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    Camille avait l’impression de passer un entretien d’embauche. Du moins, d’attendre le résultat d’un entretien d’embauche. Le jeune homme faisait les cents pas dans sa chambre, attendant le verdict. Son père était rentré la veille au soir de son séjour à Burlington, et presque aussitôt, Sienna lui avait sauté dessus pour discuter du cas Camille. Et ce dernier n’en menait pas large. Tout le temps de l’absence de son père, il n’avait pas senti le moindre indice concernant le choix de sa mère : elle aurait carrément pu lui dire oui ou non, elle aurait tiré la même tête.

    Et ce matin, le grand conseil de la maison n’avait pas encore délibéré. Il se serait presque cru à l’élection du pape, à attendre qu’une fumée blanche veuille bien daigner s’élever depuis cette foutue cheminée !

    - Raaaah ! Ils me soûlent, bougonna-t-il. Et l’autre-là qui ne répond pas !

    L’autre étant Cameron. Camille lui avait envoyé un message il y a presque une heure, et il n’avait pas reçu de réponse. Mais ce con avait quand même eu l’amabilité de lire son message, en témoigne la petite coche bleue en bas de son message. Il l’ignorait royalement. Et ça l’énervait d’autant plus.

     

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    Il se laissa tomber devant son PC, trainant sur internet, à la recherche d’une manière de s’occuper comme une autre. De toute façon, hormis attendre le jugement dernier, il ne lui restait plus beaucoup de possibilités.

    Et là, il vit le petit pop-up en bas à droite de son écran lui indiquer que Cameron venait de se connecter. Il était temps bordel ! Il mis la vidéo qu’il regardait en pause et ouvrit le logiciel de discussion qu’il utilisait avec Cameron pour aller engueuler ce connard de venteur !

    - Ah te voilà enfin, toujours en train de t’attendre ! écrivit-il assez rapidement.

    La réponse de Cameron ne se fit pas attendre. Il vit très rapidement les trois petits points s’affoler sous son pseudo, très vite suivis par une réponse fort peu avenante. Non, mais il a ses règles ou quoi le moche ?

    - La ferme, je suis encore libre de faire ce que je veux, t’es pas ma mère à ce que je sache ?

    - ‘Tin t’es vraiment désagréable en ce moment, t’as tes règles ou quoi le moche ?

     

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    Au moins, il avait fini par lui lancer le fond de sa pensée. Cameron était toujours un peu brute dans sa manière de parler, parfois piquant mais jamais foncièrement désagréable. Il était son pote après tout, il acceptait assez bien les vannes et les remarques bien senties, mais ça restait toujours dit sur un fond d’humour, ce qui n’avait clairement pas l’air d’être le cas actuellement.

    Et d’un coup, son écran afficha un appel vidéo. Il écarquilla les yeux un instant. Il se passait quoi là ? Jamais Cameron ne lançait d’appel de lui-même, et il n’avait clairement pas l’air dans le mood pour mater Camille. D’un autre côté, il n’y avait pas grand-chose à mater si ce n’est un stressé, assis seul dans sa chambre. Croyant à une erreur, il ne répondit pas tout de suite, et l’appel persista. Camille finit par accepter, et entendit la voix de Cameron par-dessus un écran parfaitement noir, mais qui affichait un petit sablier de chargement. Il avait mis sa caméra ?!

    - Dis moi Camille … commença la voix grave et posée de son interlocuteur. Ca fait combien de temps que tu ne m’as pas vu ?

     

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    Le brunet n’eut pas le temps de répondre que la vidéo finit enfin de se charger, et venait de lui afficher sous les yeux un magnifique torse halé, dessiné et tatoué. Il déglutit avec peine, ne s’attendant clairement pas à ça. C’était Cameron ça ? Il toussa et essaya de reprendre contenance.

    - Putain t’as fait de la muscu’ ? Impressionnant, c’est fou comme ça doit pas aller avec ta tronche mon gars ! lâcha finalement Camille avec son humour habituel.

    Il était totalement subjugué par ce qu’il avait devant les yeux. Non seulement le torse devant lui était clairement à son goût, mais le fait de savoir qu’il risquait de le côtoyer de plus prêt dans les semaines à venir lui donna automatiquement des idées peu catholiques. Encore fallait-il que la tête ait suivi les mêmes transformations. Bon, d’un autre côté, il pouvait toujours lui mettre une cagoule, non ?

    - Tu veux me voir, ou rien que de t’imaginer ma vue te donne envie de vomir ?

    A croire que Cameron l’avait percé à jour, et Camille esquissa un petit sourire. Il lisait dans ses pensées visiblement. Puis l’écran se fit tout noir, Cameron avait posé sa main contre la caméra.

     

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    - Je t’avoue avoir un peu peur de débander après ça, mais montre toujours hein. Ça doit être mieux qu’une douche froide.

    Il entendit Cameron rire, et ce son lui donna froid dans le dos. Il a même cru entendre un court instant le même rire que dans un film d’horreur. Et bien qu’il aimait assez le genre, ce genre de rire suivait souvent une infirmière folle les mains pleines d’aiguilles, et là clairement, il ne fallait pas abuser. Il attendit alors patiemment, les yeux rivés sur son écran, pour voir ce que Cameron allait bien lui révéler. Si ça se trouve, il s’était totalement enlaidit !

     

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    Et là, devant ses yeux apparut un magnifique jeune homme avec un sourire en coin, amusé. Camille ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux en grand face à cette apparition, et secoua la tête de droite à gauche devant cette apparition. C’était Cameron, sérieusement ? C’était le moche ça ?!

    - Ne te retiens pas pour moi surtout hein, lui dit Cameron en prenant ses aises contre son siège. Après tout, je t’ai déjà vu te branler devant moi.

    Camille esquissa un petit rire. Visiblement, il n’avait pas juste pris de la gueule au sens propre, mais également au figuré. Il avait une telle assurance dans sa façon de se tenir ou de parler que Camille ne savait plus comment se tenir sur sa chaise.

    - C’est … impressionnant, balbutia-t-il, le regard toujours fixé sur son écran et sur les traits parfaits de l’homme en face de lui. Tu es … mais t’as fait de la chirurgie ou quoi mec ?

    - J’ai fait tout ce que toi tu n’as pas fait et dont tu aurais pourtant besoin … crevette.

    Aouch. Camille n’était clairement pas fan de ce surnom à double sens que lui donnait ses proches, dont Cameron. Effectivement, Camille était plutôt fluet et ne prenait pas très bien sa situation, selon la personne – ou le mec plutôt – qu’il avait en face de lui. Quant à la deuxième interprétation, ça collait plutôt bien à son caractère. Après tout, c’est bien connu. Les crevettes n’ont rien dans la tête, et tout dans la queue.

     

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    - Oui, et après ? Tu vas te mettre à poil et me faire un petit show ? Après tout, moi quand Cloud est là, je me gêne pas pour partager.

    Il tentait. Après tout, s’il ne demandait pas, il ne risquait pas d’en voir plus. Mais il se doutait que Cameron serait plus difficile que ça à convaincre. Et si jamais il acceptait, l’Appolon devant ses yeux baisserait largement dans son estime.

    - J’ai pas besoin de ça pour te faire baver, ça se voit dans tes yeux.

    - Ça va tes chevilles, bougonna Camille.

    Il était devenu arrogant et sûr de lui, ce qui décevait Camille. D’habitude, ils parlaient plus franchement entre eux, sans tabou ou sans rabaisser l’autre. Mais cette fois-ci, c’était différent. Il avait l’impression que Cameron voulait faire mal, et il n’était pas très fan.

    - T’as cru que voir un téton me suffisait pour bander comme un taureau ? Allez, ne sois pas timide, montre-moi la marchandise.

    - Non, pas tout de suite, faut le mériter tu sais … et pour l’instant, t’es pas prêt.

     

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    - Prêt ? J’en ai vu bien plus que tu en verras dans toute ta vie, couillon !

    Son égo était vexé. Il osait faire son grand homme maintenant parce qu’il s’était greffé une belle gueule ? Il n’aurait jamais cru ça possible venant de sa part, et il allait en désillusion.

    - C’est bizarre, mais j’ai la légère impression que tu as perdu toute assurance depuis que tu m’as vu… Tu t’y attendais tellement pas … Aurais-je réussi à couper le sifflet au grand Camille Phillips ?

    - Crève, rétorqua Camille, acerbe.

    Si c’était à un concours de bites qu’il voulait participer, Camille n’allait clairement pas participer à son petit jeu. C’était trop facile, et surtout pas dans ses habitudes. Et puis, de toute manière, Cameron perdrait.

    - T’as perdu ta langue ? demanda Cameron, toujours aussi mesquin.

    Camille tendit l’oreille. Il entendit sa mère l’appeler au rez-de-chaussée. Ça tombait plutôt bien, il n’avait plus très envie de poursuivre cette conversation avec ce bellâtre. Mais il avait quand même furieusement envie d’aller le voir en vrai, de le toucher et surtout de lui foutre du gravier au cul – entre autres choses qui l’intéressaient plus – pour lui faire comprendre qu’il avait intérêt à se calmer fissa.

     

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    - Non. J’me disais juste que … t’étais plus le Cameron que j’ai rencontré. T’as changé physiquement, certes, c’est super … Mais t’es aussi devenu un gros connard.

    Et il mit fin à la conversation, non sans avoir manqué un dernier sourire carnassier sur le visage de son ami. Il se releva alors et éteignit son ordinateur, pour descendre au rez-de-chaussée. Le voilà passé de stressé à bougon en l’espace d’un petit quart d’heure de discussion. Et c’est donc dans cet état mental qu’il arriva dans le salon, où il retrouva ses parents, déjà assis sur le canapé. Son père l’invita à les rejoindre, ce qu’il fit presque immédiatement.

    - Vous avez pris votre décision ? demanda-t-il en posant ses fesses sur le canapé rouge de la pièce.

     

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    Il ramena ses jambes contre lui, comme pour se protéger devant ce verdict. Il s’attendait clairement à tout, même à cet instant, ces parents étaient parfaitement insondables.

    - Oui, débuta Mathieu. Nous sommes d’accord pour que tu ailles étudier à l’étranger, en France, comme tu nous l’avais demandé.

    Le visage de Camille s’illumina subitement et il sentit son cœur partir en embardée. Il avait réussi à les convaincre, et il allait en France pour retrouver son meilleur ami et rencontrer enfin Cameron. Et avec ce qu’il venait de voir, il était encore plus emballé à l’idée de partir. Pour le caractère de Cameron, il lui mettra un bâillon et ça devrait le faire. Après tout, rien ne l’empêche d’appliquer la parité sur le très célèbre « sois belle et tais-toi » qu’on inculquait encore aux jeunes filles.

     

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    - Mais … débuta Sienna.

    Son cœur rata un battement. Evidemment, ce serait bien trop facile s’il n’y avait pas eu de « mais ». Il connaissait sa mère sur le bout des doigts et elle ne le laisserait jamais partir sans poser ses conditions. Mais s’il n’y avait que ça pour qu’il puisse partir, il accepterait d’office.

    - Je pose deux conditions. Tour d’abord, tu rentres aux vacances scolaires. Ensuite, si tu reviens avec des notes inférieures à la moyenne, tu es rapatrié d’office à la maison. Je te laisse le premier trimestre pour t’habituer à la langue. Mais passé le 1er janvier, toute note en dessous de 10 est éliminatoire.

    Camille acquiesça en silence, et leva les yeux vers son père. Son expression était neutre, signe qu’il était d’accord avec les conditions posées par sa mère. D’un autre côté, il aurait pu s’en tirer avec bien pire. Il a trois mois pour faire ses preuves, et rentrer pour les vacances ce n’était pas la mer à boire non plus.

    - Ca marche, dit-il très sérieusement. J’accepte vos conditions.

    - Ce n’est pas comme si tu avais le choix, lui dit Mathieu avec un petit sourire amusé. Ta mère a fait partir ton dossier d’inscription en urgence pendant mon absence et on a eu la réponse officielle ce matin du lycée que tu visais : ton inscription est prise en compte. Tu es attendu pour la rentrée.

     

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    Le jeune homme écarquilla les yeux, encore plus stupéfait. Il n’aurait jamais cru que sa mère envoie le dossier dans son dos, encore moins qu’il se fasse accepter aussi facilement. D’un autre côté, avec les lettres de motivation écrites par An, il avait clairement mis toutes les chances de son côté.

    - Ils te laissent cependant quinze jours de délai pour faire tes cartons, chercher un logement et prendre tes billets d’avion. Tu es donc attendu au plus tard le dix-sept septembre dans ton nouveau lycée.

    Camille se leva alors et sauta directement dans le canapé en face de lui pour enlacer ses parents. Il jubilait, littéralement. Il les serra alors contre lui, heureux comme un roi. La réaction de sa mère le surprit, c’était évident, mais son père ? Exactement là où il l’avait attendu : après tout, s’il y avait bien quelqu’un pour céder au moindre de ses caprices, c’était bien lui.

     

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    Pour lire la scène originale, du point de vue Cameron, ça se passe par ici - You're The One ♥


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    - C’était le dernier carton.

    Kellan le posa à côté des autres et se laissa tomber dans le canapé du salon, tout en soufflant, tel un ballon de baudruche se vidant de son air. Il avait les jambes étendues devant lui, sa tête balancée en arrière du canapé et il fixait le plafond. Il n’aurait jamais imaginé que trois paires de chaussettes et deux tee-shirts pouvaient peser aussi lourd. Il allait vraiment falloir que Xander apprenne à évaluer les poids et les quantités, car là il n’y était pas du tout.

    Et en parlant du loup, le voici qui arrivait avec une bière décapsulée dans chaque main. Il les posa sur la table basse devant Kellan, et après lui avoir donné un gentil coup de pied dans le mollet pour lui faire ranger ses jambes, il se laissa tomber à côté de lui, dans à peu près le même état d’harassement.

    - Aux dernières nouvelles Xan’, trois chaussettes et deux tee-shirts ça passe dans une valise cabine. Et vu l’état de mon dos, je peux t’assurer que j’ai déménagé bien plus que ce qui était prévu.

     

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    Xander tourna la tête vers Kellan, la mine boudeuse. C’était une expression : il n’avait jamais eu l’intention de n’apporter que trois morceaux de vêtements ici, ce serait plutôt difficile de tenir avec si peu. Petit point qu’il devait noter au sujet de Kellan : celui-ci prenait visiblement tout au pied de la lettre.

    - Tu pensais vraiment que je n’aurais que trois fringues à déménager ? lui demanda Xander, affichant toujours la lippe.

    - Oui. C’est ce que tu m’avais dit.

    Le blond leva les yeux vers Xander sans bouger pour autant de sa position de profonde lassitude. Il étira simplement ses jambes devant lui, reprenant sa posture initiale d’avant l’arrivée de Xander. Ce dernier leva les yeux au ciel face à la réaction de son petit ami et il attrapa la bière devant lui avant de boire une longue gorgée désaltérante.

     

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    Initialement, c’était ses parents et Emilien qui auraient dû l’aider à s’installer. C’est ce qui était prévu depuis de nombreuses semaines, et tout le monde était préparé à cette idée. Cependant, depuis qu’il était avec Kellan, il s’était dit que c’était probablement l’occasion de passer un peu de temps seulement tous les deux. D’ici la rentrée en septembre, il ne leur restait que quelques semaines puis chacun allait reprendre sa vie à des kilomètres loin de l’autre. Alors si leur histoire se transformait en amour de vacances, il se disait qu’ils en auraient au moins profité au maximum.

    D’un autre côté, il était quasi persuadé que Kellan, bien qu’enthousiaste au départ, avait désormais une furieuse envie de le tuer, ou de l’éviscérer, suite au calvaire qu’il avait dû subir. C’est vrai qu’avec une ou deux paires de bras en plus, le déménagement aurait été bien plus facilité.

    - Désolé, dit alors Xander en se tournant vers Kellan après avoir posé sa bouteille sur la table.

    - De ?

    Le blond se redressa pour regarder Xander. Il haussa un sourcil, se demanda bien ce que celui-ci allait encore lui inventer.

    - De n’avoir demandé qu’à toi pour le déménagement. Ça aurait été plus facile si ma famille m’avait aidé comme prévu.

    - Certes, ça aurait été plus facile. Je suis d’accord sur ce point, mais t’as pas à t’excuser, parce que s’ils avaient été là, je n’aurais jamais pu faire ça.

     

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    Aussitôt, il s’approcha de Xander et l’embrassa. Ce dernier sourit et posa sa main contre la nuque de Kellan, glissant ses doigts dans les cheveux à la base de sa nuque. Il sentit d’ailleurs le sourire de Kellan contre ses lèvres, et pour l’empêcher de rire il entrouvrit la bouche comme une invitation à se taire et à s’appliquer. Ce qu’il fit, au plus grand plaisir de Xander.

    - Bon, ok, t’as raison, dit finalement Xander une fois qu’il se fut détaché des lèvres de Kellan.

    - Quoi ? Tu ne vas pas me dire que tu n’y avais pas pensé ?

    - Hein ? De quoi ?

    - Tu ne m’as quand même pas demandé de venir porter tes cartons parce que je suis plus musclé que ton meilleur pote et que tu avais peur qu’il se pète le dos ?

    - Ah ! Non. C’est parce que je voulais passer du temps avec toi.

    - Alors pourquoi tu t’excuses ? Je suis content de passer du temps avec toi. J’en ai peut-être plein le dos, mais rien qu’une douche chaude ne soit capable de réparer, donc t’as pas à t’excuser.

     

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    Il releva alors un peu la tête et embrassa Xander sur le front. Ce dernier rougit légèrement, peu habitué à ces marques d’affection gratuites. Kellan recula ensuite, s’étira et récupéra la bouteille de bière que Xander lui avait ramené. D’abord une bière, et la douche ensuite.

    Le téléphone de Xander sautilla dans sa poche, et il s’en empara pour regarder la notification qu’il venait de recevoir. Il ne dit rien, lisant avec un calme olympien le message qu’on venait de lui envoyer, puis il verrouilla son téléphone avant de le poser sur la table basse.

    Kellan n’avait pas raté une miette de ce qu’il venait de se passer, regardant du coin de l’œil Xander lire son message et se figer. Ce n’était peut-être pas visible au premier coup d’œil, mais il l’avait vu faire cette tête assez régulièrement ces derniers jours pour réaliser que ces notifications le contrariaient. Et le téléphone de Xander recevait beaucoup de notifications.

     

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    - Tu ne veux toujours pas me dire ce qui te tracasse ? demanda Kellan en buvant une gorgée de bière.

    - Y’a rien. Tout va bien, lui répondit le brunet, les yeux un peu ailleurs.

    - Je t’ai dit que ça ne servait à rien de me mentir. Ton visage est un vrai livre ouvert, et tu es contrarié à chaque fois que tu regardes ton téléphone. Il se passe quelque chose.

    - Mais non. C’est juste de la pub.

    Kellan reposa la bouteille sur la table basse et se tourna vers Xander, le visage fermé et le regard décidé. Il se redressa alors, et passa une jambe de chaque côté des cuisses de Xander, pour l’empêcher d’esquiver et parce qu’il était absolument décidé à obtenir une réponse.

    - Hé ! Je peux savoir ce que tu fais ?

    - J’attends des réponses, lui dit Kellan très simplement. Pourquoi tu ne veux pas me dire que ça ne va pas ? Tu sais bien que je ne vais pas te juger, au contraire.

    - Je sais, souffla Xander en baissant la tête. C’est juste que je veux arrêter d’y penser …

    Il se pencha vers Kellan et posa son front contre son torse, sans rien ajouter de plus. Interloqué, Kellan passa une main dans les cheveux de Xander. Il était clair qu’il se passait quelque chose de grave, et Kellan commençait à s’inquiéter, et à craindre le pire.

     

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    - Bae ? Dis-moi ce qui ne va pas.

    Xander eut un petit sourire. Ce n’était pas la première fois que Kellan l’appelait comme ça. Ce n’était pas fréquent non plus, mais Kellan le lui avait déjà dit, notamment quand il s’inquiétait pour lui. Xander n’était pourtant pas très fan de ce genre d’appellation mielleuse. Il avait tendance à trouver ça ridicule, notamment quand il entendait des couples s’appeler par ce genre de petits noms en public. Mais Kellan ne l’appelait ainsi que quand ils étaient tous les deux, et quand il tentait de le rassurer. Et dans ce contexte, ça ne le gênait pas, au contraire. Ça avait même plutôt le don d’être efficace.

    - T’es vil, tu utilises les mots magiques.

    - J’utilise ce qui marche. Alors ?

    - Charlie est revenue.

    Kellan écarquilla les yeux. Il ne s’était pas attendu à ça. Aux dernières nouvelles, Charlie avait plaqué Xander par texto avant même que celui-ci ne prenne le temps de s’expliquer avec elle, ce qui avait grandement contrarié le brunet. Et puis, Charlie vivait à Albany, dans l’état de New-York, ce qui n’était clairement pas la porte à côté de Bloomington : elle avait fait un voyage de monstre avant d’arriver à destination.

    Voyant que la conversation allait prendre un tour plus sérieux, Kellan se releva des jambes de Xander pour s’asseoir devant lui, sur la table basse, une main posée sur son genou. Xander posa une main contre son front, et lâcha un profond soupir.

     

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    - Quand Emilien est venu m’aider à faire mes cartons, il a deviné, pour toi et moi. Enfin, il a deviné que j’avais quelqu’un surtout, et j’ai fini par céder en disant que c’était toi. Il a été super compréhensif, pas choqué …

    - Normal, lui dit Kellan dans un sourire. C’est ton meilleur ami, c’est le plus à même de t’accepter, non ?

    - Peut-être. Enfin, toujours est-il que Charlie est arrivée à ce moment-là.

    Xander lui raconta, avec le plus détachement possible, la conversation plutôt houleuse qu’il avait échangé avec son ex petite-amie. Il essayait d’en parler comme si tout ceci ne l’avait pas affecté, et à chaque insulte qu’il répétait, Kellan sentait une forme de colère s’emparer de lui. Il était pourtant confronté à ce genre de remarque constamment, il savait que la connerie existait partout, mais il en restait bouche bée à chaque fois.

     

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    - C’est elle qui t’envoie des messages ? demanda Kellan une fois que Xander eut terminé son récit.

    - Non. Ses amis. Ils m’insultent. Ils prennent la défense de Charlie, je comprends, je …

    - Non. Tu ne comprends rien du tout, car il n’y a rien à comprendre Xander. Tu n’as pas à te faire insulter de la sorte car tu as plaqué ta meuf. Tu as le droit de la plaquer, tu ne l’as pas trompée, ni battue, ni quoi que ce soit d’autre. Tu as juste décidé qu’entre vous c’était fini.

    - Je l’ai quittée pour toi, pour un mec, reprit Xander. C’est normal qu’elle soit en colère.

    - Xander, elle n’est pas en colère là. Elle est haineuse. A part te pourrir la vie, elle et ses amis ne font rien. Aujourd’hui, ce sont des messages que tu peux ignorer, mais demain ? Ils pourrissent tes réseaux sociaux ? Te clouent au pilori et te descendent en flèche sur internet ? Viennent te casser les dents ? Et tout ça parce que tu es gay. Alors, je te le répète, ce n’est pas de la colère. C’est de la haine.

    - C’est sympa tout ça. Mais moi, je fais quoi ?

    - D’abord, tu ne gardes pas ça pour toi. Tu m’en parles, ou à Emilien vu qu’il sait déjà. Et si elle se lasse, tant mieux. Si ça prend des proportions démesurées, on va faire quelque chose pour les calmer.

    - Comme si ça allait les arrêter, marmonna Xander.

    - Je me permets de te rappeler que contrairement à ce que tu penses, être bi ne me rend pas la vie plus facile. Les remarques homophobes, j’en connais un rayon. Et autant te dire que se faire appeler « salope », « putain » ou « chien en rut », ça permet d’en voir un peu plus sur la nature humaine.

    - Que … ? Toi ? s’étonna Xander.

     

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    Il ne s’était pas attendu à ce que Kellan soit victime de ce genre d’insultes. Après tout, il s’était dit, naïvement, qu’aimer autant les hommes que les femmes devait lui rendre la vie plus facile.

    - Il y a les filles qui sont comme Charlie, me traitent de « salope » ou du classique « PD » quand je leur dis que je suis bi, ou alors les mecs qui disent que je suis un homo refoulé ou la putain à je ne sais pas trop qui ou quoi. Certains sont très imaginatifs. Et puis, il y a les autres. Selon eux, je vois le monde comme un baisodrome géant et je souhaite donc forniquer avec la terre entière.

    - Et … tu fais quoi quand ils te disent ça ?

    - Je leur réponds qu’ils se rassurent car je ne suis pas spécialement attiré par les cons.

    Le brunet esquissa un sourire, imaginant plutôt bien la scène. Soit ses interlocuteurs devaient se ratatiner sur place de honte, soit l’insulter encore plus fort de s’être faits traiter de cons.

    - Alors, tu vois, je ne les laisserai pas faire. Mais ne garde pas ça pour toi, ok ?

     

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    Xander acquiesça timidement. Il se demandait bien ce que Kellan pourrait bien faire de tout ça. Après tout, il ne risquait pas de débarquer chez Charlie, tel le dernier cavalier de l’apocalypse, pour l’engueuler de tout son soûl et lui dire d’arrêter de maltraiter son mec. Ce serait absolument la honte assurée. Il n’avait pas besoin qu’on le protège, il ne voulait pas passer pour le petit homo frêle qui regarde son copain casser la gueule des désaxés qui leur souhaiteraient du mal. Hors de question de devenir un cliché.

    - On peut changer de sujet, s’il te plaît ?

    Kellan acquiesça et lâcha les mains de Xander. Ce dernier le remercia brièvement puis se releva pour prendre la direction de la cuisine afin d’y déposer les bouteilles vides dans l’évier. Kellan le suivit presque aussitôt et enlaça Xander de dos alors que celui-ci était encore debout devant l’évier. Xander ferma les yeux, posa ses mains sur les avants bras de Kellan.

     

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    - Tu veux aller faire un tour en ville ? Il y a un parc à côté, de l’air frais nous fera du bien.

    - Ça marche.

    Kellan recula d’un pas pour laisser à Xander la possibilité de faire demi-tour. Celui-ci se tourna effectivement vers le blond mais ne lui adressa ni un sourire, ni un geste affectueux quelconque. Il avait l’impression de tout faire de travers avec Kellan, et ne savait plus comment prendre les choses avec lui après leur conversation. Mais il avait raison, de l’air leur ferait le plus grand bien.

    Et pour la suite ? Il verra ça plus tard. Il trouvera bien un moyen de réduire la distance qui venait de s’installer, d’une façon ou d’une autre.

     

     


  • (87)

     

    - Cela fera vingt-cinq euro s’il vous plaît.

    Il entendit le tiroir-caisse s’ouvrir dans un « ding » bien distinct, puis s’arrêter à la butée dans un bruit métallique avant que l’imprimante n’entame son ronronnement. Elle déchira le ticket, le mit dans le sac – la poche, pardon Waly ♥ – et le tendit au client. Ce dernier la remercia, et elle le congédia d’un sourire et d’un « au revoir » chaleureux et tout commercial. La porte se referma derrière lui, et ils étaient de nouveaux seuls dans le magasin. Il soupira, et repartit à son rayonnage.

    Le magasin de disques n’était pas très fréquenté. Il faut dire qu’avec l’avènement du numérique quelques années plus tôt, peu de gens achetaient encore des CDs ou des supports musicaux physiques de toute sorte. A l’exception des vinyles. C’est ce qu’ils vendaient le plus ici, et les CDs qui partaient le mieux s’avéraient être des collectors qui pouvaient couter assez cher si on s’y connaissait.

    Georg se baissa de nouveau vers sa caisse et rajouta quelques vinyles dans le bac en face de lui, quand sa collègue apparut dans son champ de vision. Il se redressa, et lui sourit aussitôt.

     

    (87)

     

    Il s’entendait super bien avec Méandre. Le feeling était passé plutôt rapidement avec la jeune femme, et ils avaient eu pas mal l’occasion de discuter. En même temps, ce n’était pas avec l’affluence au magasin qu’ils allaient se retrouver déborder.

    - Tu as passé un bon week-end au fait ? demanda Méandre en aidant GK à faire le réassort des rayons.

    - Oui, pas trop mal, dit-il en cherchant encore un peu ses mots en français.

    Il était parfaitement bilingue en compréhension orale et écrite, mais butait encore à l’oral, cherchant ses mots, le vocabulaire ne lui venant pas d’instinct. Mais pour le moment, Méandre n’avait pas encore écarquillé les yeux de surprise : il n’avait pas encore dû sortir d’aberrations.

    - On est allés dans le gouffre de Padirac, dit-il avec un sourire. C’était super beau !

    - On ? Ah ! Avec la fille rousse de l’autre fois, c’est ça ? C’est ta copine, non ?

    Elle le regarda avec un petit sourire en coin. Elle n’était pas dupe non plus. L’américaine avait beau avoir présenté Georg comme son ami, elle avait bien remarqué qu’il y avait plus que ça entre eux, d’ailleurs, elle l’avait entendu grogner quand elle était allée chercher le formulaire de demande d’emploi.

     

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    - Ouais, elle s’appelle Emma. On a grandi ensemble, on vient de la même ville.

    - Elle n’avait pas l’air du même avis, continua-t-elle distraitement. Enfin, elle n’a pas dit que tu étais son mec, juste son « ami ». Clairement, tu t’es fait friendzoné par ta meuf, plutôt dur.

    - Oui, je sais. Elle va partir faire son tour du monde pendant un an et moi je vais rester là. On va casser, alors elle … comment on dit déjà ? Ah, j’ai perdu mes mots … Tu sais, quand on fait une chose avant de la faire.

    - Elle anticipe ? essaya Méandre en se tournant vers lui, main sur les hanches.

    - Ouais, c’est ça ! Mais elle est ennuyante à faire ça.

    Il haussa les épaules et termina de ranger le contenu de sa caisse sans dire un mot de plus. Méandre ne répondit pas non plus, attirée par la suite vers l’accueil par sa sonnerie de téléphone. GK releva la tête et la suivit du regard, la regardant à travers le rayonnage. C’est vrai qu’elle était « choue », comme l’avait qualifiée Emma. En tout cas, il la trouvait jolie et s’entendait bien avec elle. Il surprit le fil de sa pensée et secoua la tête de droite à gauche. Non mais quelle mouche le piquait ?! Il était encore avec Emma et il regardait déjà ailleurs. Il se pinça l’avant-bras, essayant de se faire revenir à la raison. Ce n’était pas le moment de faire le con.

     

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    Il se baissa pour récupérer sa caisse et rejoignit Méandre au comptoir. Elle était toujours au téléphone. Il posa la caisse vide, et entreprit de ranger le panneau à prospectus qui se trouvait derrière l’accueil. Il y avait dessus une montagne de petites annonces et d’affichettes, certains datant du siècle dernier. Il n’écoutait pas spécialement la conversation de Méandre, mais à une si courte distance, il ne pouvait pas vraiment l’ignorer.

    - Oui et bien je ne sais pas moi, va les chercher à l’école ? Non, moi je ne peux pas, je t’ai dit que je faisais la fermeture ce soir. Ecoute Sam, je ne te demande jamais rien et je ne peux pas gérer les jumeaux H24 toute seule. Ouais, on en parle au dîner, mais n’espère pas t’en tirer. Oui, moi aussi je t’aime.

    Elle raccrocha son téléphone et lâcha un profond soupir. Visiblement, elle avait quelques problèmes de couple elle aussi. Au moins, il se sentait un peu moins seul. Et il fut assez surpris de ressentir de la déception quand il comprit que sa jolie collègue était non seulement en couple, mais avait également des enfants. Il allait pouvoir dire à Emma que ce n’était plus la peine d’essayer de le caser avec Méandre.

    - Ah non, enlève pas celle-là !

     

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    La phrase de Méandre le sortit de ses songes. Il avait posé la main sur l’affichette d’un concert. Quand il cligna des yeux, il reconnut ladite affiche : c’était celle pour la battle entre groupes locaux qui devaient se tenir d’ici quelques semaines. Son exemplaire était d’ailleurs chez lui, accroché à son frigo. Il n’avait vraiment pas envie de rater la première.

    - Ah, oups. Désolé, je rêvais.

    - Pas grave, le rassura-t-elle dans un sourire.

    Elle rajouta une punaise sur l’affiche pour l’empêcher de voler au vent, et reprit ses activités autour du comptoir. Georg garda le regard figé sur l’affiche. Elle devait avoir déjà assisté à une de ces battles. Après tout, elle était du coin et aimait la musique. Il aurait bien aimé glaner plus d’information.

    - Tu y es déjà allée ? demanda-t-il alors à Méandre en lui montrant l’affiche.

    - Hein, où ça ?

    Elle releva la tête et suivit le doigt de Georg. Aux battles ? Il déconnait ? Elle était pourtant présente en gros sur l’affiche, et il ne l’avait pas reconnue. Il lui manquait vraiment une case à cet américain.

     

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    - Tu parles des concerts. Oui, j’y suis déjà allée. Pourquoi ? Tu veux participer ? Ou juste y assister ? demanda-t-elle, comme si de rien n’était.

    - Y assister déjà, mais j’ai raté l’occasion d’acheter ma place au dernier concert avant l’été. Je me disais que tu saurais peut-être où je pouvais acheter des billets pour le concert d’ouverture.

    - Ici normalement. Mais on a déjà vendu toutes les places, ça part toujours à une vitesse folle. Mais il doit rester des places pour la première battle, c’est le quinze septembre. T’en veux ?

    - Oui ! dit-il aussitôt.

    Puis il réalisa qu’il s’était peut-être un peu trop emballé. Il rougit presque aussitôt, et se frotta la nuque, gêné. Puis il essaya de reprendre contenance, et de ne pas avoir l’air trop ridicule devant Méandre, mais apparemment, c’était raté : elle souriait.

    - Une place ? demanda-t-elle en se mettant derrière la caisse.

    - Deux s’il te plaît.

     

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    Il arriverait peut-être à convaincre Emma de rester jusque-là. Après tout, le monde continuait toujours de tourner, et elle n’était sûrement pas à quelques semaines près non plus. Et dans le pire des cas, il pouvait toujours inviter sa collègue si Emma venait à ne plus être sur place. Ce deuxième billet serait forcément rentabilisé. Et que diable qu’elle ait déjà un mec. Il pouvait l’inviter en simple amie, non ? Après tout, ils s’entendaient bien.

    - Ça te fera quarante euro s’il te plaît.

    Georg fouilla dans ses poches et sortit deux billets de vingt euro qu’il lui tendit aussitôt, et il récupéra son bien. Il avait enfin réussi à trouver des places pour ces concerts, et il avait assez hâte de voir ce que tout ça pouvait bien donner.

    - Tu crois que les Alive! risquent de perdre leur place ? demanda Georg en rangeant les billets dans sa poche. J’ai lu une interview sur internet, le groupe a l’air confiant mais il paraît qu’il y a de bons groupes en ville. C’est assez hallucinant d’ailleurs.

     

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    - Certains se défendent plutôt pas mal, lui dit Méandre en croisant les bras. Un en particulier, qui est assez hargneux. Ça promet de belles soirées.

    - C’est la première année qu’il y a des battles ? Tu en as déjà vu ?

    - Non, c’est pas la première année. Mais c’est la première année que c’est ouvert à tout le monde. Avant, ce n’était que des groupes, dans le même univers musical. Maintenant, c’est ouvert à tous, même à un type qui veut chanter tout seul sur une guitare acoustique. Mais celui-là aura aucune chance de remporter la salle à l’applaudimètre, ajouta-t-elle dans une œillade.

    - C’est moi que tu vises ? dit-il à moitié amusé.

    - Peut-être. Tu as une guitare acoustique ?

    - Ça se peut. Mais je note l’info : participer seul c’est possible. On verra si je tente ou pas.

    - Tu peux tenter, mais attends toi à te faire écraser. Cette scène, ce n’est pas une cour de récréation. Et tu vas te retrouver en face de bêtes de scène. Bon courage pour t’en sortir un seul morceau.

    Elle lui donna une gentille tape sur l’épaule, suivit d’une œillade et disparut dans la réserve, laissant Georg seul à l’accueil.

     

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    Des bêtes de scène hein ? Mais ils n’avaient pas encore tout vu. Il n’a jamais dit que s’il montait sur scène, ce serait avec seulement une guitare acoustique. La musique n’était pas son seul talent.

     

     


  • (88)

     

    Zhoo s’était enfermée dans sa chambre depuis presque une semaine maintenant. Et il était hors de question qu’elle sorte de sa tanière, ou qu’elle parle à sa mère. Elle se sentait trahie et bernée. Et totalement abandonnée.

     

    ֎

     

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    Une semaine plus tôt, après avoir passé la journée avec Camille et An, elle avait découvert en rentrant chez elle les valises de son père dans le hall d’entrée. Ces deux parents étaient debout dans le salon, à distance raisonnable l’un de l’autre et discutaient. Sans montrer ni dégoût, ni animosité. Et la jeune femme en aurait souri si elle n’avait pas vu ces valises.

    - C’est pour quoi les valises ? leur avait-elle demandé innocemment en se rapprochant d’eux.

    - Je pars, avait dit William en se tournant vers sa fille. Ta mère et moi, nous nous séparons.

    Zhoo avait regardé son père avec de grands yeux écarquillés, et la mine déconfite. Elle avait eu l’impression de ne rien comprendre. Mécaniquement, elle avait hoché la tête de droite à gauche, refusant l’information que ses oreilles venaient de lui apporter.

    - Non. Vous n’allez pas faire ça hein ? leur avait-elle demandé, les larmes aux yeux.

    Elle s’était tournée ensuite vers sa mère. Elle lui avait pourtant assuré deux jours plus tôt qu’ils ne se sépareraient pas, qu’ils s’aimaient toujours. Et quand bien même Zhoo avait fait la fière en disant à sa mère qu’ils feraient mieux de divorcer, elle n’aurait jamais cru qu’un jour, elle aurait eu à subir leur séparation.

     

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    - Je vais aller vivre dans l’ancien appartement de Nate, avait expliqué William. Tu viens quand tu veux ma puce, avait-il poursuivi en s’approchant d’elle.

    Zhoo avait fait un pas en arrière, lui lançant un regard noir et lourd de reproches.

    - Vous vous abandonnez ? Je pensais que vous étiez plus solides que ça, et plus forts que lui, avait-elle grondé en pointant la vitre du doigt.

    - On n’abandonne pas, avait reprit Julia. On se donne une chance de recommencer. Rester ensemble nous bouffe, peut-être qu’en s’éloignant …

    - Mais casse-toi ! avait hurlé Zhoo à la figure de son père.

     

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    Elle s’était approchée de lui, et l’avait violemment poussé dans ses valises. Elle était écumante de rage, les yeux rouges et le visage balayé de larmes. Elle avait hurlé, encore et encore, le poussant au loin. Il n’avait qu’à partir.

    William s’était finalement penché pour récupérer ses valises, et après un dernier regard à sa femme et sa fille, il avait disparu derrière la porte.

    Parti. Envolé. Terminé.

    Zhoo s’était tournée vers sa mère, les poings serrés. Mais elle s’était tue. A la place, elle avait gravi les marches jusqu’à sa chambre où elle s’était enfermée à double tour, jusqu’à aujourd’hui.

     

    ֎

     

    (88)

     

    Techniquement, elle avait mis le nez hors de sa chambre, pour accéder à la salle de bain et au frigo. Mais elle prenait bien soin d’éviter sa mère, comprenant la réaction de Georg quand il eut appris les origines de sa conception. Et rien que d’y penser, elle le trouvait courageux d’avoir tenu un tel rythme pendant quatre ans.

    Mais hors de question de céder, quitte à ce qu’elle passe la fin de l’été cloitrée dans sa chambre. Elle n’avait pas spécialement envie de sortir non plus. Sans compter Emma et GK qui roucoulaient en France, Camille était en train de se préparer pour aller les rejoindre, et An passait le plus clair de son temps avec son petit ami. Elle avait raison d’en profiter, Zhoo savait qu’avec son emploi du temps à la fac de médecine, Gabe trouverait de moins en moins de temps à lui consacrer.

    Alors il ne lui restait plus que Robbie. Et par texto. Celui-ci avait décidé de passer la fin de l’été dans sa famille, ce qu’il y avait de plus normal. Mais cela n’empêchait pas la jeune femme de passer des journées entières à discuter avec son beau métis à la carrure de mastodonte. Et si Robbie était muet à l’oral, ce n’était pas vraiment le cas à l’écrit, pour le plus grand plaisir de Zhoo.

    Evidemment, elle avait fini par lui parler de la situation à la maison. C’était impossible de faire sans, ou il allait fatalement lui demander pourquoi elle pouvait aussi en colère dans certains de ses messages. Au moins, comme ça, il n’y avait pas de surprise.

     

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    « J’ai enfin fini Peaky Blinders. Ok, tu avais raison, c’était vraiment chouette comme série. Et je veux bien un Tommy dans ma vie »

    Zhoo appuya sur envoyer, et guetta la réponse de son … ami. Était-ce vraiment le mot qu’il fallait employer pour définir les deux jeunes gens. Elle n’en était pas sûre elle-même. Amis, oui, c’était sûr et au moins ça. D’un autre côté, la nature de certains de leurs textos pouvaient prétendre le contraire. Il était clair qu’ils s’entendaient tous les deux à merveille, et Zhoo n’avait qu’une hâte : que la rentrée arrive pour le retrouver.

    « Tu aimes le danger visiblement. Soit, mais je n’ai pas de gavroche. Je vais avoir du mal à postuler »

    La blondinette sourit un peu niaisement quand elle reçut ce message. Elle l’imaginait bien avec une casquette gavroche. Ça pourrait lui aller. Mais elle nota surtout que Rob avait apparemment envie de postuler, comme il a dit, pour un rôle dans sa vie. Elle en rougit aussitôt, battant des jambes sur son lit, totalement niaise.

     

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    « Dommage alors. Tu étais pourtant un parfait candidat. J’irais chercher ailleurs, tu crois que ton coloc’ est libre ? »

    Elle entendit la porte d’entrée de l’appartement se fermer, et la clé tourner dans la serrure. Sa mère venait de partir pour le boulot. Zhoo posa alors son téléphone sur son lit, et se leva pour passer la tête par la porte de sa chambre, et vérifier qu’elle était bien seule. Elle tenait l’oreille : rien. Pas un bruit.

    Sa mère devait reprendre le travail aujourd’hui. Sa mise à pied était enfin levée. Ce sera plus facile de cette manière de circuler dans l’appartement à sa guise. Elle retourna alors dans sa chambre pour récupérer son téléphone portable, et elle descendit dans la cuisine pour se faire un petit déjeuner.

    « Si tu crois que je vais le laisser t’approcher, c’est mal me connaître. D’ailleurs, tu fais quoi le week-end de la rentrée ? »

    Zhoo se servit un large bol de chocolat chaud et un croissant, avant de s’installer sur le tapis, devant la télévision, ses vivres posées sur la table basse. Et c’est la bouche pleine de viennoiseries qu’elle répondit à Robbie.

     

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    « J’ai prévu de braquer une banque. Tu viens avec moi ? »

    « Franchement, ça se tente. On se dit le samedi avant la rentrée, chez moi à 20h ? »

    « Ça marche ! Je prépare mon équipement de braqueuse ! »

    Elle posa ensuite le téléphone sur la table basse et leva le nez vers la télé éteinte. Alors qu’elle allait saisir la télécommande pour lancer Netflix et débuter une nouvelle série conseillée par Robbie, elle sentit des larmes couler le long de ses joues. Elle posa la télécommande, passa sa main sous ses yeux pour els arrêter. Mais rien n’y faisait. Elle pleurait de plus belle. Et avant même de réaliser ce qui lui arrivait, elle fondit littéralement en larmes. Elle se recroquevilla sur elle-même, le visage enfoui dans ses genoux.

     

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    - Allez tous vous faire foutre putain ! JE VOUS DETESTE !!

     


  • (89)

     

    Cela faisait maintenant des jours que Eliott Thatch ne dormait plus, qu’il ne rentrait plus chez lui et passait ses journées au tribunal. Son bureau se transformait en véritable garçonnière tandis que lui se muait en déchet. Cheveux en pagaille, chemise mal boutonnée, joues râpeuses et cernes sombres sous les yeux. Quant à son bureau, il ne voyait plus son ordinateur, inondé sous toute cette masse de dossiers. Mayers avait été clair. Limpide même. Et la nouvelle de la mort de Savannah avait eu l’effet escompté : Eliott avait revu l’ordre de ses priorités. Il devait faire sortir de prison douze hommes, dont Thomas Sacks, et retrouver la trace de Georg-Kaitlin Mayers, le fils putatif de son client. Et s’il n’en faisait rien, il ne donnait pas cher de sa peau.

     

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    Il se laissa tomber dans son canapé, passant ses mains sur ses joues rêches, le frottement crissant à ses oreilles. Il fallait qu’il respire, qu’il se calme, qu’il se ressaisisse. Il ne pouvait pas continuer sur cette lancée. Mayers pouvait débarquer d’un instant à l’autre et il ne devait absolument pas faiblir ou donner le moindre signe d’abandon. Car ce n’était plus sa seule vie qui était en danger. Celle de sa femme, de son enfant à naître. Sa sœur et sa famille également. Mayers n’avait aucune limite, il en avait déjà fait preuve par le passé, et il est indubitable qu’il fasse preuve des mêmes extrêmes à son encontre.

    On toqua à sa porte, et il sursauta. Il était là. Eliott soupira longuement et inspira, puis il se leva. Il essaya de remettre de l’ordre dans sa tenue, mais c’était peine perdue. Tant pis, il l’accueillerait comme il était. Ce n’était pas l’apparence que Mayers allait juger, mais l’attitude. Il s’approcha alors de la pote, et l’ouvrit sur Mayers et sa compagne, Brooke Anderson. Eliott fit un pas de côté pour les inviter à entrer, et sans un mot, ses deux visiteurs s’exécutèrent et s’installèrent sur un des canapés de la pièce. Eliott les rejoignit sans un mot, essayant de paraître le plus digne et professionnel possible.

     

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    - Monsieur Mayers, le salua-t-il malgré tout.

    Harry Mayers ne dit rien et tendit la main vers Eliott, attendant quelque chose. Eliott se doutait bien de ce que Mayers attendait de lui. Il déglutit avec peine, se leva et alla chercher un dossier sur son bureau à l’arrière de la pièce. Le fameux dossier à la reliure verte. Il le posa dans la main de son client, et attendit patiemment le verdict.

    L’homme âgé ouvrit le dossier, feuilletant celui-ci avec attention. Il esquissa finalement un sourire quand il eut l’information qu’il attendait depuis des années.

    - Ainsi, il est en France, dit finalement Mayers après d’interminables minutes de silence. Sud-Ouest. Charmante région. Et comment est-ce que je fais pour le faire revenir ? demanda-t-il à Eliott.

    Ce dernier releva la tête mais n’osa pas croiser le regard de Mayers. Il gardait les yeux baissés. Il savait que cette question était rhétorique, soit qu’elle ne lui été pas directement adressé. Lui, il avait fait son travail. Il avait retrouvé la trace du fils de Mayers, la suite ne le concernait pas.

    Mayers lâcha le dossier sur la table basse et se laissa aller contre le dossier du canapé, bras croisés. Il tourna ensuite la tête vers Brooke, qui était restée stoïque telle une statue de sel.

    - Prends contact avec Hyde et envoie le là-bas.

    La femme acquiesça aux mots de son compagnon et patron, puis elle se releva sans un mot et quitta la pièce en silence pour contacter ce dénommé Hyde. Eliott suivit ce ballet sans prononcer un son. Il attendait la suite, qui n’allait pas tarder à arriver.

     

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    - Vous avez bien reçu mon message maître Thatch ? demanda Harry de sa voix mielleuse.

    Eliott acquiesça, toujours silencieusement. Il n’avait pas besoin de demander de quel message il s’agissait, il était clair qu’il ne faisait pas allusion à son répondeur. Il revoyait encore le corps sans vie de son assistante, Savannah Envey, allongée sur la table d’acier de la morgue, les larges cicatrices sur son torse et les regards inquisiteurs du légiste. Il ne risquait pas de l’oublier et cette vue le hantait.

    - Je n’ai pas entendu votre réponse. Je vous ai demandé si vous aviez bien reçu mon message.

    - O…oui, répondit Eliott qui essayait de prendre sur lui.

    Il avait la gorge horriblement sèche, et déglutir lui donnait l’impression d’avaler une balle de golf à chaque fois et que celle-ci se logeait dans le fond de son estomac. Il se sentait gourd, il avait l’impression que toute son énergie le quittait. Mais il devait tenir. Il n’avait pas le choix.

    - Bien, reprit Mayers en souriant. Une chance que votre assistante ressemblât à votre épouse, je craignais que ce ne soit pas assez évident. Mais je suis rassuré, et je peux constater que tout ce travail a porté ses fruits. Je suis fier de vous. Des nouvelles de mes douze … associés ?

    Eliott serra le poing. Cette fois-ci, il en avait bien confirmation : c’était Faith qu’il visait. S’il ne l’avait pas éloignée de cette ville infernale, ce serait elle qu’il aurait du identifier sous ce drap blanc. Il frissonna et sentit une goutte de sueur couler le long de son dos pour s’écraser sur ses reins. Mayers remarqua bien les émotions qui traversaient le visage de Eliott et s’en satisfit. Il se racla alors la gorge pour essayer de le faire revenir sur terre. Eliott secoua la tête, et releva le regard vers Mayers.

     

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    - Oui, dit Eliott avec un ton qu’il essayait d’avoir le plus détaché possible. Quatre d’entre eux passent en appel dans une dizaine de jours. Les autres vont suivre. Le juge Connors m’a déjà indiqué qu’il prononcerait leur relaxe pour bonne conduite.

    - Et Sacks ? Dans quel groupe se trouve-t-il ?

    - Dans les quatre. Il sort dans dix jours, répéta Eliott.

    - Excellent.

    Mayers sourit à Eliott et se redressa pour ensuite se relever. Eliott fit de même et regarda la main que Mayers lui tendait à l’instant. Il la considéra un instant, puis la lui serra, timidement malgré tout. Les doigts de Mayers se refermèrent solidement autour de sa main, et Eliott sentit bien la menace sous-jacente : ses doigts étaient comprimés les uns sur les autres. Il pouvait les lui briser à l’instant si c’était son souhait.

    - Toujours un plaisir de travailler avec vous maître Thatch. J’espère que vous m’apporterez de bonnes nouvelles rapidement.

    Il lâcha alors la main d’Eliott pour se diriger vers la sortie. Eliott profita que Mayers fut de dos pour masser ses doigts endoloris. A deux pas de la porte, Mayers s’arrêta et se tourna vers Eliott. Ce dernier lâcha sa main pour ne pas montrer sa faiblesse face à cet homme.

    - Oh ! J’allais oublier, reprit-il avec un petit sourire doucereux. Maintenant que vous avez retrouvé mon fils, je vous prierais de bien vouloir préparer les documents de l’assurance vie. Je voudrais régulariser cette histoire assez rapidement. Je me charge de vous faire parvenir les formulaires de reconnaissance à l’état civil. Puis-je compter sur vous pour prévenir ma fille de cette démarche ? Je ne voudrais pas la traumatiser.

    Et il sortit finalement de la pièce, laissant Eliott le souffle coupé. Il toussa un long moment, essayant d’expulser l’air de ses poumons avant de reprendre une profonde inspiration. Il se tourna vers son bureau, englouti sous ses dossiers, et s’avança vers celui-ci. Il s’assit, pris le premier dossier qui lui tomba sous le nez et se remit au travail.

    - Encore huit … plus que huit … plus que huit, plus que huit.