•  

    (105)

     

    - Vous en êtes vraiment rendus là tous les deux ?

    Sienna se laissa tomber sur le canapé, à côté de William. Celui-ci était actuellement concentrée sur la télévision devant lui, une manette de Gamecube dans les mains. William avait retrouvé sa vieille console en débarquant chez Nate, se souvenant qu’il la lui avait confiée quand Harry l’avait fichu dehors il y a vingt-cinq ans.

    - Et tu gagnes au moins ? s’impatienta Sienna.

    - Je me débrouille, dit William très concentré.

    - Il se rétame à chaque fois oui, dit Nate en roulant des yeux. Mais c’est beau d’avoir la foi William, je suis admiratif.

    Il passa la ligne d’arrivée. Avant dernier. Il gronda, et relança la partie.

     

    (105)

     

    Elle jeta un regard autour d’elle. L’ancien appartement de Nate ne payait pas de mine. Il l’avait acheté juste après son accident, avec ce qui lui restait de l’ancien, et il n’avait jamais fait de travaux à l’intérieur, ou d’aménagement particulier. C’était un simple petit deux pièces, sobrement meublé et sans décoration. Un appartement qui se transformait en véritable garçonnière avec ces deux hommes qui vivaient dedans comme des sauvages.

    - Vous comptez vraiment passer votre soirée à jouer à des jeux vidéo ?

    - De quoi tu grognes ? rétorqua William. C’est toi qui nous éclatais tous à Mario quand on avait douze ans.

    Il lâcha finalement la manette avant d’éteindre la console de dépit. Sienna soupira de soulagement. Ils étaient de véritables gamins tous les deux quand ils s’y mettaient.

    - Certes, mais ce n’est pas une raison pour passer la soirée à jouer. Vous faîtes peine à voir.

    - Nous fais pas chier et retourne voir ton mari qui doit déjà bien se faire chier en journée, bougonna Nate. Sérieux, t’as pas ruiné ton mariage, alors profite.

    - Si tu t’intéressais un peu à la vie des autres Nate, tu saurais que Matt est à Burlington pour plusieurs semaines, et donc que je suis toute seule dans ma grande maison, sans mari ni enfant, alors que toi, tu as ta femme, tes filles et un bébé à naître, mais que tu préfères malgré tout rester sur un fauteuil à te gratter les couilles tout en regardant William se faire défoncer à Mario. C’est bon, j’ai bien résumé ?

    Un silence de plomb se posa dans la pièce. Nate avait baissé la tête pour regarder ses genoux, William regardait l’écran noir de la télé et elle pouvait même entendre les mouches voler. Elle se leva alors subitement et se mit en face d’eux.

     

    (105)

     

    - Allez, vous bougez vos culs les gars. Je ne suis pas venue ici pour déprimer.

    - Et tu veux faire quoi ? demanda William, blasé.

    - Boire. A ne plus savoir comment je m’appelle.

    - Sérieusement ? Tu te souviens comment ça s’est fini la dernière fois, soupira Nate en se massant le front.

    Il n’avait clairement pas envie de revivre ça. Sienna bourrée n’était absolument pas sortable, et pouvait faire n’importe quoi, avec n’importe qui. C’est d’ailleurs comme ça qu’elle a eu Matt d’ailleurs : en se bourrant la gueule.

    - Oui, je m’en souviens. Et cette fois, je compte bien profiter de tes roues pour me ramener à la maison.

     

    (105)

     

    William les regarda se chamailler, avec un petit sourire nostalgique. Ce serait la première fois depuis des années qu’ils ne sortaient vraiment que tous les trois, sans aucune obligation qui risquait de couper court à la conversation. Il eut l’impression d’avoir vingt ans à nouveau, des cheveux bleus et des piercings plein le visage. Et surtout, il voyait Andy avec eux, comme autre fois.

    Il s’approcha alors d’eux et passa son bras autour de l’épaule de Sienna. Il regarda son meilleur ami, assis dans son fauteuil, encore réticent à l’idée de sortir pour boire avec ses deux meilleurs amis ce soir.

    - Eh, les gars. J’ai une idée !!


  •  

    (106)

     

    Quelques heures plus tard, au Blast

     

    Les trois amis avaient suivi William dans son idée saugrenue. Ils s’étaient donc retrouvés dans la boîte de nuit de leur adolescence, qui n’avait pas bougé d’un iota, et qui fonctionnait toujours, à leur plus grande surprise. Il s’y était donc dirigés, et avaient posés leurs séants à l’étage, dans un salon clos, laissant les autres se trémousser au rez-de-chaussée.

    Ce n’était pas l’idée barrée de William. Non, celle-ci était en réalité complètement sage. Il avait décidé, sur un coup de tête, de renouer avec une passion d’adolescence : ses cheveux bariolés. Il avait donc trouvé, dans un fond de placard, de quoi transformer sa tignasse et de se colorer les cheveux. En bleu.

     

    (106)

     

    Il était entré, tout fier dans la salle, sous les regards presque gênés de Sienna et Nate, qui avaient rapidement filé pour se trouver un coin à l’abri des regards. Quand William les avait rejoints quelques minutes plus tard, il avait trois bières en main qu’il posa sur une table basse. Et puis, au fil des heures, et les bières aidant, plus personne n’avait fait attention à William et à sa folie capillaire.

    - Tu as revu Julia ? demanda Sienna alors qu’elle reposait sa bière sur la table.

    - Non. Je lui avais proposé qu’on se rejoigne en ville, pour prendre un café, mais elle a annulé au dernier moment. Je crois que ça lui plaît pas mal que je sois plus dans sa vie.

    - Dis pas ça, dit Nate en voulant se montrer rassurant. Vous êtes en break depuis quoi, deux semaines … ?

    - Deux mois, rétorqua William en lançant un regard mauvais à Nate.

    - Ah, ouais ... désolé.

     

    (106)

     

    - Ouais, t’es mal placé pour donner des conseils, reprit le grand brun. Julia et moi, c’est d’un commun accord. J’ai pas abandonné ma femme en cloque par orgueil.

    - Je te permets pas !

    - Et moi je me permets. Je suis ton frère, s’il y a quelqu’un qui doit te le dire, c’est moi. Tu es en train de ruiner ton couple pour ta fierté mal placée !

    - Ma fierté n’est pas mal placée ! gronda Nate en se redressant sur le fauteuil.

    - Ah ouais ? Tu veux vraiment qu’on en parle ? Elle sait Marine que t’as pas la colonne brisée et que tu peux marcher ?

    - TA GUEULE !

    - CA SUFFIT TOUS LES DEUX ! hurla Sienna en se mettant entre les deux duellistes.

     

    (106)

     

    Nate bouillait. Sa tête était entre ses épaules, et Sienna entendait sa respiration sans avoir à se concentrer. William avait son air mauvais, il savait qu’il avait touché la corde sensible, et qu’il avait révélé le plus grand secret de Nate. Une fois que les deux se furent tus, Sienna se tourna vers Nate, le regard lourd de reproches.

    - Tu marches ?

    - Non, répondit Nate sobrement en levant les yeux vers Sienna.

    - Pourquoi William a dit ça ?

    Nate ne dit rien, et Sienna continuait de le fixer. Et c’est William qui poursuivit l’explication. Il en savait assez sur la situation de Nate pour éclairer la lanterne de Sienna vu que celui-ci ne voulait visiblement pas vendre la mèche.

    - Sa colonne n’a pas été brisée durant la chute.

    - William … gronda Nate.

     

    (106)

     

    - Quoi ?! C’est Sienna, c’est bon. Continue si tu ne veux pas que je le dise moi-même.

     Sienna se tourna vers Nate, à la recherche d’une explication. Le chauve soupira, il aurait largement préféré mourir avec son secret.

    - Il a raison. Sérieusement, tu crois vraiment qu’un paraplégique pourrait envoyer ses pieds dans les dents de Will tous les matins ?

    - Ca fait vingt ans que tu nous mens … souffla Sienna.

    Elle avait les larmes aux yeux. Jamais elle n’aurait cru que Nate aurait pu lui mentir sur un sujet aussi grave. Elle se sentait blessée et trahie. Elle avait envie de se barrer en claquant la porte, non sans avoir giflé auparavant.

     

    (106)

     

    - Je ne peux pas marcher Sienna. Et ça c’est vrai. Ma colonne n’a pas été brisée pendant la chute, et avec de la rééducation j’aurais pu marcher. Mais je n’ai jamais pu le faire. Je suis allé voir des tas de médecins, des spécialistes. Et le résultat est unanime : c’est Andy qui m’empêche de marcher. C’est là, conclut-il en pointant son front de l’index.

    Les yeux de Sienna s’emplirent de larmes, mais elle ne gifla pas Nate, quand bien même la tentation pouvait être forte. A la place, elle essaya de se trouver une occupation pour combler le vide. Elle tourna autour d’elle, et son regard s’arrêta sur le karaoké qui se trouvait dans la pièce avec eux.

     

    (106)

     

    - Et tu comptes rester comme ça toute ta vie ? lui demanda Sienna. Rester seul dans ton fauteuil alors que tu peux être debout auprès de ta femme et de tes enfants ?

    - Car tu crois que je vais avoir un accueil chaleureux ?

    - Marine au moins, elle t’attend. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Tu y vas en rampant, la queue entre les jambes et tu lui demandes pardon.

    - Et si ça ne marche pas ? Si elle me jette dehors ? répondit Nate. 

    - Alors tu recommences, répondit Sienna. Vous recommencez, tous les deux. Ça ne sert à rien de pleurer sur votre sort parce que vous avez fait des conneries. Elles vous pardonneront un jour.

    - Et comment tu sais ça toi ? demanda William.

    - Parce que j’ai pardonné à Mathieu.

     

    (106)

     

    Elle ne poursuivit pas plus la discussion, et elle s’approcha du poste. Elle fouilla dans les chansons avant d’en tirer une, qu’ils avaient reprise quand ils étaient ados. William et Nate la regardèrent. Elle avait semblé assez affectée à sa dernière phrase. Matt lui avait fait quelque chose ? Ils se regardèrent. Visiblement aucun des deux ne compris de quoi elle venait de parler. Mais Sienna avait visiblement tourné la page, et plutôt que de la relancer sur la question, d’un commun accord, ils s’approchèrent d’elle. William reconnut le rythme de la chanson que Sienna venait de lance à l’instant, et il s’avança prendre le deuxième micro, laissant Nate en spectateur.

     

    ♪ Awake And Alive - Skillet

     

    (106)

     

    i'm in war with the world and they || Je suis en guerre avec le monde et ils
    try to pull me into the dark || essayent de m’entraîner dans les ténèbres
    i struggle to find my faith || Je lutte pour retrouver confiance
    as i'm slipping from your arms || alors que je glisse hors de tes bras

     

    (It's getting harder to stay awake || (c’est de plus en plus dur de rester éveillé
    and my strenght is fading fast || et mes force s’amenuisent rapidement
    you breathe into me at last) ||tu m’insuffles de l’air finalement)

     

    (106)

     

    I'm awake! I'm alive! || Je suis éveillé ! Je suis en vie !
    now i know what i believe inside || Maintenant je sais en quoi je crois
    now it's my time! || Maintenant c’est mon heure
    i'll do what i want cause this is my life.|| Je ferais ce que je veux car il s’agit de ma vie
    here! (right here!) || Ici (juste ici !)
    right now! (right know!) || Tout de suite et maintenant (tout de suite et maintenant)
    (i stand my ground and never back down) || Je reste ici et je ne m’enfuirais pas
    i know what i believe inside || Je sais en quoi je crois
    I'm awake and i'm alive! || Je suis éveillé et en vie

     

    (106)

     

    i'm in war with the world cause I || Je suis en guerre contre le monde car je
    ain't never gonna sell my soul || ne vendrai jamais vendu mon âme
    i already made up my mind || J’ai déjà fait le tri dans mon esprit
    no matter what i can't be bought or sold ||peu importe ce que je peux acheter ou vendre
     
    (when my faith is getting weak || (Quand ma confiance s’ébranle,
    and i feel like giving in || et que j’ai l’impression d’abandonner
    you breath into me again) || tu m’insulffes de l’air encore)

     

    (106)

     

    I'm awake! I'm alive! || Je suis éveillé ! Je suis en vie !
    now i know what i believe inside || Maintenant je sais en quoi je crois
    now it's my time! || Maintenant c’est mon heure
    'll do what i want cause this is my life.|| Je ferais ce que je veux car il s’agit de ma vie
    here! (right here!) || Ici (juste ici !)
    right now! (right know!) || Tout de suite et maintenant (tout de suite et maintenant)
    (i stand my ground and never back down) || Je reste ici et je ne m’enfuirais pas
    i know what i believe inside || Je sais en quoi je crois
    I'm awake and i'm alive! || Je suis éveillé et en vie
     
    Waking up! Waking up! || Réveille-toi ! Réveille-toi !
    Waking up! Waking up! || Réveille-toi ! Réveille-toi !
    Waking up! Waking up! || Réveille-toi ! Réveille-toi !
    Waking up! Waking up! || Réveille-toi ! Réveille-toi !

     

    (106)

     

    In the dark || Dans la nuit
    i can feel you in my sleep || Je te sens à mes côtés quand je dors
    in your arms i feel you breath into me. ||dans tes bras, je te sens m’insuffler de l’air
    forever hold this heart that i will give to you || Garde à jamais ce coeur que je t’ai offert
    Forever i will live for you! || Je vivrais à jamais pour toi
     
    I'm awake! I'm alive! || Je suis éveillé ! Je suis en vie !
    now i know what i believe inside || Maintenant je sais en quoi je crois
    now it's my time! || Maintenant c’est mon heure
    i'll do what i want cause this is my life.|| Je ferais ce que je veux car il s’agit de ma vie
    here! (right here!) || Ici (juste ici !)
    right now! (right know!) || Tout de suite et maintenant (tout de suite et maintenant)
    (i stand my ground and never back down) || Je reste ici et je ne m’enfuirais pas
    i know what i believe inside || Je sais en quoi je crois
    I'm awake and i'm alive! || Je suis éveillé et en vie

     

    (106)

     

    Waking up! Waking up! || Réveille-toi ! Réveille-toi !
    Waking up! Waking up! || Réveille-toi ! Réveille-toi !
    Waking up! Waking up! || Réveille-toi ! Réveille-toi !
    Waking up! Waking up! || Réveille-toi ! Réveille-toi !

     

     

     


  • (107)

     

    Une dizaine de kilomètres seulement séparait Houlton de Woodstock, petite ville située de l’autre côté de la frontière, au Canada. An connaissait bien la ville, elle y était souvent arrivée par ici avec ses amis ou sa famille. Elle avait donc très bien su à quel endroit de la ville correspondait l’adresse. C’était celle d’un petit bar assez éclectique devant lequel elle était déjà passé, sans jamais y rentrer. Elle s’était donc garée à proximité, et avait fini le reste du trajet à pied.

    La nuit était déjà tombée sur la ville, et An pressa un peu le pas. Elle commençait à avoir froid, avec les jambes dénudées comme ça.

    Elle vit le bar se dessiner un peu plus loin. Quelques personnes y étaient assises, et une autre, se tenait debout, un peu en détachement du bâtiment. Est-ce qu’il s’agissait d’Ewan ? Elle regrettait de ne lui avait jamais demandé de photo, ça lui simplifierait grandement la vie en cet instant.

     

    (107)

     

    Alors à quelques mètres de sa destination, elle sortit son téléphone afin d’appeler Ewan et lui dire qu’elle était arrivée. L’homme en face d’elle sortit à cet instant son téléphone de sa poche, et quelques secondes plus tard, elle entendit pour la première fois la voix d’Ewan.

    - T’es là ? demanda une voix plutôt grave de l’autre côté du fil.

    An rougit aussitôt. Il avait la voix plus mûre qu’elle ne l’avait imaginé. Elle était en train de se dire qu’il devait être bien loin de l’image qu’elle s’était faire de lui. Après tout, elle ne savait rien d’Ewan si ce n’est qu’il était britannique, qu’il aimait les crumpets et la Reine d’Angleterre.

    - Oui, répondit-elle une fois qu’elle eût retrouvé ses esprits.

    - Tu n’aurais pas une robe rouge hyper courte à tout hasard ?

    - Et toi un tee-shirt blanc et … euh, vert ?

    - Bleu, mais tu n’étais pas franchement loin. J’arrive.

    Il raccrocha, et l’homme qu’elle avait repéré quelques minutes plus tôt rangea son téléphone. Il glissa ses mains dans ses poches, et s’avança vers An, d’un pas assuré. La jeune femme se tritura les doigts, à la fois folle d’impatience, et d’appréhension. Et si c’était un vieux croûton de 65 ans ?

     

    (107)

     

    L’homme en face d’elle passa sous la lumière du lampadaire, et elle soupira de soulagement. Il n’avait pas soixante-cinq ans, la voilà rassurée. Mais il était plus âgé. Bien plus âgé qu’elle. Il s’arrêta devant elle, et elle rougit aussitôt.

    - Annie ? demanda-t-il avec un petit sourire.

    - Je m’appelle An. Ewan donc …

     

    (107)

     

    - Philip. Ravi de te voir enfin pour de vrai. Je me doutais que tu devais être belle, mais là, tu es renversante.

    - Merci, dit-elle du bout des lèvres, rougissante. T’es pas mal non plus …

    - Tu me rediras ça quand tu me regarderas vraiment. T’as l’air effrayée, t’inquiète, je ne mords pas. Tu veux aller boire quelque chose ?

    - Euh, oui, bonne idée.

     

    (107)

     

    Philip tourna les talons pour prendre la direction du bar, An à sa suite. Elle ne pouvait s’empêcher de le regarder. Elle s’était attendue à rencontrer un étudiant, comme elle, et non pas un homme qui avait largement dépassé les trente ans. Mais malgré ça, elle ne se sentait pas méfiante vis-à-vis de Philip. Il était certes plus âgé que prévu, cependant An se sentait à l’aise à côté de lui.

    Elle entra dans le bar à sa suite, et elle le suivit à l’étage. Un autre couple était installé. Ils passèrent à côté d’eux, et Philip s’installa sur le canapé libre. La jeune femme fit de même, posant ses mains sur ses genoux, un peu raide.

    - Je suis content que tu aies changé d’avis, j’auras trouvé ça dommage de ne pas te voir alors que j’étais vraiment juste à côté.

    - Oui, moi aussi je suis contente de te voir enfin.

    - Ah oui ? Pas déçue ?

    Il fit signe à un serveur qui passait et il commanda deux bières avant de le laisser disparaitre dans les escaliers.

     

    (107)

     

     

    - Déçue ? Non. Surprise peut-être. Je pensais que tu aurais vingt ou vingt-cinq ans, et pas …

    Elle ne continua pas. Si ça se trouve, elle se faisait des idées, et il avait vraiment le même âge qu’elle environ, et il avait seulement l’air plus âgé que son âge. Philip esquissa un sourire un peu moqueur, attendant la suite, qui ne vint pas.

    - Et pas ? insista-t-il.

    - Tu as quel âge ? demanda An de but en blanc.

    Au moins, comme ça, elle serait fixée.

    - Trente quatre ans. Et toi ?

    - Je viens d’avoir dix-neuf ans, répondit An.

    - Tu viens ? J’ai raté ton anniversaire ?

    - T’es pas le seul. C’était le deux septembre.

    - Joyeux Anniversaire en retard alors. Si j’avais su, je t’aurais apporté un cadeau, ou un gâteau.

    - Ce n’est pas la peine. Même mon co… enfin, bref.

    - Il t’a oublié ? Ton copain …

     

    (107)

     

    Les larmes lui montèrent aux yeux, et elle hocha la tête de haut en bas, lui apportant une réponse positive. Elle n’avait pas vraiment envie de pleurer ce soir, mais c’était plus fort qu’elle. Entre le départ de son père, celui de GK, Emma puis Camille, et Gabe qui ne pouvait pas venir la voir, elle saturait.

    - Désolé, je ne voulais pas te faire pleurer.

    - Ne t’excuse pas. Ce n’est pas à cause de toi que je pleure.

    - Tu veux en parler ? demanda-t-il.

    - Non. C’est bon. Je ne suis pas venue ici pour pleurer, mais pour m’amuser. Donc je laisse Gabe et mes problèmes chez moi.

    Elle s’empara de sa bière qui venait d’arriver et en but une longue gorgée. Philip ne la quittait pas du regard, avec un léger sourire. Il ne savait pas vraiment ce que An avait pu vivre dans sa courte vie, mais il devait avouer qu’il émanait d’elle une aura particulière, une aura de battante.

     

    (107)

     

    - Alors, dis-moi, reprit An quand elle eut reposé sa bière. Si tu as trente-quatre ans, ça veut dire que tu as un boulot, du moins, en âge d’en avoir un, et puis, si tu es capable de venir d’Angleterre pour le Canada, c’est que tu dois avoir des moyens, donc un super bon job. Donc, tu fais quoi ?

    - Je suis prof, dit-il en riant. Et je n’ai jamais dit que je vivais en Angleterre, seulement que j’étais anglais. Je ne gagne pas ma vie si bien que ça.

    - Ah bon ? Et tu habites où alors ?

    - Aux Etats-Unis.

    - C’est grand. T’as pas plus précis ?

    - Burlington, si tu veux que je sois précis.

    - Ah ouais … Mais alors, t’es pas loin de la frontière non plus. Comment tu savais que je n’habitais pas loin de la frontière ? dit-elle en haussant un sourcil.

    - Tu me l’as dit. Quand tu devais partir en excursion au Canada.

    - Ah … boulette que je suis, dit-elle en rougissant. Pardon, je pensais que tu me suivais.

    - Eh non. Même si je pourrais, je dois avouer.

    - Tu pourrais, de quoi ?

    - Te suivre. Tu me plaisais déjà beaucoup par écrit, et je le confirme d’autant plus maintenant que je te vois.

     

    (107)

     

    An piqua un fard monumental. Elle ne s’attendait pas vraiment à une telle déclaration de sa part. Mais contrairement à ce qu’elle aurait pu croire, cela ne la mit pas mal à l’aise. Elle était même flattée. Mais ce n’était vraiment pas une bonne idée. Ce n’est pas parce que Gabe a dû annuler leur rencard, qu’elle devait sauter dans les bras du premier venu. Elle a un peu plus de respect que ça pour Gabe, et pour elle.

    - Ecoute, Philip. Je suis flattée, vraiment. Mais j’ai un petit ami …

    - Oui, peut-être. Mais il n’est pas là aujourd’hui, et clairement, c’est lui qui te fait pleurer.

    - Oui, il n’est pas là, et il m’exaspère vraiment. Mais je suis amoureuse de lui, et je n’ai pas l’intention de lui faire de la peine.

    - Tu ne lui feras de la peine que s’il le sait. Et ce qu’il ignore ne pourra pas le faire souffrir. Donc …

     

    (107)

     

    Il s’approcha d’elle, sans la brusquer. Et elle devait bien avouer qu’elle avait terriblement envie de l’embrasser. Ce n’était pas seulement physique. Après tout, elle ne le connaissait physiquement que depuis quelques heures. Elle ressentait vraiment quelque chose pour lui, mais tant qu’il était loin d’elle, cela n’avait pas vraiment d’importance qu’elle ait des sentiments pour Ewan. Ewan était l’ami d’internet, celui qui vivait loin, en Angleterre, et à qui elle pouvait tout dire.

    Philip était un homme, en chair et en os, juste devant elle, et vers lequel elle était indubitablement attirée. Lui aussi savait tout d’elle, ou presque. Et lui, il était là. Devant elle. Alors que Gabe l’avant abandonnée.

    Et puis, elle ne le reverrait jamais. Burlington c’était un autre état, à des heures de route. Elle ne le reverrait jamais après ce soir. Et ce n’est pas un baiser qui risquait de changer le monde. Philip avait raison. Ce que Gabe ignorait ne lui ferait pas de mal.

    Alors elle s’approcha de lui, et accepta ce baiser qu’il lui proposait.

     

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