• - 193 -

     

    J'ouvris un œil, quelque chose me dérangeait. Un rayon de soleil m'arrivait droit dans le visage, et me brûlait ce dernier. Comme si je n'étais pas assez voyant comme ça avec une telle couleur de cheveux. Je passai mes mains sur ma figure, de peur que celui-ci ne vire rouge tomate sous l'effet de la chaleur.
    _ Il ne faut pas dormir à cette heure-ci en plein soleil, me dit un homme en s'approchant de moi, avec des verres de thé glacé à la main. Tu peux attraper une insolation.
    _ Merci Mehdi, répondis-je en me servant un verre. Il faut croire que ma peau n'est pas aussi endurcie que la sienne.

     

    - 193 -

     

    De ces mots, je pointais un vieillard qui me somnolait sur l'autre chaise de jardin de la terrasse, et bien qu'il soit également en plein soleil, ça n'avait aucune l'air de l'affecter, on pourrait presque croire qu'il est mort tellement il bougeait peu, et le soulèvement caractéristique de ses épaules fourni par la respiration nous rassuraient de son état de santé.
    _ Amir est habitué, cela fait plus de quatre-vingts ans qu'il supporte cette chaleur et ce soleil. Et toi, tu n'es qu'un faible visage pâle, tu ferais mieux d'aller dormir à l'ombre et au frais.
    _ Visage pâle, ris-je.

     

    - 193 -

     

    Ma faible hilarité provoqua une toux que j'eus du mal à contrôler, comme ma respiration du reste depuis quelques semaines. Mehdi attendit que je me reprenne pour reprendre la parole.
    _ Heaven est partie faire des courses avec Aya pendant que tu dormais, me dit-il.
    _ Tu es sûr que c'est bien avisé dans son état ? Questionnai-je.

     

    - 193 -

     

    _ Comme l'a dit le médecin il y a deux jours : elle est enceinte, pas mourante comme certains dans cet appartement, alors ça sert à rien de te faire du souci pour ça. Va plutôt te coucher, elles reviendront dans une vingtaine de minutes.
    _ Ok ok, j'abdique. Je vais à l'ombre, mais pas me coucher. Je veux pas rater le retour d'Heaven, expliquai-je alors en me levant du banc où je m'étais installé.

     

    - 193 -

     

    Mehdi m'aida à me relever, et me retint par le bras, au cas où mes frêles jambes décidèrent de ne plus remplir leur rôle, comme il leur arrivait assez fréquemment en ce moment. Je m'appuyai alors sur le bras bienveillant de l'égyptien, qui me dirigea à l'intérieur de l'appartement, où il m'assit dans le canapé du salon, devant la télé.

     

    - 193 -

     

    _ Je dois aller chercher Inaya et Sohan, me dit-il en me tendant la télécommande. Alors ne bouge pas ton cul de ce fauteuil tant que tu es ici tout seul avec Amir. C'est compris ?
    _ Oui Monsieur le pharmacien. Va chercher ta marmaille, va va … souris-je.
    _ Et ne claque pas en mon absence.
    Sur ces mots, il prit son portefeuille, qu'il enfonça dans la poche arrière de son pantalon, et il sortit de l'appartement, me laissant seul devant la télévision, surveillant par la fenêtre la respiration du patriarche.

     

    - 193 -

     

    Nous sommes désormais au Caire avec Heaven, et ce depuis plusieurs semaines, quand nous avons pu quitter le Japon après mon attaque. L'Égypte était notre dernière étape de notre voyage autour du monde, Heaven avait toujours rêvé de visiter les pyramides, le sphinx, voguer sur le Nil, et crever de chaud dans une fournaise devait arriver juste après dans son top cinq de ce pays. Et elle a pu faire tout ça, bien que sans moi, du moins, je n'ai pas pu l'accompagner partout, toujours resté sur le banc de touche à chaque excursion.

     

    - 193 -

     

    Au Caire, nous sommes logés chez Mehdi et Aya. Pharmacien de profession, avec quelques années de médecine derrière lui également, Mehdi a très vite cerné mon état lors de notre toute première rencontre, alors que j'avais de nouveau fait une attaque en centre ville, près de sa pharmacie. Heaven était allée chercher du secours, et c'est lui qui est venu à mon secours, m'administrant les médicaments dont je n'avais plus le droit de disposer depuis ma défection loin de mon cardiologue. Depuis, il m'administrait un traitement, certes trop faible pour mon état, mais assez fort pour que je tienne sur mes jambes les trois quart du temps, et ainsi, ne pas causer trop de souci à Heaven. Et par la force des choses, obligés de passer à la pharmacie tous les jours récupérer mes cachets, nous en sommes venus à loger chez eux, Mehdi nous ayant jugés d'assez digne confiance pour nous mêler à sa vie familiale.

     

    - 193 -

     

    Mehdi et Aya, la petite quarantaine pour lui, un peu moins pour elle, vivaient dans un appartement relativement raisonnable du centre du Caire, assez du moins pour loger désormais sept personnes : le couple, leur deux enfants, Inaya huit ans, Sohan trois ans, le père de Aya, Amir quatre-vingts ans révolus, Heaven et moi. Bientôt huit personnes, et j'appréhendais d'ailleurs beaucoup la venue au monde du bébé, je l'ai toujours dit après tout, moi et les gosses, une grande histoire d'amour.

     

    - 193 -

     

    Alors voici où nous en sommes avec Heaven, coincés en Égypte, du moins, moi je le suis, et plus passent les jours dans ce pays, cette ville, cet appartement, plus j'ai l'impression que c'est ici que je m'en irais, ici que je fermerai les yeux. Je me sens m'affaiblir de jour en jour, et la peur de l'après m'envahit de plus en plus au fil des jours, en arrivant même à passer mes nuits à regarder le plafond de notre chambre, incapable de trouver le sommeil : trop chaud, trop énervé, trop mal … Parfois, c'est Heaven qui m'empêche de dormir, non pas qu'elle ronfle, mais son avenir m'inquiète. Que fera-t-elle une fois que je serais parti, que je ne serais plus un boulet et qu'elle sera libre de vivre comme elle l'entend ? Que fera-t-elle si je meurs, là, maintenant, en plein cœur de l'Égypte, et qu'elle se retrouve avec tous ces papiers déjà incompréhensibles en anglais à devoir remplir en arabe ? Et ma mort ? Comment la vivra-t-elle ?

     

    - 193 -

     

    D'autre fois, c'est Meredith qui m'empêche de dormir. La photo de mon téléphone, j'ai fini par la faire imprimer, et elle ne me quitte plus, toujours dans la poche de mon jean. Elle est dans un état déplorable, plein de pliures, brûlée par le soleil, par un briquet alors que j'essayais de la rayer de ma vie. Mais je n'arrive pas à me résoudre à l'oublier. N'était-elle pas mon « ange tombé du ciel », qui m'a remis droit sur mes deux pieds ? N'était-elle pas celle qui m'a refais sourire, rire, et même aimer alors que je l'avais oublié ? Alors la nuit, j'attrape cette photo, et je la regarde. Je la regarde. Je la regarde. Je m'imprègne de son sourire, de sa joie de vivre et de sa bonne humeur. Je me rappelle de ces moments qu'on a passé ensemble, tous les moments. De notre première rencontre au pied du métro un matin de cours, à nos multiples engueulades, prises de becs, malentendus. À ces moments de tendresse partagés, à ces étreintes, ces baisers, ces caresses. À nos moments de complicités. À tout ce qui fait de Meredith l'un des êtres les plus importants de ma vie, avec mon frère et Heaven.

     

    - 193 -

     

    Et Raise … Lui aussi m'empêche de dormir. Cela fait plus de deux ans que je n'ai pas eu de nouvelles de lui. Je ne communique plus assez avec Cathe pour qu'elle pense à me parler de mon frère. On parle de tout, de rien, de la gueule affreuse que je dois avoir si je ressemble vraiment plus à un squelette qu'à un Aaron. On essaie de ne pas penser à ma mort imminente, on essaie de se convaincre que la vie est belle, que le monde est meilleur ailleurs, et que de toute façon, demain aussi le soleil brillera, alors pourquoi s'en faire autant pour quelque chose qui n'arrivera peut-être pas maintenant.

     

    - 193 -

     

    Un claquement de porte me sortit de ma torpeur, et je décrochais mon regard de la télévision et de ses programmes en arabe incompréhensible pour le diriger vers l'arche qui faisait communiquer le salon avec l'entrée de l'appartement.
    _ Heaven ? C'est toi ? Questionnai-je.
    _ Oui, oui, c'est nous, me répondit Aya. Merci de te soucier de ma présence aussi, continua-t-elle.
    Elles passèrent toutes les deux dans le salon, et mon regard fut comme bloqué sur le ventre rebondi qui se trouvait juste devant moi, et qui allait bientôt se transformer en bébé braillard, et débordant de vie. Cette vision me chamboulait à chaque fois, et bien que je sache qu'il ne s'agisse là que du ventre d'une femme enceinte, cette vie en puissance me fascinait.

     

    - 193 -

     

    Je stoppai mon admiration béate quand Heaven s'assit à côté de moi sur le canapé, me tirant de mes rêveries. Elle posa ses mains sur mes joues, me regardant dans les yeux, cherchant un quelconque signe de fatigue ou de maladie.
    _ Ca va ? Tu es un peu chaud, s'inquiéta-t-elle.
    _ Ce n'est rien, je m'étais endormi au soleil avec Amir tout à l'heure, j'ai attrapé un coup de chaud. Ne te fais pas de souci pour moi, je me porte comme un charme.
    Je lui souris, et elle me fit sa moue, celle qui voulait dire « Nan mais tu penses sérieusement ce que tu viens de dire là?! » avant de lâcher un profond soupir.

     

    - 193 -

     

    _ Tu vas finir par me tuer à ce rythme là Aaron, tu le sais ça au moins ?
    _ Oui, mais ce n'est pas ton enterrement auquel on doit assister prochainement, mais le mien, donc s'il te plaît, j'aimerais que tu y sois présente, d'accord ?
    _ Oui vil rouquin.
    Elle se pencha vers moi, et m'embrassa sur la joue puis se leva pour rejoindre Aya qui déballait ses affaires dans la cuisine. De là où j'étais, je pouvais entendre les recommandations de ma meilleure amie envers cette femme enceinte, notamment qu'elle devrait faire comme moi : poser son derrière sur le canapé, et ne plus en bouger jusqu'au retour de Mehdi. J'entendis Aya rire puis quelques secondes plus tard, elle vint s'asseoir à côté de moi, sa main caressant son ventre.

     

    - 193 -

     

    _ Alors comme ça, tu as décidé de prendre un bain de soleil sans crème solaire ?
    _ Tu sais, le rouge écrevisse est à la mode chez les Occidentaux, il fallait absolument que je m'y essaie.
    _ Je vois … Il faudra que tu me fasses admirer le résultat de ton bronzage dans sa totalité dès que possible hein . Je ne veux absolument pas louper ça.

     

    - 193 -

     

    Aya avait très vite compris, comme son époux, mon état de santé, ainsi que mes motivations et mes projets pour le « futur ». Cependant, et je l'en remerciais pour ça, elle ne s'inquiétait jamais pour moi, me parlant de la pluie, du beau temps, de mes exploits graphiques et de mes goûts spéciaux en matière de mode occidentale. Je ne sais même pas si elle a déjà tenté d'esquisser un « comment vas-tu ? » à mon égard, diamétralement opposé à son mari ou à ma meilleure amie qui vérifiaient la température de mon front et l'état de mes pupilles toutes les cinq minutes. Aya savait que j'allais « bien », du moins, aussi bien que possible pour cette étape de ma vie, et cela lui suffisait. Alors on passait des heures assis tous les deux dans le canapé à discuter de tout, de rien, comme aujourd'hui.

     

    - 193 -

     

    _ Qu'est-ce que tu entends en disant « dans sa totalité » ? questionnai-je, soupçonneux.
    _ Tu le sais très bien, me dit-elle d'un regard entendu.
    _Si Mehdi savait quelle femme tu es en réalité, il en serait retourné le pauvre.
    _ Mais que vas-tu imaginer toi ? Tu ne crois quand même pas que je cache des choses à mon mari ? S'indigna-t-elle faussement en attrapant la télécommande de la télévision pour zapper sur une chaîne d'information.

     

    - 193 -

     

    Je ne répondis pas, amusé, et portait mon attention sur l'écran où défilaient des informations diverses, locales ou internationales. Nous ne parlions plus depuis quelques minutes quand Heaven passa dans le salon, et m'interpella.
    _ Tu veux sortir un peu Aaron ? Me demanda-t-elle.
    _ Je croyais qu'on attendait Mehdi …
    _ S'il te plait, insista-t-elle.

     

    - 193 -

     

    J'abdiquai alors, me levai lentement et avançai avec quelques difficultés jusqu'à ma meilleure amie qui tendait son bras salvateur vers moi. Je m'y accrochais alors et nous sortîmes de l'appartement, puis de la résidence, à la vitesse de deux mollusques retraités, notamment pour descendre les marches. Une fois à l'extérieur, j'inspirai une grande bouffée d'air frais, et tournai la tête vers Heaven.
    _ Et où va-t-on ? Demandai-je alors que nous continuons notre chemin.

     

    - 193 -

     

    _ Sur le bord du Nil, ça te va comme destination ?
    _ J'adhère, mais je fais pas la course avec les crocos, alors choisi bien !
    Elle rit, me répondit d'un « bien sûr » tout en souriant et héla un taxi qui passait, pour nous conduire auprès de notre destination.


  • - 194 -

     

    Ce petit coin de Nil, nous l'avions trouvé par pur hasard, et nous en sommes littéralement tombés amoureux. Il avait quelque chose d'intemporel, peut-être les vestiges à demi immergés nous aidaient dans cette impression, ainsi que les quelques vendeurs ambulants qui aimaient s'installer au bord de l'eau. Et nous y avions nos habitudes avec Heaven : s'asseoir au bord de l'eau, enlever nos chaussures, adossés à un muret de pierres, pour contempler le fleuve qui s'écoulait devant nous lentement, permettant derrière lui la naissance d'une végétation extraordinaire pour le climat hostile de cette région du monde.

     

    - 194 -

     

    Nous restâmes ainsi silencieux durant de longues minutes, savourant la paix de l'endroit. Mes doigts jouaient dans l'herbe, puis Heaven flancha vers mon épaule, où elle laissa sa tête y reposer, sans le moindre mot, ni même son. Je la regardai alors, quelque peu surpris, et passait ma main dans le bas de son dos.
    _ Ça va Heav' ? Questionnai-je.
    _ Juste un peu fatiguée, mais ça va, me répondit-elle. J'ai reçu une nouvelle lettre de Cathe-Line aujourd'hui, pendant que tu dormais, j'aurais pensé que tu aurais préféré la lire tranquillement sans les cris des gosses et les questions indiscrètes de Aya.

     

    - 194 -

     

    Elle me sourit, et sortit une lettre de sa poche, lettre plutôt épaisse qu'elle me tendit. J'eus alors confirmation de son poids quand je vis le nombre de timbres soigneusement collés dessus, et enfin, quand je la soupesai. Elle pesait une tonne !
    Je remarquai alors qu'elle était ouverte, mais je ne relevai pas. Après tout, le destinataire de cette lettre était « Aaron Hart et Heaven Fewser », elle avait tout autant le droit que moi de lire son contenu. J'entrepris alors de l'ouvrir, attrapai la lettre, et plusieurs autres qui tombèrent sur mes genoux. Surpris, je me penchai pour les ramasser, voir ce que c'était, et Heaven répondit à ma question muette.

     

    - 194 -

     

    _ Cathe a vendu la mèche … souffla-t-elle en encerclant ses jambes de ses bras pour regarder l'eau. Et tout le monde a cherché à t'écrire, même elle …
    Abasourdi, je dépliai les lettres, regardant les entêtes. Raise Hart, Drew Snavel, Geist Taylor – ainsi donc, elle avait épousé son moisi celle-la – Athénaïs Parker, Cory Summers, Enzo Grey … et Meredith Mc Mallers. Mc Mallers. Ce nom après son prénom me faisait mal au cœur, et je préférais froisser la totalité de ces lettres plutôt que de les lire. Heaven me regarda tandis que je me levais pour aller jeter cet amas de papier dans le Nil, qui partit à la dérive vers la Méditerranée.

     

    - 194 -

     

    _ Tu ne les as même pas lues, remarqua-t-elle.
    _ Je ne veux pas lire leurs supplications pour me faire revenir, répondis-je en regardant l'eau. Je ne veux pas y retourner Heaven. Je ne sais pas si j'aurais la force de poursuivre.
    Elle me regarda, interrogative, puis s'installa sur mes genoux, une fois que je me rassis à son côté, me regardant.

     

    - 194 -

     

    _ Qu'est-ce que tu veux dire ?
    _ Que si jamais je lisais ces lettres, dont je connais parfaitement le contenu, je n'aurais jamais le courage d'aller jusqu'au bout de ce périple. Parce que je ne le fais pas pour moi, mais pour vous tous. Et je ne veux pas risquer de flancher et vous gâcher la vie à tous.
    _ Comme si te voir en vie nous gâcherait la nôtre …
    Je haussai les épaules et m'allongeai au sol. Heaven se blottit alors contre mon torse en faisant attention à ne pas trop peser sur ma maigre carcasse.

     

    - 194 -

     

    _ Ils ne te demandaient pas de rentrer Aaron, même pas Meredith, me dit-elle après quelques minutes d'un silence qui me sembla interminable.
    _ Tu as aussi lu leurs lettres ? Tu ne t'es même pas contentée de Cathe.
    _ J'étais curieuse, et puis, la route jusqu'au supermarché était longue.
    _ Même celle de Méré ?
    Je la regardai, curieux à mon tour de sa réaction, non pas du contenu des missives.

     

    - 194 -

     

    _ Oui.
    _ Et ?
    _ Je n'aurais pas du la lire, c'était déplacé de ma part. Mais, je n'avais jamais compris ton affection pour elle, même aujourd'hui encore, alors qu'elle semble être la fille la plus naïve du monde, sans le moindre dessous de jugeote.
    Je grimaçais, n'aimant pas trop sa façon de critiquer Meredith, mais je la laissai poursuivre.
    _ Cette lettre était trop intime pour que je la lise. Ce que j'ai retenu, c'est qu'elle n'a jamais cessé de t'aimer, de t'attendre. Parce qu'elle espère qu'un jour, tu lui reviennes, mais qu'elle souhaitait avant tout ton bonheur. Elle parle des conditions de son mariage aussi, de ce qui l'a poussé à faire ça malgré le fait qu'elle pense encore à toi.

     

    - 194 -

     

    _ Arrête, lui dis-je. Je ne veux pas en savoir plus. Je ne rentrerais pas. Tu peux leur répondre que je n'ai rien lu, qu'ils arrêtent de penser à moi puisque de toute façon, ils n'espèrent que le retour d'un fantôme, qui ne sera même pas le crétin qu'ils connaissaient il y a presque trois ans. Autant tout oublier.
    _ Comme tu voudras.

     

    - 194 -

     

    De nouveau, un silence s'installa entre nous, et Heaven se contenta de rester allongée contre moi, regardant de temps à autre ciel qui était d'un bleu azur. Ma main dans son dos, j'essayais de penser à autre chose qu'à ses lettres qui voguaient désormais plus au Nord encore. Une mélodie nous sortit de nos songes, et Heaven décrocha.
    _ Oui ? Dit-elle en se redressant.

     

    - 194 -

     

    Je fis alors comme elle, essayant de tendre l'oreille pour savoir avec qui elle parlait, même s'il s'agissait de son petit ami, l'Ulyss avec qui elle communique toujours de temps en temps, même si j'ai des doutes quand à la solidité de leur relation.

     

    - 194 -

     

    _ Merde ! On arrive tout de suite ! Clama-t-elle avant de raccrocher.
    _ Quoi quoi quoi ?! Bégayai-je.

     

    - 194 -

     

    _ Aya est sur le point d'accoucher, et impossible aux urgences de se déplacer. Faut qu'on y aille.
    Et merde.


  • - 195 -

     

    Les quelques semaines qui suivirent la naissance de Naël, un magnifique petit garçon, m'empêchèrent de trouver le sommeil. Aya ayant souhaité accoucher à son domicile, avec des urgences qui avaient décrété qu'ils ne se déplaceraient pas alors qu'elle avait la possibilité d'accoucher dans un hôpital, cet appartement s'était transformé en vraie maternité. Heaven avait aidé Aya à mettre son enfant au monde avec l'aide de Mehdi, et s'occupait des soins de l'enfant avec une joie non dissimulé, et même, une vénération presque religieuse pour l'enfant. D'ailleurs, la voir avec Naël dans les bras me faisait sourire, elle avait l'air d'être faite pour le rôle de mère tellement elle y mettait de douceur et de cœur à l'ouvrage.

     

    - 195 -

     

    Ces semaines-ci virent malheureusement un autre événement se produire. Amir était décédé quelques jours après que Naël ne naquit, laissant un espace vide à l'intérieur de ce petit appartement. La présence du vieillard me manquait, nos discussions sur des sujets tord-cerveaux, tels que le sens de la vie, la question d'un au delà … Tant de question philosophiques qui se trouvaient sans réponse mais qui occupèrent mes journées. Son départ me laissa comme un grand vide, et je me trouvais alors tiraillé entre la vie et la mort dans cet appartement.

     

    - 195 -

     

    « C'est le moment de vivre, et le moment de mourir
    C'est le moment de combattre, de combattre, combattre, combattre

     

    - 195 -

     

    La maladie, mon combat.
    On finit par perdre espoir, par lâcher prise.
    J'ai décider de lâcher prise.
    Il ne me reste plus qu'une seule chose à faire. »


  • - 196 -

     

    J'attendais Heaven au pied de la porte de l'immeuble, debout et en forme comme jamais. Oui, en forme, on peut dire que je l'étais ce matin là, et ceci fut possible grâce à l'aide précieuse apportée par mon pharmacien attitré et préféré, que je n'ai plus besoin de vous présenter. Il avait pu se procurer pour moi ce dont j'avais tant besoin en ce moment, notamment pour elle, pour Heaven.

     

    - 196 -

     

    Je m'étais mûrement préparé, depuis le début de cette aventure au bout du monde, cette décision avait été arrêtée dans ma tête, de façon précise, bien que je ne sache pas quand je finirais pas pouvoir l'accomplir. Mais les circonstances aujourd'hui, le souvenir de nos aventures à Paris et de mes attaques en Égypte avait ravivé en moi cette envie, ce besoin, cette dernière volonté, celle qu'on ne pouvait que m'accorder. Et Mehdi m'avait apporté la dernière chose qui me permettra de la réaliser, cette chose qui fait de moi cet homme debout devant vous. Cette petite chose, n'était rien d'autre que de l'adrénaline, assez pour pousser mon corps à être normal, le temps d'une journée

     

    - 196 -

     

    _ Qu'est-ce que tu fais dehors Aaron ? Me demanda Heaven alors qu'elle arrivait de sa promenade avec Inaya. Tu n'es pas censé, je sais pas, rester assis sagement dans un fauteuil, comme tu le fais si souvent.
    _ J'aimerais te parler, seul à seule, et l'appartement n'est pas très secret comme endroit, il y a des oreilles dans tous les coins.
    J'appuyais ma demande d'un sourire rieur, auquel elle y répondit d'un léger rire. Elle acquiesça, me répondit « Eh bien, d'accord », et monta déposer Inaya dans l'appartement avant de descendre quelques minutes plus tard, une expression de curiosité sur le visage, très certainement intriguée par la démarche.

     

    - 196 -

     

    Je tendis alors la main vers elle, main qu'elle considéra quelques instants avant d'enfin oser la prendre et je la tirai avec moi vers le centre ville, pour le reste de la soirée.

     

    *

     

    - 196 -

     

    Nous l'avions passée ensemble cette fin d'après midi, à parler de tout, de rien, à s'empiffrer de sucreries, à bronzer sur la terrasse d'un café, à regarder le monde qui nous entourait, tout simplement. Ça aurait presque pu être ce qu'on appelait un rencard si nous n'avions pas été seulement amis. Et alors que nous rentions, que la nuit tombait doucement sur la ville, je lui pris le bras, à quelques pas de l'immeuble, et l'empêchait d'avancer plus loin. Elle se tourna, me toisa, incompréhensive.

     

    - 196 -

     

    _ Tu te rappelles ce que je t'avais dit à ton anniversaire, ton dernier en Amérique ? Lui demandai-je en jouant avec ses doigts.
    _ Que tu allais mourir et que tu n'aurais pas le temps de manger mes très célèbres et très primés spaghettis bolognaise, expliqua-t-elle en riant.
    _ Et ton cadeau ?
    Elle se concentra quelques instants, prit un air très sérieux, semblant m'imiter et me dit :
    _ « Je t'offre le monde Heaven ».

     

    - 196 -

     

    Je ne pus m'empêcher de rire à son imitation ridicule de ma personne, rire auquel elle se joint sans peine. Je lui pris alors les deux mains, et la regardai droit dans les yeux, lui parlant le plus sincèrement du monde.
    _ « Ce ne sera pas ton dernier cadeau, il y en aura d'autres ... ».
    Elle se calma, continua de me regarder, cherchant où je voulais en venir. Je baissai la tête, fixait mon regard sur nos mains qui jouaient ensemble, disparaissant peu à peu dans la nuit qui tombait. Tout me semblait tellement plus simple dans ma tête.

     

    - 196 -

     

    _ « Toi vivante, tu ne seras plus jamais seule, je te le promets Heaven », lui répétai-je.
    _ C'est … c'était quand j'avais peur de ne plus te revoir, sur le bateau qui nous amenait en Europe.
    Je relevai alors le visage, pour la regarder droit dans les yeux. Je vis à son regard qu'elle semblait comprendre où je voulais en venir, malgré ses doutes qui devaient la submerger. Alors j'inspirai, et éclaircis ses doutes.

     

    - 196 -

     

    _ Il est temps pour moi de tenir ma promesse Heaven. Ton dernier cadeau d'anniversaire, en retard, je veux bien te l'accorder, nous ne sommes pas en janvier après tout. Je veux te donner cette famille que tu n'as jamais eu de ton enfance, je veux te donner cette famille pour qui tu seras la plus importante. Je veux t'offrir cette famille, cet enfant …

     

    - 196 -

     

    Elle se figea, les larmes roulèrent sur ses joues et s'écrasèrent sur ses lèvres. De longues secondes, nous restâmes là, l'un en face de l'autre, sans bouger. Le visage d'Heaven finit totalement recouvert par les flots, je fis alors un pas vers elle, et l'embrassai juste au dessus des lèvres, voulant cueillir ces quelques larmes. Elle ne bougea pas.

     

    - 196 -

     

    Je posai alors mes mains sur ses joues, pour en faire disparaître les larmes qui étaient devenues intruses. Elle ne bougea pas.
    Je fis un pas de plus, la prenant dans mes bras et la serrait contre moi. Elle ne bougea pas.
    Je plantai mon regard dans le sien, voulant capter une réponse, une réaction. Elle ne bougea pas.
    _ Tu as le droit de refuser, de me repousser. Ce cadeau, je veux te l'offrir, je ne veux pas te donner un fardeau supplémentaire.
    Elle esquissa un tremblement, un sanglot avant de fondre en larmes sans bouger de sa place, cachant son visage dans ses mains. je ne sus comment réagir face à cette réaction : joie, peine, incompréhension, panique … Alors, doucement je lui pris les mains, que je posai chacune sur mes hanches, et j'approchai mon visage du sien. Elle continuai de trembler derrière ses larmes et je persévérai dans mon approche.

     

    - 196 -

     

    Mes lèvres à quelques millimètres des siennes, je lui murmurai, le plus tendrement du monde.
    _ Repousse-moi.
    Et sur ces mots, je l'embrassai.


  •  

     

    [A partir de là, je vous laisse le choix de la version de la chanson : l'originale à gauche, le remix de Afro Jack à droite ;) Les paroles sont pareilles, à vous de voir si vous préférez quand ça bouge, ou quand ça bouuuuuuuge !]

     

    ♫ Do Or Die - Thirty Seconds To Mars

    ♫ Do Or Die - Thirty Seconds to mars VS Afrojack

     

    - 197 -

     

    In the middle of the night. / Au milieu de la nuit
    When the angels scream./ Alors que les anges crient

     

    - 197 -

     

    I want to live a life I believe./ Je veux vivre une vie en laquelle je crois
    Time to do or die. / Il est temps d'agir ou de mourir

     

    - 197 -


    I will never forget the moment, the moment. / Je n'oublierais jamais ce moment, ce moment
    I will never forget the moment. / Je n'oublierais jamais ce moment

     

    - 197 -


    And the story goes on! / Et l'histoire continue
    On! / Continue
    On! / Continue
    That's how the story goes. / C'est comme ça qu'elle continue
    That's how the story goes. / C'est comme ça qu'elle continue

     

    - 197 -


    You and I will never die./ Toi et moi ne mourrons jamais
    It's a dark embrace. / C'est une sombre étreinte

     

    - 197 -

     

    In the beginning was a life, a dawning age / Au début était une vie, une ère naissante
    Time to be alive. / Le temps d'être en vie

     

    - 197 -


    I will never forget the moment, the moment. / Je n'oublierais jamais ce moment, ce moment
    I will never forget this night. / Je n'oublierais jamais cette nuit
    We sing, We sing.../ Nous chantons, nous chantons
    Oh!
    Oh!
    Oh!

     

    - 197 -

     

    That's how the story goes / C'est comme ça que l'histoire continue

     

    - 197 -


    Faith is coming, that I know. / La foi arrive, je le sais
    Time is running, got to go. / Le temps file, il faut y aller
    Faith is coming, that I know. / La foi arrive, je le sais
    Let it go. / Laisse la venir
    Here right now / Ici et maintenant

     

    - 197 -

     

    Under the banner of Heaven, we dream out loud / Sous les bannières du Paradis, nous rêvons haut et fort
    Do or die, and the story goes / Agir ou mourir, et l'histoire continue
    On... on... on... / Continue, continue, continue

     

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    And the story goes on... on... / Et l'histoire continue, continue
    This is the story / C'est l'histoire

     

    - 197 -


    Faith is coming, that I know. / La foi arrive, je le sais
    time is running, got to go. / Le temps file, il faut y aller
    Faith is coming, that I know. / La foi arrive, je le sais
    Let it go. / Laissons la venir
    Here right now, / Ici et maintenant

     

    - 197 -

     

    Under the banner of Heaven, we dream out loud / Sous les bannières du Paradis, nous rêvons haut et fort
    Dream out loud! / Rêvons haut et fort
    Faith is coming, that I know. / La foi arrive, je le sais
    Time is running out / Le temps file
    Faith is coming, that I know. / La fois arrive, je le sais
    Let it go... / Laissons là arriver ...