• - 198 -

     

    _ Helloooooo !
    Heaven sautilla sur ses pieds une fois que la porte de la maisonnette New Yorkaise se soit ouverte sur une femme brune que nous connaissions bien, et à qui nous avions promis de revenir. Savannah Envey, la photographe.
    _ Heaven ?! Aaron ?!!

     

    - 198 -

     

    Sans se faire prier plus longtemps, Heaven sauta au cou de Savannah, riant à gorge déployée, bien décidée à ne pas la lâcher avant un bon moment. Elle était clairement heureuse de retrouver cette végétalienne mangeuse d’œufs et adoratrice de son chat, le très célèbre et bien nommé : Casey.
    _ Bonjour, la saluai-je sobrement, mais tout aussi content de la voir.
    _ Mais qu'est-ce que vous fichez ici ? Questionna la New-Yorkaise en se débarrassant de ma meilleure amie.

     

    - 198 -

     

    Heaven recula, s'approcha de moi et me prit la main qu'elle serra fort dans la mienne. Je ne dis rien, préférant laissa Heaven parler au risque de m’essouffler si je parle de trop, et être obligé de me trouver un siège dans la minute.
    _ On rentre chez nous, lui dit Heaven en souriant. Notre avion depuis l’Égypte a atterrit ce matin, et notre train pour Bloomington est demain dans la soirée, donc on a décidé de passer la nuit chez toi, car je sais très bien que tu ne refuseras pas de nous loger.

     

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    _ Et bien, vous êtes presque sans gêne tous les deux, rit-elle. Et si jamais, par le plus grand des hasards, ma chambre d'amis était déjà prise, on fait comment ?
    _ Tu ne vas pas laisser un mourant et une femme enceinte sur le pavé quand même ? Bouda Heaven.

     

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    A cette déclaration, Savannah eu ce qu'on pourrait appeler un « bug informatique », et elle se figea, la bouche bée, ce qui provoqua notre hilarité à tous les deux. Annoncer des surprises à certaines personnes était franchement hilarant.
    _ Comment ça « mourant » et « enceinte » ? s'interloqua-t-elle.
    _ Aaron et moi, on va avoir un bébé, ça, c'était pas compliqué à deviner, mais … il est mourant, alors on rentre chez nous. C'est pour ça qu'il parle peu, rien que ça, ça l'essouffle. Donc, je suis son porte parole.

     

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    _ C'est vrai que tu as bien diminué Aaron, remarqua-t-elle, une pointe de tristesse dans la voix. J'aurais espéré te revoir dans d'autres conditions.
    _ Moi aussi, soufflai-je. Mais je ne pensais jamais revenir te voir tu sais …
    Des larmes perlèrent au coin des yeux de Savannah et elle fit quelques pas pour me prendre dans ses bras, et me serrer le plus forte qu'elle pouvait contre elle.

     

    - 198 -

     

    _ Tu es au courant d'être le plus grand de tous les imbéciles ?
    _ Oui, je sais … Heaven me l'a déjà dit.
    _ Crétin !
    Elle s'accrocha encore plus à moi, cachant son visage dans mon cou. Je posai mes mains dans son dos, le lui frottant du bout des doigts pour essayer de calmer ses sanglots et éviter ainsi qu'elle inonde mon magnifique tee-shirt, j'avais pas envie de refaire une lessive avant de partir.
    _ Savanah, qui est-ce ?

     

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    Je la lâchai alors que j'entendis cette voix d'homme sortir de la maison, ayant un peu peur vu l'intonation qu'elle avait prise, et je pus finalement distinguer le propriétaire de cette voix grave. Brun, cheveux longs, et affreusement baraqué.
    _ Eh mais … tu seras pas le type de la dernière fois, en discothèque ? Celui que Savannah draguait en nous abandonnant à notre triste sort.
    _ Peut-être, dit-il sans visiblement comprendre.

     

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    _ Tu devrais te rappeler de lui, continua-t-elle sur sa lancée en me pointant du doigt. Il t'avait limite agressé parce que tu as eu le malheur d'avoir une parole maladroite.
    _ Ah oui, maintenant que tu le constates. Ravi de vous « revoir », moi c'est Noah …
    _ Mon fiancé ! Sauta aussitôt Savannah sur ses pieds, visiblement heureuse de nous le présenter.
    _ Vous êtes ensemble depuis cette fameuse soirée ? Questionna Heaven, curieuse.
    _ Entrez donc plutôt, nous dit Noah. J'ai cru comprendre qu'on avait pas trop le choix de vous héberger vu vos conditions.

     

    - 198 -

     

    Il se dégagea de la porte, nous laissa entrer avec nos valises et nous finîmes par nous installer tous les quatre dans le salon. Et l'après midi passa donc ainsi, à discuter tous les quatre dans le canapé. A parler de tout, de rien, à rire. De temps en temps, ils s'inquiétaient de mon état de santé, essayant de pas trop déclencher de fou rire pour que je ne fasse pas de crise respiratoire. Nous avons ainsi appris que Savannah et Noah se marierait au printemps prochain, dans un peu moins d'un an donc, et qu'ils comptaient adopter une petite amie pour Casey, parce que depuis que Noah a déménagé chez Savannah, le pauvre se retrouve tout seul et il se met à bouder.

     

    - 198 -

     

    Vers la fin de la soirée, Noah était parti travailler, étant donné qu'il est actuellement videur dans une boite de nuit en attendant mieux, et notamment un travail en journée. Puis se fut au tour d'Heaven d'aller s'éclipser, étant donné qu'elle était fatiguée par le trjat en avion, et que demain n'allait pas nous arranger. Elle m'embrassa alors sur la tempe pour aller rejoindre la chambre d'amis où Savannah nous avait à nouveau logés. Il ne restait plus que nous deux dans ce salon, et la discussion s'était vite tarie.

     

    - 198 -

     

    _ Savannah ? Hélai-je.
    _ Oui ?
    _ J'aimerais te demander un service, tu serais partante ?
    _ Toujours ! Sauf si c'est un truc du genre « Je suis tellement faible que je peux plus me doucher tout seul », ou autre truc du même parfum. Ça c'est non.
    Je ne pus qu'esquisser un léger rire face à sa réaction, ce qui la fit sourire également.
    _ Non non, je ne te demande pas ça, je me débrouille encore tu sais … Je voudrais que tu me prennes en photo en fait.

     

    - 198 -

     

    _ En photo ? Genre un portrait ?
    _ Oui, mais je ne veux pas que Heaven soit au courant, elle n'approuverait pas.
    _ Si ce n'est pas trop indiscret, je peux savoir tes motivations ?
    Je baissai la tête, je savais que j'avais un sourire niais à ce moment et je préférais le masquer. Pas besoin de me rendre encore plus ridicule que je ne l'étais.

     

    - 198 -

     

    _ Pour le bébé. Je mourrai bien avant qu'il ne naisse, mais j'aimerais qu'il sache qui j'étais. Voilà, tu peux te moquer de moi maintenant.
    _ Pourquoi je me moquerai, je trouve ça beau au contraire. Tu veux t'impliquer dans la vie de cet enfant, même si tu as conscience de jamais le connaître, je trouve ça tout sauf matière à rire.
    _ Merci, soufflai-je.
    _ Allez, lève toi Monsieur Papa, on passe à côté.

     

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    Elle se leva, tendit le bras vers moi et je m'emparai de sa main, et tout deux nous entrâmes dans le studio photo. Durant de longues minutes, nous cherchions une façon de faire une belle photo tout en faisant attention à ce que je paraisse pas trop mourant ni même malade sur ce cliché.
    _ Je ferais très certainement des retouches pour cacher ton visage bien creusé et tes horribles cernes.
    _ Oui madame.
    Elle m'installa, et je me retrouvai alors accroché à une bibliothèque, me permettant de me tenir au meuble, sans pour autant que l'on se rende compte que c'était l'utilité première de cet élément de décoration. Je ne bougeai plus, regardai vers l'objectif, bien que me vision se troublait par la fatigue.

     

    - 198 -

     

    _ Et sinon, par curiosité, tu as des idées de prénoms ? Me demanda-t-elle en bidouillant son objectif.
    _ Oui, mais pour une fille seulement …
    _ Oh, et j'ai le droit de savoir ?
    Je m'arrêtai un instant, un léger sourire s'afficha sur mes livres et regardai l'objectif, heureux.

     

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    _ Mélie.
    *CLAC*

     

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  • ♫ Nickelback - I'd come for you

     

    - 199 -

     

    Just one more moment, that's all that's needed // Juste un moment de plus, c'est tout ce dont j'ai besoin
    Like wounded soldiers in need of healing // Comme des soldats vaincus qui ont besoin de soins

     

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    Time to be honest, // Il est temps d'être honnête
    this time I'm pleading, // C'est le temps de plaider
    please don't dwell on it // Ne t'épanches pas dessus
    cause I didn't mean it. // Car je ne le pensais pas

     

    - 199 -


    I can't believe I said I'd lay our love on the ground, // Je ne peux pas croire que j'ai laissé notre amour au sol
    but it doesn't matter cause I made it up, // Mais ce n'est pas grave car je l'ai reparé
    forgive me now. // Pardonne moi maintenant

     

    - 199 -

     

    Everyday I spent away my soul's inside out, // Chaque jour que je passe au loin, mon esprit est sans dessus-dessous
    Gotta be someway that I can make it up to you now,// Il doit bien y avoir un moyen pour te le faire savoir
    somehow. // d'une certaine manière

     

    - 199 -

     

    By now you know that // Pour que tu saches maintenant

     

    - 199 -


    I'd come for you, // Je viendrais pour toi
    no one but you. // Personne, sauf toi
    Yes I'd come for you, // Oui je viendrais pour moi
    but only if you told me to.// Mais seulement si tu me le demandes

     

    - 199 -


    And I'd fight for you, // Et je me battrais pour toi
    I'd lie, it's true, // Je mentirais, c'est vrai
    give my life for you, // Donner ma vie pour toi
    you know I'll always come for you. // Tu sais que je reviendrai toujours vers toi

     

    - 199 -

     

    I was blindfolded, // J'étais aveugle
    but now I'm seeing.  // Mais maintenant je vois
    My mind was closing, // Mone sprit était fermé,
    now I'm believing. // Maintenant je crois

     

    - 199 -

     


    I finally know just what it means to let someone in, // Je sais finalement ce que signifie abandonner quelqu'un
    just see the side of me that no one does or ever will. // Vois juste la partie de moi que personne n'a vu ou ne verra jamais

     

    - 199 -

     

    So if you ever lost and find yourself all alone // Donc si tu es toujours perdu et que tu retrouves toute seule
    I'd search forever just to bring you home here and now, // Je chercherais à jamais à te ramener à la maison, ici et maintenant
    this I vow.// Je te le promets

     

    - 199 -


    By now you know that // Pour que tu saches maintenant

     

    - 199 -

     

    I'd come for you, // Je viendrais pour toi
    no one but you. // Personne, sauf toi
    Yes I'd come for you, // Oui je viendrais pour moi
    but only if you told me to.// Mais seulement si tu me le demandes

     

    - 199 -

     

    And I'd fight for you, // Et je me battrais pour toi
    I'd lie, it's true, // Je mentirais, c'est vrai
    give my life for you, // Donner ma vie pour toi
    you know I'll always come for you. // Tu sais que je reviendrai toujours vers toi
    you know I'll always come for you. // Tu sais que je reviendrai toujours vers toi.

     

    - 199 -


    No matter what gets in my way, // Peu importe ce qui mettra sur mon chemin
    as long as there's still life in me, // Aussi longtemps qu'il y aura de la vie en moi
    no matter what, remember, // Peu importe, souviens-toi

     

    - 199 -


    you know I'll always come for you. // Tu sais que je viendrai toujours pour toi

     

    - 199 -


    Yes I'd come for you, // Oui je viendrais pour toi
    no one but you, // Seulement pour toi

     

    - 199 -


    yes I'd come for you, // Oui je viendrais pour toi
    but only if you told me to. // Mais seulement si tu me le demandes

     

    - 199 -


    And I'd fight for you, // Et je me battrais pour toi
    I'd lie, it's true, // Je mentirais, c'est vrai
    give my life for you, // Donner ma vie pour toi
    you know I'll always come for you. // Tu sais que je reviendrai toujours vers toi

     

    - 199 -


    No matter what gets in my way, // Peu importe ce qui mettra sur mon chemin
    as long as there's still life in me, // Aussi longtemps qu'il y aura de la vie en moi
    no matter what, remember, // Peu importe, souviens-toi
    you know I'll always come for you. // Tu sais que je reviendrai toujours vers toi

     

    - 199 -


    I could cross this world for you, // Je pourrais traverser ce monde pour toi
    do anything you want me to, // Faire tout ce que voudras de moi
    no matter what, remember, // Peu importe, souviens-toi

     

    - 199 -


    you know I'll always come for you. // Tu sais que je reviendrai toujours vers toi
    you know I'll always come for you. // Tu sais que je reviendrai toujours vers toi 

     

    - 199 -


  • - 200 -

     

    Parce que la vie n'est pas toujours aussi aisée qu'on le croit, on finit par sortir les armes pour se battre, les boucliers pour se défendre, et on garde nos pieds pour avancer. La tête toujours haute, droit devant, on essaie d'oublier nos erreurs pour continuer à avancer, on regarde autour de nous, on voit les personnes qui partagent notre vie, et on avance. A moins, que l'on décide d'ancrer nos pieds dans le sol, pour ne plus bouger, et les regarder avancer, sans nous, vers ce qui nous semble quelque chose de mieux.

    Mes pieds se sont enlisés d'eux même alors que je me battais pour avancer, alors que de toute mes forces, j'essayais de rejoindre ce groupe qui ne cessait de poursuivre leur chemin sans m'attendre. Alors j'y suis resté, pour les empêcher de se retourner, pour les empêcher de venir me sortir de mes sables mouvants. Et je les ai regardé avancer, droit devant eux, vers ce qu'on appelle l'Avenir.

    Cet avenir dont je ne voulais plus faire partie, parce que je savais que ma place n'était pas là bas, mais ici, enlisé, à profiter de ce qui était autour de moi. Ancré dans le présent, à vouloir le prolonger plus longtemps possible pour ne pas devoir mettre un seul pied dans l'avenir.
    Ainsi donc je n'ai plus bougé, et c'est comme cela que je suis aujourd'hui. Ancré dans un présent si ténu que dès que l'un d'entre eux posera sur moi un regard différent de celui qu'on porte à un frère, à un ami, à un amant, je deviendrais le passé.


  • ♫ Now We Are Free- Lisa Gerrard

     

    - 201 -

     

    Le cimetière était calme ce matin là. Aucun son ne brisait le silence religieux de leur dernier hommage envers moi. L'eau tombait doucement sur les parapluies des personnes amassées autour de la fosse ouverte où se trouvait un cercueil sobre, fait de bois rouge, aux reflets cuivrés. L'officiant n'était plus ici, et avait laissé le soin de me recouvrir à l'assemblée maintenant clairsemée. Une dizaine de personnes, maintenues en silence par la solennité que représentait ce geste. Celui de faire de moi quelque chose du passé.

     

    - 201 -

     

    Ma meilleure amie s'avança. Elle était vêtue d'un manteau noir, serré à la taille. Ses longs cheveux bruns étaient rassemblés à l'arrière de sa tête, et sa forte dose de maquillage laissait entrapercevoir des yeux rougis, marqués par la fatigue. Serrant une main sur la ceinture de son manteau, elle s'avança et se pencha au dessus du tas de terre formé à ses pieds. Tendant la main, elle en prit une poignée, et étira son bras au dessus de la fosse, son poing refermé sur la terre. Son regard resta fixé sur le cercueil en contrebas. Elle tremblait, et son bras tendu ne l'aidait pas à masquer sa tristesse, sa frayeur.

     

    - 201 -


    _ Tu me manqueras, finit-elle par souffler. J'espère que tu seras heureux là où tu es.
    Et elle ouvrit la main. La terre tomba en pluie sur le cercueil, et recouvrit la croix qui se trouvait au niveau de la tête. Ce léger bruit parut durer une éternité à l'ensemble du groupe, et notamment à Heaven. Sa main tachée de terre humide, elle la porta à son ventre, resserrant ses doigts sur le tissu de son manteau. Et elle tourna les talons, pour permettre aux autres de répéter ce même geste, avec pour certains, un commentaire sur ce qu'ils souhaitaient désormais. D'autres se contentaient du silence, comme si il n'y avait rien de plus naturel et de plus simple pour exprimer leur volonté.

     

    - 201 -


    Une brunette aux cheveux ondulés s'approcha à son tour, juste devant mon meilleur ami d'enfance. Comme les autres avant elle, elle se pencha, prit une poignée de terre, qu'elle serra aussi fort qu'elle put dans sa paume. Ses yeux sombres s'embuèrent, et Meredith releva la tête vers le ciel, ne voulant pas s'adresser au cercueil, mais à quelque chose de plus lointain. Ses lèves frémirent, une larme perça le barrage de ses paupières et alla s'écraser sur son poing ramené contre son cœur.
    _ Je te le promets, murmura-t-elle avant de lâcher la terre en pluie dans la fosse, sans regarder son geste.

     

    - 201 -


    Elle se contenta de fermer les yeux, son visage toujours dirigé vers le ciel. La pluie caressait son visage, se mêlant à ses larmes de telle sorte que l'on ne savait plus si elle pleurait, ou si cela était juste dû à la météo. Après de longs instants, elle baissa la tête, et alla rejoindre le groupe un peu plus loin, laissant à Drew la possibilité de s'avancer.

     

    - 201 -


    Le blonds aux yeux violets était guindé dans un costume strict, un peu froid. Derrière ses lunettes, un liseré sombre se dessinait sous ses yeux. Il avait dû ne pas dormir depuis des jours, et des fins rubans rouges se dessinaient dans le blanc de ses yeux. Étant le dernier de notre groupe, il prit la pelle adossée à un arbre tout proche, et se posta droit devant la tombe, appuyé sur l'outil. Son regard s'était éteint, et il fermait les yeux. Il resta ainsi silencieux durant de longues minutes, seul face à moi. Puis ses lèvres s'ouvrirent, suivies de ses yeux.

     

    - 201 -


    _ Je sais que ça n'aurait pas dû être moi le dernier à te parler ce matin. Raise aurait du se tenir là, devant toi, cette pelle à la main, et parler. Alors je suis allé le voir hier, et il m'a demandé de le faire pour lui.
    Il s'arrêta, une boule se forma dans sa gorge et il déglutit avec difficulté. Fébrilement, il posa sa main sur la poche de sa veste, et y introduit deux doigts pour en sortir une enveloppe sur laquelle était écrite mon prénom, avec l'écriture maladroite et brouillon qui caractérisait mon frère. Et il la jeta sur la terre.
    Avec l'aide de la pelle, il recouvrit totalement le cercueil, geste après geste, mesurés, calculés. Après de longues minutes, le monticule de terre avait disparu, et à la place du caveau se dressait désormais une bande de terre, légèrement plus bombée que la surface du sol.
    _ Tu as ma parole Aaron, je veillerai sur elles.

     

    - 201 -


    Il retira ses lunettes et s'essuya les yeux d'un revers de manche. Ses larmes taries et balayées, il prit la pelle, et rejoignit le groupe vêtu de noir qui l'attendait. Une fois réunis, ils sortirent tous ensemble du cimetière, en silence, à part l'enfant qui les accompagnait, Priam. Le brunet se rapprocha de Meredith, qu'il connaissait bien, se souvenant d'elle malgré tout et lui empoigna son pantalon.
    _ On le reverra Aaron un jour ?

     

    - 201 -


    La jeune femme s'accroupit pour être à la hauteur de l'enfant. Elle posa sa main sur sa joue, lui balayant quelques mèches folles qui s'y promenaient, et elle lui sourit.
    _ Bien sûr. Ce n'est qu'un au revoir Priam, on le reverra très bientôt.

     

    - 201 -

     

    - 201 -


  • - 202 -

     

    Un grand soleil brillait aujourd'hui, le chant des oiseaux accompagnait ma marche silencieuse en dehors du cimetière, qui se trouvait sur mon chemin entre la maison, et l'appartement où résidaient Meredith et Emilien. Ce dernier m'avait fait passer l'invitation de sa mère il y a quelques jours en milieu d'un cours de maths. Et depuis, il se sentait gêné en me regardant, je savais bien ce qu'il se passait, parce que tout comme moi, il avait compris ses origines. Il ne me regardait plus comme une camarade de classe, mais comme une sœur. Et comment n'avais-je pas pu m'en rendre compte plus tôt ? Quelque chose dans son regard m'avait toujours semblé familier, mais je n'avais jamais réussi à mettre le doigt dessus. Tout simplement parce que ce n'était pas juste « quelque chose », mais c'était lui en entier. Ses yeux, son nez, sa bouche, son visage, ses cheveux … Tout cela n'était que le reflet de la personne que nous avions en commun, et dont je n'avais hérité que de la couleur de ses iris.

     

    - 202 -

     

    J'avais enfoncé mes mains dans mes poches juste après avoir déposé une fleur sur la tombe de mon père, et j'avançais silencieusement vers leur appartement. J'avais hâte, terriblement hâte. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, car la fin de la vie de mon père, elle se dessinait juste devant moi. C'était Meredith qui détenait la dernière pièce du puzzle. C'est elle qui a vécu avec lui ses derniers jours. C'est elle qu'il a finalement choisi, ce qui fut pour moi une aussi grande surprise que quelque chose de tout à fait normal. Je ne pouvais arriver qu'à cette conclusion : il l'aimait, et il n'a jamais cessé.

     

    - 202 -


    Mes jambes me portèrent finalement à l'appartement, où je vis Emilien, qui m'attendait à l'extérieur. Ses cheveux qu'il laissait pousser depuis plusieurs mois lui balayaient le visage de façon presque artistique, cachant ses prunelles sombres et son sourire rieur. Il tendit la main vers moi, fit un mouvement du poignet pour attirer mon regard et m'inviter à entrer dans le jardin. Je m'exécutai sans peine, et le rejoignit.

     

    - 202 -

     

    _ J'avais peur que tu ne viennes pas, m'expliqua-t-il en souriant. Je sais que ma mère peut avoir des aspects effrayants.
    _ Tu n'avais aucune raison de t'inquiéter, je n'aurais loupé cela pour rien au monde.
    Je le gratifiai d'un sourire, auquel il me répondit doucement. Il esquissa un mouvement vers la porte fenêtre quand je me penchai pour lui attraper le poignet, voulant le retenir encore un peu avec moi.
    _ Un problème ? S'enquit-il.

     

    - 202 -


    _ J'aimerais te poser une question, lui dis-je en gardant ma main sur son poignet.
    _ Je t'en prie.
    _ Tu m'as dit que tu avais retrouvé ton père, n'est-ce pas. Je pourrais connaître son nom ?
    Il sourit, un peu moqueur. Il avait changé. Il n'était plus ce garçon effacé que j'ai connu, il était sorti de sa coquille, comme un papillon de sa chrysalide, et il me permettait de voir toutes les couleurs de son sourire. Il avait finit par grandir, par mûrir, et surtout par se définir.

     

    - 202 -

     

    _ Il me semble qu'on a le même … sœurette.
    Son sourire gagna mes lèvres, qui s'étirèrent à leur tour. J'avais une envie folle de me caler dans le creux de son épaule, de fermer les yeux et de ne plus bouger, blottie contre mon frère, le sosie de mon père. Cependant, je n'arrivais pas à bouger, abasourdie par une vérité que je tenais comme acquise depuis plusieurs semaines.

     

    - 202 -

     


    La porte vitré coulissa, et Meredith sortit de chez elle, tout sourire. Coincée dans une tenue assez « punkette », des rangers, un pantalon vieilli et un tee-shirt coloré, elle s'approcha de moi et me prit la main dans les deux siennes.
    _ Je vois que tu as trouvé la maison, je t'en prie, entre, ce serait bête de te laisser dans le jardin.
    Elle accompagna son geste d'un sourire chaleureux, et je la suivis dans l'appartement, accompagnée d'Emilien, et nous nous installâmes tous les trois dans le salon. La cuisine respirait l'odeur de cuisson, de lessive, et peut-être, un peu de poussière. Une odeur qui nous fait sentir chez nous. Je m'enfonçais dans les coussins du canapé, et posait mes yeux un peu partout sur le décor. Je n'ai jamais vu l'appartement de mon père du temps où il y vivait, même en photo.

     

    - 202 -


    Tout ce que je sais, c'est par les descriptions de ma mère : c'était un appartement très coloré, mais à la fois très sobre. Une grande pièce unique, la chambre séparée du reste par un paravent en fer, des meubles cosy, de larges baies vitrées qui laissaient passer la lumière à l'intérieur. Ce que je voyais devant moi ressemblait fortement à ce qu'elle m'avait décrit, bien que je me doute que la décoration avait changé au fil des ans, parce qu'elle avait mûri, elle s'était retrouvée d'abord seule, avait déménagé avec son mari, et avait eu un fils. Toutes autant de preuves que le temps est passé dans cet appartement, et qu'il n'a jamais pu rester figé.
    _ Veux-tu quelque chose à boire ?

     

    - 202 -


    Meredith me sortit de mes pensées, et je lui répondais par la négative d'un simple hochement de tête, avant de retourner à ma contemplation, mais cette fois-ci, mon regard resta fixé sur le visage de Meredith. C'est la deuxième fois que je la voyais, mais c'est comme si je la redécouvrais. Son visage rond, presque enfantin. Ses yeux sombres rieurs, d'un bleu envoûtant, la petite ride qui formait une parenthèse sur sa joue quand elle riait, ses cheveux ondulés qui lui chatouillaient le cou, sa posture, droite, soulignant sa place dans la société, et le contraste de sa tenue inappropriée pour sa condition, selon les critères de normes établies.

     

    - 202 -


    _ Je suppose que tu as de nombreuses questions, me dit-elle. Mais je souhaite te prévenir que tu n'es pas la seule.
    Elle dirigea son regard aimant vers son fils, qui guettait les réactions de sa mère, à l’affût de chaque parole comme s'il était perdu dans le désert et regardait un oasis se dessiner au loin, ne sachant pas si cela révélait du miracle, ou si cela était bien réel.
    _ Je ne sais même pas par où commencer, rit-elle. Ce fut tellement rapide et lent à la fois.