se voyait. Xander baissa légèrement la tête, une moue désolée sur le visage. 

    - Je veux une réponse Xander. Est-ce que tu m’as quittée pour un homme ? C’est tout ce que je veux savoir. 

    - Non, lui répondit Xander en relevant la tête pour la regarder droit dans les yeux. Je t’ai quittée car nous deux ça ne menait nulle part. 

    Charlie renifla et passa sa main sous ses yeux. Son maquillage fondait sur ses joues, et Xander se sentait gêné devant ce spectacle pitoyable. Il ne supportait pas l’idée de la voir pleurer de la sorte, et il se retenait de faire un pas vers elle pour la consoler.  
     

    (79)


    - Pourquoi es-tu ici ? lui demanda-t-il. 

    - Pour m’excuser de ma réaction quand tu as voulu me plaquer, et essayer de recoller les morceaux. Mais je vois que j’arrive trop tard, finalement t’as viré gay. 

    Xander serra le poing, se retenant de lui faire remarquer qu’on ne “virait” pas gay comme on devenait végétarien. Ce genre de remarque n’allait pas arranger la situation, ou la consoler.  

    - Il s’appelle Kellan, c’est ça ? Rah, putain ce que je suis conne … 

    - Charlie, l’appela Xander en esquissant un pas vers elle. Tu n’es pas conne, c’est moi qui … 

      

    (79)


    - Oui, c’est toi qui ! C’est forcément toi ! Qui d’autre ça pourrait être ? C’est pas moi qui ai viré ma cuti et plaqué mon mec par texto. Qu’est-ce que ce type a de plus que moi ? Ah si, je sais ! Une queue ! CONNARD ! QUEUTARD !! 

    - Charlie, calme-toi ! 

    Son ton était plus sec qu’il ne l’aurait voulu, mais il était hors de question qu’elle se mette à lui parler de la sorte, à l’incendier et à l’insulter à tue-tête dans la maison. Il s’approcha d’elle et lui saisit l’avant-bras pour la faire se taire. 

    - NE ME TOUCHE PAS !  

    Elle lui donna une violente gifle pour le faire reculer. Hors de question qu’elle le laisse la toucher. Il l’écœurait au plus haut point, et rien que de s’imaginer qu’elle ait pu un jour le laisser la toucher lui donnait envie de vomir. Elle ramena ses bras autour d’elle, et recula. 

    - Ne me touche pas, répéta-t-elle. 

    - Très bien, je ne te touche plus, promis. Mais calme-toi, s’il te plaît. J’aimerais t’expliquer … 

    - M’expliquer quoi ? Que c’est ton délire de te prendre des bites dans le cul toute la journée ? Je veux pas savoir, merci ! 

     

    (79)

     

    - Arrête avec ça. C’est de nous deux dont je veux te parler Charlie. Je n’ai jamais voulu te quitter par texto, je voulais te le dire de vive voix, par téléphone. Mais tu m’as coupé l’herbe sous le pied, et comme tu ne répondais pas quand j’essayais de t’appeler, j’ai pris notre rupture comme acquise. 

    - Et tu l’as bien consommée avec “Kellan”, je suis sûre ! 

    - Je t’ai dit que ce n’était pas le sujet. On allait dans un mur, et depuis longtemps Charlie. On n’avait aucun avenir, et tu t’accrochais à moi avec tous tes projets alors que je ne m'y voyais pas. Je te tirais vers le bas. 

    - Ouais, le classique “c’est pas toi, c’est moi”. Tu aurais au moins pu faire plus original, je croyais tu étais créatif. 
     

    (79)


    - Bien sûr que le problème c’était moi : j’aime les mecs bordel, que voulais-tu que je t’apporte !? 

    Il l’avait dit. Pour la première fois depuis qu’il se posait la question, il avait finalement réussi à aligner ces trois mots qui auraient dû peser si lourd dans sa poitrine. Mais ils étaient sortis avec une telle facilité que c’en était déconcertant. Soulageant, certes. Mais totalement déconcertant. 

    Charlie se figea, et le regarda, dégoûtée. Comment avait-elle pu croire vivre quelque chose avec ce type ? Elle se sentait salie, et totalement conne de n’avoir rien vu. Il la dégoûtait, la révulsait. Rien que de se souvenir des moments qu’ils avaient partagés lui fit remonter le cœur dans l’estomac. 

    - Alors, depuis le début t’es homo, finit-elle par dire dans un éclat de rire. J’ai couché avec un putain d’homo, j’ai donné ma première fois à UN PUTAIN D’HOMO ! J’AI PERDU QUATRE ANS DE MA VIE AVEC UN PUTAIN D’HOMO ! 

     

    (79)


    Le cœur de Xander se serra. Voilà la réaction qu’il redoutait. Il pensait pourtant s’y être préparé, mais il n’en était rien. Il encaissait, la toisant et attendit qu’elle se calme. Ça finira bien par arriver. Mais il ne se serait jamais douté d’un tel déversement de rage à son égard, qu’elle puisse à ce point être mauvaise. Mais elle agissait probablement sur le coup de la colère, et il pouvait comprendre. Ce n’est pas comme si elle avait pu faire quoi que ce soit pour sauver son couple, elle l’avait perdu car elle n’était pas ce qu’il recherchait. Et elle ne pouvait rien faire contre ça. 

    - JE TE HAIS ! hurla-t-elle, écumante de rage. Toi et tous les autres décérébrés comme toi ! 

    Elle se retourna alors, et quitta la pièce, au pas de course. Xander lui courut après. Il était hors de question que Charlie reprenne la route dans cet état. Quand il la rattrapa enfin, il lui prit la main pour l’empêcher de faire demi-tour. 

     

    (79)


    - Attends, lui dit-il. Tu ne vas pas rentrer à Albany dans cet état, et je suis sûr que le prochain vol ne sera que demain matin. 

    - J’en ai rien à foutre, je dormirai à l’aéroport. Maintenant, lâche-moi, dit-elle froidement. 

    Xander obéit, à regret. Finalement, cette fois-ci, il pouvait dire que c’était bel et bien fini avec Charlie. Il la regarda entrer dans sa voiture, sans un mot. Et des bribes de souvenirs remontèrent à la surface à cet instant. Les souvenirs heureux, bien sûr. Comme s’il avait besoin de ça à cet instant précis. Comment est-ce que ça se fait que c’est toujours dans ce genre de situation, où on est censé haïr l’autre, que le cerveau décide de se la jouer nostalgique ? Et les souvenirs heureux avec Charlie, il en avait un paquet malgré tout, quand bien même il ne se plaisait pas dans cette relation. Il avait découvert une jeune fille formidable, la tête pleine de rêves et d’envie. Et il avait grandi avec elle, à ses côtés. Il ne serait sûrement pas ce qu’il est sans Charlie. 

     

    (79)

     

    Il baissa la tête quand elle démarra la voiture, et au crissement des pneus sur l’asphalte, des larmes coulèrent indubitablement sur les joues de Xander. Car Charlie avait emporté avec elle une partie de lui-même, qu’il ne reverra jamais : le Xander qu’elle avait forgé, celui débordant d’idées et de rêves.  

    Il n’aurait jamais cru qu’il pleurerait la fin de sa relation avec Charlie. Jamais.